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'^yH^^.rsire Ji^nry ^Aian€ cSmidm,
d'Ci^reuJc ,Mi^tf\'^par sa jt^Uti.se^ Ccnùf , c^^
sofi alyanJvii a. )a (Divine '^^/ roviilenc^.^^
JZ)t:<-J^; U 3i. ..Aau^f 1/02. Ltje.Je/y an.y .
L A V I E
DE M. HENRI - MARIE
BOUDON,
GRAND ARCHIDIACRE
D'E V R E U X>
Par M, COLLET, Prêtre de la Mïjfion ;
& Docteur en Théologie,
NOUVELLE ÉDITION
Dédiée à la Reine4
%p
A PARIS,
Chez Jean -Thomas Hérissant;
Libraire , rue S. Jacques , à S. Paul
& à S. Hilaire.
M. DCC. LXII.
Avec Approbations & Privilège du Roi 9
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r:
^
■ hlVc
^?5T?â??5T>r:i< i>a^ i>Q^?5?èf.
LA REINE.
m:^jd^2^jE1 ,
J'a I eu f honneur de dédier au Roi ,*
Votre Augujlc Père , la Vie d'un Prêtre à
qui l'Eglife , aux inflances de toute V Eu-
rope , a érige des Autels. Vai Vhonneur de
dédier aujourd'hui à VoTRE MAJESTE*
la Vie d'un Archidiacre ^ que la voix de
tous ceux qui aiment la vertu ^ a depuis
long'tems canonifé, Ileji vrai que le tableau
qu offre tHiftoire du premier a quelque
chofe déplus f râpant. Un homme , qui tire^
comme U jeune David , dufein de lapouf^^
\v E P î T R E
fiere <f devient & modèle & proteciciir da
Clergé £un vafle Royaume ; qui ejfuyc
les larmes de trois grandes Provinces , où
Az faim & la mort retracoient toutes les
horreurs du dernier Jiége de Jérufalem ; qui
enveloppe fous Us ailes de fon imnunfe
charité tenfant expofc , le vieillard décré-
pit 5 le captif de Barbarie , tinfulairt de
Maddgafcar , le Maronite du Liban ; qui
'' préfidc avec Ma^^arin au Confeil des Rois ,
& n y parle que le langage de la Jincérité
Chrétienne ; qui par la plus profonde hu-
milité fcait perfuadcr aux efprits Us plus
médiocres , quils font beaucoup au - deffus
de lui^ tandis qu'au jugement de Villuflre
de Lamo gnon , les plus beaux génies dt
fonfiécle ne Vont jamais trouvé au- de ff ou s
dieux. Unhommefrapé àdis traits fi grands
charme Idmi du bien , étonne t indifférent ,
déconcerte t ennemi , & le réduit à cher- ,
'^°^^[ * cher à grands frais r iniquité dans la mai-
fon du jujle. Mais quoique la Vie de M,
Boudon ne préfente pas des traits fi grands ,
Votre Majesté appercevra du pre-
mier coup dœil^ qiiil a réurii toutes les ver-
tus qui en font le germe; & qu'il ne lui a
manqué que U pouvoir ^ ou l occafion de.
les faite éclater. Elle trouvera- dans le même
homme une charité qui ri a de bornes que
celles de la plus rigoureufe impulffance ; un
^éle ardent pour les intérêts de Dieu & de
DÉDICATOIRE. v
fon Eglife , mais un ^Ih toujours tempéré
parla douceur & par La prudence ; h rare,
talent defoulagcr ces âmes fourrantes , que
Dieu conduit à lui par les plus pénibles
fentiers ; une confiance Jï parfaite en la Pro-
yidence , que , quoique dénué de tout , le
lendemain ne lui donna jamais la plus lé-
gère inquiétude ; un détachement fi abfolu
de toutes les créatures , que Dieu feul , &
tres-feul^ fut toujours le centre & le terme
de fon c(£ur ^ de fes penfées 5 defes entre-
prifes.
Mais ,fofe le dire , MADAME 5 quel-
que accoutumée que Vousfoye^ aux plus fu-
blïmes vertus ^ vous ne pourre^ voir fans
une forte d'émotion 5 je ne dis pas la pa-
tience invincible , je dis la joie , les trans-
ports avec lesquels ce faint Prêtre fouffrit
une des plus violentes perf éditions quon
puiffe imaginer : perfécut ion qui , quoique
fuf citée contre fa foi ^ fut fi foupUment mé-
nagée 5 qu elle parut ne F attaquer que pour
les mœurs. Les Etats les plus brillans ont^czW,-^^
leurs crox. Le joug pefant qui accable les '*• S*
tnfans dH Adam , ri épargne pas plus les
Rois , quil n épargne les derniers de leurs
Sujets. (Quelle confolation pour C Eglife^ de
préftnter en tout tems des modèles dune,
parfaite foumifjion aux ordres les plus Jé^
y ères du premier des Maîtres ! Qjiel plaifir
^our une Reine , qui toute occupée de la
Yj ÉPÎTRE DÉDICATOIRE
grandeur de Dieu , gémit , comme Eflher J
âi poids de lajîenne , de voir dans ce der^
nier âge du monde , un homme plus content
d*âtrele rebut & V opprobre d'un Peuple qui
Vavoitjifouvent admire , ajiil ne tétoit en
fe rappdlant que les trois plus grandes Prln-
cejfes du monde avoient verfé des fleurs fur
fon berceau, jToTRE MAJESTE ri! aura
pas befoiji de cette dernière grâce qui fait
vaincre la calomnie par la patience. Le
monde ^ tout monde qiiil e/? , a rendu un
hommage confiant , & aux vertus dont le
Cld vous a comblée des t enfance ^ & à la
manicre dont vous avcifcu les transmettre
à Votre Augufie Famille. Puiffiei^-Vous ,
comme les anciens Amis de Dieu , les y
voir régner jufqu à la quatrième génération^
Cefl V unique voeu que puiffe former un Mi-
nifire de J, C, Et cefi le f cul qu'adoptera
une Princcffe qui fcait que le monde p^Jfc
avec fa gloire & fes plaifirs ; mais que la
vertu fubfifte éternellement.
Je fuis avec un très-profond refpecî ,
MADAME,
DE VOTRE MAJESTÉ,
Le très - humble , très - obéi/fanr ;
très-iidélc Serviteur & Sujet »
Pierre Collet.
*^ *.** «♦* »*4 *•* »•* «% «^* *•* «•♦ **f 7**
PRÉFACE.
J'Etois encore jeune , lorsque
j'entendis parler pour la première
fois des vertus de M. Boudon. Ce
qu'un vertueux Prêtre "" racontoit
deréminence & de la continuité de
Toraifon du grand Archidiacre d'E-
vreux^nem'eft jamais échappé de
l'esprit: mais je n'aiirois pas cru que
la Providence m'eût deftmé à écrire
fon Hiftoire ; ôc je ne penfois à rien
moins , quand un Prélat , plus res-
pedable encore par lés vertus que
par fa naiffance , a cru trouver y
dans un de mes foibles Ouvrages ,
des raifons de m/engager à celui-ci.
Quelque déterminé que je fuffe à
ne courir jamais la même carrière ;
une feule Lettre m'a mis hors de
combat. Enchaîné ^ féduit en quel-
que forte par ces manières char-
mantes, qui femblent fermer toute
* M. Jofeph Grandet , Cuié de faintc Crois
d'Angers , qui mériceroic lui-même que fa vie
fût écrire.
âiv
Viij PREFACE.
avenue à la réflexion ; je n'ai penfé
aux motifs qui pouvoient m'excu-
fer, qu'après avoir donné ma pa-
role.
Le public y perdra en plus d'un
fens ; mais fespere qu il y perdra
peu du coté de Texaftitude. J'ai lu
avec attention tout ce qui pouvoit
nie fournir les lumières dont j'avois
befoin. Les Ouvrages de M. Bou-
don ne m'ont pas été inutiles. J'ai
profité de fes Lettres, mais je dois
infiniment plus aux trois Hifloriens,
qui avoient déjà ébauché la vie de
ce grand Serviteur de Dieu.
Le premier eft M. Nicolas Cour-
tin, Prêtre de la Communauté de
Saint Nicolas du Chardonnet. Son
manuscrit, dont je n'ai pu avoir de
meilleure copie , eft extrêmement
imparfait dans celle qu'on m'a prê-
tée ; cependant j'y ai trouvé des
faits qui ne font pas ailleurs.
Le fécond Ouvrage , qui efl un
peu plus étendu , a pour Auteur
un Prêtre du Séminaire des MiiTions
étrangères. Il m'a fourni des anec-
dotes importantes; ôc quoiqu'il ne
foit peut-être pas exempt de fautes ,
fur le point même où il intérelTe
P Pc E' FAC E. ix
davantage, je n'en ai point trouvé
qui répandit plus de jour fur l'éta-
bliiTement de cette fameuie xNiaifon ,
qui donne à toutes les parties du
monde tant d'Ouvriers Apoftoli-
ques.
Le troifiéme , qui fans contredit
l'emporte de beaucoup lur les deux
autres , efl: de M. Thomas , Confeil-
1er au Châtelet^ homme pleui de l'es-
prit de Dieu j très-verlé dans les
voies de la vie Ipirituelie ; dépofi-
taire des plus intimes fentimens de
M. Boudon ; hé d'esprit & de cœur
avec tous Tes amis , & qui n a écrit
qu'après avoir profondément étudié
{o'a iujet. Il a discuté en critique judi-
cieux l'Hiftoire de cette fille tra-
veftie, qui^ ibus le nom de Frère
Claude , a fait tant de bruit pendant
fa vie & après fa mort. Grâces à
Dieu ^ nous avions , indépendam-
ment de fon travail, des monumens
fur lesquels on peut compter. Ils
font du tems même : ils ont paru
fous les auspices d'un Prélat qai
étoit fur les lieux , & qui par un évé-
nement auffi heureux pour nous ,
qu'affligeant pour lui , ne peut être
lecule,
X P RE' F A CE.
Ceft , je l'avoue de bonne foi 5
ce dernier point de la vie du grand
Archidiacre 5 qui m'a le plus eftrayé.
Plein de resped pour la mémoire de
M. de Maupas, je ne l'ai vu qu'avec
peine prendre le change fur le com-
pte d'un homme que la vertu avoua
dans tous les tems, & qui fit tou-
jours un honneur infini à la Religion.
Mais quel moyen de fupprimer un
fait qui- eut pour témoins la Capi-
tale & les Provinces l On fçait, après
tout 9 que ni les premières places,
ni les meilleures intentions , ne font
pas toujours à l'abri de la furprife :
que Miphibofet peut ^ même au
Tribunal de David , échouer fous
les artifices de Siba ; S. Jérôme fe
défier trop tard de Rufin ; l'iliuitre
Epiphane céder pour un tems à fés
préjugés contre Saint Chryfoftôme.
Heureux encore & les Hiftoriens &
ceux pour qui ils travaillent, quand
ils ne trouvent pas dans les Supé-
rieurs cette indomptable fierté de
jugement , qui les attache jusqu'à la
fin au parti qu'ils ont une fois em-
braffé : & qui contre les loix, que
Rome payenne respefta y leur fait
regarder comme coupables deg
P R E' F Â C E, x]
hommes ^ toujours mal jugés ^ parce
qu'ils n'ont jamais été entendus *.
Mais c'en eft trop fur lin article
où les leçons font auffi inutiles
qu'elles ferbient néceifaires. Difons
encore un mot de la vie de M. Bou-
don.
La Chronologie qu'on regarde^ à
jufte titre ^ comme une partie eG
fentielle de f Hiftoire , n'y eft pas
dans la dernière précifion. Mais com-
ment marcher bien droit, dans un
Îays où l'on marche fans guide?
'ai tiré parti de tout ; 6c fi quelque-
fois je fuis forti de la voie ^ ce n eft
qu'après avoir pris de juftes mefu-
res pour y rentrer le plutôt qu'il
me feroitpoifible.
Les noms propres ont été encore
unécueil plus infurmontable. L'im-
patience où étoient les gens de bien
de connoitre plus à fonds le grand
Archidiacre d'Evreux, a multiplié
les copies manufcrites de fou His-
toire , ôc par une fuite inévitable a
multiplié les fautes. On les redifie ,
quand il s'agit de Lieux voifins, ou
de perfonnes qui portent un grand
"^ " Qui ftatuic aliqnid , parte inaudirâ altéra
3» Yerura etf^ftatuit, judeahaud asoimsfuic.
xij P R E' F ACÉ.
nom ; en tout autre cas il faut pres-
que les mettre au hazard. Je profi-
terai avec autant de plaifir que de
reconnoilTance , des lumières qu'on
voudra bien me donner fur ce point
& fur tout autre.
Plaileà Dieu de bcnir un travail
qui n'a été entrepris que pour fa
gloire. Quelque (ublime qu'ait été la
vertu deM.Boudon, il y a mille occa-
fions où elle peut fervir de règle. Au
relie , je protefte d'avance , quoique
je croye l'avoir fait ailleurs^ qu'en
donnant à ce vertueux Prêtre le nom
de faint, je ne Tai pris que dans le
fens auquel le grand Apôtre l'appli-
quoit aux Fidèles. J'ai parle de la
fainteté des moeurs , en laiflant au
Siège Apoftolique à décider de celle
qui tombe fur la perfonne. A Dieu
ne plaife , que je penfe à prévenir
fon jugement , ou à m'en écarter
jamais.
4\
f5 v^r>5 v^rvJ v^tp vwvî v;?ro v«vj v;!i!?>3 v;?? o'-/ssïv.v^
SOMMAIRE
Z)Z7 PREMIER LIVRE.
NA r ssANCEde Boudon ; vertu de fes
Pere & Mère. Trois Reines fe trouvent
aux cérémonies du Baptême de leur Fils i
une d'elles lui ferc de Marreine. Sa Mère le
nourrit. Il eft porté à Notre- Dame de Liefle.
Dangers dont il eft préfervé dans fon enfan-
ce , p. %, Son Pere quitte le fervice militaire
& fe retire en Normandie. Danger qu'il court
dans (on voyage. Sa mort. Combien elle eft
funelie à Ton époufe. Le jeune Boudon fait
deux fautes : avantages quil tire de fa chute»
lo. Sa première Communion. Il fait vœu de
virginité. Sesfentimens fur l'Apôtre S.Jean.
Il reprend {(ts études dans la vue de Dieu
feul. Ce que ces paroles figninoieat chez
lui , & les conféquences qu'il en tiroit dans
la pratique, 15. On le met en penfion à
Rouen. Il va aii Collège , & s'y fanftifie.
Son grand amour pour les pauvres. Il les in-
flruit avec beaucoup de fuccès & d'ardeur»
Preuve qu'en donne une'pauvre femme, 20,
Il viilte les hôpitaux. Service qu'il rend à un
jeune homme qui fe mouroit. Il porte {q^
Condisciples à la plus haute vertu. Ses fuccès
prouvés par deux exemples , 15. Exercices
de piété de fes Aflbciés. Leur zélé pour
l'honneur de la fainte Vierge. Leur excès-
fiTC charité envers les pauvres. Lumière Ôc
xîv Sommaire
plénitude de fa foi fur l'Euciiariftie. SonCon-
fefleur eil obligé d'en arrêter les fuites , 30.
Premiers combats que le faint jeune homme
a à foutenir. Succès de ks études malgré les
peines dont il eft affligé. Il gagne à la fui une
pauvre veuve , & garantit fon innocence.
Calomnie inventée contre lui par des Eco-
liers , qui ne pouvoient foufïrir fa vertu. Il
cfl abandonné de fa famille. Un homme ver-
tueux lui donne une retraite, ^j. Boudon
vifite avec ardeur ceux qui pouvoient le por-
tera la perfeârion. Les peines dont Dieu l'é-
prouve , lui fervent à calmer celles d'un bon
Religieux. II penfe à entrer dans un Mona-
flere. La foiblelTe de fa complexion l'en fait
exclure. Ses lumières fur S. François d'As-
fife , 40. Son amour pour la retraite & la
pauvreté. Il tombe malade. Il fe rend à Pa-
ris pour y continuer ks études. Il s'y met
fous la conduite du P. Bagot. Vertus de ce
Religieux. Exercices de Boudon. Il fouffre
beaucoup de la pauvreté , 46. Il eft réduit à
la mendicité. Sa patience frappe M. de Mont-
morenci. Il entre dans fa maifon pour étu-
dier avec M. de Laval. Commencement d'une
aiTociation déjeunes gens qui ne penfent qu'à
fe fanditier , 50. Boudon les forme à la ver-
tu. Leur amour pour les mépris. Sainte liai-
fon de Boudon avec le P. de Condé , avec la
M. Mechtilde , la fœur Magdeleine de S.
jofeph , & un Frère Auguftin, Il fert les ma-
lades dans les hôpitaux. Services qu'il rendit
à un jeune Luthérien , 55. Il tombe malade.
Il eft guéri en entrant à la Charité. Orage ,
c^MÏ s'élève contre 1 ui & contre ks Afîbciéy»
DIT T. Lt VRE. XV
Il va à Beaune viiiter le tombeau d'une fain-
te Religieufe. Il édiiie beaucoup les Carmé-
lites. Il comciience une espèce de Million
avec Tes amis. Caractère d'un Lorrain riche
en vertus , 60. Bons oilices que lui rend M.
Boudon. Avec quelle grandeur ce pauvre
homme parloit de Dieu. Soupirs de Boudon
à la vue du profond oubli de Dieu , où vivent
les hommes ,05. BouJon & fes Compagnons
penfeiit à porter )a foi dans les Pays inhdéles.
Origine du Séminaire des Mimons étrangè-
res. Boudon reçoit la tonFare , & porte con-
ftamment les marques de Ton éuat. M. de La-
val penfe à lui réfigner Ton Archidiacone , ÔC
raccompagne à Evreux , 70. Il y délivre,
prelque malgré elle , une Religieufe àts pei-
nes intérieures qui la dévoroient. Il eft très-
mal reçu dans le fécond voyage qu'il fait
dans cette Vi'îe ; mais eniin il eO: infiallé. Il
écrit aux Curés d'Evreux une Lettre très-
humble. Il fait une longue retraite à la Char-
treufe de Gaillon , 75. Il reçoit les faintg
Ordres. Ferveur avec laquelle il célèbre.
Etendue & ferveur de fa préparation pro-
chaine. Réponfe qu'il îit à un Officier qui le
prioit d'être court à la Mede. Il rend viiite à
Meilleurs de Levis &c Bourdoife. Avis que
lui donne ce dernier , 8j. Il s'oppofe à un
abus qui regnoit la veille de S. Jean. Un faux
plaifant le tourne en ridicule. Parole remar-
quable de M. Bourdoife. Idée des grands ta-
lensde l'Archidiacre. Sa fcience y la pureté
de fa morale , fon Ityle. On veut éprouver fa
capacité ; il fe tire avec honneur du combat ,
S5. Il prêche avec un fuccès prodigieux.
xvj ^ Sommai RÇ
Ceux qui courent la même carrière, îuî reîT-
dent juftice comme les autres. Dieu fe fert
de lui pour opérer deux converiions écla-
tantes. Prodigieufe ferveur d'un jeune hom-
me qu'il avoit gagné à Dieu , 90. Ses règles
de conduite dans le Tribunal de la Péni-
tence , pleines de fagefle &: de lumière.
Grâce linguliere qu'il eut pour procurer la
paix aux confciences troublées. Règle iblide
pour \qs fcrupuîeux , 95. Manière dont il dé-
livra une peribnne livrée aux plus noires in-
quiétudes. Empreffement du peuple à profiter
des paroles de vie qui (ortoient de fa bouche,
Mademoilélle de Bouillon fe met fous fa con-
duite. Progrès qu'eUe fit dans la vertu. Por-
trait abrégé des vertus de la fœur Marie-An-
gélique, 100. Boudon , pour remplir fon de-
voir d'Archidiacre , fe met fous la protection
Ipéciale de lafainte Vierge. Pénitences qu'il
pratique dans Tes vifites. Trifte état du Dio-
cèfe d'Evreux , quand il commença à le par-
courir. Manière dont l'Archidiacre s'y prend
pour rétablir le bon ordre. Détail exemplai-
re de Tes attentions > 105. Premier fuccès de
fbnzé'e&de fa vigilance. ,Sa conduite en-
v-ers les bons Se les mauvais Eccléliaftiques.
Il fe fert contre eux du double glaive qui lui
étoit confié , 1 10. Murmures à cette oc-
cafion. Juftice que rend à fa vertu un homme
de condition. Il tâche de former de jeunes
Miniftres , pour remplacer ceux qui étoient
indignes de l'être. 11 établit des conférences
fpirituelles: Grand fuccès de celles de l'Abbé
du Val-Richer. Manieie fainte dont il fe pré-
pare à faire dQS Miffions. Service iniportaHl
DU I. L T V R S." XvlJ
^u'il rendit à une Carmélite de Bretagne ,
iij. Témoignage d'une Urfuline de Mont-
bard. Grands fruits qu'il fait porter aux ter-
res les plus ingrates. Juftice que lui rendent
les perfonnes les moins fuspeâres. 11 eft traité
avec diftindion par de grands Prélats. Exem-
ple de mortification qu'il donne à Laval.
Son défintéreflement dans Tes MiiTions. Soin
qu'il avoit d'honorer les cendres des Saints ,
qu'il rencontroit fur fa route. Ses liaifons avec
M. de Louvigni. Vertus de ce Seigneur , 8c
du P. Jean-Chryfoftôme, Religieux du Tiers-
Ordre de S. Franç©is. Talens de M. de
Louvigni , pour porter lésâmes à une hau-
te perfedion, iz^ . Pureté de fa confcience.
Son détachement. Boudon le contirme dans
l'amour de la pauvreté. Belle mort de ce
Seigneur. Remarques fur fon Chrétien imé^
rieur, Henri de Maupas devient Evêque d'E-
vreux. Eftime qu'il fait de l'Archidiacre ,
130. Il le charge de dreffer de nouveaux Sta-
tuts ; Boudon s'en acquitte avec beaucoup de
capacité. L'Archiacre s'oppofe avec beau-
coup de vigueur à une fe6te de Fanatiques ,
qui vouloient s'établir dans le Diocèfe d'E-
vreux. Il eft fait Supérieur des Carmélites du
Ponteau-de-Mer. Ses maximes dans la con-
duite de cette Com.munauté. Règles très fa-
ges pour ceux qui ont de pareils emplois ,
xviij Sommaire
.1. - ■ ... ^
SOMMAIRE
DU SECOND LIVR E.
MONSIEUR de Maupas eft député à Ro-
me pour la canonifation de S. François
de Sales , 140. 11 donne les plus amples pou-
voirs à l'Archidiacre. Cette préférence &: fa
fermeté lui fufcitent des ennemis. Il eil: in-
formé de leurs projets. Il écrit à M. de Mau-
pas, qui l'approuve en tout. Boudon conti-
nue à marcher fur la même ligne. Dieu lui
fait connoitre une partie de ce qu'il aura à
fouffrir , 14^. Il efl: malade à l'extrémité , &
fe démet de fon Archidiaconé. Il eil: guéri
par les reliques de S. Gaud. Le Roi le nom-
me au même Bénéfice. Il vifite le tombeau de
fon faint Libérateur. Notice de faintGaud.
Fameufe tranllation de fes Reliques. Boudon
va au Mont Saint-Michel ,150. 11 fe forme
un violent orage contre lui. Il efl: indigne-
ment déchiré dans plufienrs libelles fcanda-
leux. On l'infulte à outrance. Retour de M,
de Maupas. Il trouve fon Diocèfe foulevé
contre l'Archidiacre. L^ne femme de piété le
juftiiie. Cara«ftere de la dame de Fourneaux,
i^f. Excès de fon zélé pour le faint Prêtre.
Pieufe réponfe qu'il lui fait. Belle Lettre
qu'écrit en fa faveur la Mère Mechtilde. On
impute à Boudon l'impétuofité de fa Péni-
tente. L'Evêque d'Rvreux tient un grand con-
feil contre l'Archidiacre.Onlui fait fignifier fa
t) tr II. Lt V n ïï. xît
Sentence. Sa tranquillité dans cette occa-
fion. Madame de Fourneaux , malgré les fa-
ges avis de lArchidiacre , fuit tout Ton res-
fentiment , l6o. On le met fur le compte de
Boudon. Il eft interdit. Il rcFufe de quitter
fa dignité , & on n'ofe le pouiîer fur ce point:
ïnaison le décrie dans toutes les Villes du
Royaume. Horrible manière dont il eft traité
à Evreux. Il ne peut obtenir une chambre
à Rouen que par furprife. Hiftoire d'une tille
qui , pour fe fouftraire au danger , fe trave-
ftit en garçon, 167. Calomnie dont elle eft
chargée fous le nom de Claude Petit, 176.
Elle vient à Evreux. Son fexe eft reconnu
après fa mort. Elle ne dem.eura jamais chez
l'Archidiacre. Fureur & injuftice des calom-
nies qui , à ce fujet , furent répandues con-
tre Boudon , i8o. Emportement d'un Prédi-
cateur contre lui. Il eft abandonné à Paris
dans fon plus grand befoin. Service que lui
rendirent les Filles de la Providence. Ses
dispofitions pendant le cours de ce violent
orage. Sa joie dans les humiliations. Il fe
fortifie par l'exemple d'un Seigneur d'Angle-
terre , qui avoit tout perdu pour la foi. Bel
éloge qu'il fait de M. de Maupas après fa
mort , 189. Moyens dont Dieu fe fert pour
ouvrir les yeux à M. de Maupas. Un Eccle-
fiaftique d'une vertu reconnue y travaille.
Le plus dangereux de fes ennemis y travaille
encore plus efficacement après une chute
honteufe , 195. Mouvemens oppofés que
produit dans le cœur du faint Prêtre fon ré-
tablifTement. Fureur impuiflante de fes enne-
mis. Eftime que M. de Novion fait du grand
xs Sommai t: e
Archidiacre. La Duchefle de Bavière le prîè
depaïïer en Allemagne pour lui donner Tes
confeils. 11 fe met en chemin. Eftime qu'on
lui témoigne à Metz , zoo. Les Filles de S.
Dominique lui font voir le chef de S. Henri ,
fon patron. Ce qu'il tità Nanci à la Chapelle
de bon Secours. Etat de la ville de Stras-
bourg, qui n'étoit que depuis peu fous la do-
mination du. Roi. Converfion de- plufieurs
Luthériens. Il arrive à Ulm ,- & il eft aifez
heureux pour y pouvoir célébrer. Il eft reçu
par leurs Altefles au Palais de Dirkeim.,
Portrait du Prince Maximilien Vertus de
Fébronie de Bouillon , fon époufe , lO'^.
Leur Cour juftement appellée la Cour fainte.
Piété du Pays. La Ducheffe éprouvée par
àss peines intérieures. Boudon développe
fon état en préfence de fon ConfelTeur. felle
cil effrayée de la pauvreté du grand Ar-
chidiacre ; elle lui offre un caroffe . il le re-
fufe conftamment , zi i.On le conduit à Mu-
nick. Il n'a de curiofîté que pour les chofes
faintes. Il dit la Meffe dans l'Eghfe des PP.
Théatins. Sa dévotion pour S. Gaétan. On
luipropofe le voyage d'Oeting , 21 y. II paffe
par Ausbourg ; il y trouve (es ouvrages en
Allemand. Il entre en Saxe ; voit la chambre
de Luther. Excès de fa douleur. Defcription
delà Chapelle d'Oering : fa. magnificence:
ion culte ,219. Un Comte Allemand eft fra-
pé de la dévotion du grand Archidiacre. Il
lui fait un préfent de fon goût. Il revient à
Munick. II en part , fans recevoir ni préfens,
ni argent. Il arrive en Lorraine plus tard qu'il
n!eùt. fallu. Se rend à £vreux, Compofe- la
r^xj II. LT V Rg. XXJ
•■^e de la Mère Elifabeth de !a Croix. Idée
de cet Ouvrage. Naillance de Mademoifrlle
de Kanfain ,125. Qualités du corps , de Tes-
pnt 'Se du cœur de cette jeune perlbnne. Elle
devient un modèle de vertu & de pénitence.
Dureté avec laquelle on la traite pour la dé-
goûter de la vie Religieufe." On la mar-ie
malgré elle. Portrait horrible de Ton époux.
Elle adoucit peu à peu fa férocité, il devient
un modèle de vertu. Un Seigneur lui fuscite
une affaire pour attirer fon époufe à la Cour.
Elle aime mieux tout perdre que d'en courir
les risques.i^o. Elle devient veuve:prudence
chrétienne avec laquelle elle élevé (qs en-
fans. Comment elle veille fur ks domefti-
giies. Son voyage au faint Mont. Le Médecin
Poirotpour s'en faire aimer a recours aux
malehces. Réflexions de TAr-chidiacre à ce
iujet. Etat où fe trouve Elifabeth en confé-
quencede cette opération. Nouveaux efforts
du Médecin. Effrayante fituation de la làinte
Veuve , 23 ^. Peines dont fon ame étoit dé-
chirée. On la croit poffédée du démon. Réa^
hte des poirefTKkîs foîidement établie par M
-Boudûn.Ilyeriaqui^feîonlui, ne fonflâ
pumnon d'aucune faute. Elifabeth eR aban-
donnée , décriée , empoifonnée, confervée
par une espèce de miracle, 241. Sageffe avec
laquelle le Sacerdoce & l'Empire fe con-
duidrent dans l'examen de <:ette affaire Les
Médecins ëz les Théologiens fe déclarent
pour la poffeffion. Raifons -qui hs y enga-
gent ,2^,. Précautions que prend le Duc^de
i^orrame^ avant que de prononcer. Poirot eft
«ondamaéau feu. Elifabeth doit à la-faint^
2-xi) Sommaire
Vierge fa délivrance. Elle établit la Com^
munauté du Refuge. Ses trois tilles y pren-
nent le voile , 150. L'Archidiacre landitie
pluiieurs Communautés. 11 fait une retraite à
la Chartreufe du Mont - Dieu. Admirable
piété des Solitaires qu'il y trouva. Boudon
travaille à Cambrai , à Anvers , à Bruxelles ;
à Namur. Mais il travaille encore plus en
Lorraine. Belles leçons qu'il fait aux Vierges
coniacrées à Dieu ,2.55. Soin quil prend des
Kovices. Avis qu'il donne aux Monafteres
qui font dans l'indigence. Il eft attaqué d'une
dangereufe maladie. Les Dames du Refuge
en prennent foin, i6o. Sa reconnoiilance pour
fes Bienfaitrices. Ses occupations , quoique
moins pénibles , n'en font pas moins conti-
nuelles. Ses ennemis le traverfent au fujet
d'un Livre fur le respeâ: du aux Eglifes. Il
empêche qu'on ne retire de Rouen l^s Da-
mes du Refiige. Son zélé pour celks qui
étoient établies à Bezançon. Grand lervice
qu'il rendàun Religieux: affligé, 266. lien
pourfuit un , dont les mœurs étoient corrom-
pues. Ses Livres paflent les mers. La dévo-
tion qu'ils infpirent , fauve Québec attaque
par les Anglois. Relation de M. de Laval ,
qui étoit Evêque de cette Ville. Eloge de la
Princefle de Chimai. Juftice qu'elle rend aux
Filles de fainte Geneviève , 170. Boudon
rétablit la dévotion à S. Taurin , premier
Evêque d'Evreux. Il donne un abrégé de
fa vie & de fes miracles. Prédidion qu'il
fait à un jeune homme qui étoit fon pa^
rent. Ufage que celui - ci en fit, Malheu-
feufe fin d'un bienheureux dufiécle, ^75%
t) U I I I. L I V R ^. xxîij
Prodige arrivé à Nancy dans la maifon du
Kefuge Réponfe qu'il fait à une confultation
touchant une jeune perlbnne , veririee par un
événement inattendu, 180. Sa patience .ians
les cruelles douleurs , dont ii fat affligé pen-
dant Tes dernières années. Son courage re-
double avec Tes maux. Il exhorte à une par-
faite IbumifTion les perfonnes qui craignoient
de le perdre , 185. Il fe démet de (on Archi-
diaconé en faveur d'un très-hom:r:e de bien.
On lui annonce fa mort prochaine. Ses maux
redoublent : il les fouftre moins avec patien-
ce qu'avec joie , zoo. Ses dernières adions.
Il reçoit le faint Viatique. Sa mort. Concours
qui fe fait chez lui après fon trépas. Il eft in-
humé dans la Cathédrale. Infcription qu'on
a mife fur le lieu où efl: fon cœur , Z96. La
calomnie ne l'épargne pas après fa mort. Sa
mémoire eft dédommagée par l'eftime que
font de lui les plus gens de bien. Ses vertus
font louées & admirées dans toutes les par-
ties da Royaume , ^00. Belle Lettre qui fut
écrite de Marfeille à fon fujet. Témoignage
du vertueux Prêtre qui reçut fes derniers
foupirs. Portrait de M. Boudon , conforme à
celui du grand Prêtre Onias. Epitaphe pla-
cée depuis peu dans la Chapelle où il eft en-
terré , 5ii%
^xiv Sommai r'B
SOMMAIRE
VU TROISIEME LIVRE.
YE R T u s de M. Boudon. Sa Foi , 314*'
Zélé du faint Prêtre contre l'erreur. Son
attention à ne l'imputer point mal à propos.
Sa Confiance en Dieu , 310.^ Elle a
commencé dès fes plus tendres années. Son
ftyle tout de feu , quand il s'agiflbit de louer
la divine Providence. Il en efpere tour à
tour Aqs croix & des confolations : il s^afflige
de ks fautes ; mais il ne fe décourage point.
Son Amour pour Dieu, 32.9. On ne peut
en donner qu'une très-foible idée. Depuis fa
première Communion jufqu'à la fin de fes
jours , fon cœur ne chercha qu'à s'unn- à
Dieu. Il marchoit fans ceflë en fa prefence.
Joie & paix qui en réfultoient. Il écartoit
aTCC foin tout ce qui pouvoit déplaire au
Dieu de fon cœur. Défmtérefiement de fa
charité. Son Oraison , 339. Tout ce qui
fe préfente à fes yeux lui en fournit la ma-
tière. Belle réponfe qu'il fit à des gens qui le
plaignoient de ce qu'il étoit feul dans un
voyage. Continuité de fon oraifon. Il en re^
tire trois fruits principaux pour lui-même ,
& une c^race finguliere pour fandifier le pro-
chain. Son fentiment fur les répétitions d'o-
raifon qui font d'ufage dans les Monafteres.
Sa Religion, 349- I^^^ ^^ ^^^^^ Y^'^"'
Etendue que Boudon lui donnoit. bainte
frayeur avec lacjuelle il regardoit les Sacre-
DU III. L î y Pv E. XXV
^^^■5 y 8c tout ce qui a rapport au culte de
pieu. Son refped pour les Minières de Je-
lus Chrifi y & pour les Lieux Saints. Son ar-
deur pour établir le Règne de Dieu dans tous
les cœurs. Sa Pieté' envers la sainte
Trinité' , 355. Fondement de fa foi fur ce
Myftere. Effets de cette foi , un respect qui
alloit jufqu'au tremblement. De profondes
réflexions fur la fainteté de Dieu. Son zéie
pour communiquer aux autres ks propres
fentimens. Sa Pie'te' envers l'Huma-
nité' sainte de J. C. 36z. Combien éloi-
gnée de l'illufion c\qs nouveaux Myfliques.
Son union avec l'Hom^me - Dieu. Ce grand
modèle eft celui que l'/irchidiacre fe propo-
fe d'exprimer. Etat qu'il fait de la grâce du
Chriilianifme. Sa Pie'te' envers l'Eu-
charistie,570. Il fene laile point d'admi-
rer la bonté avec laquelle Notre Seigneur fe
communique à nous : fon horreur pour le
monde qui y penfc il peu. Tendres réflexions
fur la facilité avec laquelle le Sauveur fe rend
acceffible dans l'Eucharirtie. L'humilité 6c
l'anéantiflement , principales leçons qu'y
puife lefaint Prêtre. Sa Dévotion a la
sainte Vierge , 376. Boudon ne tarit
point fur cette matière. Sa douleur devoir
le culte de la Mère de Dieu diminuer. Il
fait une fainte ligue en fa faveur. Sa dévo-
tion fage , dans les vraies règles, exempte
de Superflition. Sa Dévotion aux SS.
Anges , 38 ^. Manière dont il s'y prit nour
ne les point perdre de vue. Jl s'efforce d'in-
fpirer à tout le monde îes fentmens qu'il a/oit
pour eux. Il honore les diffaen. ordres de
xxv.j Sommaire
ces bienheureux Esprits. A Ton exemple l^^
Diocèfe d'Evreux devient très - dévot aux
SS. Anges. Belle & (impie pratique de l'Ar-
chidiacre. Sa De'votion aux Saints,.
ET SUR-TOUT A LA SAINTE FaMILLE,
^gi. Equité du culte que l'Eglife rend aux-
Saints. Idée queTArchidiacre fe forma de
leur grandeur. Il étudie leur hiftoire , vi-
fite leurs tombeaux , honore leurs Reliques^
Il invite les Payeurs à établir leur culte..
Saints pour qui il eut une dévotion fpéciale.
Son Amour pour le Prochain , 3v;8.
Sa charité pour Ç^s plus mortels ennemis ,.
prouvée par de nouveaux exemples. Sa
Charité envers les pécheurs. Sa charité pour
les perlbnnes affligées de peines intérieures.
Elles ont recours à lui â^s pays éloignés»
Conduite qu'il garde. avec un fcrupuleux.il
ne peut foulTrir qu'on fe rebute dans. le mini-
flere de la Pénitence. Selon lui la fcience ne.
fuHit pas pour traiter ceux que Dieu conduit
par des routes obscures. Son attention à fou-
lager ceux qiîi fe font endormis dans la grâ-
ce du Seigneur. Il écoit perfjadé qu'il y a des
âmes qui fouffrent longtems pour des fautes
légères. Son amour pour les pauvres. Sa Re-
CONNOISSANCE , 407. Combien il étoit fen-
fible aux fervices qu'on lui rendoit. Sa grati-
tude envers Dieu , foit qu'il lui fit du bien ,
ou qu'il lui envoyât des peines. Son parfait
dévouement à la Providence. Il lui confacre
un jour d'aicions de grâces toutes, les femai-
ms. Sage Lettre qu'il écrit fur ce fujet. Sa,
Douceur ,414. Il la fait paroître dans les
éyjéneiïiens les plus imprévus. Sa conduit'^ k
Du* IIL L IV RIS. xxvi}
regard d'un homme qui l'avoit accufé d'être'
Athée. Il eft la refTource de tous ceux qui
fouffrent. Il eft d'autant plus louable^que fou
caradere tout de feu ne le portoit pas à la
douceur. Sa Prudence ,415. Sagefle aveo
laquelle il appaifa un murmure que le re-
tranchement de quelques Fêtes avoit occa-
fionné dans le Diocèfe de Rouen. Son équi-
té dans le jugement qu'il portoit du Tcandale
que donnent quelquefois les plusfaintes Mai-
fons. Sages avis qu'il donne à un Eccléfiafti-
que chargé de viilter des Maifons Religieux
fes. Prudence avec laquelle il combattit un
homme de Lettres , qui avançoit des para-
doxes. Confeils qu'il donna à une jeune per-
fonne,qui pour entrer dans une Congréga-
tion , vouloit quitter fa mère. Il blâme fa pro-
pre conduite à l'égard d'un [olddit. Prudence ■
avec laquelle il écartoit les louanges. Soîi
Humilité' ,433. Témoignage que porte
de lui un homme qui l'avoit étudié pendant
quarante ans. Les dons de Dieu font pour lui
un fujet de s'humilier. Son humilité principe
du plaifir qu'il prenoit avec les pauvres. Il ne
fit jamais de vifite à la Reine d'Angleterre ,,.
fa Marreine ; mais il courut avec foin au-
devant de tout ce qui pouvoit l'humilier,.
Preuve qu'en fournit un Magiftrat d'Andeli,.
Il eft plus humble à mefure qu'il eft plus es-
timé. Sa Pureté', 437. Il l'aime dès fa.
tendre enfance, & prend toutes les mefu-
res poflTibles pour n'y point donner d'atteinte,.
Sou zélé contre les parures peu modeftes..
Ses attentions dans fes vifites d'Archidiacre,.
§a fageffe ; ks leçons , ks pratiques* SAs
XXviij SOMMATRE DU III. LiVRE.
Pauvreté' , 446. Il en fait triomphe. Son
amour pour les pauvres : combien il étoit
fâché de voir qu'ils ne connoifloient pas le
bonheur de leur état. La dureté âes riches ,
& fur-tout des Eccléfiaftiques , le pénétre
de douleur. Defcription de fon appartement.
Son Ardeur pour le mépris, 454. Il
foupire pour les humiliations. Il en fait con-
noitre le prix. Ses fouftrances de tonte ef-
péce. Beaux fentimens liir les croix qui nous
affligent. Ses Miracles , 466. DifTcrta-
tation fur ks Ouvrages , 476.
LA VIE
L A V lE
DE M. HENRI-MARÎE
BOUDON,
GRAND ARCHIDIACRE D'ÉVREUX.
LIVRE PREMIER.
Eglise de France gémifibic depuis
long- temps de fa propre ftérili-
té , loifque Dieu touché d^s fou-
pirs d'un petit nombre de Jufîes,
qu'il avoit fouflraits à la contagion, jerta fur
elle dans fa miféricorde un de ces regards puif-
fans , qui du fein même des pierres , font
naître à Abraham dts enfans dignes de lui.
En peu d'années cette Vigne, qu un fanglier
cruel , forti de la foret voifine , ravageoit im-
punément, produifit des fruits capables de
dédommager le Père de famille de fes travaux
pafTés. Toutes les parties du Royaume con-
coururent à fa gloire. La Breragne , le Mai-
ne , la Normandie lui donnèrent , comme k
l'envi, des Vierges pures, des Confcilcuq
i La Vie
éclairés , des Pafleurs que S. Charles auroit
regardés comme (i\ joie &c fa couronne. Peu
conicnte de fes propres biens , cette dernière
Province fçut profiter de ceux de fes voifmsj
cS: c eft à la Picardie qu'elle dut ['Hom:^2c de
Diciifeiil, dont nous commençons l'Hilioi-
re. Si nous nous arrêtons un peu à fa famille,
c'eil qu'elle acte long rems un problème , «^
que bien des gens , foie par ignorance , foie
par mauvaife volonté , en ont donné une
faufTe idée.
Henri-Marie Boudon naquit le 1 4. de Jan-
vier 1 524. à la Fere , petite ville de la Thié-
rache , mais qui alors étoit confidérable par
fes fortifications. Il eut pour père Jean Bou-
don , brave de vertueux Gentilhomme , qui
étoit Lieutenant dans la Citadelle fous M.
de Beaumont. Sa mère fut Antoinette Jour-
àèc-^. Dame d'une vie très-exemplaire , ôc
qui docile aux leçons d'un époux plein de
fentimcnt & de fagefie , pofféda, tant qu'il
vécut , toutes les vertus d'une femme vrai-
XTient chrétienne. Ils eurent tout lieu de re-
garder leur enfant comme le don d'une mi-
féricorde fpéciale : car outre qu'Antoinette
avoit paffé quinze années dans la ftérilité j
un jour qu'elle fe plaignoit de cette difgrace,
une Dame d'un portgrave & majeflueux^s'ap-
procha d'elle , & après l'avoir exhortée à I4
confiance , lui dit que le Ciel l'avoit exaucée,
•Ou Jourdîn, comme dît TAuteur de la vie de M. Bou-
éon impiimée à Anvers en 1705. que je ne connoiflow
pas, (juand j'ai doiUiél?prenai"ç édiuoa 4cccUç-cu
DE M. BoUDON. Liv. I. 5
êc qu'elle leioir mère de deux gaiçcn? , donc
le dernier leioic un jour Ja gloire de fa mai ^î^^^^;
fon. Ces pauoles prononcées d'un ron allure.
Se par une perlbnne qu'on na jamais revub'
depuis,parurenrbicnrc[ une vraie prédiclicn]
Madame Boudon ne rarda pas à fe voir mcre
d'un liis : mais ce fils acrendu li long-tems, âc
obrenu par ranc de larme.sen fît bientôt qou-
1er de nouvelles. A peine eut-il reçu le bap-
réme,qu'ii expira. Hcureurement la pcribnne
inconnue , donc nous avens parie , en avoir
annoncé un fécond. Il vinc en fon rems . d: il
eue , comme il le difoir lui-même avec beau-
coup de reconnoiflance, le bonheur de nnitre
un lamedi , jour que i Eglilc coniacre a l'hon-
neur de la Mère de Dieu , & qui d'ailleurs fe
trouvoic cerre année la dédié à lagioiiedu
faint Nom de Jefus.
Cerenfanr,quifuteneFet la gloire de fafa-
mille Se Thcnneur de 1 Eghfe, fui ondové a la
maifon, félon l'ufagedu rcms,qu'une dilcipîi-
ne plusfage a réformé. Selon le même ufaee,
lescérémoniesdefonbaprcmefticnî différées-.
Ce délai qui dura quatre mois, ne fervir qu'à
les rendre plusauguf.es; & peut-ctie que ja-
mais aucun enfant de pareille ccndi!ioi] n'en
eut de femblubles II s'y trouva trois Reines,
Marie de Médicis veuve de Henri ÎV. / nne
d'Autriche époufe de Louis XIII. de Hen-
riette Marie de Bourbon , fîlle du premierde
ces deux Rois, fœur du fécond , &: qui de-
puis fut femme de Charlesî.6cmert de Jscqucs
11. tous deux Rois d'Angle. erre. Cette der-
Ajj
• 4 L A Vi E
^"J^fy*^ nicre Princcfle voulut bien fcrvir de marreînc
au jeune Boudon ôc elle lui donna les noms
de Henri ôc de Marie qu'elle porroit elle-
iTiCaie. Il n'écoit pasaifé de trouver un pat-
rein d'une f] haute volée : Charles de Beau-
nionr,gouverncur de la Ferc y fuppléa.autanc
qu'il fut polîible. Ce jour glorieux fut un jour
• de tnomphe pour toute la ville : ^ h joie
d'une famille chérie pour fa probité , devint
la joie de tous les habitans.
La Merc de ce fils fî cher voulut le nourrir
cUe-mcme, Elle ne crut pas, comme on fait
aujourd'hui , qu'il fut du grand air pour une
femme de condition , de faire fucer au fruit
de fon fcin un lait étranger , qui fouvent ne
tranfmet ni la fanté , ni la vertu. Heureufefi
elle eutfoutenu jufqu'àla fin ces premiers fen-
timens de tendreffe j mais il s'en fallut beau-
coup , comme nous le verrons dans la fuite.
Dès que le jeune Henri put foûtenir les
impreflions de l'air , fçs parens dont la foi
étoit plus vive,parce qu elle étoit plus fimple,
le firent porter à Notre Dame de Liefle. Ce
fut dans ce Sanduairc , fi célèbre par le con-
cours des Fidèles , qu'il fut mis une féconde
fois fous la proteéHon de la Mère de Dieu :
car il lui avoit déjà été très-fpécialemenr dé-
voué , lorfqu'on lui fuppléa les cérémonies
du baptême. Ce qu'ilneput faire dans un âge
qui ne lui pcrinettoit pas d'entrer dans les
pieufes vues de fa famille, il le fit abon-
damment dans un âge plus avancé. Mille fois
il fe félicita de ce que fa première fortie de.
DE M. BouDoN. Liv. I. y
la inaifon parerneiie , ne s'étoir faite qiren —
vu'e du faint pèlerinage dont noiisvcncns de ^'
parler: mille fois ileélcbia, Ibic dar:Sles
converfations, foie dans fes pieux Ouvrages,
le bonheur qu'il avoit eu d'appartenir dès fa
naiflance à la très-fainre VieiEC. Quelque
vives que fuHenr fes expreïlions , en apper-
çoit en lilant fes Eciirs, que les ceLir.es ir.an-
quoient aux rranfporrs de fa reconnoiiTance.
3^ O ma bonne iMaitreiïe , difoi: il d'un fiile
que la fagefie humaine ne goûcera p^s , &i
qu'elle arceindra encore n'oins , « 6 ma rrès-
» douce (^rrès-miieriGordieufe Mère ,& ci:i
» ni'en avez fervi, dès que j'ai commencé de
" vivre ... Si favois tous les cœurs en mon
« pouvoir , que je vous les donnerois volon-
" tiers l Dès ce moment tous ne refpireroienc
" que votre pur amour j ëc toutes \ts bou-
" ches ne publieroient que vos louanges im-
'nnortelles . »»
Ce que difoitle pieux Henri de laMere de
Dieu , il ledifoit avec encore plus d'aideur
de la divineprovidence.Au fonds rien n'étoin
plusjufte que la reconnoiiTance qu'il avoic
pour l'une &: pour l'autre , chacune dansfoii
genre. Cène fut qu'à elles qu'il dut faconfer-
vation dans fon enfance. 11 a plus d'une fois
afluré que le démon lui voulut du mal dès
fes plus tendres années , que pendant la nuit
il le jettoitfouvent hors de fon berceau pour
le ruer j qu'il reffrayoit par des fpectres hi-
deux i & que ce ne fur que par des attentions
continuelles, quefamereluiconferva la vie.
Aiij
6 La Vie
- Mais quand ces accidens fâcheux n'auroîent
ic'fuiv. ^^^ qu'une luire naturelle de la force de l'ima-
ginarion , & delà vivacirédu tempéramcnr j
il n'en elt pas moins fur, que ce jeune enfant
ne fur redevable de fon falut qu'aux foins
d'une rrcs-fpéciale Providence.
Ce fur encore elle, qui comme on le crut
alors, ik qu'il l'a toujours cru lui-mcme,le
prévenant des plus fingulieres bcnédidions
de fa douceur, lui avança l'ofage de la rai-
ibn , afin qu'il fit un plus prompt ufage de
la grâce de Ion baptême , & qu'il pût dire
avec le Roi Prophète : » Vous êtes , Sei-
^> gneur , vous èics doublement mon Dieu \
« je vous cherche dès le matin , & mes prc-
" miers regards fe tournent devers vous. »
_ En effet , de c'eft un aveu qu'il fit \m jour
1017. aune ancienne & parfaite Rcligieufe dcS,
& fuit. Jq^^ d'Andely \ des Page de trois ans il fe
fcntif enflammé d'un vif amour pour Dieu,
& d'une tendre dévotion pour la fainte
Vierge (Se pour S. Jean PEvangélifle. 11 ap-
prit à lire avec la plus étonnante facilité ; &
cette première fcience ne fervit qu'à déve-
lopper le goût extraordinaire qu'il avoit
reçu du Ciel pour les cérémonies de l'Eglife,
^ fcs divins Canriques. Dès le grand matin
il en chantoif quelque partie, mais avec un
goût fi inconnu à fon âge , que lesdomefii-
ques même fe réveilloient volontiers pour
l'entendre.
Une aurore fi belle ne pouvoir annoncer
qu'un très-beau jour : & on ne doutoit point
DE M. BouBON. Liy. î. 7
que file jeune Boiidonécoirculcivé, il ne duc
o/aelque jour être un fujer fort élevé au-defTus ^^Ji'^^
du commun. Nous le verrons tel en effet :
mais nous ne verrons pas moins qu'jl fe duc
tout entier à la Providence : en peu d'années
fon père & fa mère lui manquèrent , quoi-
que par des raifons bien diriérenres Dieu
fcul le prit fur fes ailes comme un aigle prend
fes petits: & que ne fait pas ce grand Maitre ,
quand il travaille fur une argile fouple, ÔC
qu'il fe plair à la façonner !
M, Boudon paroilToii folidemcnt établi à la ' ■
Fcre, où il joignoit à la réputation d'un ^'^^fy^
homme de bien , celle d'un brave & lîdéîe
Militaire, lorfque'M. de Bouville , qui pour
lors en écoit gouverneur , fut obligé par
une intrigue de cour à en forrir. Boudon fuc
touché de la difgrace de fcn Commandant j
ôc foit qu'il aimât mieux prévenir ,qu'atten*
dre un revers pareil j foir qu'il n'écoutât que
fa généroficé ôc fon aftedioUjH voulut parta-
ger la mauvaife fortune de fon ami, & le fui-
vrcà Routoi , bourgade du Romois dans le
Diocéfe de Rouen. Ainfi après avoir réglé Ces
affaires . il fe mie en chemin avec fon époufe,
& ce fiîsfi cher , dans lequel il croyoit entre-
voir l'appui de la confolarion defavieillefle.
Ce voyage penfa coûter la vie à toute la
famille. À mi-chemin , des voleurs mafqués
attaquèrent la voiture. Mais Boudon , vieil
Officier qui ne s'épouvanroit pas du bruir,
fçut û bien animer ceux qui l'accompa-
guoient, qu'ayant tous chargé avec vigueur
Aiv
I6ii
S La Vie
ces maraudeurs, ils les forcèrent à prendre
&;û\'. laf'i'iice. LejeuneHeniifiulefcLilqniy perdir.
On enleva une robe qui éroit à fon ufage.
Quelques années après il auroit encore donné
Ion manteau.
Le père de cet aimable enfant , rendu à luî-
même , (Sc'libre enfin du tumulte des armes
de de raiïiijettiffement du fervice , fe fiattoit
de la douce idée de cultiver Theureux naturel
de fon fils: mais il reconnut bientôt, Se ver-
tueux comme il étoit , il ne put reconnoître
qu'avec une humble foûmilTion, qu'il eft une
FuilTance fuperieurc qui dérange les plus lé-
gitimes projets. Il n'y avoit pas long-tems
qu'il étoit à Routoi , lorfqu'une maladie,
plus forte que tous les remèdes , l'emporta.
Cette mort, que la prudence humaine
regarda comme très-funelte au jeune Henri,
fut encore plus fune/Ie à fa mère. Celle-ci
avoit jufques là pafTé pour un modèle de fa-
gefle & de raifon. Bientôt après on eût cru
que ces grandes qualités s'étoient enfevelies
dans le tombeau de fon époux. La crainte
de voir dépérir fon bien entre les mains d'une
veuve, la fitpenferà de fécondes noces.
Ce qu'il y eut déplus fâcheux , c'eû qu'ou-
bliant ôc le nom de fon mari , de fa propre
famille , où l'on trouvoit encore quatre Pré-
iidens de Cours fouveraines '^ , elle jetta les
yeux fur un miférable villageois. La diftance
de ce dernier à celui qui l'a voit précédé , avoir
* M. Thomas met toute cette grande Magiftrature fur
le comptedeM. Jean BoLidon. iNÎais le MIT, clesMiflîons
^uan gères iâ rapporte à fou époufe.
DE M, BOUDON, Liv. L 5?
quelque chofe de choquant. Polii la diminuer
éc le diiTimuler la faute , elle en fit une le-
conde. Son premier mari lui avoit lai/Té du
bien : elle acheta au fécond une charge chez
le Roi pour Tennoblir. Heureuie dans fon
malheur volontaire, fi elle avoir pu lui ache-
ter en même-tems des fentimens &: de l'élé-
vation i mais elle eut tout lieu de reconno'irrc
que û le fang; ne les donne pas toujours , les
Charges les donnent encore moins à ceux
pour qui elles ne font pas faites.
Le jeune Henri paiTa quelques années au-
près de ce nouveau beau-pere. Le reTpect
qu'il eut toujours pour lui , de la nianiere
dont il en parloir , le firent dans la fuite re-
garder comme fon fils. Il accrédita lui-mcme
cette fauile opinion par fon filence ^5-: pac
fon humilité : 3c fans le témoignage de quel-
ques perfonnes qui l'ont très - exactemcrit:
connu, peut-être croiroit-on encore avec le
Journal des Seavans , que le grand Archi-
diacre d'Evreux éîoit le fils d'un Chirurgien,
Après tout , comme on ne fe choilit pa^foii
père , fa vraie gloire n'"en fouffrirGit qti'aur
yeux du préjugé : ëc nous ne tarderons pas
à voir que fa naiffance ne contribua pa^ plus
à fa réputation qu'à fa fortune.
A l'âge de fept ans , on pen fa à lui ùh^
étudier la Langue latine : mais ccmme k
motifquiporroit fes parens à lui donner u-
ne Grammaire , étoit tour naturel. Dieu ne
lui donna pour- lors ni penchant , ni attrait
pour l'étude. On ne JHgea^pas à propos d^Iç
Ay
10 L A V I E
^^--^ contraindre : on le laifia à di liberté.
'"^'' Jamais peut-érre enfant n'en ab.ifa moins,
C'cil tiop peu de dire , que dans un âge lî
rendre , il n'y eut rien de puérile chez lui : on
peur avancer fans crainte de s'écanerdu vrai,
que dès - lors on vit en lui les prémices de
toutes les vertus , que le tems <?c la grâce y
ont développées dans la fuite. Beau ik mo-
dcîîe, comme on peint les Anges , il prioit
déjà avec tant de goût , qu'il ne s'en lafloit
ni le jour , ni la nuit. Timide , effrayé à la
fimple vue du péché , dont on lui avoit inf-
piré un grand éloigncment , il fuyoit avec
une fainte horreur toute compagnie capable
de ternir fon innocence. Pur ôc challe par
tempérament , avant que de 1 erre par vertu
& par réflexion , il n'y avoit ni parcnre , ni
alliée , dont il pût fouffrir l'approhe ôc les
c.ueflev. Plein de rcfped pour la majeflé de
Dieu , on ne pouvoir le voir à l'Eglife fcrvir
la fainte Meffc , fans apprendre par fon re-
cncillemenr de quelle manière il faut fe
comporter dans la maifon du Seigneur.
"^ Il eft vrai qu'il fit versée même tems deux
& iviiv.' fautes , qu'il a pleurées le refte de fes jours.
La première fut d'avoir caché par une mau-
vaife honte dans quelques unes de Ces con-
fcïïionSjqua'prcs avoir fervi la Méfie il avoir
bu ce (^ui rcf^oit de vin dans les burettes;
fenfunlicé que fa confcîcnce lui reprcchoic
comme un excès confidérable. La féconde
( que la timidité d'un enfant diminuoit beau-
coup , & que fon ignorance pouvoir excufer
DE M. BOUDOK. LiV.T. II
entièrement ) fut d'avoir une heure ou deux , •
gardé l'argent d'un Religieux propriétaire , ^'"'j^^^
pendant que fon Supérieur faifoic la vifire de
la maiion. Mais ces deux fautes , qu'il a fou-
vent racontées à fes amis afin de fe confon-
dre devant eux , devinrcnr.par le faint ufnge
qu'il fçar en faire , des moyens de ranctiAca-
tion pour lui & pour le prochain. La dernière
lui donna lieu, dans une infinité d'occafions,
de faire connorre de vive voix ôz par écrie
aux perfonnes Religieufes de l'un <k de l'aïur e
fexe , l'étroite obli;^a!ion que leur impofc le
vœu de pauvreté , qu'ellesont fait d'une n-a-
niere fî foiemnelle au pied des Autels, &: de
leur repréfenrer lecompte terrible qu'auroijÇ
à rendre au Jugement de Dieu , ceux <Sc cel-
les qui chargés de la conduite des autres ,
jnrrcduifent dans leurs maifons laproprieré,
foir par une tnolle condefcendancc , foit par
une dureté outrée qui refufe jufqu'au nécef-
faire^ foit par le mauvais exemple , qui tou-
jours contagieux , Teft: encore plus , quand
il vient de ceux qui font en place.
Pour ce qui eil de cette fuppreiïïon , don?
la crain'e ^\: la honte avoient été le principe,
le faint homme s'en fervir, pour apprendre,
comme il fit dès-lors^àfes petits amis.& plu s
encore dans la fuite à toutes fortes de per-
fonnes , qn'une faute légère peut avoir des
fuites facheufes -, qu'on fe trouble fouvent
pour des bagatelles ; que le moyen d'avoir
la paix avec Dieu , c'eft d'aller droit à lui, de
porter fon cœur fur fcs Icvr es, & plus ensor c
Av)
l6^i.
li L A V I E
dans le tiibnnnl de la Pénitence , que par-
tout ailleurs. J'efpere ncMimoins , ajouroic-il ,
après s erre donné pour exemple^avec beau-
coup d'humilité , j'efpere que la Sahite
Vierge rri obtiendra lurimijjion de c<;tte fcutte:
car je l' ai déclarée ai>tc beaucoup de douleur
dans la conjelfion générale que je fis pour
ma premier L Communion»
' Il la fie cctce première Communion des
& fuij. l'iinnée fuivante à 1 âge de neuf ans : «^c ce
fut alors que le torrent des faveurs cclcites,
que les chutes dont nous venons de parler,
avoient arrêté pcnir un tems , reprit chez lui
ion cours avec plus d'abondance Ôc plus
d'impétuofiré qu'auparavant. Il fit avec une
rjouvclle fd/v^ur fes picufes lectures &C il
y en ent une qui le porta à une adtion bien
extraordinaire pour fun âge.
Ayant trouvé par hazard , ou plutôt par
une fecrette difpofition de la providence , un
Sermon à 1 honneur de S. JcanTEvangéliilc,
qui trairoit de la pureté de ce grand Apôtre :
fon cœur en fut fi touché , fi attendri , qu'il
conçut un violent defir d'imiter ce Difciple
bien aimé de l'Epoux &du Roi des Vierges;
11 fe recira donc à l'écart , & les yeux baignés
de larmes ,1e cœurembrafé du divin amour,
il feconfacra fans réferve à la Sainte Trinité:
&: fc mettant enfuite fous la protection de la
Mère de Dieu ôc du grand Apôtre , dort les
Ipblimes vertus venoient de faire fur lui ime fi
vive impieirion , il fie vceu de virgijiité pcï-
-pétueile.
DE M. BounoM. Liv. T. 13
Depuis ce jour , qu'il regarda fans celTe — — ^
comme le plus beau de fe$ jours , Boudon ^^^^*
conçut pour le faint Evangélille de la chariré,
une tendrelïe qui ne s'akéra jamais,ou plutôt
qui crût ôc fe niultiplia beaucoup plus que
l'âge & les années. Il ne fc lafibit , ni de
célébrer Tes grandeurs , ni de publier les
grâces qu'il crovoit en avoir reçues. Grand
Sa.i?it , difoit-il dans ces mouvcmens rapides
dont il fembloit n'être pas maître , pinjje le
Qtl accroître le nombre devos Jervïteitrs Ô*
les combler de f es plia douces bénédictions.
Que le Seigneur répande déplus en plus dans,
fon Eglife un inftincî d'amour pour zos ex-
cellentes perfeHions.-que votre nom foit grand
dans toutes les nations , qiiiLfoit célébré
depuis un bout dumonde ji^fquà Pautre^
Ce fut pour fe mettre en état d'infpirer — »
avec plus de fuccès & plus d'étendr.e , ces ^'^/um
grands ôz nobles fenrimeiis, que Boudon à
1 âge d'onze à douze ans fe détermina de lui-
même à reprendre , ou plutôt^à commencer
fes études. Il s'y prit de lamanieredu monde
lapluschrérlenne. Après une oraifonfervea-
te ; car ce faint exercice , qui rebute fouvenc
des hommes faits , lui étoir déjatrcs-familier';
il porta fon Rudiment aux pieds d'une image
de la Sainte Vierge. Il la pria avec beaucoup
d'inftance de bénir fon entreprife , & de ne
pas permettre que dans fcs études il fe pro-
posât jamais d'autre fin que la gloire de fon
Fils. « Vers l'âge de douze ans , difoit-il dans
9* [a fuite , je commençai à étudier Iç latip ji
1635.
14 L A V I E
" &: je bénis Dieu , ôc (a rres-fainre Mcre , de
» n'avoir pas permis que j'nye commencé piu-
» rot , parce que j'aurois pu chercher autre
" chofe que Dieu feul: depuis , à l'aide de fa
>' grâce , je n'ai jamais eu d'aurre inrenrion. "
* Mais puilque la vue de Dieu [eut a été de-
puis ce rems comme le caradère propre de
la grâce de M. Boudon , &: que c:s mors :
" Agidons & fouffrons pour Dieu feul^ ne
« vivons que pour Dieu feul : Dieu feul nous
» fuffif : » (Scaurresfemblables luiéchapoienc
prefque du marin au fcir dans Tes entretiens ,
dans Tes Ecrits , dans les Prédications j qu'il
\qs me:roir à la tcte de toutes Tes jetnes^ &
qu'enfin entres-peu d'années . Ibit mépris,
foit cllimc 3 il fut plus connu fous le nom de
Dieu feul , que fous le nom de fa famille y
il eri Julie que nous développions 5 une fois
pour route , l'idée qu'il attachoit à ces deux
mors. Nous le ferons ^vec d'autant plus de
juflefTe , que nous n'employerons que fes
propres exprefTions.
" L'efprit del'Homme-DieUjdifoit-iljdoit
>' être no' re efprit. Nous devons penfcr &
>' parler comme J.C. agir non par la feule
»^ lumière naturelle, qui fuffit pour nous
y> faire agir en hommes , mais par la lumière
» divine de fa grâce ; voir & juger des chofes
>j par la foi \ ne regarder les objets qui fe pré-
•j fentent , que félon la connoiiïanee que
w Dieu en a , & qu'il nous en donne. »
» Le Chrétien , qui ne voit les chofes que
» de cette manière, femec peu en peinç de ce
DE M. BûUDON- Liv. î. i;
« que le monde peut juger ôc dire. II ne con- •
3' Uilrcici ni les répugnances, ni les inclina- * ^^'
" cions, nilinréiéc, nile plaifir. Air.ll comme
" il aime fes amis en J.C. il aime Tes ennemis
" pour J» C. de parce qu'étant un en J. C. il
» aime ceux que ce divinSauveuraaimés juf-
« qu'à donner fa vie pour eux. Agir d'une
«autre manière, c'eil quelque chofe de
5* monùrueux pour un chrétien ; parce que
i> c'ell vivre d'une autre vie, que de celle
" de l'on chef adorable. » Quelle morale ,
grand Dieu ! de où font ceux qui la pra-
tiquent î
Telle étoit cependant dans l'cfprit 3e plus
encore dans le cœur de celui dont nous ccri-
vons l'hilloire , retendue de ce mot : Dieu
feiiL II en prit fi bien le fens , il Içut fi bien
s'en pénétrer , que dans les confoiations les
plus ienfibles ^ comme dans les croix les plus
humiliantes , le créé , quel qu'il fut, -difpa--
roifibit à fes yeux. Il ne voyoit plus que
Dieu : C'étoit fa grâce , fon caraderc , fa dc-
vife. Il la portcit, il lagravoit par-tout, &
comme elle étoit fans celle dans fon cœur ,
elle étoit prefque toujours dans fa bouche.
Mais ce qui fait beaucoup à fa gloire, c'eft que
pouren venir là , il n eut pas befoin d'atten-
d re le nomibre des années. Dieu , 6c Dieu très-
feul , l'occupa tout entier dans un t ems où
Ton eA heurelix , eu égard à la corruption ré-
pandue fur tous les âges , de voir les autres
ne s'occuperqu'à la bagatelle. Lecours de fes
études^ dans lequel nous allons entrer avec
l5 L A V I E
^ ■■ " lui , nous en donnera dçs preuves qui ne
^'imv, fouffrcnt ni exception ni réplique.
Sa niere voyant que de lui-même il avoit
repris l'étude , ôc qu'il s'y appliquoit avec un
courage foutenu , l'envoya à Rouen, où il
Haver^ eut pour maître un pieux & fage Eccléfiaf-
fxèire. * tique, quiconfacroit à l'éducation de la jeu-
nefle & Ton tems & une partie de fon bien.
Ce fut-là qu'il fît paroitre une mémoire hcu-
reufe , une pénétration vive, ce génie aifc
qui corçoit tout , qui emporte tout fans
pdne, (Se pour qui les premiers élémens, que
pluficurs ne dévorent qu'avec cçs difficultés
infinies , ne font qu'un jeu , ôc qu'une efpéce
de réc:éarion.
Mais s'il fit de grands progrès dans les
fciences, il faut avouer qu'il en fit de plus
grands encore dans la piété , & que le Col-
lège des Jéfuites , où quelques mois de tra-
vail lui permirent d'entrer, fut moins pour
lui un lieu d'étude , qu'une Académie de ver-
tus. Il ne connut point ce funefie déchet , qui
au fortit de lamaifon paternelle, enlevé à
tant d'autres l'innocence, que des leçons fa-
%cs & des foins aflidus leuravoient ménagée.
II fçut profiter des faints avis de fes maîtres ;
mais il ne fçut jamais céder aux niauvais
exemples que lui donnèrent quelques uns de
{es condifciples : de s'il cueillit avec i.ne juf-
te avidité les premières fleurs des lettres ^ il
conferva avec les plus féveres précautions un
germe infiniment plus précieux , celui delà
f uretc y êc des plus fublimes vertus.
DE M. EouDON. Liv. I. 17
Une des premières qu'il fît éclater à Rouen,
fut un grand amour pour les pauvres ôc pour
la pauvreté. Son maître de penfion ne lui
donnoit que le couvert. Des villageois, qui
chaque fcmaine venoient au marché , lui
apportoientfes petites provifions : de cespro-
vifions , dont un beau-pere dur & dillipateur
ctoit l'arbitre , alloient à û peu de chofe , que
la plus foible dimhiution les eût réduites à
rien. Boudon non feulement ne s'en plaignit
jamais , mais il en donna toujours la meil-
leure partie à ceux qui étoicnr dans le befoin.
Il s'y mettoit lui-même pour les foulager : &
il auroit été obligé , ou de mendier comme
eux , ou de paffer les derniers jours de la fe-
maine fans manger/i la mère de fon maître,
charmée de la fainte prodigalité de ce jeune
étudiant, n'eût fecrettement pourvu à fon in-
digence. Encore falloit-il qu'elle prit lesmo-
mens où il étoit abfent de la mâîfon:iln'auroit
pas fouffert qu'une f€mme,quelque vertucu-
fe qu'elle fût , entrât dans fa chambre.
Aux fecours , qui n'ont pour objet que le
foulagement du corps , Boudon joignit les
fecours fpirituels. Comme on lui laifToit une
honnête liberté , parccqu'on étoit fur qu'il
n'en abuferoit pas , au lieu de fe délaflerjCom-
mcil efl: d'ufage , des travaux de la femaine ,
il affembloit les jours de congé une troupe
d'enfans pauvres comme lui , <3c parlant
déjajquoiqu'encore petit, le langage de ceux
qui ne le font plus , il les entretenoit de la
dignité de leurs âmes j de la bonté qu'avoic
^S L A V I B
eue J.C. de refaire pauvre pour leur amour,
cV de mourir nud fur une croix pour Ie<= ra-
chcreri^<Sjenfindeladifpofirion où ils de-
yoienr erre de mourir plurôrque d'offenfcr
Dieu. Tout ceci le difoir d'une manière fi
vive fi couchante , que ces pauvres enfans
fembloient n'avoir plus d'inclination que
pour la vertu, plus d'horreur que pour le
pèche. Ce qu'il avoir fait à Pvouen pendant
le cours de l'année , il le faifoit à Routoi
pendant les vacances. lUpprcnoir aux pau-
vres de Ton village lef my/îeres de la Foi , ks
ventes de la Religion , les voies du Salut : cr-
ces bonnes gens tecoutoient comme un An^e
^ De retour à la ville ilreprenoir Tes ex'^er-
ciccs ordinaires avec une nouvelle ferveur
II y en joignit bientôt unaurre, qui répand
fur fa jeuncfTe un Çx beau lullre , que nous
aurions tort de le fupprimer. Une Boulan^
gère de fon voifimge avant appris qu'un
des PcnHonnaires de M. Havel ne recevoic
piefque aucun fecours de fa famille &
qu'il joignoit à une vie trc.-exemplaire ua
zèle ardent potir le falut du prochain
voulue lui donner quelquefois à mander'
Des-que fon mari étoit foui , elleraiïembloic
dans fa maifon un grand nombre de pauvres
femmes , c'ell à dire de ces fortes de pcr-
fonncs , que lej bcfoins de l'amc touchent
fouvent beaucoup nioins que \qs néceifités
du corps. Le jeune Henri éuoit plus flatté de
cet auditoire , où l'on ne voyoit que la tri/le
is. lombre empreinte del'indigeiîce c^dcla
DE M. BouDON. Liv. I. 19
mîfere : qu'il ne réroit en fe rappellant que ' '
les trois plus grandes Princeffes de TEuropc g^^ulv*
avoienc verfé des fleurs fur fon berceau.
Ainfî , comme dès-lors il ne rariiToit point ,
quand il s'agiffoit des intérêts de de la gloire
de Con maître, il entretenoit fa petite aficm-
blée avec une force & des grâces qu'on ne
peut exprimer. Après une courte, mais vive
expofirion des principaux myftcres de la Foi,
il s'étudioit principalement à leur donner
nne haute idée de cet état humble & pauvre
qui les rendoit fi petites , fi mcprifables aux
yeux du monde.
Il les difpofoir enfuite à la réception des
Sacremens , & furtout à la communion du
corps de da fang adorable de J.C. Il leur
difoic , « que nous rendrons un compte ri-
" goureux , non-feulement de toutes les
>' Communions indignes , mais encore de
« celles que nous aurions pu faire dans l'ordre
'' de Dieu , & que nous avons négligées. Il
» n'y a donc, mes chères rœuvs^contwuoh'il ,
>» il n'y a ni mari , ni enfans , ni état , ni
>^ commerce qui doivent nous excufer. Il faut
« rompre avec la nature corrompue , brifer
>' nos liens , quitter tout pour recevoir un
w Dieu qui a tout fait pour fe donner à nous. '>
Ce ton didadique étoit fouvent coupé par
de vives & impétueufesfaillies,qui fortoienc
de fon ame , comme le feu fort d'une four-
naife allumée. « Ouvrons-nous^mon cœur,
« s'écrioiHl , éclatons , mourons d amour ,
>' perdons-nous dans cet abime d'amour,dan3
10 L A V I B
- " ce divin Sacreinenr. Aimables Séraphins ;
ViiiiY. " cmbrafez-noLis de vos feux. Incomparable
'^ Reine du pur amour , confumcz-nous
» dans vos flammes , afin que faintement
" confumcs de routes parts , nous puiflîons
" être les victimes de l'amour de J.C. dans
» le très faint Sacrement , dcc. Ainfi parloir
à l'âge de treize ou quatorze ans le pieux
Henri : combien de vieux Philofophes, parmi
ceux mêmes qui ont encore afTcz de force
d'cfprit , poyr ne pas rougir de l'Evangile ,
ne parleroient pas mieux !
Cependant il ne fc borna pas à ces maximes^
qui quelques grandes qu'eiles paroillcnt , ne
font après tout que les élémens réfléchis de
Ja vie chrétienne. Peu à peu il forma àl'orai-
fon ces âmes de boue , à qui le nom même
d'oraifon étoir d'abord inconnu. Il leur ap-
prit à converfer intérieurement avec Dieu :
ôc parmi celles qui fe rendirent aiTidues àfe^
conférences , il s'en trouva plufieurs qui , à
l'ombre de la grâce ik de leur fimplicité , s^é-
Icverent à un très- haut degré de piété & de
contemplation, La plupart des autres chan-
gèrent de conduite , firent des confelTions
générales , ôc menèrent depuis une vie très-
édifiante.
Une d'elles fit un jour une réponfe, dont
bien des gens furent touchés, ôc que notre
jeune Boudon n'a jamais oubliée. LesJéfuites
de Rouen commençant alors à bâtir leur
cglife , cette femme pour y contribuer à fa
manière , fe fcntit intérieurement prcfTée de
DE M. BOUDON. LiV. îj II
porter au P. Redeur un écu , qui écoîr tour ""
ce qu'elle avoir dargenr. Ce Supérieur ayant l^iXi
reconnu à Tes habits qu'elle é:oit bien éloi-
gnée d'ccre à fon aife , loua fa bonne volon-
té \ mais il refufa fon préfent , (3c lui die , qu^
bien loin de la priver du peu qu'elle avoir,
il feroit bien aife de lui procurer quelque
fccours, parce qu'elle lui paroifToir être dans
le befoin. Ce fut alors que cette femme aufîl
riche en foi , qu'elle Tétoir peu du côré de la
forrune,élevant la voix,lui répondit d'un tcHi
ferme 6c refpeclueux : » Sçachez , mon Père,
» que je fuis chrétienne , & par conféquent
jj fille d'un grand Roi , & héritière d'un
»j grand Royaume. Défabufez vous , mon
» Père , je ne fuis pas pauvre \ on ne l'ell: pas,
j' quand on a un Dieu pour fon vrai père. «
Le Recleur frapé d'un fentiment {\ noble ,
ne balança plus. Il accepta les deux oboles
de la veuve avec autant d'édification , que de
reconnoiflance.
Le zélé de notre faint Écolier ne fe borna
pas au petit troupeau dont nous venons de
parler ; il le porta à vifiter les malades dans
leshôpitaux,6cà leur rendre tous les fervices
dont il étoit capable. La feule vue de <:ç.s hom-
mes i dont une délicatefie peu chrétienne dé-
tourne les yeux , arrendrifibir fon cœur \ Se
il comptoir parmi fes plus beaux jours, ceux
où il avoit paflé plus de tems à refpirer l'air
contagieux qui les environne.
S'il nefaifoitpas du bien à tous les pau-
vres, parce qu'il n'étoit guéres moins pauvre
22 L A V I É
■ qu'eux ; du moins les traitoit-il comme le
&fufv Fils de Dieu veut qu'on traite ceux qui lui
appartiennent. De-là cette belle maxime ,
qu'il prariquoit exactement , & quil rcpcca
plus d'une fois des le temsde fes premières
études : « Quand une perfonne dans le be-
» foin fe préfcnre à nous, ce n'e/l point af-
w Ccz de ne la pas rebuter , de ne la pas trai-
»■» ter rudement, ou mcme avec indifférence;
w nous devons encore la recevoir avec un
»> profond refpect , ôc rendre à Dieu de tres-
sa grandes aclions de grâces , de ce qu'il veut
» bien nous procurer l'honneur de fervir
*> J. C. en la perfonne de nos frères. »•
C'eft dans cet efprit qu'étant un jour à
la campagne , il fecourut un jeune garçon
qui fe mouroit dans la rue. Le Curé du lieu
le rcgardoit de fang froid, fans avoir compaf-
fion ni du corps ni de l'ame. Un pauvre ar-
tifan l'ayant porté dans fa maifon , Henri ,
que les premiers cris de la mifere réveilloient
aifément , y accourut. Le malade demandoic
inllamment un Confefleur. Boudon appella
le Vicaire , homme épais & mal inftruit , qui
ne voulut pas l'entendre. Pour y fuppléer ,
notre jeune Etudiant lui fit produire des
acles de contrition ; Se pria un Chapelain de
fe prêter aux juftes defirs d'un moribond,quî
ne demandoit qu'à fe réconcilier avec Dieu.
Ce dernier trouva fon fujet bien difpofé,
lui donna l'abfolution , ôc fut û touché des
bons fentimensoù Dieu avoit mis un enfant
par le moyen d'un autre, qu'il ne put retenir
DE M. BouDON Liv. I. 23
fes larmes. Boadon n'abandonna point le ■—
mouiaut : il eue la force de recevoir ils der- ^^^i^^
niers foupirs -, après quoi il le fit tranfporter
dans fa chambre , jufqu'à ce qu'on ^ûc
l'enterrer.
Le foin de former les pauvres à une vraie
& folide verru,ne fur pas la feule occupation
de notre jeune candidat j il travailla pour le
moins autant à faire de fes condifciplcs im
peuple faint , une nation choifie : 6c sil ne
réulîit pas a 1 égard de tous , en peur dire
qu'il réufiit un peu trop à l'égard de plufieurs.
Heureux les hiltoriens , s'ils n'avoient que
de pareils excès a tranfniettre à la portcrité!
Son premier foin en arrivant dans la mai-
fbn du fieur Havel , fut de fe lier de cœur &
d'affeclion à ceux des Penfîonnaires qui lui
parurent plus fages ou plus dociles Difciplc
par rapport à fes maîtres d'étude, il fçut bien-
rôt par un certain air de candeur ôc d'ingé-
nuité , par fes manières infinuanres , & fur-
tout par cet empire puiflant que donne une
vertu qu'on ne trouve jamais en défaut , fc
rendre maître abfolu de i'efprit de tous ceux
que là grâce rendit dignes d'être admis à fon
commerce.
Mais que pouvoir donc faire un enfant de
fon âge ? Ce que bien des perfonnes de tren-
te ôc quarante ans n'oferoient prefque ten-
ter. Il apprenoit aux uns à bien employer le
tems , & fur-tout à étudier en parfaits chré-
tiens i aux autres à s'élever doucement à
Dieu par le moyen de la prière ôc de l'oraifon
24 L A V T E
^' mentale j à ceux-ci de quelle manière ils
&ftifv <^c^'oi^'nf s'y prendre pour faire faintcment
leur première communion j à ceux-là les dif-
pofitions qu'ils dévoient apporter àunecon-
feflîon générale , dont il leur avoit donné
l'idée i à plufieurs , 6c c'eft ce qui étonne
davantage y de quelle façon ils dévoient fe
-comporter pour vaincre une paffion naif-
fnnte , ou une tentation importune. Car
dès- lors il poffédoit fi bien le talent d'inspirer
■de la confiance, que des écoliers , fouvenc
beaucoup plus avancés qu'il ne pouvoir être ,
luidécouvroientleurspeines les plus fécrettes:
Se l'on ne doute point que ce jeune direcleuu
n'ait guéri bien des plaies , dont il avoit le
bonheur de n'avoir encore aucune idée
àhVmûe.
Sesdifcours étoient déjà fi vifs, fipuiflTans,
qu'ils enchainoient les cœurs. C'étoit une
femence bien nourrie , qui jettce dans une
bonne terre , y produifit peu à peu jufqu'au
centuple. Nous n'en donnerons ici que deux
exemples j mais ce que nous dirons un peu
plus bas, démontrera que nous les choifif-
fons parmi un très-grand nombre d'autres.
Le P. Gallie , né à Dieppe , avoit tout jeune
encore , ces belles ôc grandes qualités qui
ouvrent l'entrée du monde de la manière
la plus flatteufe ; c'eft-à-dire tout ce qu'il
faut pour y réuflir ôc pour s'y perdre. Il eut
le bonheur de voir Boudon , de le goûter ,
de former une tendre ôc intime liaifon
avec lui. A fon cçgle ôc par fcs exemples il
apprit
DE M. BOUDON Liv. I. IC
apprit à connoîcrc la vanicé du fiécle. Il ré-
folut de Ce foiiftraire à Tes dangers. Il exécuta
ce projet en entrant dans la Compagnie de
Jcfiis; ôc ce fut là qu'il répéta cent fois,
qu'il devoit , après Dieu , fa vocation aux
exercices de piété, que Boudon, enfant com-
me lui , lui faifoit faire , ainfi qu'à fes autres
condifciples.
M, Fermanel , qui fut depuis Supérieur
<îu Séminaire des Miflions étrangères , a auf-
fi déclaré, que c'étoit en conféquence des
leçons du jeune Henri , qu'il avoit quitté le
monde pour embraHer Tétat EccléfialHque.
Aum , ajoittoh-il, rien de plus admirable
que la grâce qu'il avoit dès ce tems-Ià pour
toucher les cœurs : rien de plus propre à faire
imprelTion fur ceux qui Tenrendoient , que
fon amour pour J. C. tendre & unique cb-
iet de fon cœur, & fujet éternel de Ces con-
verfations.
Quelque idée que nous donnent de l'en-
fance de M. Boudon , des aveux fi précis ,
iî faut avouer que le détail des exercices qui
faifoient l'occupation ordinaire de ce jeune
maître & de fes pieux aflbciés, nous en don-
ne encore une bien plus avantageufe. Voici,
quant à la fubiiance , ce qu'il nous a lui mcme
appris de ce petit troupeau. Si la modertic
ne lui a pas permis de s'v joindre , la jullice
nous permettra encore moins de l'en féparer,
lui qui en fut toujours l'ame ôc le premier
mobile.
Tous ces enfans, penfionnaires & étran-
B
2<^ La Vie
gcrs, car ils en gagnèrent plufieurs autres,
commencèrent par le mettre fous la protec-
tion fpéciale de la lainte Vierge : tous s'en-
rôlèrent dans la Congrégation de notre
Dame , établie pour la jeunefTe au Collège
des PP. Jéfuites. Mais les exercices qui s'y
failbient , ne fulfifoicnt pas à leur ferveur.
Ils avoientà la maifon un petit Oratoire,
où chaque jour ils fe réunidoient, pour rendre
leurs hommages à la Reine des Anges. Ils
difputoient faintcment à qui lui donneroic
de plus magnifiques éloges. Sa gloiic de fes
grandeurs étoicnt l'invariable objet de leurs
entretiens pendant le repas ôc pendant les
récréations. Leur plaifir le plus doux étoic
de vifiter les Eglifes & les Chapelles confa-
crécs au Fils fous l'invc^cadon de la Merc.
Quelquefois les jours de congé ils quirtoient
leur chaufTure hors de la ville, pour faire
avec plus de ferveur ces pieux pèlerinages.
D'autrefois , &c affez fouvent , faifis par cet
efprit qui animoit David ôc fa lire , ils fai-
foient retentir de fes louanges les montagnes
ôc les vallées. On ne pouvoit , fans être tou-
ché , voir cette aimable jeunette devancer
de beaucoup l'aurore , pour ne pas manquer
fon Oiïice les jours de Congrégation. Dès les
trois à quatre heures du matin ils étoient à
la porte du Collège: ^ ils attendoient en
paix & en prières qu'elle leur fût ouverte.
Ce grand appareil de culte extérieur étoit
fourenu de cet efprit de foi & d'amour , qui
en fait Tame. Ils fe préparoient aux folem-
DE M. BouDON Lir. I. i»
nircs de certe Reine du Ciel & de la Terre , *—
par des morrifîcations qui auroient fait l\^^'
honneur à un âge beaucoup plus avancé. Ils
jeiinoient fepr jours auparavant j &ce jeune
croie fi rigoureux , qu un peu de pain & de
beurre faifoic coure leur nourriture. Une
Communion fervente éroit ces mêmes jours
un des premiers exercices de leur dévotion.
Ils fouhaicoient avec ardeur, & tâchoienç
de procurer , tant par leurs prières , que
par celles des plus vertueux Prêtres, que
ion nom fût connu des nations qui l'igno-
rent, & doublement honoré de ceux qui
ont le bonheur de le connoître. Ils avoienc
un livre d'affociation, où tous avoient fîgné,
plufieurs même de leur fang, qu'ils Çc dc-
vouoient à fon fervice , autant que l'ordre
de Dieu le permettoit Se l'exigeoit d'eux. En
particulier ils avoient fait vœu de défendre
Ion immaculée Conception j de chaque jour
Ils en rccitoicnt l'Office. Trouve- 1- on quel-
que chofe de mieux dans les Cloîtres les plus
réguliers!
On peut bien juger que notre charitable
ttudiant remplit le cœur de Ç^s pieux Elevés
des tendres & refpedueux fentimens qu'il
avoir pour \ts pauvres. Il fit en ce genre tant
de chofes , qui , fous différens rapports , pa-
roiffent dans l'ordre & contre l'ordre , qu'en
admirant le motif, on fcroit tenté de fe ré-
crier fur la manière , fi Dieu n'avoit juliiiîé
& la manierez le motif en parant les con-
Icquences. Auffi fenfible , & en quelque for-
Bij
^S La Vie
te plas attentif aux befoins de l indigent ,
que ces anciens Pariiaixlies , qui le foir à la
porte de leurs tentes , autendoient l'étranger ,
pour partager avec lui leur foyer ôc leur
fubfiftance ; Boudon fe levoit quelquefois
la nuit ; & prenant avec foi un ou deux de
fes meilleurs amis , il alloit par les rues de la
ville chercher quelque malheureux , qui
p eût point de retraite. Lorfqu'il avoit^ ete
'affcz heureux pour en rencontrer quelqu un »
Se ce bonheur ne lui manquoit guère dans
une aufll grande ville que celle de Rouen ,
il le faifoit monter fécrettement dans fa
chambre -, il lui lavoit les pieds , les efluyoït
de fes cheveux , qu'il avoit fort longs & fort
beaux i buvoit avec plus df force , que
nous n'en avons à l'écrire , une partie de
cette eau bourbeufe , partageoit avec lui fon
très-petit ordinaire, lui cédoit fon ht , paf^
foit le refte de la nuit , ou fur le plancher ,
ou en prières i éveilloit ce nouvelle hôte c
niatin , le catéchifoit avec autant de zèle
que d'affection , & le renvoyoit en paix.
M. Boudon en réfiéchiffant , plus de cin-
quante ans après , fur cette partie de fa con-
duite, ne pouvoit allez admirer la Providen-
ce qui avoit écarté les mauvaifes fuites ,
qu'elle devoir naturellement avoir. Car en-
fin ,difoit-il , c'étoient de jeunes gens qui
de nuit , 6c fouvent après minuit , ouvroient
les portes d'une maifon j & qui, fans que
Jamais perfonne du logis s'en foit plaint, y
iutroduifoient des mendiaiis iiico;inu$, c eli
2)E M. BOCDON. Liv. ï. i$
à-dire , àcs gens fans aveu , de trop fouvent "
fans probité , qui auroient pu veiller pendant ^^f^^.
que leurs petits hôtes dornioienr, & empor-
ter ce qu'ils auroient trouvé a leur bienféan-
ce. » C'eil, ajoittoit-il , que ce qui fe fait par
« charité , fe trouve toujours bien fait. Heu-
" reux oubli , qui nous fait perdre de vue nos
» intérêts , pour ne penfer qu'aux feuls inté-
« rets de J. C. ! »
C'eft fon cardere qu'il a tracé par ces
dernières paroles. Il étoit dès lors fi perdu ,
fi abforbé en Dieu , qu'il ne voyoit que lui
dans toutes les créatures, ou plutôt qu'il ou-
blioit toutes les créatures , à force de ne pen-
fer qu'a lui. Son penchant pour la contempla-
tion étoit fi fort, qu^il paflbit aflez fou vent
les nuits entières dans ce fàint exercice. Le
foleil qui l'avoit laiffé humblement prcilerné
devant la Majellc fuprême , l'y trouvoit en-
core, quand il renaiûbit fur Thorifon. Ce
goût pour la prière le confoloit beaucoup j âc
il ne douta point qu'il n'en fût redevable aux
mérites & à Tinterceflion de la fainte Vierge,
Ce fut fans doute à cette zélée & tendre
Proteclrice de fa jcunefle , qu'il dut encore
fon amour pour l'augurie Sacrement de l'Eu-
chariJlic. Sa foi fur cet adorable mvf^cre,
étoit û vive , fi lumineufe , qu'on eût cru
que le voile qui le dérobe à nos yeux , croie
levé pour les fiens. 11 y vovoit fon divin
Maître revêtu de fa gloire, & environné de
ces bienheureux Efprirs, qui fuivent l'Agneau
par-tout où il va. Soit qu'il fe nourrit réel-
Biij
30 La Vie
-— - lement de fa chair , ce qu'il fie dès fa jeuncfTe ,
« fuiv. auin fouvenr qu'il le put faire ; foie qu^il n'y
participât qu'en cfprit, ily trouvoit une fou r-
çc féconde de grâces pour fon ame, ôc une
fournaife de feux pour fon cœur. Chaque
jour , dès le grand matin , iJ panfoit aux pieds
du faint Tabernacle tout le tems qu'il avoit
à fa difpofition. Ce tems même ne fuffifoit
pas aux ardeurs de fa charité, il donnoit à
fa dévotion une partie de la nuit aux portes
des Eglifes, fans fe foucier ni de ia duieié
desfaifons, ni des befoins de fon corps , ni
du jugement que pouvoienc porter de lui
ceux qui le tiouvoient là à des heures indues.
Son ConfclTeur en ayant été averti le lui dé-
fendit. Il obéit fans répliquer. La vraie
piété ne difpute point contre ceux qui lui
tiennent la place de Dieu.
Quelque abondant que fut le fonds de ver-
tus que s'étoit fait le jeune Boudon , il ne
tarda pas à reconnoître , qu'en ce genre on
n'e/i jamais trop fourni. Au calme profond ,
dont il avoit jotii pendant Ces premières an-
nées, fuccéderent de violens orages, qu'il
n'avoit point prévus. Attaqué à la fois au-de-
dans Se au-dehors. il fe vit en butte aux fu-
reurs du démon , à la malignité du monde ,
à l'infenfibilité de fa propre famille. Ces
beaux jours, où Dieu lavoit nourri d'un laie
délicieux , s'évanouirent. A peine étoit-il en
Troifiéme, qu'il fut fevré de ces confolations
fenfibles, qui fembloient ne devoir jamais
finir. Des nuages impurs, plus terribles pouv
*£ M. BOUDON. Liv. I. 3t
ki que ne reûc écé la nuit du tombeau , s'é- '
levèrent dans fon imagination. Il marchoit ^^^^^^
dans une terre défcrte, fans chemin, fans
eau , fans lumière qui lui découvrit le préci-
pice, où, à chaque pas, il craignoit de tom-
ber. Le Ciel paroifToit d'airain pour lui , la
terre l'abandonnoit. Toutes fes voies étoient
remplies de pierrres quarrées, ainfi que par-
le rÈciiture. Le Seigneur n'éroit plus pour
lui qu'un Dieu caché dans la nuë. Si quelque-
fois il faifoit luire à fes yeux un rayon de
lumière , c'étoit un éclair , que le même
inftanr voyoit paroîcre 6c fe dilTipcr. Son
cœur lui fcmbloit ccre une trille image de
ces montagnes de Gclboé , pour lefquelles
il n'y a ni pluie , ni rofée. En un mot , il ne
lui re/loit plus qu'un fenticr de troubles , de
croix , de mortelles inquiétudes.
Dans une pofition fi cruelle , & d'autant
plus fâcheufe , qu'elle commença de bonne
heure, & qu'elle dura plufieurs années, il
ctoit difficile qu'il eût l'efprit aflez hbre, pour
donner à fes études cette application férieufc
fans laquelle on n'y réufTit pas. On fçait néan-
moins, que dans ce tems de peines à d'agita-
tions , il fut toujours un des premiers de fa
C la iTe. Toujours également ferme dans fa
dévotion envers la Mère de Dieu , il en ob-
tint une ouverture admirable pour les fcien-
ces i & fi cette pieufe mère ne calma pas
les flots , qui s'étoient élevés fur la furfacc
d'un cœur qui lui étoit fi cher; elle ne per-
mit pas que les eaux entrailent dans fon ame ,
Bi/
3i La Vie
— ^ & moins encore qu'il en fût fubmcrgé. Auifi
^\l^y, fut-il toujours également pur , malgré les
efforts que fit le démon pour l'entamer. Le
vice contraire à la plus belle des vertus trou-
va en lui un cenfeur inexorable. Une parole
un peu libre le faifoit rougir ^ mais un de Tes
regards faifoit au moment même rougir ceux
qui l'avoir proférée : Sa préfence déconcer-
îoit le plus intrépide libertin.
Ce fut par cet afcendant que lui donnoit
fa vertu , qu'il garantit celle d'une jeune Ôc
pauvre veuve nommée Louife Henri , a qui
malgré les clameurs de fes parcns , qui tous
écoient des Huguenots invétérés , il avoit fait
abjurer fon hcréfie. Reçue dans la maifon
de M, Havel à rirre de lervanre ; des Pen-
iionnaires plus avancés en âge , mais beau-
coup moins avancés en venus , que ceux
dont nous faifions il n*y a pas long tems un
fi grand éloge, la regardèrent d'un œil cri-
minel. Boudon inftruit de leurs deiïeins , ôc
craignant qu'ils ne fiiTent fuccéderla violence
aux prières, fe trouva par- tout où il pouvoir
y avoir du danger pour elle. Et comme les
jours de congé étoientceux où il y avoir plus
à craindre, il facrifîoii fa récréation , de peur
qu'en fon abfence , on ne lui fit quelque in-
lulre.
Un fervice aufTi eflentielne fut pas, à bien
près , le feul que M. Boudon rendit à cette
veuve défolée. Lorfqu ilfut Archidiacre d'E-
vreux, il prit d'elle pour le temporel ôc pour le
fpirituel tous les foins d'une atcntive charité.
DE M. BoUDON. LiV. L 35
II lui écrivoit fouvenr, foir pour lever Ces fcru <' '■
pilles , foie pour la fortifier dans une peine ^'^fufy,
intérieure de réprobation •, peine, qui pour
une ame vraiment fidèle, elï la plus terrible
de toutes , Ôc par laquelle il plut à Dieu de
l'exercer long-tems. Enfin peu de rems avant
fa mort, il la recommanda au vertueux M.
Thomas , Confeiller au Châtelet de Paris ,
qui, conformément aux intentions de fon
ami, la fecourut avec beaucoup de généro-
lité. Elle ne furvécut à notre grand Archidia-
cre , que pour publier fa vertu & fçs bienfaits.
Enfin elle mourut à Rouen , comblée d'an-
nées C^ de mérites.
Si les parens de Louife Henri ne la virent
qu'avec indignation renoncer à leur fedte ,
les grands Penfionnaires de ivl. Havel ne vi-
rent qu'avec une efpéce de rage un enfant
comme-Boudon leur faire la loi , & décon-
certer leur projets. Ils fe liguèrent contre lui j
& cette perfécution, qui fut , à proprem.ent
parler, la première eu il ait efïuyée du de-
hors, put lui faire entrevoir qu'il ne par-
viendroit à Dieu que par les croix & que par
les humiliations.
On commença à le décrier comme un hy-
pocrite. On le chargea d'opprobres &c d'in-
ililtes. Les moins paiTionnés le tournoient
lui & fa dévotion en ridicule. Les plus cor-
rompus s'efforcèrent de répandre des nuages
fur fon innocence , d infinuer , quelquefois
même de dire hautement, qu'il ne valoit pas
mieux qu'eux, Un jour de promenade ils fe
Bv
54 La Vie
■'■ livrèrent à des adionsfi peu décentes , qu'el-
i7uiv. ^^^ furent rapportées à leur Mairie de Pen-
fion par quelques perfonnes du dehors , qui
en avoient été choquées. La troupe libertine
eut bien tôt pris fon parti. Tous accufcrent
Boudon d'avoir été le premier auteur du dé-
fordre. Ce fut envain que celui ci protefka
de fon innocence. Il efïïiya , & d'une maniè-
re très-rigoureufc , le dernier châtiment. Sa
punition fut un triomphe pour des gens qui
ne pouvoient fouffrir qu'on eût pour lui plus
d'égards , qu'on n'en avoit pour eux. Mais
enfin ils tombèrent dans la fofle quils s'é-
roient creufée. M. Havel fçut après coup,
que non-feulement Boudon n'avoit eu aucu-
ne paît à la faute , mais qu'il ne s'étoit pas
même trouvé dans la compagnie de ceux qui
en étoient coupables. Il fut fi afflige de fa
méprife , que pour la réparer il fe fit une cf-
péce de devoir de louer en toute occafion la
vertu de fon aimable penfionnaire
Si celui-ci en eut befoin pour foutenir
avec confiance la perfécution de fçs compa-
gnons d'étude , il en eut bientôt befoin pour
en foutenir une beaucoup plus rude en tout
fens, puifqu'elle lui vint de la part de fa pro-
pre famille. Nous avons déjà remarqué, qu'il"
ne recevoit de fon beau-pere, que desfecours
très-médiocres pour fa fubMance: peu à
peu ils diminuèrent fi fort , qu'ils devinrent
à rien. Ce fut à cette dure condition, que
fa mère fut obligée d'acheter la paix du maî-^
ue qu'elle s'écoic donnée par un fécond na^»-
DE M. BOUDON. Liv. I. 55"
riage. On vit donc un enfani de bonne mai- — —
fon crier au gré de l'indigence, dans une &x^y,
ville , où il avoir des païens d'un nom diftin-
gué, & d'une fortune confidérable. Un trai-
tement fi dur ne l'alréra point. Il n'y vit au
contraire qu'un trait de niifcricorde, qui To-
bligeoit à (e jetter fans réferve ôc fans bornes
dans le fein de la Providence. Il la prit plus
que jamais pour la meilleure de toutes les
mères i Ôc il n eut pas lieu de s'en repentir.
Il y avoir a Rouen un ancien Secrétaire du
Cabinet, qui laflé des embarras du fiécle ,
avoit fait avec le monde une cfpéce de divor-
ce pour penfer plus férieufement à fon fa-
lut. Ce vertueux citoyeii , qui fe nommoit
M. le Tanneur , perfuadé , qu'on ne peut
mieux fervir l'Eglife , qu'en dérobant à la
contagion du fiécle déjeunes cœurs, qui,
faute d'expérience ôc de réflexion , s'y laif-
fcroient prendre aifément^ donnoit fa mai-
fon & fa table a plufieurs Ecoliers,qui avoienc
moins de fortune, que de bonne volonté.
Boudon , qui n'avoir plus ni feu , ni lieu , ôc
qui d'ailleurs étoit déterminé à continuer fcs
études à quelque prix que ce fut, lui ex-
pofa fa trifte fituarion y ôc le pria de vou-
loir bien faire pour lui ce que fa chariré lui
faifoit faire pour tant d'autres. Son ingénui-
té , fa modeftie , Cà pauvreté , & un certain
air de noble Reparlèrent en fa faveur. Il fut
admis,
M. le Tanneur & toute fa famille recon-
nurent bientôt le uéfor qu'ils pofîédoienc
Bvj
3^ La Vie
"^g ^ - en la perfonne de ce fage & pieux Ecolier.
j8tiuiv. La vertu , à qui feule il appartieiic de met-
tre à prix la vertu , fçut ertimer les dons
qu'il avoit plii à Dieu de répandre fur lui.
Il fut regardé dans la maifon , moins com-
me un enfant , que comme un homme for-
mé par cecre main puiflante qui n'eft afTujct-
tie ni a l'âge , ni au tems. Ces premiers fen-
ïimens ne firent que fe fortifier dans la fui-
te : ôc toute la fami'le a depuis ce tems con-
fervé pour M. Boudon ur-e vénération & un
refpeciy qui ne fe peuvent comprendre. Ce font
les termes du plus exact de fes Hiftoriens.
Comme il fe vit tranquille du côté du
temporel ; Se qu'on lui laifibit une enucre
liberté de fe livrer , comme auparavant, à
toutes fortes de bonnes œuvres , il ne penfa
qu'à croître en grâce ôc en fageffe , à mefure
qu'il croilToir en âge. Dans cette vue il re-
chercha avec une fainte avidité le commer-
ce de ceux qu'il croyoit capables de lui
communiquer quelque chofe de leur plé-
nitude.
Le P. Gafpard , pieux Se fage Jéfuite ,
qu'un efp-itf'K'i appclleroir homme à dévo-
tions communes , mais qui avec fa dévo^-
tion droite & limple formoit fes Ecoliers
aux plus folides vertus , flit un de ceux
qu'il fuivit, Ôc qu'il goûta davantage. Ce
zélé Profefleur , qui ne prilbit les talens de
Tefprit, qu'autant qu'ils étoient embellis
par la piété , raflembloit de tems en tems
ies élevés dans fa chambre. Cétoit là qu'-
DE M. BoUDON. LiV. I. 57
avec une bonté pleine de grâces & d'onc- '■*
tion ,il les entuerenoit du royaume de Dieu j ^^i^^^,
qu'il leur infpiroic de l'horreur pour les
moindres fautes j qu'il leur parloir tantôt
de la refpecftueufe confiance que l'on doit
avoir en la Mcre de Dieu y tantôt des rai-
fons ôc de la manière d'honorer les SS. An-
ges ^ & plus fouvent encore de l'amour de
Jefus-ChrilL Ces difcours , dont toute la
parure confiiloit dans une fimplicité mêlée
de beaucoup de tendrefle , failbient un e^
fet admirable fur des cœurs bien difpofés.
Boudon Se Ces petits compagnons n'en per-
doient pas un mot dans la théorie , ni
dans la pratique : & jamais peut-être Ora-
teur n'a tant fait de fruit , & à fi peu de
frais. AulTi avoir il une juAe prédileclion
pour eux. Il les recoi d^iifoit , tête nue,
jufqu'à la porte du Coliége , ôc fur ce que
quelqu'un d'eux lui en demanda un jour h.
raifon : c'eft , leur dit il , que je refpedle
en chacun de vous l'Ange qui veille à fa
garde.
Quelque content que fût Henri des en-
tretiens du P. Gafpard , ils ne fuffifoient
pas à la foif infatiable qu'il avoit d'enten-
dre parler de Dieu. Il formoir de pieufes
liaifons avec ces âmes privilégiées , que l'E-
poux a conduites dans la folitude pour par-
ler plus efficacement à leur cœur. Mais
s'il en étoit édifié , elles ne Téroient pa5
moins de lui. Et dès l'âge de treize à-quatorze
ans on lui trouvoit une fupcriorité de fagcf-
38 La Vil
I»' ■ ■■ fe , une intelligence dans les voies de Dieu ,
J.^}^- un goût , une abondance de lumieies ,
qu'on ne fe lalToit pas d'admirer.
Les peines par leiquelles il plut à Dieu
de l'exercer ; ces fentiers après & rabo-
teux , qui furent de fi bonne-heure , & fi
long-tems , la feule voie par laquelle il
pût marcher , en le rendant plus attentif
fur lui-même , le rendirent plus expéri-
menté pour le prochain. 11 trouva un jour
dans un Vlonaiîcre très-réformé un Reli-
gieux dévoré de peines intérieures. A peine
cet homme de croix tiit-ïl ouvert la hoit-
che , que Boudon le comprit parfaitement.
Il lui fît voir en peu de mots ôc le bon-
heur qui eft attaché à des peines fi cuifim-
tes , & la fin que Dieu fe propofe dans
une conduite û rigoureufe , ôc les moyens
d'en faire un falutaire ufage. En un mot ,
il calma û parfaitement cet efprit agité ,
que foute la maifon en fut auftl furprifc
qu'édifiée -, les Supérieurs très-confolés ;
ôc ce Religieux ramené enfin , ôc ramené
pour toujours au port de la paix, après
lequel il avoir fi long-tems ôc fi inutilement
fou pi ré.
Le prix qui mérita au jeune Daniel les
faveurs , dont il plut à Dieu de le com-
bler , fut a peu près celui auquel le jeune
Boudon acheta les grâces prématurées *
dont nous avons jufqu'ici parlé. Il étoitfi
pénitent dès le temsde Ces baffes claffes, qu'à
TcAception des jowrsde Fêtes & de Diaun-
DE M. BOUDON. LiV. I. ^ç)
ches , & de ceux où il mangeoit en com- — —
pagnic , le pain & l'eau étoient fa feule ^\ll^^
nourriture. Il chatioit fi rigoureufemeiu
fon corps, qu'une perfonne dont lacham.
bre n'ctoic pas éloignée de la fienne , a
fouvent trouvé un ruifleau de fang dans
le lieu qui avoir fervi de théâtre à fa mor-
tification. Il étoit fi ferme , fi ardent , lorf-
qu'ilétoitqueftion désintérêts de fon divin
Mairre, qu'il n'y avoir ni railleries , ni in-
fultes , ni outrages , qui le fiflént rougir
de l'Evangile. 11 étoit fi touché de la perte
des âmes , qu'à l'exemple de Sainte Thére-
fe , il la pleuroit par des torrens de lar-
mes. Il aimoit avec tant de paflion la pau-
vreté , qu'il n'eut pas fait un pas pour
acquérir tous les Royaumes de la Terre.
Ce fut ce grand amour pour la pauvre-
té , qui le fit penfer féi icufement à en-
trer dans l'Ordre de Saint François. Son
parti étoit fi bien pris, qu'il fut cent fois
fur le point de faire vœu de l'exécuter.
Cependant une fecretrc imprefilon , qu'il
ne démcloit pas bien , l'en détourna tou-
jours. 11 en fut infiruit avec le tems : la
délicarefie de fa complexion , fa fanté dé-
jà altérée par de longues ôc cruelles
mortifications , ne permirent pas de
l'admettre. Ce coup lui fut fenfible.
3> Je me retirai dans un Cabinet , cef^
» lui qui parle , j'y pleurai de la bonne
» manière. Cependant , pc?«?//«V-i/ , la di-
• Yine Providence a eu pour moi l'cffét
4^ L A Vit
•■ •" ' " de Ces attraits , m'ayant fait vivre
i^iuiv. " ^" pauvre : car je ne vis que d'aumô-
>» nés , n'ayant pas un denier de revenu :
»» ce que j'etlime plus , je vous allure ,
»> que fi j'avois tous les biens de la terre
" en ma poilefTion .... Er de cette forte
'> la Providence m'a fait Religieux de Saint
V François , fans en avoir jamais porté Fha-
" bit. Qu'à jamais je chante fcs mifcri-
" cordes. «
En fermant à Boudon l'entrée d'un Or-
dre qui a donné a l'Eglife des milliers de
Martyrs & de Confe (leurs , Dieu lui com-
muniqua de grandes lumières fur le Saint
Patriache qui en a été le Fondateur. Il en
pcnfoit dignement , il en parloit avec goût.
Ayant une fois été fiirpris de la nuit dans
les bois , & cherchant quelqu'endroit où il
plat loger , il fe trouva à la porte d'un Châ-
teau. Il y entra , & pour obtenir grâce
plus aifément , il pria quelques domefti-
ques de la bafie cour de lui permerre de
coucher dans la grange , fans fouper. Le
Seigneur &c la Dame du lieu , qui étoient
à table avec un Provincial des Capucins &
fon Compagnon , ayant appris le bcfoin de
ce pauvre écolier , le firent entrer , & lui
donnèrent quelque chofe à manger auprès
du feu. Un moment après , la converfation
tomba fur S. François ôc fur [es Confiitu-
tions. On demanda à Boudon ce qu'il pen-
foit de ce genre de vie, ôc on le prefia de
jparler. Il le fit ôc long-tems , mais d'une ma»
DÉ M. BovDoU. Liv. ï. 41
nîere fi vive , fi charmante , qu on croyoit '■■
entendre, non un homme , moins encore ^ç\^^^
un écolier , mais un Ange qui en eût pris la
figure. Toute la compagnie avoua qu elle
n'avoir jamais entendu rien de f^mblablefur
ce fujet : Et le Provincial , à qui les panégyri-
ques de fon faint Inliituteur n'étoient pas
nouveaux , en fut plus touché qu'un autre.
Pour regagner d'un côté ce qu'il croyoit
perdre de l'autre , Henri fut divinement inf-
piré de vivre dans le fiécle , comme il auroit
vécu dans l'Ordre Séraphique; je veux dire,
de fe révêtir de Tefprit de pauvreté ôc de
facrifice ; de mortifier fa chair j de fe doi>
ner autant qu'il lui feroit poflîble au falut du
prochain. Oubliant , à l'exemple de S. Paul ,
tout ce qu'il avoit fait jufqu'alors , il fe pro-
pofa fortement de commencer un nouveau
genre de vie fpirituelle j de méprifer le
inonde , comme fon divin Maître l'a mé-
priféi & de mener une vie cachée enj. C.
autant que la gloire & les intérêts de ce Dieu
Sauveur le lui pourroient permettre. Il ne
la mena pas abfolument cette vie cachée; &
nous le verrons dans la fuire donner à la
France étonnée le fpeclacle d'un zèle plus
invincible que l'enfer"'^, & d'une patience
plus forte que la perfécution de fes minières.
Dès le tems dont nous parlons , il fut aifé
de connoître qu'il étoit également àDieu dans
quelque état qu'il plijt a fa Providence de le
mettre. Ses travaux continuels, fes peines
* Dur» ficut infernus aeinulatio , Cant. cap. 8 3^. S»
4i L A V II»
- intérieures , fon application à réciidc , fa
iLiuiv. fïOLirritLire moins frugale , qu'cxcelTivement
pauvre; tant de mortifications de toutes ef-
peccs accablèrent enfin la nature. Boudon
pendant toute fa Rhétorique fut travaillé
d'une lièvre quarte ; il devint fi foible , fi at-
ténué , qu'une année entière ne put qu'avec
peine rétablir fes forces. Il fouffrir en vrai
Chrétien cette longue épreuve ; & je ne fçais
s'il en étoit bien quitte , lorfque fes amis , ôc
plus encore Tefprit de Dieu , dont le mou-
vement régloit routes fes démarches , lui
infpirerent de fe rendre a Paris , pour com-
mencer dans cette première Univerfité du
monde fon cours de Philofophie Ôc de Théo-
logie. Il y a lieu de préfumer que MM. le
Tanmeur & Brebion "^ firent quelques avan-
ces pour lui. Mais ce fecours ne le mena pas
loin , ôc nous ne tarderons pas à le voir ré-
duit à dévorer tout ce que Tindigence a de
plus humiliant Ôc de plus rigoureux.
"j^ Deux foins , qui en inquiètent bien peu
jb fuJT. d'autres , l'occupèrent en arrivant dans cette
immenfe Capitale. L'un fut de pouvoir loger
avec des Ecoliers , qui , ayant un gouc
décidé pour la vertu , ne pufîcnt lui erre une
occafion de fcandalc : l'autre fut de trouver
un Directeur 3 qui d'une main fiire lui traçât
la route par laquelle il devoir marcher. L'un
ctoir plus difficile à rencontrer que l'autre ;
Boudon les trouva tous deux.
* Ce dernier éio-t Tréforier Ae France , grantî homme
ic bien , & plein d'eftime pour noue vertueux Etudianc.
DE M. BOUDON. Liv. I. 43
Il déterra dans un coin de la rue de la •
Harpe , une petite troupe de vertueux amis , ^ f^iv',
qui parcageoient leur tems entre l'étude ^
la piété 5 Se qui ne fe délalTant de l'un que par-
ies exercices de l'autre , fçavoient être à la
fois ôc Philofophes & Clirétiens,
Pour ce qui eft d'unConfefieur,ilen trou-
va un parfaitement bon au Collège de Cler-
niont. Ce fut le P. Bagot , qui dirigeoit la
plupart des jeunes Congréganiftes. Nous re-
garderions comme étranger à notre Hifloirc
réloge de cet humble & fçavant Religieux ,
û les couleurs dont M. Boudon a embelli
fon portrait , ne fervoient à orner le fien.
Nous Tavons dit plus d'une fois , il n'y a guè-
re que la vertu qui fçache rendre trait pour
trait toutes les grâces , toutes les fînefles de la
vertu.
Le P. Bagot , au jugement de fon Difci-
ple,étoit un homme d'une prudence confom-
mée, d'une expérience admirable, d'un ra-
ient merveilleux pour conduire les jeunes
gens dans le chemin du Ciel. Sa réputation
l'avoir fait choifir pour Confeflcur de Louis
XIll. Ce grand emploi le flatra fi peu , qu'il
s'en délit le plutôt qu'il lui fut poflible. Il
avoit coutume de dire : »< Si Ton vous fait
» entrer à la Cour par la porte , fauvez-vous
» par les fenêtres. Car l'air de la Cour , qui
" en empoifonné pour tout le monde, l'ed
*» encore plus pour un Religieux.
« Ce pieux Jéfuire , c'tfl toHJoitrs M,
M Boudon qin park , étoit encore plus éclairé
44 L A V I E
■ »» dans la fcîence des Saints , que dans celle
fcfaiv. »* des écoles , quoiqu'il paflfat pour un hom-
»j me d'érudition. Il aimoit naturellement
» l'étude ; 3c cependant il la quittoit fans
>3 peine, pour donner, quelquefois même ,
« untemsconfidérable au plus petit Ecolier,
« qui avoit befoin de lui. Sa patience ctoit
» admirable. Il avoit une û étrange frayeur
" de la pierre , dont il fentit quelques attein-
w tes étant encore jeune, que la feule penfée
*» de ce mal le faifoit tomber en foiblefTc.
*' Cependant à Tàge de plus de foixante ans il
" fut obligé de foutTrir l'opération. Elle fut
i> extrêmement longue, & très-douloureufe.
» Néanmoins il ne proféra pour toute plain-
« te que ces paroles de Saint Paul : J'achève
» ce qui manque aux fouffj'ayices de J. C. Son
" humilité n'avoit point de bornes. Il louoit
»> volontiers la vertu dans les autres: mais il
w ne pouvoir fouffrir qu'on louât la fienne :
9» & il entra un jour dans une fainte colère
» contre un de Ces amis , qui dans une occa-
»f fion avoit parlé de lui d'une manière avan-
« tageufc. Il ctoit fi peu attaché à fon Cens ,
» qu'il fuivoit avec plaifir l'avis d'un Ecolier
w préférablemenr au fien propre. » Tel étoit
au rapport de M. Boudon ; & qui pourra le
récufer pour témoin dans une matière où il a
fi bien mérité d'être juge j Tel ctoit le R. P.
Bagot.
Un homme fi fçavant dans les voies du
Ciel , ne pouvoit manquer d'y faire marcher
fur Ces pas ceux qui lui donnoicnt leur cou-
DE M. BoUDON. Liv. I. 4/
fiance. Aufli vit-on foutir de fon école , com — —
jiîie autrefois de celle d'Origenes , mais d'une ^^ç^^
manière plus heureufe , des hommes que
l'Eglife placeroit dans fcs Fartes , û elle pou-
voir y mettre tous les Saints. De ce nombre
furent un Père Jogué, delà miême Compa-»
gnie , qui tranfporté par fon zèle dans le
fein du Canada, mourut au milieu de tous
les fuppliçes , qu'une nation barbare & cruel-
le peut inventer. Un M. de Levis , Chanoine
<S: Pénitencier dans l'Eglife de Chartres , ôc
Archidiacre du Vendomois , homme qui à
une vie toute cachée en Dieu , joignit les
glorieux titres de Directeur éclairé ^ de père
des pauvres , d'hom.me ApoAolique. Sans
parler d'un nombre confidérable d'Evcques
delà Chine, de la Cochinchine, du Ton-
quin & du Canada , qui fous fes aufpiccs
s'étoient formés aux plus hautes vertus -, Ôc
qu'il regardoit fur fes vieux jours comme fa
joie ôc Cgi couronne.
Mais fans vouloir pefer à un poids incer-
tain des mérites dont le degré ne s'cftime
iiirement que dans la balance du Sanéluaire^
on peut dire, que le grand Archidiacre d'E-
vreux fera un honneur éternel à la mémoire
de fon Directeur. Suivons-le dans les progrès
qu'il fit fous la conduire de ce parfait Reli-
gieux : rien n'eft plus propre à édifier. Bou-
don coi>fidéré vis-à-vis de lui-même, ou re-
lativement au prochain , efl toujours l'hom-
me de Dieu feul , toujours admirable. Une
patience invincible dans fes peines , qui fu-
45 L A V 1 1
— r«iu encore plus grandes à Paris, qu'elles
fc fufv n'a voient été à Rouen \ une ardeur pour les
croix , les humiliations , le dénumcnt , la
pénitence, qui s'accrur toujours, <3c ne dit
jamais, C'eit allez -, un amour pour Dieu ,
qui ne voyoit que lui , qui ne cherchoit que
lui, qui regardoit comme perdu tout difcours
qui ne tenrioit pas à lui j voila en fubllance
la vie que mena notre pieux Etudiant ,
tant qu'il fut dans la Capitale.
Quoique lerude lui coûtât moins qu'à
bien d'autres, parce qu'il avoit une grande
facilite pour le travail ; il lui donnoit tout le
tems qu'elle exige de ceux qui veulent y réuf-
fir. Malgré cette application , qui écoit tou-
jours remplacée par des exercices aufli péni-
bles pour la chair , qu'ils font confolants
pour l'efprit , il étoit fi peu nourri , que
moins vertueux il eut pu envier la condition
de l'enfant prodigue dans le tems même de
fa dilgrace.
Comme il étoit très exact aux Aflemblces
dont on a parlé , &c qu'il y édifioit par fa mo-
dellic finguliere , il ne pouvoit guéres y man-
quer , fans que fon abfence fît un vuide ,
dont en s'apercevoit aifément. M. du Bo-
chec , ancien &: zélé Congrégani/le, ayant
remarqué un jour qu'il n'y étoit pas, en
parla à quelques-uns des AfTociés. On cou-
rut à la maifon de ce jeune , mais parfait fer-
viteur de Dieu. On le trouva dans fa pauvre
chambre, accablé de langueur , exténué d'i-
nanition , dellitué de tout fccours humain.
DE M. BOUDON. Liv. I. 47
Un état fi trifte coucha ceux qui en furent té- — -
inoins. M. du Bocher en fut bientôt averti. g^^J^^*
Il y mit un Ci bon ordre , qu'en peu de tems
le malade recouvra la fanté , & reprit tous
£es exercices de fcience & de vertu.
Mais quand le Ciel , qui vouloit en faire
un modèle de patience ék de réfignation, ne
s'en feroit pas mêlé , il étoit difficile qu'un
homme entièrement abandonné de fa famil-
le ^ qr.i d'ailleurs tâchoic de n'être à charge
àperfonnej & qui mangeoit feul , quoi-
qu'il vécût dans une cfpéce de Communau-
té , n'éprouvât fouvent les befoins & la ri-
gueur de l'indigence. AulTi fut-il fouvent ré-
duit à la mendicité ; & il fe trouvoir heureux
quand il pouvoir avoir vingt fols à dépenfer
parfemainc. Il eft vrai, que la Providence
fembloit quelquefois fe hârer de venir au fe-
coursdefamifére: <^ qu'un jourqu'iln'avoit
plusde linge, une perfonne inconnue l'en
fournit abondamment. Mais Dieu qui vouloir
le tenir dans la plus humble dépendance , l'a-
guerrir , en quelque forte , de le fortifier con-
tre les pemes dont fa vie dcvoit être traverfée ;
ce Dieu toujours jufte dans fes vues, tou-
jours adorable dans la mianicre dont il les
exécute, paroilToit le marin & fe déroboic
fur la fin du jour.
Ce fut fur-tout la première année de fon
fejour à Paris que ce pauvre Ecolier eut le
plus à fouffrir-, Ôc qu'au défaut de fes amis ,
que la Providence même endormoit fur Ces
befoins , il fut plus d'une fois réduit à la trille
48 La Vie
'- éc humiliante néceflltê d'implorer la charité
& to. P^iblique. Il lui arriva un jour à cette occa-
fîon dans i'Eglifc de Notre Dame une chofe
afîez fi ng a lier e. Prefledc la faim, ilcherchoic
quelques fols pour avoir de quoi dîner. Il
demanda l'aumône à un homme de la pre-
mière condition, qui le reçut très mal. Char-
mé de voir qu'à l'exemple de fon divin Maî-
tre , l'indigence 6c les opprobies fe réunif-
foient en fa perfonne , Boudon fe retira à ^
i écart pour lui en rendre de très humbles
ajSlions de grâces,
La douceur ôc la patience du jeune étran-
ger frapercnt M. de Montmorenci : car c'é-
toit à lui que notre Etudiant s'étoit adrefTé,
II fe détourna , & l'ayant apperçu derrière un
pilier dans cette attitude de refped , où l'E-
criture nous repréfente les Séraphins devant
la fuprême Majefté , il quitte fa place , va le
joindre, lui dcnvinde quiilefl:, d'où ileîl,
&: ce qu'il eft venu faire à Paris. Boudon,
fans dire un mot de fa naifTance , fe conten-
ta de répondre qu'il étoit un pauvre Ecolier
v£nu de Normandie pour achever fes études
dans rUniverÇté -■, mais que n'ayant pas de
quoi vivre, il étoit obligé de demander Tau-
mône. Alors ce Seigneur, qui l'avoit pris
pour un de ces vagabonds, dont Paris étoit
alors inondé, changeant tout à coup ôc d'air
d: de langage , lui demanda avec beaucoup de
bonté s'il vouloit accepter fa maifon : ajou-
tant qu'il y auroit toutes les facilités poffibles
pour continuer fa Philofophie ; qu'il ne man-
queroit
DE M. BoUDON. Liv. I. 49
qiicroit de rien j & qu'on le prioit feulemenc —^ — '
de conférer de Tes études avec un jeune Ec- ^ ^^^
cléfialtique qui commençoit à courir la mê-
me carrière. Ce jeune Eccléfîafiique étoic
François de Laval de Montmorenci , qui de-
puis fiu premier Evêque de Québec ■^.
Henri accepta de grand cœur un pofie oi!^
il y avoit du bien à faire. Il y en fie en effer ;
& fi par des leçons , dont un bon Ecolier eft
capable, il ouvrir aux fubrilités dialecliques
l'eiprit de fon illuflre Condifciple j il ouvrir
encore plus fon cœur à ces hautes vertus ,
dont le développement exact n'appartient
qu'aux grands maîtres.
Ce fut vers ce temps , que pour dépendre
en tout des foins de la Providence, il fit vœu
de pauvreté , afin de fuivre nud la croix nue
de J. C. fon Sauveur. Je ne fçais au relie
dans quel fens il entendoit ce vœu : mais je
fçais, & la faire de fon hiitoire en fera une
preuve fans réplique , qu'il l'a pratiqué dans
le fens le plus rigoureux.
En quittant M. l'Abbé de Laval , fi route
fois celui-ci ne le fuivit pas, Boudon alla re- ^
joindre fes anciens amis. Leur nombre s'é-
toit beaucoup augmenté par les foins du P.
Bagof, leur ferveur s'augmenta beaucoup
par les bons exemples de Boudon. Il écoic
i'ame de cette picufe fociété. Sous ks ordres
& par les conieils de ion Directeur , il fc
propofa d'en faire une compagnie de Saints
* Il fui facré en 1649. Evêque de Pérrce in pardbus y
i^ fait Vicairs Apoflolique dalis la nouvelle France,
c
16^6.
luiv.
f O L A V I E
du premier ordre. Ses efpcrances alloient
loin, le fuccès alla plus loin que Tes efpéran-
ces.
Ils eurent d'abord aiTez de peine à trouver
une maifon qui convînt à leur nombre & à
leurs exercices. Enfin ils s'établirent au Fauxr
bourg S. Jacques : ôc ce fut principalement
dans ce lieu , qui fut pendant quelques an-
nées le théâtre de leurs vertus , qu'ils don-
nèrent à leur fiécle un fpedtacle qui feroit
nouveau pour le nôtre. Quoique la plupart
de ces Meflleurs fufTent d'un fang illuiîre ,
& qu'il n'y eut peut-être parmi eux d'autre
pauvre que Boudon j celui-ci néanmoins,
qui donnoit le premier mouvement à toutes
les opérations de cette compagnie naiiTante,
fçut a bien leur infpirer l'amour de la fainte
pauvreté, & des vertus les plus héroïques,
que leur maifon relTembloit moins à une re-
traite d'Ecoliers réunis , qu'à un Collège
d'hommes Apoftoiiques. Le lever , le cou-
cher, l'heure du repas, les récréations, le
tems de l'étude , les conférences , l'oraifon ,
les lectures fpirituelles , la fréquentation des
Saçrcmens , Tentrevuë avec le Directeur , ôc
généralement tous les exercices y étoient ré-
glés comme dans les Communautés les plus
exades. Quand ils faifoienc quelque voyage
de dévotion , ils gardoicnt le long des rues
de Paris un filence fi rigoureux, qu'ils reflcm-
bloient moins à des Ecoliers, qu'à des Soli-
taires fortis de la Thébaïde pour édifier par
]cur recueillement de par leur modeftic.
DE M, BouDON. Lrv. I. ji
BoLidon, que fa propre expérience avoit ■
inftruit du prix ôc des effets de la dévotion J^^^'
envers la fainte Vierge , les y porta , comme
il avoir fait autrefois fes Condiiciples à
Rouen. Les difpofitions n'étoient pas moins
favorables , le fuccès ne fut pas moins heu-
reux. Leur but principal fut toujours d imi-
ter les plus fublimes vertus du Fils Ôc de la
Merej fur-tout, eette profonde humilité,
qui coûte tant à la nature , Ôc qui efl I ecueil
d'un€ infinité de dévots fuperficiels. Ils mc-
prifoient û fort le monde ôc l'eAime du mon-
de, qu'ils n'étoient contents, que lorfqu'ils
avoient réuHi à s'en faire méprifer : ôc à n'en
juger que félon les règles communes, ou
croiroit que de ce coté-là ils portèrent les
chofes à l'excès. L'un d'eux eut un jour le
courage de dire publiquement des chofes
fort fecrettes & fort humiliantes, qui dé-
voient naturellement lui attirer une extrême
confufion. Mais le contraire arriva , ôc ceux
qui l'entendirent, touchés d'une fi rare hu-
milité , ne purent retenir leurs larmes.
Quant à celui dont nous écrivons l'hifloi-
re,le trait enflammé qui perça le cœur de
fainre Thérefe , avoit fi profondément blef-
fé le fien, que tranfporté hors de foi, il
n'entendoit plus que le langage du divin
amour. Pour nourrir ôc pour animer ce feu
facré , il fe ménageoit la connoiflancc de
ceux à qui Dieu donnoit un langage, ou des
vues qui avoient du rapport avec les fien-
tes . 11 cntendoit avec un plaiûr infini le P. de
Ci;
ji La Vie
Condé , Jéfuite du Collège, Prédicateur
peu fuivi , parce qu'il préchoit /<?/// fard &
fans éloq^uence s mais qui connoiiranr toutes
les routes du cœur , y portoit le faint amour
dont il étoit pénétré. Il alloit voir tous les
quinze jours à Montmartre une Religieufe ,
qui avoit d'intimes communications avec
Dieu : il ne la quittoit qu'avec un defir vio-
lent de tendre à la peifedion plus que ja-
mais. Il eut aulTi d'admirables liaifons de
grâces ôc de charité avec la Révérende Meic .
Catherine de Bar, furnommée fœur Mech-
tildc du S. Sacrement. Cette fille , qui n'a
vécu quatre-vingt-trois ans "^j que pour don-
ner plus long-tems l'exemple d'une averfion
confiante pour le monde , d'une efpéce de
palTion pour les croix , de les mépris ; d'une
paix, ou plutôt d'un plaifir infini dans les
plus vives perfécutions i Se enfin d'une très-
tendre dévotion envers le S. Sacrement : cet-
te vertueufe fille avoit par ces qualités mê-
mes trop de rapport avec M. Boudon , pour
ne le pas honorer autant qu'il mcritoit dç
l'être. Il y répondit toujours par le plus fin-
cere «Se le plus refpcdlueux dévouement : &
lorfqu'il fut grand Archidiacre d'Evreux , il
ne vint guéres à Paris, fans voir ôc la Mère
ôc les Filles, afin de rendre à la Communau-
té dans fes pieux entretiens ce qu'il croyoic
avoir appris de celle qui en étoit Supérieure.
• La Merc Mechtilde naquît à faint Dié en Lorraine
^ur la fin de l'année 1614. Elle fut reçue à Paris par S.
Vincent de Paul ; & y mourut le 6 Avril i6v8. dans foi|
^emier Monaftere du Fauxbourg S. Germain,
DE M. BOUDÔN. Liv. I. /5
ÏI voyoir aufîi trèb-lbuvent la vénérable —
Mère Magdeleine de S. Jofeph,. Carmélite }^^^^'
du grand Couvenr de Paris , à qui la Sainteté
de la vie n'a pas moins fait d'honneur , que
les miracles qu'elle opéra après fa mort. Elle
avoit pour grâce particulière Tamour de
I obicurité & de l'anéantiflement. Dans fa
jeunefie elle avoit fouhaité de paffer fcs jours
à:)ns les plus miférables occupations de la
vie champêtre. Nayant pu y réuflîr, elle
voulut au moins n'erre admife dans la Reli-
gion qu'en qualité de fœur convcrfe. Son
humilité échoua encore ici: mais elle fçut la
dédommager en fe tenant cachée dans une
Mailbn, qui reccvoit fouvent la vilite de
tout ce que l'Etat avoit de plus grand & de
plus refpeclable. Marie de NIedicisy alloitde
rems entems avec ce cortège de grandeur qui
marche à la fuite d'une Reine de France. Soie
que la Merc de S. Jofeph fut Supérieure , ou
qu'elle ne le fût pas, elle ne paroiflbit jamais :
une autre, ôc c'étoit une convention obtenue
à force de prières > tenoit fa place , faifoit les
honneurs êc les recevoit. Pendant vingt an-
nées il ne fut pas plus quelHon de cette hum-
ble folitaire , que fi elle eût été rayée du nom-
bre des vivans. Son nom fe trouvera à ja-
mais dans ce Livre écrit de la main de Dieu ,
où la vraie humilité occupe une place fi dif«
tinguée.
Enfin M. Boudon voyoit encore un Aii-
guflin, ce n'étoit qu'un pauvre Frère Con^
vers , mais fi puifTant auprès de Dieu , que ,
Ciij
54 L A V 1 I
" de ravcu de tous les gens de bien , ce fut
^^[ify^ lui qui obtint à Anne d'Autriche un fils
après vingt-deux ans de ftcrilité : fi plein de
lumière , que l'avenir étoit dévoilé à fes
yeuxrfi inondé de grâces & d'amour, que
notre pieux Théologien en le quittant , ou
plutôt en s' arrachant d'auprès de lui , s'é-
crioit dans un de ces mouvemensdont il n'é-
toif pas trop maître : «« O mon Dieu 1 com-
« bien doit ctre grande la douceur célefte
3» des Bienheureux unis au Ciel à J. C. dans
9> le fein de l'adorable Trinité ; puifque dès
»> cette vie , qui n'eft qu'une vallée de lar-
w mes , l'entretien d'un feul de vos Elus
w donne par avance des confolations fi pures
w & fi divines ">*.
Mais fi Boudon fçavoit fuivre avec Marie
les attraits du pur amour & de la contem-
plation , il ne fçavoit pas moins fe livrer
avec Marthe aux plus pénibles emplois d'une
vie adive ôc laborieufe. SacompafTion pour
les malheureux le porroit comme naturelle-
ment aux Hôpitaux & à l'Hôtel-Dieu. C'eil:
dans ce trille féjour , où la mort choifit à
i'aife fes victimes , qu'on le voyoit appliqué,
tantôt à enfeigner un malade comment il
* Ce parfait Rcligiens étoit né le 21 Février lécg.
Son nom de famille éioii Denys Antheaume Son nom
de Religion étoit F. Fiacre. 11 mourut le v^ Février
1684 , dans la foixante-quinziéme année de fon âge , &
Ja cinquante- troifiéme de Religion. Son corps fut en-
terré dans le Couvent de la Place ècs V. -(boires ; f< rt
cœur fut porté par ordre du Roi à Noiie-Uame de (Tiâee
en Picvence,
t>t M. BouDON. Liv. I. j/
faut s'y prendre ponr faire une bonne con- — — *
feiTion y tantôt à difpofer un moribond au &^fu1r,
grand & prochain voyage de réternité j quel-
quefois à foutenir les pas mal affermis d'un
convalefcenr.
Il rendit un jour ce dernier genre de fer-
vice à un Etranger de 1 3 à 14 ans , qui aa
fortir de IHotel-Dieu ne fçavoit où fe re-
tirer. Cétoit un jeune Hollandois , qu'un
Gentilhomme , Calvinifte comme lui , avoit
amené à Paris à l'infçu de fçs parens. Ayant
ouï dire dans l'auberge où il éroit logé , qu'il
n'y avoit point de falut ponr lui , s'il ne ren-
troit dans l'Eglife que fes Ancêtres avoient
quittée j il fe fit inliruire , & abjura fon hé-
réfie Son maître le chafia-, & Dieu qui avoit
fcs raifons pour le dérober aux pourfuites
de Terreur, ayant permis qu'il tombât ma-
lade, il fut porté à l'Horcl-Dieu.Ce fut là, ÔC
au moment même qu'il alloit en fortir , que
Boudon le rencontra.il étoit encore û foible
&rilanguifrant,qu'il avoit peine à fe foutenir.
Notre écolier ne perdit pas une occafion û
favorable à fon zèle. Il le prit par le bras ,
lui aida à marcher le long des rues , Se mal-
gré les railleries déplacées d'un peuple qui
s'amufe de peu de chofe , il le mena enfin
jufqu'à fa chambre. Il lui fit tous les bons
traitemens qu'un pauvre peut attendre d'un
autre pauvre. Il rinfiruifit plus à fond des
vérités de la Religion ^ de furtout du bon-
heur qu'il v a de fouffrir pour un Dieu , qui
a bien voulu fouffrir pour nous jufqu'à mou-
Civ
j;<J La Vib
■"' rirfiir une croix. Ces maximes foutcnucsdc
fcto. ^ onclion de la grâce , s'infmiierent fi avant
dans le cœur du nouveau converti , qu'é-
tant retombé malade, il ne celToit de publier
lesmiféricordes du Seigneur ^ Se de lui ren-
dre jufqu'au dernier moment de continuel-
les actions de grâces , de ce qu'il l'avoit rire
des ténèbres delà nuit, pour le faire pafTer
cans Ton admirable lumière. Ce fat dans ces
beaux fentimens qu'il expira. Boudon re-
cueillit fes derniers foupirs , & il fe trouva
heureux de Tavoir vu mourir entre fes bras.
Jamais au reAe il n'oublia ce jour fi confo-
lant pour un cœur fait comme le fien ; &
plus de 40 ans après , il avoit peine à rete-
nir fes larmes, quand il racontoit cet évé-
nement.
Des occupations fi péniblef^jointes à une
étude férieufe , à des mortifications fecret-
tcs, à une nourriture très- pauvre, firent
leur effet ordinaire : elles accablèrent la na-
ture. Boudon tomba dans une féconde ma-
ladie , qui dès le premier jour parut dange-
reufc. On jugea à propos de le faire tranf-
porrerà l'Hôpiralde la Charité. Ce fut pour
lui une joie fenfible de fe voir afibcié aux
pauvres qu'il aimoit comme fes frères: mais
il n'en jouit pas long temps. Dans le trajet
il s'étoit recommandé à la très-fainte Vier-
• ge : il ne tarda pas à en être exaucé. A peine
fut-il couché dans fon lit, qu'au moment
mcmeil fut parfaitement guéri. Il fe levé a
Haftant ^ va rejoindre fa compagnie , qi.i
beM. BouDON, Liv.I. 57
douta d'abord , fi c éroit bien lui .ou quel- '^■.^^/
qu'autre qui lui relTemblat. On fut charmé slî\xxu
de revoir un ami de la vie duquel on dcfef-
péroit , & tous chantèrent de concert un
cantique de louanges a ce Maître abiolu,
qui d'un fouffie conduit aux portes de la
mort , ôc en rappelle à fon gré.
Rendu à la vie par une proteclion fi vi-
fible ; Boudon reprit fes exercices avec une
nouvelle ferveur. Il travailla furtout avec
fes Aiïbciés à femer la vertu dans le cœuc
des jeunes Ecoliers de TUniverfité. S ils ne
réuiTiiToient pas à l'égard de tous , au moins
en gagnoient-ils un bon nombre. Ce fuccès
fit fondre fur eux un des plus violens ora-
ges, qu'ils eufîcnt encore elTuyé. Défefpéré
de voir une Compagnie , qui en naiflant por*
toit déjà à fon empire des coups û bien fra-
pés , le Prince des ténèbres fouleva contre
eux des gens animés d envie & de fureur ,
qui fous de fpécieux prétextes , fe mirent à
les décrier. On les peignit dans àcs écrits
publics avec ces noires couleurs que Tcnfer-
détrempe à ceux qui veulent bien lui fervir-
de minières. Mais enfin cet orage fe difiipa ,
Se nos pieux affociés continuèrent à fuivre
leur première route.
Après avoir achevé fon cours de Théo- .
logie , Boudon , âgé pour lors d'environ ij 1649.
ans, fut un peu indécis fur le parti qu'il ^^^'^'^
avoir à prendre. Il ne pouvoir ni entrer en
Licence , parce qu'il étoit extrêmement pau-
vre ^ ni monter en Miniftre facré dans Us
Cv
58 La Vie
Chaires Chrétiennes parce qu'il n'éroit que
Sécuher; ni moins encore rcfter oifif, parce
que chez lui la charité étoit un feu violent
qui ne demandoit qu'à éclater. Il voyoic
bien que Dieu rappcUoit à la fanclification
des âmes : mais il le voyoit d'une manière
trop confufe pour prendre un dernier parti.
Sa règle , ôc ce doit être celle de coût Chré-
tien , qui veut ne ie pas méprendre fur les
defTeins de Dieu y fa règle fut de confulter
humblement cet Efprit de fagefie - qui foufflc
où il veut ôc comme il veut. Dans cette vue
il redoubla fes prières & fe^ mortifications^
Il y ajouta des pèlerinages de dévotion , for-
te d'exercice qui reviendra fouvent dans le
cours de fon hiiloirc j ôc qui , quoiqu'équi-
voque en foi , ne le fut jamais par rapport à
un hommcqui voyageoit d'une manière pé-
nible , qui n'avoit de reflfourcc que la Pro-
vidence, ôc qui fçavoic fanctifier tous fcs
pas.
Le plus fameux pèlerinage qu'il ait fait en
ce tems-là , fut celui de Beaune. Il n'y avoir
f)as long-tems que la vénérable fœur Mar-
guerite du S. Sacrement, Religieufe Car-
mélite , y étoit décédée en odeur de fainteté.
Ce fut le tombeau de cette admirable fille ,
qui pcrpétuoit par fes miracles la réputation
qu'elle s'écoir faite par fes vertus , que Bou-
don voulut vi/îrer. Son deffein étoit de par-
ticiper aux grâces qui couloient nuit & jour
dans ce refpedable fanétuaire *, ôc fur-tout
d'y puifer cet araour de J. C. enfant , qui
DE M. BoUDON. LiV. î. J9
avoit été le caraClere propre de cette humble
ëc parfaite fervante du Seigneur. Ses efpé-
rances ne farent point trompées. La roféc
du ciel tomba fur lui en abondance , de il
en reçut affez pour en répandre fur les au-
tres. Les Carmélices formées par les ouvra-
ges de leur fainte Fondatrice au plus fubli-
me langage de la charité , furent extrême-
ment édifiées de la beauté de de l'élévation
de fes fentimens j Se il rapporta de chez
clles,avec un redoublem.ent de tendrelTc pour
les facrés cœurs de Jefus & de Marie, u?7e
dévotion incomparable pour l'Epoux vierge
de la plus pure Vierge qui ait jamais éré ,
dévotion qu'il a dépuis étendue autant qu'ii
a pu , comme nous le dirons dans la fuite.
De retour à Paris , il ne douta plus que
Dieu ne demandât de lui qu'il fc mit , quoi-
que encore féculier , à lui gagner des âmes,
II s'en ouvrit à M. de Laval & à quelques
autres de fcs AiTociés. Ceux - ci, pleins da
même efprirdont il éroir animé , firent quel-
que chofedeplusque d'applaudir àfon def-
fein j ils voulurent avoir part à l'exécution»
Ainfi : s'étant difiribués par bandes , ils fe
répandirent de côté & d'autre, non-feule-
ment dans les villages , mais encore en dif-
férents quartiers de la ville de Paris. Tour
auditoire leur étoit bon. Ils évangélifoientle
laboureur dans les champs , le berger dans
les prairies , l'artifan dans fa boutique. Ces
petites miifions qui n'avoient ni éclat , niap*-
pareil , produifirent de très-grands fruits.
^O L A V I E
Quoique Boudon fk rrès-bien dans îa
compagnie de ces MciTieurs , il crut néan-
moins qu cranr paiticuliérement defliné à
Tinllrudion des plus pauvres, Dieubéniroic
encore plus Ces travaux , s'il s'allbcioic un
pauvre artifan de Lorraine , dont il cftimoic
infiniment la vertu. Comme ce pieux étran-
ger revenoit fouvent dans les converfations
du grand Archidiacre , nous ne pouvons
iiousdifpenfer d'en dire un mot.
Tout le monde fçait que la Lorraine fut
vers le milieu du dernier fiécle , réduite aux
plus cruelles extrémités. La flérilité ôc la
mortcxcrçoient de concert dans fes va/les
campagnes leur impitoyable empire. Ceux
de fes citoyens quicchappoient au glaive , ne
pouvoient échapper à la famine ^ & fi la Pro-
vidence ne leur eût donné en la perfonne de
S. Vincent de Paul un homme qui, comme
Moyfe , ofa s'oppofcr à la colère de Dieu >
peut-être que cet infortuné pays auroit eu le
fort de ces viiles malheureiifes , dont il n'y
a plus que le nom qui fubfifle aujourd'hui.
Mais malgré les prodigieux efïbrrs que iiren
faveur des deux Duchés ce digne Prctre de
J. C. un nombre confidérable d'habirans fu-
rent obligés de chercher un azile en France.
Prefquc tous venoient en droiture à S. La-
zare, où le Père des pauvres faifoit fa réfî-
dence. Quelques autres difperfés dans la
ville tâchoient dV fubfifter , ou de leur tra-
vail, ou de la charité des Fidèles..
Claude 3 c'ell le feul nom fous lequel on
DE M. BOUDON. Liv.I. ^ 1 ■ "*
ait connn celui dont nous parlons, fat du ^'!4>,
nombre de ces derniers. C'éroit un de ces
vrais pauvres à qui le Royaume des Cieux
appartient. Il n'avoit quitté fa patrie qu'à la
dernière ex- rrmité. Pendant quelques mois ,
il avoit vécu avec fa femme & une fille uni-
que , de 1 herbe des champs ; cette foiblc
reilource leur ayant enfin manqué , il fallut
quitter une terre qui n'étoit plus bonne qu'à
dévorer fes habirans. Il partit donc pour Pa-
ris avec fa perire famille \ il y arriva prefque
nud , parce que des foldats Allemands l'a-
voient dépouillé fur la route.
Boudon toujours alerte pour déterrer les
malheureux, fut informé de fon arrivée âc
de fa fîtuation. Il lui rendit vifîte , & débuta
par lui prêter un habit , jufqu'à ce que la
Providence lui en eût donné un au:re ^ ce
q^ii arriva dès le lendemiain. Notre faint
jejne homme réfoîut de cultiver par lui-
même ôc par fes amis un fonds fi riche j ôc
afin que rien ne l'arrêtât dans fes opérations,
il tâcha d'écarrer tout ce qui auroit pu y
iiîettre obita<:le. Il fit entrer Tépoufe dans.
une Communauté religieufe , il procura à
la fille parle moyen d'un Gentilhomme de
fes amis , une dot de huit cens livres , au
, moyen de laquelle on lui trouva un parti
fortable. Enfin il mit Claude fous la con-
duite du P. de Condé , ce grand Prédica-
teur du divin amour , duquel nous avons
cî-deffus parlé. Il joignit Cçs propres inf-
irudions aux iniirudions de ce par-
6t L A V I E
-• fait Religieux. Mais pendant que l'un arro-
L udv. ^^'^^ ^^ ^^^ l'aucre avoit planté. Dieu don-
noit à l'ouvrage tout entier un fi vifible ac-
croiflement , que Claude fut bientôt plus
riche en mérites , qu'il n etoit dénué des
biens de la fortune.
Il donnoit à l'oraifon la plus grande par-
tie de la nuit. Quelquefois de grand matin il
fc retiroit en quelqu'une de ces carrières
abandonnées qui font aux environs de Pa-
ris. Il y pafToit la journée en contemplation.
Le foir , de retour chez lui , un peu de pain
& deau fiufoit toure fa nourriture. Un jour
qu'il étoit cxrrcmement accablé de bcfoin ,
il fur fort furprisde trouver fa tablechargéc
de mets excellens. Apres une prière anmiée,
il profita des artentions de la Providence , &
, mangea , félon les règles de l'Evangile , ce
qu'elle avoit bien voulu lui fervir. C'ell ce
qu'il a raconté lui-même à fes amis , avec
tout l'agrément poiTible -, car de fon naturel
il éroit fort gai.
Mais il étoit fi occupé de Dieu , fî ab) fmé
dans le fein de ^ts profondeurs \ ëc cette ap-
plication lui enchainoir fi fort l'ufage des
fens , qu'elle a penfé vingt fois lui coûter la
vie. Dans les rues de la plus rumulrueufe
ville qui foir au monde , il n'entendoit ni
bruit , ni fracas , ni carofics , ni cris de ceux
qui raverrinbient de fe retirer. Il étoit heur-
té , jette par terre -, on le croyoir morr , ou
brifé i il étoit effectivement blefle i il fe re-
kvoit au moment , & fans appcller ni Cbi-
DE M. BOUDON. Liv. I. 65
rurgien ni Médecin , il fe trouvcit guéri. ^
Boudon fut fâehé de cecrc conrinuiré de ^^^^^
ravidemens, qui le rcndoit inutile au pro-
chain. Se qui pouvoit enfin ouvrir fon cœur
à la vanité» Il le pria de demander à Dieu
d'arrêter le coars d'une faveur qui avoir Ces
dangers. Il s'unit à lui pour l'obtenir. Il l'ob-
tint en eftet , & notre Lorrain depuis ce
temps n'eut plus d'exrafes , au moins en pu-
blic. Mais en récompenfe il eut un jour une
fî vive impreflîon , ou , pour le dire avec
les Ecrivains d'après qui nous travaillons ,
\m fi violent ajjam du faint amour , qu'on le
crut prêt d'expirer. On apptlla les Méde-
cins, dont les difcours embarailés prouvè-
rent qu'ils n'entendoient rien à fa maladie.
Déjà on délibéroir du lieu de fa fépulti'.re,
quand le P. de Condé , averti du danger ou
fe trouvoit fon pénitent , entra dans fa cham-
bre, & déclara avec tant de fermeté qu'il n'y
avoir rien à craindre, qu'on le crut enfin
fur fa parole. Claude revint en efiet peu à
peu à lui-même , mais avec de fi vifs mou-
vemens de charité & de reconnoifrance,que
comme fon cœur étoit tout en Dieu , fa
bouche ne trouvoit de termes que pour cé-
lébrer fon amour & fa magnificence.
Il le faifoit avec tant de netteté & d'on-
ftion , qu'ayant été mis chez un homme de
fa profeiïk)n , on voyoir , fur tout les Fêtes ôc
les Dimanches qu'il ne rravailloit pas , une
longue file de carofiesdevani'la porte de foa
maître , & des gens de la premiepe qualité
^4 / L A V I E
^'~"' qui vcnoîent rcntendre difcoiirir comme un
jkfufr. Ange des faîntes opérations du divin amour
dans les cœurs bien difpofés. C^et homme
idiot & fans lettres connoilToit û bien les
voyes les plus fublimesdela grâce, que ceux
qui croient en pofielTion d'être confultés fur
ces matières , venoient eux-mcmes le con-
fulter comme un oracle.
Le befoin que tant de perfonnes avoient
de lui , fit juger qu'il n etoit pas à propos de
le laifler plus long-tems enfeveli dans la
boutique d'un artifan. Celui- ci ne put le voir
partir fans douleur : car outre qu'il perdoir
un homme qui avoir tant d'horreur pour l'ar-
gent , qu'il le regardoit comme un meuble
empoifonné j il avoit remarqué , à peu près
comme Putiphar , que le nouveau Jofeph
étoit pour fa maifon une fource de bénédi-
ctions. Mais enfin il fallut céder à des ordres
fupérieurs. Claude entra chez M. Gauffre ,
digne fuccefleur du zélé ôc de la charité du
P. Bernard. Il y relia jufqa'à la mort de ce
faint Prêtre j ôc alors Meflîeurs du Séminaire
de S. Sulpice , qui dans tous les rems ont fçu
honorer la vertu , lui donnèrent chez eux
une retraite honorable, ou , quoique dé-
cédé dans une extrême vieillcfTe , il efl more
plus chargé de mérites que d'années.
Tel fut rhomme que Boudon aflbcia à Ces
travaux. Dieu les récompenfa par des béné-
dldions fignalées : mais elles fervirent moins
à confoler Henri, qu'à lui faire fentir com-
fcien l'immenfe uioiflbn du Pece de famille
DE M. BOUDON. Liv. I. ^J
avoic befpin d'Ouvriers. » Helas l difoit-il —^
» da^s l'excès de fa douleur , on a vu les ^ i_;^^\
5* hommes courir en foule à l'Ecole de ces
» fameux Philofophes de rAntiquité , de ces
» fameux réprouvés. Les Monarques fe fai-
*» foienr un honneur d'augmenter le nombre
>y de leurs difciples. Cependant il falloir avoir
" beaucoup d'efprit , & fe donner bien des
^> peines pour entendre leur doclrine. La
» fcience du falut au contraire eft propre à
» tous les hooimes : les plus fimples en font
-y capables comme les plus beaux génies.
» Pour y faire de grands progrès, il ne faut
" quecre petit à fesyeux, & n'être pas fâché
» de l'être à ceux des autres \ 6c c'efl ce que
>' tous les hommes peuvent avec le fecoars
*» de la grâce. Malgré tant de facilités d'une
» part , & tant d'avantages de l'autre , cette
" fcience, qui feule en mérite le nom, efl
^y négligée de tous côtés , ôc de ceux-mémes
" qui devroient l'enfeigner aux autres. On
" va à la Chine & au Japon prêcher aux In-
>y fidèles les vérités chrétiennes. Rien déplus
» glorieux \ mais pendant que de nouveaux
» Apôtres travaillent à conquérir à J. C. de
» nouveaux Empires , pourquoi laifferons-
« nous périr de pauvres âmes qui font à nos
" portes ? N'eft-ce pas une cruauté de voir
>* fans émotion fe précipiter dans l'abyfme,
« fes parens , fes amis , fes voifms , des gens
«que Ton connoît , que l'on voit tous les
» jours , &c. » C'étoit par ces idées û gran-
des & fi fimples tout à la fois , que Boudon
^G L A V 1 î
foutenoir fa propre ardeur , & qu'il animoît
celle de Tes Compagnons. Ils formèrent
bientôc de plus grands projets: & on peut
dire que fans y penfer , ils ont donné occa-
fion à un àQ.% plus beaux établiflemens qui fc
foit fait dans TEglife.
"" Le P.Bagot , qui , quand il s'agifîoit des
^ ^^jly^ intérêts de Dieu, ne s'embaraflbit pas par qui
le bien fût fait , pourvu qu'il fut fait folide-
nient, entretenoit fouvent fcs chers Con-
gréganiftes des combats qu*avoient à fou-
tenir , & des vidtoires que remportoient de
faints & zélés Jéfuites, qui étoicnt adtuellc-
mcnt occupés à la convcrfion d'un monde
d'Infidèles : mais il leur fuifoit fentir en
même tems qu'une petite troupe d'Ouvriers,
quelques laborieux qu'ils fuflent, ne fuffi-
foit pas pour défricher des camppgnes aufli
difficiles par la réfiftance du terrein, que
par leur prodigieufe étendue.
Cesdifcours firent beaucoup d'impreflîon
fur des jeunes gens pleins de feu. Boudon
en parut plus touché que perfonne. Macé-
rations furprenantes , prières continuelles,
neuvaines répétées, communions fréquen-
tes , il mettoit tout en ufage pour forcer le
Soleil de juftice à luire fur des terres où il
ctoit inconnu. Nuit & jour il croyoit voir
une foule de Paralytiques fpirituels, qui n'at-
tendoient qu'un homme pour être jettes
dans la pifcine : nuit& jour il gémifToit de
ne voir perfonne qui fe préfcnrârpour jecrcr
lesfondemcns de ce grand édifice.
DE M. BoUDON. Liv. I. ^7
Le rems qui devoir donner naiflance à cet —
ouvrage de bénédiction , n'étoic pas fi éloi- ^(^^\\
gné que le penfoic notre Henri. Ce fut du
fein même de Ja Compagnie, dont il étoic
alors un des plus beaux modèles , que fortic
peu de remsaprès un efiTain d'hommes Apo-
ftoliques, qui fur les pas & fur les exemples
de l'Apotredes Indes, ont porté le nom &
la gloire du Fils de Dieu dans des climats dé-
vorans, où il fembloit devoir être toujours
inconnu. Voici , mais bien en abrégé , com-
me la chofe fe pafla.
LeP.Bagot , qui les vifitoic fouvent , leur
ayant un jour amené le P. de Rodes , fi cé-
lèbre par fes travaux Apolloliques , ce fagc
Religieux lui dit comme par un efprit pro-
phétique , que Dieu fe choifiroit parmi ces
jeunes gens ceux qui feroient propres à fa-
çonner les Pays barbares , dont la culture
les occupoit depuis tant d'années. Quelque
tems après un ami leur offrit fa maifon dans
la rue du Bacq -, de ce fut-là qu'ayant forme
une efpécc de Communauté Eccléfiafiique ,
ils conçurent le defiein de fe livrer aux
MiiTions Etrangères. Boudon qui en vit bien-
tôt partir un bon nombre , ranr pour l'O-
rient que pour l'Occident , fe confoloit dans
l'efpérance qu'il auroir fon tour. Dieu qui
le conduifolc par la main , ne le permit pas.
Il le réferva aux befoins de fa paTie , ôc
pour raiïafier la faim qu'il avoit des fouf-
frances , il fçut lui ménager en Europe des
combats , que l'Afrique & l'Afie ne lui" au-
roient peut- être pas livrés.
tôsi
^^ ^ La Vi*
• Quoique Ces études & fon atttaît annon*
çafTcnc aflez qu'il étoit né pour le Sacerdoce,
la grande ôc jufte idée qu'il en avoir conçue,
la crainte de faire une démarche , qui ne
peut être faulle fans être infiniment dange-
reufe, mille autres confidérations fembla-
blesquj arrêtent les Saints, & qui par mal-
heur n'arrêtent qu'eux, le mettoient dans
cet état indécis, où une ame timorée ap-
préhende toujours de prévenir les momcns
de Dieu. A trente ans Boudon étoit encore
féculier : mais enfin vaincu par les follici-
tations de Ces vertueux amis , par les confeils
d'unEvêque, qui fut frapé de l'élévation
avec laquelle il parloit de Dieu, Se Dar ks
ordres de fon Confefleur , qui revenoit fans
cefleà la charge, il confcntir à recevoir la
tonfure , Ôc ce fut le Nonce du Pape , qui
la lui conféra « Ce jour, difoit-il dans la
w fuite , où j'ai pris Dieu pour mon parta-
* ge , cH: pour moi un jour de Dieu feul.
« C'eft pour lors qu'en face de l'Eglife, Se
'*dans la mai fon de la divine Reine des
'> Saints , j'ai dit que le Seigneur étoit la part
" démon héritage. Elle me doit entièrement
" fuffire , cette part précicufe , puifqu'après
'W'avoir prife, il n'y a plus rien ni à pren-
" dre , ni à efpérer de meilleur. «
Depuis ce jour heureux jufqu'à fa mort,
Henri ne quitta jamais les marques de fon
ctat. Il porta toujours la tonfure , les che-
veux courts Se l'habit long. Ni Ces voyages
continuels, ni le féjour qu'il fit quelquefois
DE M. BOUDON. Liv.I. 6^
^ans des pays hciéiiques, ne purent le lui ■
faire quicter un niomenr. « C'eft , difoir-il, ^^^^"
»» que la foutane ell le faint habit de la reli-
>? gion du Clergé , la gloire ôc l'honneur de
»* rEcat Eccléfiallique , ôc le figne vifible du
" divorce parfait qu'ils doivent faire avec le
V monde, ôc tout ce qui lui appartient.»*
Faut-il que des fentimens il beaux ibient au-
jourd'hui fi profondement ignorés !
Le nouvel Eccléfiaûique ne penfoit qu'à
demeurer dans ce premier grade de la Cléri-
cature , lorfque Dieu qui , pour glorifier les
humbles, fe plâit aies tirer de la poulTiere ,
voulut le placer au plutôt fur le chandelier
de fon Eglife. M. de Laval , qui depuis le
rems qu'il avoit étudié avec lui la Philofo-
phie , connoilToit fon mérite ôc fa vertu , fe
voyant defiiné à porter le flambeau de l'E-
vangile dans des pays infidèles , jetta les yeux
fur lui pour le remplacer dans la dignité de
grand Archidiacre d'Evreux. Il prit dts me-
fu Lcs fi jufies,que l'humble Boudon, accablé
fous le poids de l'autorité , fe vit contraint
de fubir le joug qui lui étoit impofé.
Cependant deux chofes s'oppofoient à fa
prife de pcffeiTion. 11 n'étoit ni Prêtre , ni
gradué. L'Abbé de Laval leva le premier ob-
ftacle , en lui faifant venir de Rome un Ex-
tra tempera ; la Providence leva le fécond ,
en luiinfpirant de recourir à l'oraifon , qui
dans fes bcfoins fut toujours fon aliment &
fa reiTource. Très-peu de jours après il arri-
va a Pai'is , des extrémités du Royaume , un
70 L A V I E
— homme de bien , qui connoiflant l'embar-
'^^^' rasdc Boudon , lui fournit libéialemenr tout
ce dont il avoir befoin. Le pauvre de J. C.
en profita pour prendre à Bourges le bonnet
de Dod:eur ■>* , caj quoiqu'il eue fourni avec
autant d'exaditude que de capacité , fa car-
rière dans rUnivcrfité de Paris , fon extrême
indigence ne lui avoir pas permis d'y prendre
des degrés.
Lorfqu'il eut reçu Ces provifions de Ro-
me , M. de Laval , qui craignit peut-être que
le nom de Boudon ne fît un contrailc trep
marqué avec celui de Montmorenci , prit la
peine de l'accompagner jufqu'à Evrcux ,
pour difpofer les efprits en fa faveur, Se
faire connoîrre à TEvcque ôc au Chapitre le
tréfor qu'il leur procuroit. Tout fe pafla af-
fez tranquillement dans cette première en-
trevue. Nous verrons bientôt que ce calme
ne dura pas. Pendant le féjour que fit dans
cette ville notre pieux Henri , il. lui arriva
une chofe , dont près d'un fiécle n'a point
altéré la mémoire. Voici comme on nous l'a
contée en 1751- dans l'Abbaye de S. Sau-
veur-, c'eft- à-dire dans une maifon , qui fçait
allier une piété fincere avec la douceur ôc la
noblcflc des fcntimcns.
Il y âvoit dans ce Monaftere une Reli-
gieufe , dont Dieu éprouvoit la vertu par des
peines intérieures , qui ne fe conçoivent bien
que par ceux qui en ont fiait rexpériencc,
•Lc7 0ft»brc 165}.
DE M. BouDON. Liv. I. 71
Soit que le biuic s'en fût répandu , foie que ■
Dieu en eût inllruir fon ferviceur par une g^'^fulr,
voie furnaturelle , Boudon en fut informé.
Toute occafion dexercer la charité étoit pré-
cieufeà fes yeux : il ne manqua pas celle-ci.
Sans délai il fe tranfporta à 1 Abbaye ^ ôc de-
manda la perfonne dont il connoiflbir les
befoins. En l'attendant il fe mit en prières
dans un coin du parloir. Interrogé par elle
fur le fujet de fa vifite : Je viens pour vous ,
lui dit- il. Je vous ajjure , reprit cette Dame,
que je rCaï rien à vous dire : & que/ifavois
à rn ouvrir à quelqu'un , ce ne fer oit point à
une perfonne aujjï jeune que vous le paroijfez,
Souffi-ez.au moins, pourfuivit Boudon, quejg
outinue ma prière. Elle le lui permit fort
volontiers, & fe retira.
Je ne fcais fi cette aventure ne lui fervic
pointa égayer un peu fes fceurs: ce qui efl
certain , c'eft que la curiofité &i une efpéce
d'inquiérude la rappellerent au parloir une
heure après. Henri, a qui , lorfqu'il s'agiffoit
d'oraifon , les heures ne paioiflbientpas des
minutes, y prioit avec autant de ferveur que
jamais. 11 efïiiya néanmoins le même com-
pliment qu'on lui avoit fait à la première
entrevue : & i] ne tint qu'à lui de regarder
fon voyage comme perdu. Il n'en fit rien ,
,& ce fut un coup du Ciel pour la perfonne
affligée.
Le fon de la cloche l'ayant appellée à l'Of-
fice, elle fe trouva dans un trouble mortel,
La Méditation qui fuivit l'Office ne fervic
7X L A V I E
* qu'à redoubler fes inquiétudes. Mille pcn-
&f u?v ^^^^ diverfes firent fur fon efprit ce que font
fur une mer agitée les flots qui s'y brifent
fans ordre ôc fans règle. C'eft de ce point
qu'elle devoit partir pour recouvrer la paix.
Elle fe rappella comme de loin que cet Ec-
CÎéfiaftique qu'elle avoit congédie aïïez bruf-
qucment , reffembloit à quelqu'un dont il lui
avoit été dit au fond du cœur: C'eft celui ci
qui guérira vos peines. Elle part aum.omcnr
même , débute par de très-humbles excu fes
de ce qui s'étoit paffé , développe fa fîtua-
-tion , reçoit les avis dont elle a befoin , &
fe trouve au fortir de la converfation auffi
libre de fes peines , que Tétoit Naaman de
fa iépre ;, quand il fortit des eaux du Jour-
dain.
Si cet événement, où il efi: irapofTible de
méconnoître le doigt de Dieu, fe répandit
d'abord dans Evreiix, il dur naturellement
infpirer du refpeâ: pour celui que la Provi-
dence en avoit fait l'inflrumenf. Il n'en fut
pas tout-à-fait ainfi. Henri étoit infatiable
àe croix: Dieu voulut le traiter félon fon
goût \ Se pour lui faire fentir de bonne heure
ce qu'il devoit attendre dans fa nouvelle di-
gnité 5 il en fema les avenues de peines & de
contradidîons. A fon premier voyage on
avoit gardé des mefures avec lui par confi-
dération pour celui qui l'accompagnoit : au
fécond , on lui donna des preuves marquées
de mauvaife humeur. UAbbé de Laval , qui
fçavoit que C€ vrai pauvrenc pollédoit ni or,
ni
DE M. BoUDON LîV. I. 75
ni argent , Se qu'il ne vivoit que d'aumônes , "^
voulantqii'ilpiit enfin pofieiTion de fon Bé- ^^^i,
néiice , lui donna tout ce dont il avoit be-
foln pour faire avec décence Ton voyage. Il
y ajouta un manteau long fort propre , ôc
par furcroit de bonté il chargea un de fes
Officiers de l'accompagner.
Malgré ces précautions , Henri après une
marche pénible , ( c'étoit au mois de Juil-
let , ) ne trouva pas dans toute la vilh d'E-
vreux une feule hôtellerie où Ton voulût le
recevoir. Il fallut , après avoir erré de quar-
tier en quartier, fe retirer dans un miîera-
ble cabaret d'un des fauxbourgs , qui pour
délaffer nos voyageurs , ne leur préfenta
qu'une mauvaife chambre , un lit plus mau-
vais encore , <S<: un morceau de pain bis.
Boudon remercia Dieu de la grâce qu'il dai-
gnoit lui faire. Il fe fouvint avec confufion
que J.C. en veaant au monde n'avoir pas été
û bien traité.
Il comptoit rendre le lendemain matin
fes devoirs à MelTieurs du Chapitre : mais
quand il eut tiré fon manteau long de la va-
life , où il l'avoit enfermé , il le trouva per-
cé dans tous les doubles. C'étoit un nouveau
tour,^ontil n'a jamais connu les auteurs.
Dès-lors une vive imprelTion lui fit entre-
voir qu'il feroit un "jour percé des traits de
la calomnie , ôc déchiré de toutes parts pour
la gloire de fon Maître.
Comme il n'ctoir pas délicat fur le fait des
vêteniens , il eut bientôt pris fon parti. Scn
D
74 L A V I E
■*— "— manteau fut rapiécé à la hâte, & ce fut dans
& fuit', cet ccat qu'il alla faluer le Doyen ik les Cha-
noines de la Cathédrale. L'hiftoire de ce
manteau criblé fut bientôt la nouvelle du
jour. Les uns en rirent, les autres en cu-
rent pitié : les plus fages fe fouvinrent que
Saint Martin , dont les habits greffiers
avoient blefTé les yeux de l'Evêque Défen-
feur , s'étoit fliit un nom immortel dans tou-
tes les Eglifes. Ainfi un Chapitre extraordi-
nairement ademblé inflallaBoudon. Ce fut
un Samedi 27 de Juillet que la cérémonie
s'en fît.
Le nouvel Archidiacre ne rcfta pas lonj;-
tems à Evreux. Une affaire importante , de
chez lui il i;'y en eut jamais d'autres que cel-
les de la charité , Tappella à Rouen. Ce fur
de-là qu'il écrivit à MeiTieurs les Curés de
la ville d'Evreux une lettre commune. Quoi-
qu'un peu oblcure, elle efl: Ci pleine d'humi-
lité ik d'ardeur pour les intérêts de Dieu
feul , qu'on ne peut encore la lire aujour-
d'hui fans en être touche. « C'eft , leur dit-il
>» en propres termes , c'efl; la dernière des
» créatures qui vous adreiîe cette chétive
»* lettre, pourfiipplier votre charité d'avoir
« foin de fa mifere devant la m.ijefié du
»» Dieu tout bon. J'ai cru que l'adorable
» Crucifié feroit glorifié , fi ayant été ap-
ji pelle par un excès de fon amour à TAr-
» chidiaconat d'Evreux , nous avions foin
" de nous recommander à vos faints faciifi-
»* ces Ce n'efl pas , Meffieurs, le pau-
DE M. BOUDON. Iiv. L 7/
•* vre pc'chenr que je recommande à votre ' ■ *
»j louvenir : je vois devant Dieu que je mé- gj'fui^,
" rire d erre effacé dans refprit de toutes ks
»» créatures: ce font les feuls intérêts de Dieu
»' dont je vous prie d'avoir foin dans vos
>* prières . . . Ocfl Jefus qui doit être l'Ar-
» chidiacre d'Evrcux , & non pas le dernier
» des hommes. Tout ira bien, fi le pauvre
» Archidiacre efl bien détruit , bien anéanti
>' par l'efprit de Dij£U .... C'cft dans cette
» vue que j'ai offert l'Archidiaconé d Evreux
» à la très-digne Mère de Dieu , fçachant
» que fi une fois elle l'a entre les mains , il
» fera tout au pouvoir de fon Fils bien-
" aimé. » Toute la lettre qui cil: longue , eil
du même ilyle. Ceux à qui elle étoit adrcfléc
y répondirent quelque- tems après \ mais
quoiqu'en peu de mots , ils le firent avec au-
tant de dignité que de polirefTe.
De retour à Evreux , Boudon qui n*avoit
encore que la première tonfure , penfa à re-
cevoir les faims Ordres. Four s'y difpofer ,
il fe retira dans lacélébreChartreufedeGail-
Ion. S'il fut beaucoup édifié de cqs Anges de
la terre , il les édiEa beaucoup par fon re-
cueillement & fon alTiduicé confiante aux
Offices du jour & de la nuit. Près de cinq
mois de retraite de de pénitence coûtèrent
moins à fon ardeur, que cinq jours donnés
aux apparences ne coûtent a une infinité
d'antres. Ainfi fur le Dimifloire des grands
Vicaires de Laon , le Siège vacant , <k eia
c^^nféqucnce du Bref Ap.oftoiique , il reçue
Dij
yG L A V r E
■ le Soudiaconat à Evreux , le Diaconat I
fc'fufr. '^^erneuil dans l'Eglife Abbatiale de S.* Nico-
las, & laPrcrrife dans la Chapelle du Palais
Epifcopal le premier Janvier i6jj. Tous
ces Ordres lui furent conférés par Gilles
Boutaulc , Evcque dEvreux.
,g Les difporirions que le grand Archidia-
& fuiv. cre avoit apportées au Sacerdoce , firent dcf-
cendre fur lui la plénitude à.t^ grâces de
J. C. Il cékbra fa première Mefle avec une
piété capable de toucher les cœurs les plus
endurcis. Mais fa ferveur ne fut pas une de
ces lueurs paflageres , que la nouveauté de
l'adion fait naitrc , & que Ihabitude a bien-
tôt fait évanouir. Boudon,pcndant quarante-
deux ans qu'il a vécu depuis fon Ordination,
n'a jamais manqué, hors les cas de maladie ,
d'offrir le faciificede la nouvelle Alliance;
& chaque jour le vit plus refpedtueux , plus
attentif, plus pénétré que le jour précé-
dent. Plût à Dieu qu'un fi bel éloge lui fût
moins propre , & qu'il le partageât avec un
plus grand nombre de Minifircs.
Sa confcience étoit d'une pureté admira-
ble. 11 ne portoit au facréTribunal,que quel-
<:iues-unes de ces fautes , dont la vertu la
plus fcvére n'efi; pas exempte. Avec cela il
donnoit des marques fi vives de contrition,
qu'il communiquoit à ceux qui en étoient
témoins , une partie de la douleur dont il
étoit pénétré.
A cette pureté de confcience , qui ne fie
^ue croître avec le5 années , fe joignoit une
tt M. BoVDOT^. Liv. I. 77
Attention fi continuelle à la préfence de — •*-»
Dieu , qu'il ne le perdoit de vue ni le jour , &^iuiy,
ni la nuit. Delà naiflbic en lui un amour
adluel,qui n'étoit prefque jamais interrom-
pu. €i Aimons Dieu , s' écriait-il , & quoi
" qu'il nous en coûte , quoi qu'il nous arri-
" ve, aimons toujours Dieu feul. Ne foyons
'• pas aflez malheureux pour partager nos
Si cœurs ôc nos affedions. Que tout TEtrc
« créé en forte , que Dieu feul les remplifle
" fans exception. Ce Dieu û grand , fi bon
» nous doit bien fuffire. " Ces ades répétés
à l'infini , ôc toujours avec les plus vifs fen-
tiraens d'anéantiiTement ôc de refpect, nour-
riflbienc fur l'autel intérieur un feu , à qui
tous les momens du jour donnoientun nou-
veau degré de force & de vivacité.
Mais ces difpofitions û peu communes
n'étoient pour ce digne Minière de J. C.
qu'une préparation éloignée à la grande ac-
tion du Sacrifice. Une méditation , vive ,
animée , ôc qu'on a vu quelquefois aller au-
delà d'une heure ôc demie , étoit toujours
fa préparation prochaine. Il avoir coutume
dédire, que l'efprit d'empreflement , d'in-
quiétude efl: une efpéce de larron qui fuie
l'homme par-tout , êc qui tâche de lui en-
lever le fruit de fes bonnes œuvres , ôc fur-
tout de la Me(re& des divins Offices. Il dé-
concertoit cet efprit fédudeur , en élargif-
fant le terrein , à mefure que celui ci s'ef-
forçoit de le rétrécir. La tentation d'abréger
étoit pour lui un motif d'imiter ce Dieu-
Diij
7« L A V I E
Sauveur , qui fui le poinr des*immolcrpour
nous , prioit avec plus d'inftaiice ôc de con-
tinuité ■♦'.
La frayeur , le faififlement , l'humiliarion
la plus profonde étoienr la fubliancc de cette
préparation prochaine. *> Ah , Seigneur ife
y> dif oit-il alors , & il l'a lai0 par écrit ,
ii Seigneur , que vais-je faire ? c'eft un Dieu
>» que je vais offrir : un Dieu devant qui les
« cieux ne font pas nets : un Dieu devant qui
« les Séraphins fe voilent la face : un Dieu
>^ dont toute TEglife chante avec admiration j
« Vous n'avez pas eu horreur d'entrer dans
9> le fein d'une Vierge. C'efl: ce Dieu de ma-
" jeilé , qui va fe rendre dans mes mains par
»i une foumiflion incompréhenfible. Je vais
»> iacrifier celui que les Anges n'ofent re-
3^ garder qu'avec une fainte fîayeur. »>
Il s'uniflbit enfuite aux plus intimes à\C-
pofirions du Fils de Dieu regardé comme Sa-
crificateur & comme vidlime , afin de s'im-
jnoler à fon exemple , 5c pour foi-même , &
pour tous fes frères , foit qu'ils vécuffent en-
core , foit qu'ils fe fuflent endormis dans le
fommeil de la paix.
Dans la célébration a<^uelle il prenoit
tout le tems néceiTaire pour faire avec dé-
cence les cérémonies prefcrires par l'Eglife.
11 lai (Toi ta d'autres le talent de courir , d'an-
ticiper , de manger les mots. 11 les pronon-
çoit tous àÀflïnÙement , pofément , dévote^
ment. Au Canon , où la mémoire n'aide quç
* Fadus in agoniâ proUxius orabac. Luc. tu v. 4j.
D£ M. BoUCCK. Liv. I. 7^
trop la volubilité naturelle, il cntroît dans ■
un recueillement fi profond , qu'il paroiiloir ^^J^.
alors plus différent de lui-même , qu'il ne
rétoit dts autres hommes dans tout le cours
de cette grande adion. A Tune ôc Vautre élé-
vation on voyoit fon vifage enflammé , Ces
yeux étincelans , tout l'homme extérieur fi
transformé en un autre homme, que placé
par miracle fur le Calvaire , où le Sauveur
s'immola la première fois , il n'eût changé ni
defentimens, ni d'attitude. Au forcir de P Au-
tel il donnoit encore un tems confidérable à
fon bien aimé. 11 s uniiïbit intimement à lui ,
il le prioit avec inftance pour les befoins de
rEglifc& de l'Etat. Rien n'échappoit à l'é-
tendue de fa charité j parce que rien n'a écha-
.pé à rétendue de la charité de ce Prctre éter-
nel , qu'il fe propofoit pour modèle.
Il étoit (i fidèle à célébrer tous les jours
avec la même dévotion , qu'un Officier d'un
grand Prince l'ayant une fois prié de n'être
pas plus long à fa MefTc que les Aumôniers de
S. A. il lui répondit avec une fainte & no-
ble fermeté : » Vous pouvez compter , M,
" que je ferai ce que je dois faire. Je parlerai
*' à mon Dieu avec route la vénération , tou-
»} te l'attention polTible ; 6c je n'en pronon-
i> cerai pas une parole plus vîrc, »
Quelques propres que fuilenr des difpo-
fîtions û faintes à attirer les bénédiélions du
Ciel fur les travaux de l'Archidiacre d'E-
Vreux , il ne s'en contenta pas : il crut de-
voir conférer des opérations de fa première
Div
Èo La Vil
campagne avec ceux qu'une longue expé-
rience metroir plus à portée de lui tracer un
plan de conduire , & d'en diriger l'exécu-
tion. Dans cette vue il fe rendit d'abord à
Chartres & puis à Paris. 11 vit dans la pre-
mière de ces deux villes le célèbre M. de
Lcvis, Archidiacre du Vendômois , Cha-
noine & grand Pénitencier de cette illuflrc
Eglife.C'étoit un homme d'une érudition peu
commune, d une piété rare , d'un fage con-
feil , d'une douceur , & en même tems d'une
fermeté admirable , quand il s'agiflbit des
intérêts de Dieu, d'une vie û pure , mais fi
traverfée , que l'Archidiacre de Vendôme
cil: peut-être l'homme de fon rems qui du
côré de l'innocence 6c des perfécutions ait eu
plus de rapport à l'Archidiacre d'Evreux.
Ce fut dans le commerce de ce faint Prêtre
que Boudon puifa une partie des lumières
dont il avoit befoin i & il conçut tant d'efti-
me pour lui , que depuis il ne pafla jamais à
Chartres , fans lui rendre fcs devoirs & pren-
dre Tes avis.
De Beauce il vint à Paris, Il pafla quel-
ques jours au Séminaire de S. Nicolas du
Chardonnet. Ce fut dans cette maifon , fl
eftiméc Se û. digne de Têtre , qu'il jouit à loi^
fir du commerce d'Adrien Bourdoife , c'eil-
à-dire de cet homme admirable , que la Pro-
vidence avoit fufcité depuis plus de quarante
ans pour travailler avec les Ollier > les Vin-
cent de Paul & plufieurs autres , au rérablif-
fcmenc de la difciphne ecclcûaftique. Com*
DE M. BOUDON. Liv. î. 8l
me les caraderes écoient à peu-près fem- — —
blables,&que les intentions rétoicnt en- g^juiV,
coreplus, il y eut bientôt une intime liai-
fon entre le Fondateur du Séminaire 6c le
grand Archidiacre. Bourdoifelui donnad'ex-
cellentes leçons: Pour les rendre plus fen-
fibles par les exemples, il l'entretint fouvenc
du bienheureux Êvêque de Genève j de
l'honneur qu'il avoir eu de l'accompagner
plufieurs fois dans Ton dernier voyage , 6c de
la confolation qu'il avoit eue de lui voir prê-
ter, dans le tribunal de la Pénitence , fon mi-
ni/lere aux pauvres tout comme aux riches.
Aux inftrudions que Bourdoife donna de
vive voix à fon vertueux ami , il joignit des
préfens de fa façon -, je veux dire un grand
nombre de petits OuvrageSjqu'il avoit com-
pofés pour la réformation des Pafteurs ôc
des Peuples. Il lui en donna fur-tout un ,
dont le but écoit de combattre les diflbiu-
tionsfcandaleufes, qui regnoient dans tou-
tes les Paroiffes , a roccafion des feux qui s'y
font la veille de S.Jean.
Ce fut par-là que Boudon commença à fi-
gnaler fon zélé : mais s'il réufiit en quelques
cndroitSjCommeàMontigniprèsdeVerneuil,
où les Seigneurs de ParoilTe fécondèrent Ces
bonnes intentions : il y en eut d'autres, où il
fe vit en butte à la plus amerc contradiction»
Un Curé des environs de l'Aigle , qui fça-
voit mieux être mauvais plaifant , qu hom-
me folidement vertueux , tourna en ridicule
6c le livre de M. Bourdoife , ôc celui qui Iç
Dv
82 La Vie
lui avoir envoyé. Ce vertueux Prctre le fé-
licita moins fur fes fuccès , que fur les mor-
tifications qu'il avoir efTuyées : de parce qu'un
vrai Chrétien eft infatiable de Croix , il Bor-
na tous fes vœux pour lui , à lui en fouhait-
ter de nouvelles ôc de plus vives. Au refte il
prédit dès-lors que l'Archidiacre d'Evreux
feroir un homme A-poftotique O" tout de feu ^
un trèi-^randferviteur de Dieu s un hom-
Tne de croix y & qui r endroit à l'Eglife de
très-grands fer vie es. L'événement ne tarda
pas à juftifier la prcdi<5lJon , ôc il la juftifia
dans tous (ç^s points.
Avant que d entrer dans ce dérail , il eft à
propos de donner une jufle idée de la capa-
cité & des talens de M. Boudon. Nous la
tirerons du témoignage qu'en ont rendu >
pendant fa vie & après fa mort , un grand
nombre de perfonnes d'une probité recon-
nue , d'un mérite diftingué , & du plus par-
fait défîntéreflemcnt.
11 avoit la mémoire fi fûrc , fi étendue ,
qu'ilfçavoit imperturbablenientl'hirtoire de
tous les fiécles , & fur tout ce qui s'eft pafTé
de plus intéreflant dans TEglife. Il poiïédoit
les Adles des Saints d'une manière fi nette ,
fi exade , qu'à l'en entendre parler , on eût
cru qu'il n'avoir jamais fait d'autre ledurc.
11 dérailloir & le fonds , & les circonftances
d'un événement pafle depuis trente ou qua-
rante années , comme un homme qui ra-
conte bien , déraille un fait qui le jour même
%'€à pafTé fous fes yeux.
DE M. BOUDON. Liv. I. ^5
II avoit fait une écude profonde du Droit ^
Canon, de la difcipline de l'Eglife, de tout ce ^'fuiv»
qui peut avoir du rapport au gouvernement
desdiocèfes. Auiïi le regarda- t-on conflam-
ment comme le plus habile de ceux à qui M.
de Maupas confia le foin de Ton troupeau,
pendant le vovage qu'il fit à Rome.
Souvent on le vit aux prifes avec des Do-
cteurs de Sorbonne, ôc même avec des Pré-
lats : mais jamais on ne le vit avoir du dtC-
fous dans ces fortes de démêlés. Il faififlbit
le vrai , il le rendoit bien : il n'étoit pas pof-
flble d'être de bonne foi , Se de tenir contre
lui.
En fait de Théologie myflique , efpéce de
fcience aufli décriée par les ignorans, qu'elle
a été eftimée par les Saints , il fçavoit tout ce
qu'une étude alTiduc 6c réfléchie peut ap-
prendre. Il n'y avoit aucun bon livre fur
cette importante matière qu'il n'eût lu avec
attention. Les Ojv rages de S. Jean de la
Croix , de faintc Thérèfe , de S. François de
Sales lui étoient fi familiers , qu on en trou-
ve par-tout chez lui le langage âc les expref-
fions. Sçavoir s'il n'en a point un peu outré
les fentimens , c'efi: une queflion que nous
pourrons difcuter ailleurs.
Sa morale étoit très- pure , & fondée fur-
ies faintes Ecritures , fur les décifions de
TEglife, fur l'autorité des SS. Percs, fur le
fcnriment des Docteurs les plus judicieux &:
les plus eilimés. Quelqu'étendue qu'elle foir,
il en avoit prefcntes toutes les parties. AulTi,
D vj
S4 La ViÊ
■^^ dit un témoin oculaire, ôc qui par ion cru-
& îm, dition renoir un rang diftingué parmi les Iça-
vans : Ce que f ai plus admiré en lui, c'efi
quil était toujours prêt à répondre à toutes
J or te s de que fiions.
Pour ce quieft de Ton ftyle, quoiqu'il ne
foit pas bien corred: , il eft fur qu'on y trou-
ve une forte d'éloquence aufli vive qu'elle
c/i naturelle , une diction nerveufe , un rai-
sonnement perfiiafif, une tournure qui- char-
me le cœur, l'entraîne par londion , & le
tourne à fon gré , comme le Colon tourne
les eaux qui arrofent (ts plantes & fes prai-
lies.
Ce fut avec ces talens fupérieurs que le
grand Archidiacre entra dans Evreux : en
moins de crois femaincs il eut occailon de les
faire connokrc. Quelques Eecléflailiques fu-
rent les premiers a en faire l'efiai. Le titre
de Docieur de Bourges , dont Henri étoic
redevable à fa pauvreté , leur parut de foible
augure. Sur ce fondement , auquel l'exté-
rieur liniple & négligé du nouveau venu:
donnoit quelque apparence , un Curé de la-
ville l'invi-a à manger. 11 lui donna pour
convives tout ce qu'Evreux avoir de meil-
leur pour la fcience & pourla difpute. 11 fut.
convenu qu'on ne. Vépargneroitpas. Chacun
fe mit en frais, & pour embaraflfer un feul'
homme , on confuka lesvivans& les morts..
Apr:s lediner la fcène s'ouvrit l les plus épi-
neuies matières furent mifes fur le tapis. On
propofa, on prefTa^ on revint à la charge
DE M. EOUDOK. Liv. I. S/
fans donnerni trêve, ni relâche. Mais, quoi- j*
que pour être habile , il ne fbit pas nécef- ^{^[y^
faire de tout fcavoir , êc moins encore de
n'avoir rien oublié de ce qu'ion a feu , TAr-
chidiacre fît fi bonne contenance , & réfo-
lut avec tant de lumière , tant de précifion ^
tant de douceur toutes les qudtions qui lui
furent propofées , qu'un de ceux qui a tra-
vaillé à rhirtoire de fa Vie, a cru pouvoic
dire de lui , comme il a été dit de Salomon ,
que tout Ifrael ayant fçu la manière dont iî
s'étoit tire dafiaire , conçut pour lui une
efhme mêlée de crainte & de refpeâ:; parce
qu'on vit que l'efprit de Dieu réfidoit en lui,
é^ qu'il y réfidoit avec plénitude»
Sa réputation redoubla, lorfqu'on l'eût
entendu tonner dans les Chaires de la ville
Epifcopale. Il y parut , dit un pieux ôc ref-
peclabîe Docteur '♦' , avec la force ôc dans
l'efprit d'Helie. Son ftyle véhément , qui
rappelloit le flyle des Prophètes , décou-
vroit en lui Thommc né pour bâtir & pour
planter pour détruire & pourrenverfer. Sa
belle voix alloit ji^^q» aiix derniers rangs
chetcher Toreille de l'Auditeur , ôc par elle
faifoit entrer au fond des cœurs le faifîfTe-
ment ,1a terreur , ou plutôt tous les mou-
vemens qu'il jugeoit à propos d'y faire entrer,
Auffi jamais Orateur ne fut plus univerfel-
Icmentilk plus conflaramcnt fuivi. Les plus
* M. de Bofcguerard , Doâeur en Théologie , & an-
cien Curé de ia^Paroiffe de S, >»icolas , à Rouen. U ctoit
natif d'£vreiji,
85 La ViÈ
vaftes Egtifes ne pouvoienc fuffire à la mul-
titude qui s'y rendoic pour l'écouter i ôc
quoiqu'on s'y plaçât dans des lieux prefque
inaccellibles , les rues étoienr pleines de gens
qui s'efforçoient d'attraper &de retenir quel-
ques-unes de fes paroles.
Après tout , quoiqu'il ignorât , qu'il eût
me me en horreur ce langage précieux , qui
énerve l'Evangile à force de l'embellir ^ il fal-
loit qu'il y eut chez lui bien de l'ondiion 5c
bien de la fécondité. Depuis le commence-
ment de l'année jufqu'à Pâques il ne prie
d'autre texte de tous (ts difcours , que ces
paroles du Roi Prophète : Alitlta flagella
peccato>is. Cependant il fçut fi bien varier
fa matière , &c en développer toutes les par-
ties, que le dernier de Ces fermons ne parut
pas moins neuf, que ceux qui l'avoicnr pré-
cédé. Mais ce n'étoit pas de l'admiration ,
c'étoit deladouleur & des larmes qu'il dc-
mandoit. Il fçut en tirer des cœurs les plus
endurcis. »> Je me fouviens, die un témoin
« oculaire, que prêchant dans TEglife de
V S. Pierre , le Dimanche des Rameaux , il
" biifa fi abfolument les cœurs les plus im-
''pénirens , qu'on ne voyoit que des torrens
»* de larmes i & elles couloicnt en telle abon-
w dance , que plufieurs furent fur le point
w d'expirer de douleur dans TEglife ; car ja-
«maiîî Ton n'avoir rien entendu de pareiL
« Pour moi , qui aflillois exadtement à (es
» fermons , j*cn reçus des împreffionsfi for-
»> tes , que quoique je ne fuffe encore qw^ua
DE M. BouDON. Lrv. I. S/
» jeune homme , je pris une fincere réfolu- *
tion de ne vouloir jamais le péché , d'êcre ^21r.
» à Dieu fans réferve , de defircr d aimer
'* tout de bon J. C. mon Sauveur & mon
» unique maicre. Dès-lors je regardai com-
" me les plus heureufes pcrfonnes du mon-
>» de celles qui arvoient l'avantage de fuivre
« M. Boudon , de je mis en ufage tous les
" moyens poflibles pour m' attacher à lui» Je
>» le trouvai enfin , & je ne peux aiTcz re-
" connoîrre les boncés de mon Dieu , de
w m'avoir donné un guide fi faint , fi afiuré ,.
»> Ô: qui ne donnoit aux autres que des con-
« feiîs que lui-même avoir pratiqués le pre-
» mier. »>
Ce qui fait plus à la louange de TArchi-
diacre , c'eft que ces fentimens d'eftime n'é-
toient l'effet ni du préjugé , ni de l'inclination
qu'un cœur bien né a naturellement pour un
ho:nme de bien. Ceux , qui , à parler humai-
nement , avoient quelque raifon de n'être
pas contents de lui en parloienr comme fes
difciples les plus déclarés. Un homme qui-
prêchoit TAvent dans une Ville qu'on ne
nomme pas , voyant que fon Auditoire éroit
défert , parce que tout le monde couroir
aux fermons du grand Archidiacre, lui die
un jour : »> Je ne fçais, M. d'où vient que tant
w de gens vont vous écouter: mais vous nous
3> défolez tous -, car tout le monde court
w après vous. » Un autre , & celui-ci étoit
un Jéfuire, quis'étoit fait une grande réputa-
tion à Bordeaux , s'étant laiffi tmraîncr au
2? La Vie
" ' ■ torrent qui fuivoit par-tout notre Prédîca-
'4cl"iav. ^^^^ y ^^^ ^1 touché de la manière dont il an-
nonçoic la parole de Dieu , qu'au fortir de
la Chaire il l'arrêca pour lui dire : " Je fuis
« heureufement forcé de vous avouer, que
>' vous confondez bien la manicre de prê-
" cher de la fageiTe du ficcle j ôc qu'il feroic
« à defîrer que l'Eglifc fût moins fertile ea
» Prédicateurs éloqueas , ôc qu'elle en eût
» un bon iK)mbre d'aulfi pleins ^ ôc d'aufll
« pénécrésde l'efpric Apollolique , que vous
>j réccs. » C'eil que l'homme de Dieu fcul ,
ne prcchoit ni fes penfées , ni fes propres
inventions, mais J. C, ôc fon Evangile j 5c
qu'il ne fe foiicioit , ni de plaire , ni de dé-
plaire, pourvu que la vérité fût annoncée ,
& qu'elle le fût dans toute fa foice , ôc toute
fa pureté.
Jamais aulfi le vice ne trouva d'agreffeur
plus intrépide pour Taffronter, ni d ennemi
pli s vigoureux pour latteindre , le combat-
tre de pied ferme , le forcer jufques dans Ces
derniers ret ranchcmens. Le pécheur qui rrou-
voit dans la vie de ce faint Prêtre un cenfeur
inexorable , trouvoit dans fes difcours un
feu ôc des éclairs, qui lui annonçoient la
foudre dont il alloit être frapé. Il n'y eut ni
crime , ni criminel qui trouvât grâce devant
lui ; ôc quoique l'orgueil , l'avarice ôc l'im-
pudicité foiem les dvfotdres qu'il a le plus
combattus , on a dit de lui , comme da Ref-
tauraceur deJérufalem, qu'il avoir rempli,
d'cHioi tous les Ouvriers d'iniquité»
DE M. BoUDON. Liv. I. S9
Mais s'il écoic terrible à l'égard des endar- ■
cis, ilétok plein de bonté , pour les âmes ^^£^'
foiblcs. Il les porroit dans fon lein. Il éclair-
cilToit leurs doutes. 11 relevoit leur courage
par la confiance & par la vue des bontés de
Dieu. Il préTentoit la vertu fous une face 11
belle , fi charmante ^ il en applaniflbrt le che-
min avec tant d'habileté ; il démêloir avec
tantd'inrelligence, & il détruifoit avec tant
de fuccès les obftacles qui en fermoient les
avenues , qu'il Ta fait embrafler à des mil-
-liers de perfonnes de tout âge , de tout fexe ,
de toute condition y fouvent même à celles
quelefeiil nom de vertu révoltoit, & qui
avoient pour elle laverfion la plus décidée.
Je n'en rapporterai que deux exemples. L'un
ôc l'autre regardent des perfonnes iffuesdes
meilleures familles d'Evreux.
Le premier fut celui d'une jeune Demoî-
felle, fi pleine de fureur pour le monde ôc
pour la mondanité, que routes les autres
perfonnes de fon fexe fe modeloient fur elle
pour le goût , & pour les parures. Comme
Boudon étoit l'homme du tems, & qu'on
ne parloir dans toute la Ville que de fes
prédications , elle s'y rendit comme elle eut
fait au fpedacle. La grâce l'y fuivit & fit fon
coup. Ce cœur qui jiîfques là s'étoit roidi
contre les leçons & contre les exemples , fus
brifé comme celui de la Péchereffe de l'E-
vangile. La nouvelle pénitente ne penfa qu'à
fe laver au plutôt dans la pifcine falutaire..
L'Archidiacre qui avoir faic la plaie ^ fut chaç-
fe La Vil
■ ' gé de la guérir dans le facré Tribunal. II y
iihiiv. ^^^ l'huile & le vin avec fa prudence ordi-
naire. En peu de rems la cicatrice fut fermée
à jamais. Il n'y eut plus de jours , plus de mo-
mens pour le monde : tout fut à Dieu ; & Ton
fatisfit à fa juliicc en réparant fous le voile de
la Religion les outrages qu'on avoir faits à fa
miféricorde , fous l'étendard de fon ennemi.
Le fécond exemple fat celui du Sieur de
Preflac. C'étoit un libertin fi débordé , que
tout le monde le regardoit comme un démon
travefli en homme. Il entendit le grand Ar-
chidiacre -, & en moins d'une femaine tout
Evrcux vit avec le plus prodigieux étonne-
ment un loup changé en agneau \ un impie
déclaré , en un homme de retraite ôc d'orai-
fon ; un cœur jufques-là infenfible aux mi-
fercs du prochain , en cœur tendre , corn-
paciiTant , occupé nuit ôc jour du foin de
l'indigent, des intérêts de l'orphelin, dCi
befoin des malades les plus rcbutans & les
plus abandonnés. Il foutint avec une ferme-
té de diamant l'injurieux mépris que firent
de lui fes compagnons de débauche. Aggrégé
aux enfans du Tiers-Ordre de S. François ,
il devint fi humble, que dans fes lettres il
ne fe nommoit que le chien pourri , ou le
néant de rien, Difciple & partifan déclaré
de Boudon, il le fuivoit par tout , comme
celui dont Dieu s'étoit fervi pour le tirer du
profond abîme , où (ts crimes l'avoient pré-
cipité. Enfin fa ferveur alla fi loin , que pour
Xatisfaire au defir qu'il avoir de fouffrir ic
DE M. BouDOK. Liv. I. 91
martyre , il fit prefque l'impoffible pour fui- ■*
vrc, ôc pour Icrvir en quelque qualité que &ÏJjV,
ce pur erre , M. François Fallu , premier
Evêque du Tonquin. Dieu ne le permit pas :
De Preflac paffa k refle de les jours à Evreux :
& jufqu'à fa morr il y exhala en foupirs le
fang qu'il ne lui écoir pas dorme de répandre
dans une terre étrangère.
Au refle > c'éroit prefque toujours , com-
me il ell d'ufage , dans le facré Tribunal , '
que le grand Archidiacre achevoit ce qu'il
avoit commencé en Chaire. Mais puifque la
calomnie, qui ne le ménagea jamais, ne l'a
pas épargné fur ce point j & qu'elle a bien
ofé le traduire pendant plufieurs années en
iiomme fans difcrétioti Se fans jugement j il
cfl jufte que nous le vengions de ces frivoles
ûccufarions. Voici un plan abrégé de fa Con-
duite, qui fera fuffifamment fon apologie.
Sa Morale tenoit un jufle milieu entre les
deux extrémités. S'il ne fut jamais d'une in-
flexible rigidité , il ne fut jamais afifez foible
pour plier l'Evangile au gré du pécheur. La
facilité d'abfoudre, fanf avoir vu d'affcz près
fi le cœur efl: bien réformé,étoit à fon avis ôc
la perte des ConfeiTeurs , & la ruine des pé-
iiiténs. Il s'étudioit d'abord à découvrir dans
la confcicnce du pécheur les principes de fon
mal , afîndV remédier peu à peu ; ^ il exa-
minoît dans une julle balance fi tel mouve-
jnent venoit de la grâce , ou de Is. nature
qui fe plaît quelquefois à la contrefaire.
Une de [Mi grandes attentions croit de dé-
5>2 * La Vti
mêler refpécc , ôc s'il l'eut pu , le degré de
grâce donc croit muni chacun de ceux qui
s'addreiToîent à lui,afîn de les faire tous mar-
cher dans la voie par où l'Efprit, qui divifc
{es dons comme il lui plaît , vouloit les con-
duire. Mais à quelque degré de perfedion
qu'une ame fût élevée, il ne lui permit ja^
mais , ni de fe tenir dans une abftradion vo-
lontaire de toute bonne penfée , ce qu'il re-
gardoit au contraire comme une i//«/7<?«/^/^-
holique ; ni d oublier les myfteres de J. C. &
fa trés-fainre humanité. Il y a plus : c'eft que
quoiqu'il fût tiès-éloigné de faire violence
aux impreflîons de Dieu , il s'efForçoit de ne
mener au Père que par le Fils , en tant qu'a-
néanti pour nous. «« Il faut , difoit-il y hono-
w rer toutes les voies qui font dans Tordre de
9> Dieu. Néanmoins , à parler en général ,
y> le moyen de faire beaucoup avancer les
»* âmes , c'ellde leur propofer fansceffe les
^» foufFrances , la pauvreté , l'humilité , l'o-
•< béifTance de leur Sauveur, ôc de leur faire
>» voir les avantages , la gloire même d'être
« traité comme lui, & d'avoir quelque part
w à fcs voies. «
Il éroit perfuadé qu'un Diredeur , pour
conduire les âmes à la perfeétion , ne doit
pas compter fur fa fcience , mais fe donner
tout entier à l'Oraifon , & que fans elle le
plus habile Do6èeur peut n'être propre qu'à
retarder dans une ame l'opération célefte ,
dont les redors , ouverts quelquefois à la
implicite d'une villageoife , font inacccili-
DE M. BOUDON. Liv. î. 95
blés à la fpcculation des fcavans. En gêné- *'■
rai , il vouloit que ks pénirens s'atracha/Tent ^^^^^^
au folide , à l'eiprit de Foi , à l'amour du mé-
pris, des fouffrances, delà faince pauvre-
té , à la haine d'eux mêmes fi recommandée
dans TEvangile , mais fi profondément igno-
rée. Sur ce principe, loin de courir après les
brebis de fon voifin , il laifToic à celle même ,
quis'écoir donnée à lui, une pleine liberté
de s'adrefler à d'autres , bien perfuadé qu'en
ce point une forte de gêne ch la fource des
plus grands maux. Sur ce principe encore , .
il ne s'attachoit jamais aux perfonnes qui
étoient fous fa conduire , & il ne pouvoit
fouffrir qu'elles s'artachaHent à lui. Il difoic
à ce propos qu'il faut veiller, ôc veiller beau^
coup fur Tinclinarion qui nous porte quel-
quefois à fècourir les perfonnes qui nous re-
viennent plus que d'autres. Sut- tout il vou-
loit qu'on retranchât fans miféricorde toute
liaifon avec ks perfonnes d'un fexe diffé-
rent. Le danger , pourfuivoit-il , efl d'autant
plus grand, que Tamirié fe pare des pré-
textas de la reconnoiflance , 6c même du
plus grand bien de la pénitente. Rien de
plus aifé à Tamour propre que de fe mettre
ie la partie. Si le Confeiïeur n'y prend gar-
^e , il fatisfera beaucoup plus la nature,
quMl ne remplira fon miniftere \ & il ne
trouvera au jugement de Dieu qu'un vuidc
épouvantable.
Il éprouvoit , mais toujours avec pru-
■dence , les âmes déjà fortes : mais s^il les fai-
54 La Vif
foie marcher à grands pas , il ménagcoit cel-
les qui étoient plus foibles II les atcendoit
avec patience , il veilloic avec foin à ce que
l'excès ôc l'indifcrétion ne fc mcLiffent point
dans leur plan de vie , & moins encore en
matière d'au/lcrirés corporelles , dont il ne
permettoit l'ufage , que quand Dieu y ap-
pelloit par une vocation marquée.
Il foutenoit dans leurs détrefles ces âmes
foufiFrantes que le Sauveur tient attachées à
la Croix , fans trop s'efforcer de les en reti-
rer. Mais comme elles ont bcfoin d'être for-
tement encouragées dans ces pénibles états >
il les animoit à perfévérer dans leur devoir ,
à fuivre avec une fidélité inviolable leurs
exercices de piété, malgré les dégoûts de les
ennuis qui marchent à la fuite de leur trifle
& défolant e fituat ion. Un fimple regard vers
Dieu , un grand détachement de toutes les
créatures étoient les moyens par lefquels il
tâchoit de les fortifier dans le combat. A la
faveur de cette méthode toute fimple , où
chacun fuit l'attrait de fa grâce , & ne veut
,de foi que ce que Dieu en veut lui même >
tous ceux qui étoient fous (a conduite , ou
qui prcnoient Ces avis , fe trouvoient dans
leur centre , Se jouifibicnt bientôt d\me
paix profonde. 11 ei\ v rai que peu de Dire-
xfleurs de fon tans ont mieux pofiedé que lui
le talent de bannir les tentations , ou de fou-
tenir ceux qui en étoient atteints. Il procura
une paix folide à un bon Prêtre , que Ces
fcrupules & une vive idée de réprobation
DE M. BOUDON. LiV. I. 9^
rendoienc incapable d^s fondrions de Ton mi- ■*
niftere. Il lui fie fentii que ceux qui font gj^jf/^
réprouvés, ne le fonr que parce qu'ils veu-
lent l'être: que le Dieu de miféricorde étant
defcendu du ciel pour racheter ceux qui vi-
voienr dans fa difgrace M ne rejettera pas ceux
qui le veulent aimer , ôc qui ont recours à
lui. « Rejettcz donc en fa divine vertu ,
*> pourfuit-iU ces pcnfées de réprobation ,
»» qui vous afTiégent , au moins n'y faites au-
n cune réflexion volontaire. C'efl le démon
*> qui les donne , & comme il ell réprouvé,
« parce qu'il Ta voulu , il tâche de tour-
» menter , par cela même qui fait le fujet de
» fa peine , les âmes que le Fils de Dieu a
M rachetées de fon fang. Mais Dieu tout bon
^' ne lui permet de vous exercer de la forte,
» que pour vous établir davantage dans fa
»* fainte grâce. Mettez donc votre confiance
" dans les grandes miféricordes de N. S.
*> J. C. & vivez , & mourez dans fa fainte
*> paix.»
Dans une autre lettre dont nous allons
donner le précis , parce que ceux qu'il plaîc
à Dieu d'humilier par des fcrupules , y trou-
veront des règles de conduire ,* il lui prefcrit,
1°. de s'en rapporter fur l'état de fa con-
fçienceau jugement de fon ConfefTeur, quel-
que penfée qui lui vienne au contraire :
"Car enfin, lui dit-il ^ quand même votre
" Directeur fctromperoit toujours, vous ne
« vous tromperez point en lui obéiflTant, &
w vous n'en répondrez pas devant Dieu, "
9^ L A Vit
* ■ 2". De ne point repérer fon Office pour fes
4tfuk. ^i^^ca^^ioi^s involontaires i 5°. de prendre
très peu de temps pour s'examiner loifqu'il
ira à confeflfe ; 4°. de ne point recommencer
Ces confeflîons générales." Jamais, continue^
w t-il, vous n'aurez la paix qu'en foumetranc
»» votre jugement & vos lumières, toutes
" glandes qu'elles vous paroillent, aux la-
»' mieiesdesperfonnes expérimentées. Oui ,
" le remède des âmes travaillées de fcrupu-
« les , c'eil: la foumlfllon de l'efprit. Souve-
»» nez-vous quec'eil: une tentation commune
»> aux pcrfonnes peinées, de s'imaginci qu'on
»' ne les entend pas , qu'on ne les connoîc
" pas , qu'on ne pénétre pas allez leurs fau-
« tes. Or c'eft un artifice du démon , & une
1» rufe de l'amour propre qui veut s'arrêter
^ à fes propres lumières. Je vous le dis de
» redis , la foumifl'ion du jugement elt le feul
i> remède qui puifle vous guérir. PalTcz par-
i> deffus toutes les peines qui pourront vous
" arrive!" , quand on vous le dira , & foyez
».' perfuadé que le vérirable obéifl^nt fera
»' toujours bini de Dieu. *•
Ces avis , pour le dire en paHant , ne fu-
rent pas inutiles à celui qui les recevoit. Il
s'y conforma, & s'en trouva bien. Les in-
quiétudes terribles qui Tavoient dévoré pen-
dant une longue fuite d'années, fe difiîpe-
r^nt enfin, & fe diffiperent pour toujours.
Il mourut en revenant d'Italie , tout inondé
de la paix des enfans de Dieu.
Ces fortes de guérifons fpirituelles n'ont
ccé
DE M. BouDON. Lrv. I. 97
cré ni les feules , ni les plus difficiles qu'il ait
plu à Dieu d'opérer par le miniilere de fon &[uiv.
fervireur. Un jour qu'il paflbir par Char-
très, Ferdinand de Neuville , qui en étoic
Evcque , le pria de voir une Dame , à qui
l'excès de fes peines avoir prefque enlevé le
fens <Sc la raifon. Jufques-là il ne s'écoic
trouvé dans la Ville aucun ConfefTeur qui
eût pu la calmer. Le grand Pénitencier ,
homme habile Se fort intérieur , y avoic
échoué comme les autres: ou plutôt , faute
d'avoir faifi la nature de fon mal , il avoir
fi fort redoublé fes peines , qu'elle fe déchaî-
noir contre lui d'une manière fcandalcufe.
Boudon la vit ,1a confefia , & connut û bien
fon état , qu'il fut en peu de tems à portée
de la calmer , & de lui rendre la paix , après
laquelle elle avoir fi long-rems , ôc fi inuti-
lement foupiré.
Quaiid ce fage Dire(5tenr avoir une fois
bien aiïermi Ces pénitens dans leurs bennes
réfolutions , il les faifoit fouvent approcher
de la Table du Seigneur, il les porroit en-
fuire à pratiquer quelques miortificarions
corporelles -, 6c ces mortifications , il les
mefuroit toujours fur leurs forces , ôc fur
l'attrait de la grâce qui leur étoir propre.
En même tems il leur infpiroit de marcher
fidèlement en la prélence de Dieu ; ôc de
s'unir fdWvent à J. C. pour n'agir que par
fon efprit. Puis gagnant toujours du tcrrein
fur la nature ôc fur l'ennemi commun , il
leur apprenoit à mener une vie cachée ,
E
98 L A V I E
•— anéantie, crucifiée; à fe détacher abfolu-
^^^^^ ment de tout appui humain , afin de laifier
à la grâce une place , où elle put travailler à
fon aife.
Il n'y a que Dieu qui connoilTele nom-
bre des âmes que fon ferviteur lui a gagnées,
& réminent degré de peifedion où il a fçu
conduire celles qui ont été plus dociles à fa
voix. Grands & petits, riches & pauvres,
forts Se foibles , tous s'efïbrçoicnc ou d être
fous fa direction , ou du moins de profiter
de Ces leçons. Sa chambre , qui avoit moins
l'air d^un appartement honnctc , que d'un
miférable réduit, ne defempliffoit pas. A
peine lui donnoit on le tems de prendre un
peu de nourriture. Ceux qui obligés de ga-
gner leur vie par un travail alTidu , le laif-
foient en repos pendant le cours de la jour-
née , fc rendcient chez lui par pelotons ,
quand elle étoit finie *, ôcii éroit rare qu'ils
n'en fortilTent meilleurs qu'ils n'y étoicnt
entrés. Cependant comme ces affemblées fi-
rent du bruit , Se que quelques perfonnes
plus envieufes que zélées , les trouvèrent ir-
régulieres à raifon du tems où elles fe fai-
foient -, Boudon , que l'ombre du fcandale
allarma toujours , les rompit abfoiumenr.
Parmi les perfonnes dont la diredion fit
plus d'honneur au miniiîere du grand Ar-
chidiacre , il y en eut deux, dont le nom
feul fuffiroit pour immortalifer le fien. Leurs
conditions étoicnt différentes: leurs voies
mêmes n'étoient pas femblables : mais cha-
DE M. BoUDON. Liv. I. 951
cune ailoic au but , âc y alloit félon la nature
Se le degré de [qs dons avec une incroyable
ferveur.
La première fut Mauricette Fébronie de
Bouillon , Princefle aufll célèbre par fes ver-
tus , que le grand Turenne fon oncle le fut
par ks exploits Militaires. Dès qu'elle eue
connu Boudon , & il étoit aifé de le connoî-
tre , elle le regarda comme un Ange, qui lui
avoir été envoyé du Ciel pour la conduire
dans les voies du fahit. Pour prendre ôc
pour fuivre Ces avis , à mefure qu'elle en
avoir bcfoin , elle l'engagea contre fon in-
clination , à loger dans fon Hôtel , pendant
le tems qu'elle avoit coutume de pafTer à
Evreux. Toute la ville voyoir avec autant de
fiirprife que d'édification , une Princf iïe jeu-
ne ôc délicate fuivre à pied dans les rues le
Serviteur de Dieu , lui donner toujours la
droite, pour faire connoître par un exem-
ple ft-apant , le refpedt qui eft dû aux Mi*
niitres de J, C. & l'accompagner humble-
ment dans tous les lieux , où la préfence de
lun& l'autre pouvoit contribuera la gloire
de Dieu , & au falut du prochain.
Ceft à fa rendre piété pour Taugu/îe Sa-
crement de nos Autels, piété qui la porta à
obtenir de l'Evéqued'Evreux Pétabliflement
d'une Confrairie toujours prête à honorer
J. C. caché fous les voiles de fon amour ;
que l'Eglife doit le livre ^ d'or , que Boudon
* Ce Livre qui fe réimprime encore tous les jours a
pour utre : V^mour de JefMoutrh-faint Sacrement de
i ^utd. Il parut en 16^1,
100 La Vie
■ compofa quelques années ^près fur cette
^^^*" matière. 11 eft dédié ,& il devoit naturelle-
ment l'être à celle dont le zélé en avoit four-
ni l'idée. Boudon y fait & de la fille , ôc de
la Duchede fa niere un éloge magnifique.
Sur ' tout il loue avec complaifancc cettç
dernière , d avoir hautement déclaré, qu'elle
ctoit prcre d'expofer fa vie pour foutenir
l'autorité du premier des Palleurs, ôc qu'elle
eut mieux aimé voir mourir tout ce qu'elle
avoit de plus cher dans le monde, que d'y
voir la moindre défobéiflance au Siège Apo-
flolique. Je fçais que les Epîtres dédicatoi-
res,ainn que les Oraifons funèbres, font
de foibies preuves de la vertu des Héros qui
y font céleb' és' -, mais je crois qu'une plume
auffi timide a donner de vraies louanges, que
réroir celle de M. Boudon , n etoit pas pro-
pre à en donner de faufies.
La féconde pcrfonne, dont la condui':e fer-
vit beaucoup à faire éclater la grâce ôc les
ralens du grand Archidiacre , fut la fœur
Marie- Angélique, qui cft encore aujour-
d'hui fl '.efpedée à Evreux fous le nom de
Madame Simon , que plus de foixanre-dix
ans qui fe fonr écoulés depuis fon décès"^, n'y
ont poinr altéré fa mémoire. Jamais fonds
nefLU culrivé avec plus d'atten:!an : mais ja-
mais fonds ne rendit un centuple plusabon-
dajK. Angélique toujours humiliée par fon
• E'Ie mo'irutà Evrenx le i6 Février i68^. âgée de 54
ans & trois mois. M Boudon écrivit fa vie. ÉUe vient en-
fin d'être imprimée çliti Fex , à Avignon,
i)E M. BoiTDON. Liv. L 10 r
Direâ:eur , toujours obfervée félon Ces or- ''
dres , fe fit une loi des préceptes de TEvan- &fuiv.
gile. Sa patience fut invincible , fa douceur
inaltérable , fon amour pour la retraite ,
pour le mépris , pour la pauvreté , formé fur
celui des plus grands Saints , fa mortifica-
tion fi prodigieufe , qu'elle eût fait trembler
ceux qui en ce genre ont fait trembler les au-
tres j fon amour pour Dieu , fi fort , fi gé-
néreux 5 qu'à l'exemple de fainte Thérèfe ,
elle fit vœu de ne rien faire que pour fa plus
grande gloire.
Des fuccès fî marqués au r oient pu enta-
mer un cœur moins afïe rmi , que ne Tétoit
celui de M. Boudon Dieu l'en préferva par
un contrepoifon falutaire , mais qui peuà-
peu devint û vif, û pénétrant , que le faint
homme eut befoin de toute la force du Ciel
pour n'y pas fuccomber. Pour entendre ce-
ci, après l'avoir confidcré comme faifant les
fondions de Minillre de la parole , Ôc de
Diredeur desames,il faut en fuivant toujours
le fil de fon Hilloire , le confidérer comme
rempliflant les devoirs d'Arohidiacre.
Lorfquil confulta à Paris M. Bourdoife ;
celui-ci fe conrenra de lui recommander »
i^.de ne contribuer jamais à l'Ordination
précipitée de ceux qui fe préfenteioient aux
Ordres fans épreuve &c fans vertu i 2^. de
procuier de toutes fes forces au Diocèfe
d'Evreux les meilleurs Sujets qu'il pourroit
trouver , & un Séminaire pour fn former
de nouveaux j 3^. d érv^dier d abord la con-
duite des Eccléfiafiiques de fon Archidia-
E iij
1D2 La Vie
-— ^coné; de gagner par la patience ceux qui
& fuiv. f foieni^ déréglés ; de s'attacher les autres par
la douceur Se par les manières les plus cha-
ritables ; 4^. de ne regarder dans fon emploi
que le bien de l'Eglife , & de n'y rien fair^
ni contre fa confcience , ni à la recomman-
dation de qui que ce pût être ; j^. de com-
ïîiencer par les chofes moins importantes , à
réformer les abus qu'il rcmarqueroit dans
fes vifires , pour avancer peu à peu Ôc com-<
ine mfenfiblement dans le bien.
Ce fut fur ces avis également pleins de
fermeté & de douceur , que Boudon voulut
fe régler. Mais pour le faire dans le Seigneur
&par fa vertu, dont il vouloit tout atten-
dre , il s'efforça de mettre Dieu dans [es m-
téïêis'^ôc ce qu'il fit la première fois , il 1 -a.
fait , fans y manquer jamais, pendant plus.
d£ quarante ans. Le détail en eft fi glorieux
pour lui , que , quoiqu'un peu long , }e crois,
\c devoir fuivre dans toute fon étendue.
Et d'abord il commença , comme nous l'a-
vons déjà dit , par mettre fon Archidiaconé,
fa perfonne & toutes les ParoifTes qu'il de*
voit vifiter , fous la pro: cclion de la fainte
Vierge , ôc des faints Evêques qui y ont plan-
té & multiplié la foi. Les beaux efprits , ôc
parmi eux un grand Vicaire , plaifiinterent
beaucoup fur cette première démarche de
notre vertueux Prêtre : quelques-uns même,
pour la tourner en ridicule , en firent im-
primer l'Ade fur une feuille volante. Mais
avec u» peu moins de paflion, ils çuroient
DE M. BouDON. Liv. T. 103
pu voir que le grand Archidiacre , en s'of- '
frant lui^ ks Tiens à la Mère de Dieu , n'a-
voic fait en petit que ce que Louis le Jufte
îavoirfait en grand, lorfqu'en 11538. ayant dé-
'pofé fon fceptre Se fa couronne fur le grand
Autel de Notre-Dame , il voulut apprendre
^ toute l'Europe , que ni le Prince , ni les
Sujets ne pouvoient trop honorer celle ,
dont le Fils difpofe à fon gré des Rois ôc des
Royaumes.
Pour ne pas fe borner à une fimple obla*
tion , l'Archidiacre y joignit toutes les œu-
vres de piété ôc de pénitence , que les Saints
pratiquent pour engager , pour forcer le
Ciel à bénir leurs travaux. Communions
ferventes , pieux ôc pénibles pèlerinages ,
mortifications excelTives, tout étoit mis en
ufage. Dans tous les tems de l'année il
jeûnoit trois fois par femaine i mais dans le
tems de fes vifites , qu'il fit toujours à
deux ou trois reprifes , il jeûnoit tous les
jours , fans y manquer jamais , quelques
fatigues qu'il eût effuyécs. Il auroit vou-
lu 5 fi Içs mœurs du tems Teufient fouf-
fert , n'avoir d'aurre monture que celle
dont fe fervic le Fils de Dieu au jour de
fon entrée à Jérufalem : il y fi.ippléa en
fe fervant d'un cheval qui valoit encore
moins. Cefi dans cet équipage , qui faifoic
pitié , que fuivi , non d'un valet, car il n'en
eut jamais , mais d'un homme prefqu'aufil
pauvre qu'il l'étoit lui-même , il parcouroit
les villages ôc les villes du Diocèfe. Ceux
Eiv
1656.
&fuiv.
104 La Vie
■ qui jugèrent du fuccès de Topération par
fc*fdv. ^'apparente baflefle du prélude , ne tardè-
rent pas à fe détromper.
Le Diocèfe d'Evreux étoit alors , comme
prefque tous les autres , dans cet humiliant
état , dont trop d'Ecrivains nous ont trans-
mis la funefte mémoire. On n'y voyoit guè-
res que des Eccléfiaftiques fans vertu, des
peuples fans mœurs comme fans inftruction,
des Eglifes fans ornemcns, des cérémonies
fans ombre de décence, des Cimetières , qui,
fans clôture, fervoient plus à la pâture des
bêtes , qu'à la fépuhure des Fidèles.
A la vue de tant ôc de fi déplorables abus ,
J'homme de Dieu feul fut effrayé , mais il ne
fe découragea pas. Il fit rendre aux Mar-
guilliers un compte exaâ: des deniers qu'ils
avoient reçus , ou dû recevoir ^ & du pro-
duit il fublîitua des Ciboires & des Calices
d'argent à ceux qui n'éroient que de cuivre
ou d'érain. Il remplaça dans chaque Eglife
les lambeaux fales ôc déchirés , qui y fer-
voient à la célébration des divins Olfices,
par des ornemens convenables. Il contrai-
gnit les gros Décimateurs à réparer les brè-
ches du Sanétuaire, & à le mettre à cou-
vert de l'injure des faifons. Il fit enfermer de
hayes ou de murailles les Cimetières ; ôc de
baluftres les Fonts facrés , autant qu'il lui fut
poiïîble. Il n'épargna ni les tableaux indé-
cens , ni ces prérendues images qui désho-
norent la Religion. Il en fit faire qui pou-
droient inflruire ôc édifier.
BE M. BoUDON. Ll^. î. 10/
Après avoir terminé ce qui concerne le cul-
te de Dieu & la décoration des Lieux fainrs^
parce que c'eil ce qui fiape davantage les
yeux àts Fidèles , il s'appliqua fortement à
Ja fanclification des peuples. îl contraignic
JesPafteurs.quijufques-là nel'avoientétéque
de nom , à faire , au moins tous les Diman-
ches , le Catéohifme à leurs ParoifTiens. Il le
faifoit lui-même quand 11 le jugeoit nécef-
faire. Cette partie du faint Miniftere étoit à
fcs yeux quelque chofc de û grand , de fi
eflenriel , qu'il compofa depuis un ouvrage
intitulé : La Science fa crée du Catéchifme ,
où il démontre de l'obligation qu'ont les Pa-
yeurs de Tenfeigner , de celle qu'ont les peu-
ples de s'en faire inftruire.
Il n'y avoir point de Paroifie , où il ne fit
au moins une prédication. Qu'il y eût peu
ou beaucoup de monde , tout lui étoit égal ,
parce qu'il ne cherchoit que la gloire de
Dieu , & que la gloire de Dieu fe trouve
dans le falut d'une ame. Il parloir avec tant
de feu , tant d'énergie , de la néceflité de
faire pénitence , qu'avant que la calomnie
l'eût déerédité 5 on le regardoit comme un
Ange prêt à fraper dans la juilice ceux qui
ne profiteroient pas d'un refte de miféri-
corde. Il varioit cependant à propos , ou le
tout ^ ou les différentes parties de fa ma-
tière , avec une admirable fécondité ^ & on
Ta vu prêcher le même jour dans les huic
ParoiÛes d'Evreux huit fermons différcns,
& tous fur la fainte Vierge,
Ev
I oo La Vie
■ Dans tous fes difcours ii tcndoit à donner
^^^- aux peuples une haute idée de Dieu, à im-
- ^^* primer profondément dans leurs cœurs Con
amour ôc fa crainte -, à leur faire fentir que-
tout le bonheur de Thomme confiée à fervir
ce grand & fouverain Maître. Il leur appre-
noit enfaite à s'approcher dignement de la.
Pénitence ôc de la fainte Euchariftie. Pour
aie pas rrop charger leur mémoire , il leur
difoic peu de chofes à la fois ^ mais ce peu de
chofes , il le difoit avec tant d'onction , it
réclairciflbit par des fmiilitudcs fi bien mé-
nagées , qu'on a remarqué , & lui , comme
les autres , que les enfans même le fuivoient
parfaitement bien.
Ces enfans , par le moyen defquels l'A-
pôtre des Indes réforma plus d'une fois de-
nombreufes familles, furent un des grands,
objets de l'attention du pieux Archidiacre..
II voulut que les Curés , au lieu de les aban-
donner à leurs petites paiRons , les portaf-
fent de bonne heure à la vertu. 11 ne fouffrit
ni qu'on différât à les confeffer , jufqu'à ce
qu'ils euflent fept ans accomplis, ni qu'on-
les affemblât tous cnfemble le Jeudi faint ,
pour leur donner une abfolution générale..
11 établit par tout où il put le faire , des maî-
tres & des maîtreffes d'école. Il veilloit par
lui-même ou par d'autres fur leur dodnne ,
fur leurs mœurs , fur la manière dont ils fai"
foient les fondions dé leurs charges.
Les Sages- femmes, dont l'emploi décicfe
ÊfouYcntdufal^it'éeernel ,fi'^apoicm p«.
DE M. BouDON Liv. T. 107
Il Ton zélé. Il les interrogeoit publiquement ^ "
il leur apprenoir , quand il en eroic befoin , ^f^i,,
la matière &: la forme du Baptême. 11 les
exhorroit à donner en roures chofes bon
exemple , à garder invioîablement le fecrec
des familles, à s'approcher fouvent des Sa-
cremens.
Ce détail , qui commence peut être à rc*
buter la patience du Lecteur, ne fufïîfoirpas
à la charité de M. Boudon. Il vouloir fça-
voir le nombre des habitans de chaque lieu ,
& connoître en gros les mœurs du canton.
Il tâchoit de réconcilier les ennemis , de ter-
miner les procès : & fa dextérité fourenue
d'un jugement exquis lui en a fait finir un
grand nombre. Il mettoit la paix &c la règle
dans les fam.illes , comme s'il en eût été le
père. Il n'y fouffroit aucun mauvais livre. Il
y multiplioit les lits, quand le fexe Ôc l'âge
commençoient à l'exiger.
Il avoir un regiflre des pécheurs publics,
&: de ceux qui manquoient au devoir Paf-
chal. Il \qs alloit trouver dans leurs mai Ions >
Se quelquefois jufques dans les champs où ils
faifoient leurs travaux. Il leur parloir en par-
ticulier , & avec une bonté paternelle , pour
les ramener à leur devoir. Quand ils cé-
doient à fes remontrances ; Se combien de
ceux-mêmes qui paroiiToiem les plus infle-
xibles . y cédèrent ! il les embralfoir avec
tendrefle , Se leur donnoit toutes les mar-
ques polTibles d'amitié. Quand au contraire
lis lui réûHoieiu eu face , fa maxime étok:
vioS La Vit.
•' "■ ' de ne les pas tourmenter, mais de prier
& fuiv. P°"^ ^"^ ' ^ d'attendre avec patience les
* momens marqués de Dieu pour leur |€on-
verfion.ll difoit à ce fujet, que les Curés«qui
» pour empêcher le mal , ufent d'un Hylc
» fier ôc impérieux , ne font qu'augmenter
« le défordie " -, ôc qu'au lieu de gagner la
confiance par la douceur , ils s'attirent une
haine qui éloigne d'eux pendant la vie , quel-
quefois même à la mort.
Ce fut par cette douce 3c ferme patien-
ce , que l'Archidiacie arrêta infenfiblem.ent
un nombre prodigieux d'abus ,. que le dé-
mon de l'ignorance Ôc du libertinage avoir
introduits. Les jours de Dimanches & de
Fêtes étoient profanés par les jeux de ha-
sard, par les danfes , par l'ivrognerie j il
leur rendit leur fainteté primitive. La fupcr-
iîition regnoit dans les campagnes , il en
coupa jufqu'à la racine. Les Confrairies
avoient dégénéré en afTemblées tumultueu-
fes y il y remit l'efprit de paix Ôc de Religion
qui les a fait naître, Ôc qui doit les confer-
ver. Le luxe , l'infolence , les nudités fcan-
daleufes fe plaçoient impunément jufques
fur le marchepied des Autels , il s'oppofa
comme un mur à l'abomination de la défol-
iation : & s'il ne fit pas toujours des Magde*
leines*, il leur épargna du moins les con-
quêtes facriléges.
Tant de bonnes œuvres demandoient du
* On n'entre point ici dans la fameufe quefti n de Ti-
^entité de Magdeleine avec Ja pécherefle. On parle félon
^ïufage vulgaire , ^li n'cft pas toujours le mieux appuyée
DE M. BouDOK. Liv. r. ro^
tems & des peines : mais Boudon qui ne fe ■
croyoic pas Archidiacre pour courir de Pa- J*^^^
roifle en Paroiffe , & y percevoir fes droits ,
ne ménageoit ni Czs peines , ni fon rems. Il
eut fur-roue befoin de patience 6c de fer-
meté j quand il lui fallut entreprendre la ré-
formation des Eccléfîafliques j car un Prêtre
qui eil mauvais , Telt prefque toujours plus
qu'un Séculier.
Pour procéder avec ordre ôc avec fagefle
dans une aiîaire, dont il fentoit toute la dif-
ficulté , après avoir réglé ce qui concernoir
le culte de Dieu -Se le falut des peuples , il
cntroit dans la Sacriliie , ou dans le Presby-
tère. Là , il fe faifoit rendre compte par cha-
que Eccléfîaîtique en particulier , de fon
exactitude à partager fes plus précieux mo-
mens entre Toraifon ôc i'érude ; de fon alîl-
duité à remplir les devoirs , Ôc à porter con-
f^ammcnt les marques de fon état ^ àts
précautions prifes ou à prendre , pour n-e
fouiîrir dans fa maifon aucune perfonne(uf-
pecte. Cet examen étoic fuivi d'avis falu-
tai;es ; 8c ces avis étoient prefque toujours
donnés de manière à ménager lafoibkfje 6c
Tamour propre de ceux qui les recevoient.
Quand il trouvoit des Payeurs, ou d'au-
tres Eccléfiafliques , qui menoient une vie
digne de leur profeiïïon , à peine é'"oit - il
maître de la joie fainte dont fon cœur étoir
pénétré. Il les louoit publiquement , pour
leur concilier l'ertime & la vénération des
peuples. 11 rcprenoic avec une juftc févérité
ic fuiv.
iro La Vie
les ParoifTieiis qui ne répondoienr pas à leur
iL^rlt' ^^^^' ^^ ^^^^ procLiroic , s'ils n'en avoienc
pas encore , des Bénéfices , ou des emplois
conformes aux talcns qu'il avoit remarques
en eux.
Mais , Oc nous l'avons déjà infinué , ils'ea
fallut bien que le Diocèfe n'offrît à fes yeux
que des Minières fi accomplis. Il en trouva
qui ne lui préfentercnt que le plus Icanda-
Icux & plus affligeant fpcCtacle. Les uns ne
s'étoient frayé la route du Sanduaire,que par
la fimonie ou la confidence. Les autres tou-
jours riches pour la chafie . le jeu &c la bon-
ne chcre , ne l'étoient jamais pour la mifcrc
& l'indigence. Ce fut contre ces défordres ,
âc contre ceux qui en faifoient profeiïîon ,
que l'Archidiacre s'arma du double glaive
qui lui avoit été confié. Il commença par
celui de la parole : il repréfenraà ces diffé-
rens profanateurs le malheur d'une voca-
tion défedlueufe , ôc plus encore d'une vo-
cation fimoniaque; il démontra par des
exemples , dont il avoit lui - même été té-
moin , la fin tragique de ces entrailles de
bronze, qui ne fe reftifcnr rien , pour avoir
droit de refufer tout aux befoins du pauvre.
11 peignit d'un crayon de feu l'horreur du
fcandale , fur -tout quand il eft donné par
ceux que leur état engage à ne donner que
de bons exemples. A ce premier glaivCjquand
il le vit abfolument inutile , il fit fuccéder
celui des cenfures : il fufpendit de leurs fon-
dons y ou retrancha de laCotirmunioa (te
DE M. BOUDON. LlY. î. IIÏ
Fidèles une troupe de malheureux , qui n'y "^^^
rertoienr que p©ur la déshonorer. ^ ç^^^
Ce fut alors qu'Eiaii , au lieu de cris ,
pouffa des rugilïemens. Chaque coupable
ayant vu dans le traitement de fon voifm ce
qu1l avoit à craindre pour foi , il s'éleva une
nuée de voix, qui firent de Boudon le plus
noir de tous les hommes. On le traita d'am-
bicieux , d'ennemi de la paix , d^accufateur
de fes Frères. On s'efforça d'indilpofer les
peuples contre lui, & de donner un air de
ridicule aces mêmes dircours,que Dieuavoic
jufques-là vifiblement bénis. Pour lui , fans
ceiler jamais d'aller toujours en avant , il
n'oppofa que le devoir & la patience à dts
rraitemens fi peu mérités j & û dans ce teuTS,
qui ne fut pour lui qu'un premier effai de dif-
grâces, il déchut un peu dans l efprit de quel»
ques perfonnes , les gens de bien &c d'hon-
neur lui confervercnt toute leur cfiime. En
voici un exemple afiez fingulier.
Un gentilhomme qui avoir^ plbfieurs Bé-
néfices à fa nomination , s'étant un jour
trouvé dans une nombreufe afTemblée de
Curés, la converfation tomba fur 1 Archi-
diacre. Dan s un moment elle d." vint des plus;
-vives : & tel , qui dans un prone auroit parlé-
de Tenfer d'un ton froid a glacer , fe trouva
plein de feu , quand il fallut parler d'iHi hom-
me abfent & innocent. Tout y alloic donc
^ebon train , lorfque le Seigneur dont j'ai
parlé , dérouta un peu la pieufe conférence.
« Meifieuts , dit-il dune voix trà-fémiif^ »
ÏT2 La Vis
^ " je ne connoispointM. TArchidiacre. Jene
1656. " l'ai jamais vu. J'en ai feulement entendu
[SLimv, j> parler. Souffrez que je vous demande
*■ » comment il fe peut faire , qu'il foit tel que
« vous le dépeignez , puifqu'une infinité de
" gens d'honneur & d'une vie irréprocha-
« ble en difent tout le bien poifible. Vous
9' en faites un diable , ne feroit - ce point ,
" parce qu'il veut vous faire des Anges. « A
ces mots l'entretien finit , mais le dépit Ôc la
haine ne finirent point.
Comme les exhortations , les cenfures
mêmes , qui tant de fois ont ramené au de-
voir les puiflans du fiécle , font de foiblcs
rcflburces contre un Prêtre, qui s'eft accou-
tumé à manger ëc à boire fon jugement :
Boudon connut bientôt , que pour réfor-
mer folidement le diocèfe d'Evrcux , il fal-
loir & former de nouvelles plantes pour
remplacer les anciennes , & tâcher de nour-
rir en elles l'cfprit de force & de vigueur,
qu'une première culture leur auroit donné*
Dans cette vue il fit une exaéte recherche de
tous ceux qui fecroyoient appelles au faine
Miniftere. Il examina leur vocation & leur
talent. Il procura à ceux qu'il en jugea di-
gnes, les fecours dont ilsavoient befoin pour
faire leur Séminaire à Paris. La piété éclairée
qu'ils y puiferent , vint dans la fuite à l'appui
de fon zélé , Se fut la confolation de fa vieil-
lefle. Il auroit bien voulu faire quelque cho
fe de mieux , c'eft - à - dire , établir dans
Evreux même un Séminaire. Les circon^
l6<6,
Dî M. BouDON. Liv. I. 115
fiances du rems ne le permirent pas. Ce ne
fut que fous TEpifcopar de M. de Maupas , ^ç^y^,,
que cette grande affaire fut exécutée. Le Pré-
lat en fit les frais , le pauvre Boudon n'y put
contribuer que par Ces follicirations. Ce Sé-
minaire fut confié aux enfans du célèbre M.
Eudes. Là , comme ailleurs , ils éclairent
fans falle , ils édifient fans afïedlation.
A ce premier fecours^qui faifoit entrer les
jeunes Minières dans la voie droite , l'Ar-
chidiacre en joignit un autre , qui les em-
pêcha de s'en écarter. Ce fut celui des Con-
férences fpirituelles , c'ell à-dire , de ces
entretiens fimples Se familiers , où plufieurs
perfonnes par une fage direction d'une vertu
ou d'un vice , s'apprennent avec (implicite
Se fans s'ériger en maîtres , les raifons & les
moyens de pratiquer l'un , & d'éviter l'au-
tre. Ce projet dur naturellement être, & fut
en efïetdu goût de M. de Maupas, qui ayant
été toujours extrêmement lié avec S.Vincent
de Paul , devoir connoître mieux que per-
fonne les grands biens dont fes Conférences
avoient été l'inllrumenr. D'ailleurs celles
que le pieux Dominique Georges ^> Abbé
• Dominique Georges naquit à Cuîtrl proche Longwi
cniôij. II fut fait Curé de Circourt aa diocèfe de Toul
en 16^7 Obligé par les guerres à quitter la Paroiïïe , il
pafla douze ans avec Melîîe'irs de S. Nicolas du Chardon-
net. Il fut dans la fuite Curé du Pré-dauge , & puis Abbé
du Val.- Ficher , où il établit des Conférences , k Tinftar
de celles de S. Vincent de Paul , fon intime ami. Il fit
par-tout de grands biens , & mourut plein de jours & de
mérites le 8 Novembre 1653. ^"^ ^'^ ^ ^^^ écrite par JC
l'çre Buffier.
î 1 4 L A V I î
■ ôc Réformateur du Val Richer , commcn-
* ^ ' çoit à établir enNormandiejavoient un û heu*
reux fuccès , qu'on crut avec raifon ne pou- -
voir trop les multiplier. Boudons'y rrouvoît
fouvenr, foit à Evreux, foit dans ks vifires. Il
y parloit avec autant de modeftie , que le
dernier de ceux qui y afliiloienr. 11 les exhor-
toit tous à s'y rendre exadlement : fes yeux
étoient les interprètes de la joie que fon
cœur en reflentoit \ ôc Ton peut dire que fcs
larmes ont confacré la naiflance de ces vé-
nérables ailcmblées. Mais il recueillit enfin
dans la joie , ce qu'il avoir femé dans les
pleurs ; & malgré la cabale ôc l'envie , il fera
toujours vrai dédire, que le Diocèfe d'E-
vreux lui doit en grande & très -grande pai-
rie fa rénovation & fon luftrc,
— — Quelque occupation que lui donnât fon
^^7' emploi , fur-tout les premières années , il
' s'en falloir beaucoup qu'il fuffît à l'ardeur
& à rétendue de fon zcle. Ainfi, après avoir
trouvé en lui un Prédicateur tendre & véhé-
ment , un Diredcur éclairé , un Archidia-
cre accompli, la fuite de fon hiftoire va nous
y découvrir un Miflionnaire infatigable. Il
■e(ï vrai que le défaut d'un plus grand nom-
bre de monumens nous réduira à un dérail
afiez borné s mais ce détail , malgré fes bor-
nes , nous fera connoitre , à n'en pouvoir
douter , que la main de Dieu fut par-tout
avec ce vertueux Prêtre, & qu'elle y fut
d'une manière très-didinguée.
Dès qu'il avoit fini fcs vifites, qui étoient
[6)7-
DE M. BoUDON. LiV. L IIJ
h feule fondtion qu'il eût à remplir en ver-
tu de fon ArchidiacoiK^ , il fe mertoic tn &"iuiv.
campagne pour annoncer de B<juigade en
Bourgade , 6c de Ville en Ville le Royaunte
de Dieu. Pour participer aux bénédictions
que Dieu répandoir dans les pays étrangers
ilir le travail de fes anciens AiTociés , il n'y
avoic point de bonnes œuvres qu'il ne prati-
quât pour les mérirer. Une retraite de pla-
fieurs jours , tantôt dans un lieu , tantôt dans
un autre , éroit toujours le prélude de Ces
Millions. C etoit-là qu'H prioit Dieu de l'en-
vover où l'intérêt de fa gloire vouloit qu'il
aliât : car d'ordinaire il fortoit d'Evreuxfans
avoir d'objet déterminé Un fentiment qui
tenoit de l'infpiration, le fixoit bientôt j à
rinftant il pourfuivoit fa route, fans jamais
dire à perfonneoù elle devoir aboutir ; parce
qu'il avoir remarqué , que quand fon fecrec
avoir tranfpiré, il fembloit que les démons
priffent le devant pour indifpofer contre lui
les efprits & les cœurs.
Du refte , il parut cent fois que c'ctok
Dieu loi même qui dirigeoic les pas de fon
ferviteur. A peine étoit-il arrivé dans un
lieu , qu'il y trouvoit un nombre de perfon-
nes, qui deftituées de tout autre fecours,
fembloient l'attendre comme l'Ange de la
Pifcine. En voici un exemple , qui ne peur
être ni plus sûr , ni plus convaincant , de qui
d'ailleurs confirme parfaitement ce que nous
avons dit de fapreixuçre vifite à l'Abbaye de
S, Sauveur.
11^ La Vit
— - Une Rcligîeufe Carmélite quî ctoît Prîcif-
^^7' rc en Bretagne , le trouvoit dans un état de
trouble Se d'obfcurité , dont elle étoit extrê-
mement fatiguée. Le lieu où elle faifoit fa
réfidence, ne nianquoit ni de Prêtres éclai-
rés y ni de Doéleurs qui fuflent verfés dans
les voies intérieures : mais tous avoient une
fî haute idée de fa vertu , que leurs décifions
lui paroifToient fufpeâ:es. Un foir, que fa
peine , plus vive qu^à l'ordinaire , l'empê-
choit àe repofer , elle pria avec une admi-
rable fimpliciré le Fils de Dieu , de lui en-
voyer quelqu'un à qui elle pût s'ouvrir , &
fur qui il lui fût permis de compter. « Le
»* lendemain , ceff elle qui va continuer ce
^ récit y on vient me dire que M. Boudon
»> me demandoit. J'en fus d'autant plus fur-
i> prife 5 que je le fçavois à vingt- cinq lieues
« de-là , que l'hyver étoit très-avancé , que
** pendant cette faifon les chemins font im-
w praticables en ce pays . . . Après donc qu'il
» eut achevé les adles d'adoration de la fain-
" te Trinité , & falué les SS, Anges , comme
>^ il faifoit , quand il entroit la première fois
w dans une ville » je lui demandai d'abord ce
" qui pouvoir l'amene'r dans ce lieu pendant
'' une telle faifon. Il me répondit : C'efl
« vous qui m'y faites venir. Cela me parut
" aflez furprenant : mais ne pouvant tout à-
« fait le croire, je lui demandai encore s'il
w feroit quelque féjour dans le pays j à quoi
" il répondit : Autant feulement que vous
»> en aurez befoin , car je ne viens que pouy
BE M. BouDON. Liv. I. 117
wvous. Ce coup de la divine Providence
•» me donna moyen d'expofer avec facilité J^^^*
»> <k ouverture de cœur le fujet de ma peine:
w Ôc j'en trouvai fi pleinement le remède en
» ce vrai fervireur de Dieu , que depuis cet
» heureux jour , jamais je n'en ai reflentid'at»-
« teinte. Ce voyage profita encore à plu-
w fleurs Maifons religieufes , qui s'empreflcf
>•* renr de le demander pour conduire leurs
w retraites, & qui en tirèrent tant de fruit Ôc
« de confblation , que M. l'Evêque lui en
V marqua fon eftimc ôc fa reconnoiflance. w
Or , ce que dit ici cette Révérende Mère,
c'efl: précifément ce qu'ont dit dans tous les
tems les perfonncs de fa profeiïïon , qui ont
eu le bonheur d'entendre rArchidiacrc d'E-
vreux. "Je ne puis , lui écrivoit une vertueu-
>■> fe Ui'fuline de Mombard , non , je ne puis
" aflez louer la divincPro vidence,pour le bien
" qu'elle nous a fait de vous envoyer ici.
" Vous y avez , M. apporté une fi grande
^ bénédiction , qu'elle s'efl: répandue fur
" toutes , mais particulièrement fur mes
" fœurs du Noviciat , qui fc trouvent plus
» ferventes, plus animées qu'elles n'écoienr.,,
» Depuis que vous nous avez parlé , il me
" fcmble que je n'ai plus de peine à rien , ôc
*» que je n'en feaurois même avoir , parce
>* qu€ la peine même , portée en vue de
5^ Dieu , me fembie délicieufe. Ce n'eft pas
»j que j'y fois infenfible : mais la penfce que
»* cela plâit à Dieu , l'emporte fur le fenti-
« ment. C'cd un des bons effets de votre
riS La Vie
- " Miiîîon j Se j'efpere que la fidèle coircf-
r657' f* pondance à la grâce de notre état en fera^
>» un de vos charitables prières. »*
Mais ce n etoit pas feulement dans dcs'
terres fi bien préparées , que la femence jet-
rée par le fainr homme , donnoic une abon-
dante récolte. Le fonds le plus ingrat deve-
noit fertile fous fa main. Il parloit avec tant
de lumière ôc d'ondtion , qu'il étoit fouvcnc
obligé d'interrompre fon difcours , pour
donner à fcs Auditeurs le tems d'arrêter leurs
fanglots & le cours de leurs larmes. C'ert:
<le quoi la ville de Vannes a long- tems rendu
un témoignage auffi confolant pour elle ,
que pour lui. Quand il paflbit quelque tems
dans un lieu , on n'y voyoit que ConfelTions
générales , que rellitutions de toute efpéce,
que converfions finceres. Laiffant la con-
rroverfe à ceux que les Supérieurs jugeroient
à propos d'en charger ^ il ne s'attachoit, mê-
me dans les lieux infedés dhéréfie, qu'aux
grandes vérités de la Morale Evangélique :
mais auflî il les traitoit avec tant d'énergie ,
qu'on ne fe lafibit point de l'entendre. A
Mons en Hainaut , Dieu donna de fi gran-
des bcnédiélions aux Sermons qu'il y prêcha,
que le concours y fut toujours égal , malgré
les incommodités de la chaleur. De Mons
la Providence le conduifit à Anvers , & elle
y fît en lui & par lui fes miracles ordinaires.
Au refte, ce n'étoit pas feulement le menu
peuple , juge aflcz équivoque , qui fait tou-
jours le gros d'un Audi toircic'étoient des peC"
DE M. BouDON. Liv. L 119
formes capables de décider en maîcres , quel- '
quefois même engagées par un intérêt fecret ^^H/
à décider moins favorabkmenc , qui rcn-
doient juflice à fes talens pour la Chaire.
Dans une MiiTion qu'il fit à Bourdeaux ,
Miiïion pendant laquelle il prêcha au moins
deux foix par jour , il n'y eut ni rang , ni
condition , qui ne fe fit un plaifîr Ôc un de-
voir de rentendre,(Sc cela dès le grand marin.
Le Provincial d'un Ordre célèbre le fuivoic
ôc le faifoitfuivrc exactement par un grand
nombre de perfonnes,qui étoient fous fa con-
duirc.lltouchoit,ilenlevoitfi puiflammentlcs
cœurs , qu'un homme de qualité , qui n'eni-
ployoitfon tcms , fes biens ôc fa perfonnc,
q-i'à faire des charités continuelles au-de-
dans ôc au -dehors du Royaume , lavant une
fois entendu , s'écria tout haut du milieu
de l'Auditoire : N^ori ,je ?i' ai jamais ouï par-
1er de la forte , ra mettre les vérités dujaluù
dans un fi beau jour > & les publier avec tant
U'onciion,
C'étoit pour honorer de û beaux talens ,
3c beaucoup plus encore la vertu qui leur
fervoit d'appui , que les plus grands Prélats
Ôc les perfonnesde la première condition lui
-donnoient à l'envi des marques décifivcs d'ef-
rime ôc de vénération. Pendant le féjour
qu'il fît à Bordeaux , l'Archevcque le vitplu-
fieurs fois , ôc le mena à fa maifon de campa-
gne , pour lui communiquer à cœur ouvert
des affaires importantes. A peine étoit-il ar-
rivé dans une Ville , qu'il écoic tout furpris
I20 La Vie
*' d'y trouver un appartement déjà préparc
icijiy, P^^^ ^^^ > ^ ""^ io\i\ç de perfonncs du pre-
mier rang, qui s'y étoient aflemblées pour le
voir ôc pour l'entendre parler de Dieu. On
le partagcoit en quelque forte , afin de l'a-
voir quelque tems chacun à fon tour. Ceft
ainfi que par une tranfadtion de douceur ,
l'Archevêque de Cambrai céda aux RR.
PP. Carmes le plaifir de le loger , & que
ceux - ci cédèrent au Prélat le plaifir de
lui donner fa table. Il n'y avoit vraifcmbla-
blement qu'à gagner au change j mais ce
genre de gain étoit une perte pour un hom-
me aulTi pénitent que l'étoit Boudon : & il
i'a fait connoirre en bien des occafions.
Un jour après avoir prêché chez les Ur-
fiilincs de Laval , où toute la ville s'étoic
rendue pour l'entendre ^ on lui fervit , auffi-
bien qu'à plufieurs amis de la Maifon , tant
Iccléfiaftiquesque Séculiers , un repas ma-
gnifique. L'homme de Dieu laifTa aux Con-
vives , qui n'y étoient venus que pour kii hi-
fc honneur , une pleine liberté de manger (Se
déboire : pour lui , à l'exemple de S. Char-
les Borromée en pareille occafion , il ne
vouiuttoucher à rien. Seulement, pour n'y
être pas tout-à-fait fpeclareur oifif, il fit à ia
compagnie undifcours fort touchant fur Té-
dification qu€ doivent donner les perfonnes
qui fe font confacrées à Dieu , foit par la
Religion , foit dans l'état Eccléfiafiique. Il
ajouta qu'après avoir prêché la mortifica-
tion , on détruifoit foavem par une forte de
fenfualité
DE M. BoUDON. LiV. I. 12 1
feiifuaîiré tout ce qu'on avok dit de mieux
en faveur de la pénitence.
S'il pratiquoit fi bien fes propres leçons en
matière d'abflinence , il ne les pratiquoit pas
moins bien en matière de défuitéreffemenr.
Sa méthode étoit d'aller en million un bâton
à la main , & de ne prendre jamais plus d'ar-
gent , qu'il ne lui en fàlloit pour la dcpenfc
d'un jour. Malgré une pauvreté fi exceiTive,
on paît dire , à parler en général , qu^il ne
manquoit de rien. Il a même avoué plus
d'une fois qu'il eût pu aifémfnt devenir ri^
che j parce que quand il étoit fur fon départ ,
on lui apportoit de l'argent de tous les côtés »
& que fouvent il crouvoit fur la table de fa
chambre des bourfes remplies d'or. Mais ce
digne enfant de la Providence s'en remit tou-
jours à elle pour le lendemain. Ainfi tout ce
qu'il avoit de trop , étoit fur le champ âif-
tribué aux pauvres des lieux où il fe crou-
voit.
Au fonds , fi quelquefois la Providence
parut l'oublier , pour faire éclater fa vertu j
clje parut bien plus fouvent avoir pour lui
l'attention la plus finguliere. Après l'avoir
traité pendant fon féjour dans un lieu beau-
coup mieux qu'il n'auroit voulu ; on s'em*
prcfibit d'adoucir les fatigues de f^s longs Se
pénibles voyages j les ComtefTes , les Mar-
quifes , les Préfidentes lui procuroicnt des
voitures : quelquefois même malgré Ces in-
ftances, & quand une fevere bienféaiKe ne
s'y oppofoic pas , elles l'accompagnoiçnc
F
, 124 La Vii
1658. vu les tranfporter fur fcs épaules au milieu
Se fuir. cj£s fues les pi^j ficquenrées de la ville de
Caën , jufqu'à l'Hôtel-Dieu, qui ell à l'au-
tre extrémiré.
Il dévoie, après Dieu, ce fonds inépuifabic
de vertus aux leçons & aux grands exem-
ples du R. P. Jean-Chryfoftome , Religieux
Pénitent du Tiers - Ordre de S. François j
homme fi zélé pour la difciplinc régulière ,
qu'il aima mieux rcfufer une fomme confi-
dérable qu'on lui otfroit , pour rebâtir une
àcs Maifons de fa Province , que de man-
ger avec un pieux Séculier , oui cependant
n'a voie attaché fon aumônift cette condi-
tion , que pour profiter de (gs difcours ; Ci
charitable , que pour épargner à de pauvres
Eccléfiafliqucs l'humiliation de la mendicité,
il partageoit avec eux le bien qu'on faifoit à
un Couvent dont il étoit Supérieur ; 11 plein
d'ardeur pour Tabiedliion , qu'il avoit fait
vœu de fe faire méprifer autant que Tordre
de Dieu le lui pourroit permettre j Se de
jeûner cent jours en l'honneur de S. Jofeph ,
fi par fon interceflion il pouvoit réuiïir à
n'eiïuyer que des rebuts & des mépris de la
part de tous les hommes.
Tel étoit celui que la Providence avoit
donné pour directeur à M. de Bernicres. Il
en profita , & pendant la vie de ce faint
homme , & après fa mort *. Dans le tems
que Boudon le fut vifiter , il avoit fait bâtir
• Le p. Jeaa-Chryfoftomc mourut le %i Mar$ i64<,
l^é 4e 5;» ans.
DI M. BOUDOK. LiV. I. I2J
dans la ville de Cacnune efpéce de petit her-
mirage.où renfermé avec un petit nombre d'a-
miSjil paflbit les mois entier s dans la contem-
plation des vérités éterncUcs.La vie qu'y me-
noit cette troupe d'élite , étoit une vie toute
de filence ôc d'oraifon. Si la nature y trou-
voit le néceflaire , elle n'y rrouvoit rien de
fuperfîu. De Bernicres , quoique riche ôc
noble , n'y étoit fervi qu'en vaifTel le de terre.
Un peu de pain bis & une nourriture grof-
fiere faifoicnt tout l'entretien du corps. En
récompenfe cette aimable folitude étoit une
école de vertus j^ Je puis aiïlirer , dit notre
>■» Archidiacre , témoin oculaire , qu'ayant
« eu le bonheur d'y pafler deux ou trois mois,
w je n'y ai jamais ouï pendant ce tems , d'au-
» très entretiens que ceux de l'oraifon. L'on
» n'y parloir d'autre chofc , même durant
w la récréation. Et ce qui eft de plus mer-
» veilleux , e'eft qu'on ne s'en ennuyoit ja-
» mais. On y paffoit les fours, les mois . les
« années à parler toujours de la même cho-
>' fc : & cette chofe unique paroi ffoit rou*'
>' jours nouvelle , parce qu'elle ne tendoit
» qu'à Dieu feul , qui eft le centre de nos
» amcs , & le lieu de notre repos. Quand
*• M. de Bernieres fortoit de cet hermitage
>* pour vaquer aux affaires de fa charge , ii
y* ne perdoit jamais la préfence de la Majefté
s> divine , & il s'en rcvenoit chez lui pour
« fe plonger encore plus dans l'oraifon , ôc
" s'unir plus étroitement à Dieu qu'aupa-
» ravant, »
FUj
T2r^ La Vie
II avoîtnnc fi grande eftime pour les pcr-
fonnes éminentes en piété , qu'il les chcr-
choit par - tour. Il ne faifoit de voyages ,
comme il l'a quelquefois dit lui-même , que
pour trouver des Saints. Il avoir avec tous
les vrais Serviteurs de Dieu une union fi
intime , que s'étant en quelque forte appro-
prié leur grâce, après avoir pafle tous les
degrés de loraifon ordinaire , il étoic s'élevc
à ce qu'il y a voit de plus fublime dans ce
genre.
Tout Laïque qu'il ctoit , on ne peut dire
avec quel zélé il s'employoit au falut des
âmes , ni comprendre la multitude des pcr-
fonncs de tout état , qui s'adrefîbicnt à lui
peur avoir fcs avis. Séculiers , Ecclcfiaftt-
ques , Religieux , tous le confultoicnt j &
de CCS derniers, il y en avoir plufieurs de
différcns Ordres , qui airaoient mieux faire
leur retraite chez lui , que dans leurs Mona-
•fteres.
Sa confciencc étoit fi puce , qu'il fe con-
-fefibit d'avoir fenti trop de joie dans un pè-
lerinage de dévotion , qu'il avoir fait avec
des perfonnes d'une éminenre vertu : c'eft
qu'il craignoit que la nature n'y eût un peu
trouvé £on compte j & qu'il n'y avoit dans
fon cœur ni angle , ni coin , dont il ne vou-
lut la chafler. Il avouoit confidemmcnt à
fon ami , notre digne Archidiacre , que la
défolation entière d'une Province , où roue
ce qu'il avoit de plus cher au monde feroic
enveloppé , lui fcroit , en n'y confidéranc
DE M. BouDON. Liv. I. 127
que le mal temporel , beaucoup plus fup- "^TT
portable , qu'une adlion indifférente : parce & fuiv',
qu'il n'y a rien dans les opérations d'un Chré-
tien , c'efl-à-dire , d'un homme qui doit nc-
cefTairement cire animé de l'efprit de J. C.
qui ne doive être furnaturel ôc divin.
Tels étoient les fentimens ôc les difpofî-
tions de ce grand ferviteur de Dieu. On peut
bien compter qu'un homme comme Boudon
ne fervit qu'à les fortifier. Le P. Jean-Chry-
foftome ayant dit une fois à M. de Bernieres ,
que la pauvreté adluelle ctoit l'eflence de fa
grâce , ôc que jamais il n'auroit de repos ,
qu'il n'y fût comme dans fon centre : il ne
ceiTapas depuis ce tems de foupirer après ce
riche tréfor , dont la penfée en effraye tant
d'autres. Boudon , le pauvre Boudon , «5^ qui
avoir faitvœu de l'être toute fa vie , charme
de ces beaux fentimens , l'exhorta à fuivre
les impreffions d'une grâce fi forte. Il lesfui-
vit en effet , & ce fut fans réferve qu'il les
fuivit. Il aida de Ces aumônes à bâtir des Sé-
minaires, des Hôpitaux , des MaifonsReli-
gieufes. Il fit couler dans la Chine , ôc dans
toutes les contrées du Canada , des fommcs
abondantes pour y entretenir la foi & ceux
qui Tannonçoient^ Le reffe de fon bien fut
remis à ceux à qiji il apparrenoir par les droits
du fang 5 ôc dans (es dernières années , de
Bernieres ne vécut plus que des libéralités
de fa famille. Ainfi , quoique Boudon n'aie
pas eu la gloire de contribuer aux premières
vertus de ce refpeclable Seigneur ; il eil
Fiv
iiS La Vu
pourtant vrai que ce fut lui qui le conduî-
fit à ce haut degré de juftice où il arriva , &
que ce fut par Ces confeilsqu il fit en France
&hors de France ces biens de toute efpéce,
qui ont rendu fon nom û refpedable. Auifi
avoit-il pour les avis du faint Prêtre la plus
parfaire déférence : Il le chargea même plus
d'une fois dans le facré Tribunal du foin de
fa confcience i & bien loin de prendre k
change fur fon compte , lorfque la calomnie
commença à s'élever contre lui à loccafion
de fesvifites, il répondit conllamment , que
M. le grand Archidiacre d Evreux auroîi
toujonrs une reflource dans fa maifon , Se
qu'il fe trouveroit heureux d'être calomnié
éc perfécucé pour lui.
Au refte , ôc c'eft une cîrconQance dont
la piété du leéteur nous imputeroit l'omif-
fion ; ce vertueux Thréforier mourut "^ com-
me il avoit vécu. Le jour qui fut le dernier
cîe fa vieil n'avoir eu aucune atteinte de mal.
Un Domeftique chargé de Tavertir tous les
foirs , que le tems de fon oraifon étoit fini,
parce que fans cette précaution il eût donné
à la prière le tems qu'il devoit donner au
fommeil , étant entré dans fon appartement
pour s'acquitter de fa commiflîon , Louvi-
gni le pria avec fa douceur ordinaire de lui
donner encore un moment. Ce moment ,
* M. de Bernieres mourut le } Mai itf'59.?.géde 57
ans. Ainfi les vifites que lui a rendues M. Boudon , ont
précédé fes grandes perfécutions. Celles-ci ne commen-
cèrent que vers 1666, comme nous le dirons bicncOt.
DE M. BoVDON, Liv. I. 119
qtiî félon les apparences ne fe mefura pas a — —
la minute , éranr fini , le Domeftique rentre g^^fî^y.
ôc trouve fon bon Maicre à genoux , mais
fans mouvement Se fans vie '^, Son ame per-
due dans le fein de la Divinité , n'avoir pu
revenir à lui* Son corps fut enterré aux Ur-
fulines de Caen. Sur fa tombe il n'y eut de
fingulicr que ces mots , qui y furent gravés
félon £çs ordres : Jefus Chrifl efi mort -pour
tous les hommes. C'étoic fa devifc. Ce feul
mot : Cefi pour mon amour que le Fils de
Dieu s'efl fait homme , & quil tfl mort fur
la croix, rempliflbit fon cœur de la plus
douce confolarion. Il s'en fervoit pournour^
rir fa foi , pour animer fa confiance r pour
enflammer fon amour. Sçavoir fi dans fon
Chrétien intérieur il n'a point préludé aux
Maximes ^^ de Villuftrc de Salignae j ou fi ^
comme le crut Boudon , bien ou mal in-
formé y fon Livre ne fut fupprimé à Rome ,
que parce qu'il y avoir en Italie des gens qui
€n abufoient , c'efl un fait dont la difeuflion?
* La tradition de la famiile de M. de Louvigni- eft
^'ayam une frayeur extraordinaire de la mort , il avoir
loujours demandé à Dieu de mourir fubitemcnt. On me
mande de Caën , qu'«ne Religieufe Urluline de cç\x.z
Ville avoir prédit la mort de M. de Bexnicres trois joai>
avant qu'elle arrivât,
** Je trouve après coup dans la vie de TÂbbé du
■ Val-Richer CCS paroles , p. 185. <« Si la ▼erfion Italiennç
« qui fut faite de ce Livre ( le Chrétien intérieur) a paruf
» trop forte en quelques endroits au?: Cenfeuride Rome *
*a cela ne regarde aucunement le Livre » ni la pcr-
»foruie de M. de Eernieres. » Ceft-à-dirs que k trada-
ilion du Chrétien intérieur aura tté altérée , & ceue allé—
HÙOQ coj>danince«
l'jo La Vie
\^^ g cft étrangère à THifloire que j'écris. Repre-
^ fliiv. nons celle du grand Archidiacre. Nous Tal-
ions voir comblé de gloire ôc d'honneur , &
un moment après raflafié d opprobres Ôc d'i-
gnominie.
■ Gilles Boutault , Evêque d'Evreux , Prc-
&7uiV, ^^^ ^^"'^ notre vertueux Prêtre fut toujours
beaucoup confîdéré , étant mort le 1 1 Mars
166^1, la Cour lui donna pour fucccfleur
Henri Maupas du Tour , qui avoit déjà:
gouverné le Diocèfe du Fui en Vêlai avec
autant de fagefle que de bénédidion. Un
de Tes premiers foins , dés qu'il eût pris pof-
feflîon de fon nouveau Diocèfe , fut d'étu-
dier le génie & le caradtere de fon grand
A rchidiacr e , dont apparemment on lui avoir
dit beaucoup de bien ôc beaucoup de mal.
Il l'eut bientôt approfondi , ôc par une fuite
naturelle il en eut bientôt connu le prix. 11
l'honora de toute fa confiance. Il voulut que
tant que Ces fonâ:ions ne Tappelleroient pas
ailleurs, il n'eût point d'autre table que la
iienne. 11 regarda Ces confeils comme autant
de règles de conduite pour lui. Il fut plus
loin encore , ôc perfuadé qu'il avoit trouvé
en la perfomie de M. Boudoiice dîfpenfa-
teur fidèle, qu'un bon père peut établir fur
foi-même ôc fur toute fa famille j il fit , fans
Fen avertir , un vœu particulier de lui obéir
en tout yôc afin que perfonne ne doutât de
fes fentimens , il le fit fon premier Grand-
Vicaire , Supérieur des Carmélites du ^
* C'eft-à-dire que les Carmélkcs du Ponteau-de-Mer le
DE M. BouDON. Liv. I. 131
Ponteau-dC'Mer , ôc mairrc de drefTcr de *
nouveaux Statuts, comme il le jugeroicàpro- ^^fuj>^
pos pour la gloitede Dieu , ôc pour le bien
de fon Diocèfe. En un mot , il lui donna
coup fur coup tant de marques d'eftime , de
tendreilCjde refpect même, que Thumble
Boudon en étoit tout confus. Des commen-
cemens fi beaux devoient-ils donc avoir une
fuite fi déplorable !
L'Archidiacre s'acquitta de ces différens
emplois avec tout le fuccès qu'en pouvoir
attendre celui qui les avoir mis en œuvre.
Pour commencer par Ces Statuts ^ on con-
vient encore aujourd'hui qu'ils fontfi fages,
fi propres à rétablir la difcipline , qu'ils peu-
vent fervir de règles à ceux qui travaillent fur
cette pénible matière. On y prefcrittout ce
qu'un parfait Eccléfiaflique doit fe prefcrire
à lui même : on y défend tout ce qu'il doit
s'interdire. En un mot on y bannit , on y
prévient m.ême tous les genres d'abus, qui
peuvent humilier TEglife ôc dégrader fes
Miniflres.
Ces ordonnances étoicnt trop raifonnf-
blés, pour être attaquées direàement. La
malignité , qui pour ne fe pas déceler elle-
même , garde quelquefois des mefures , aa-
roit donc peut-être été réduite au filencc ,
fiTArchidiacre, qui, lorfqu'il s'agifîbitdu
bien de l'Eglife , alloit toujours en avant ,
n'eût découvert qu'il fe répandoit en Nor«
lui ayant demandé pour Supérieur , avec la pcrmiffion de
kur propre Evéque , il le leur aceorda : car Ponreau-dt-
Mer n'eâ pas du Diocèfe d'Evreux,
F v)
132. L A V I E
mandie, &. particulièrement dans le Dio-
cèfe d'Evreux une fede de Fanatiques , que
le dangereux commerce de nos voifins avoit
infectes d'une bonne partie de leurs er-
reurs. Sans aller aufll loin que le fameux
Gomare ^ & fes adhérans, ils adoptoieni un
aiïezbon nombre de ics erreurs fur la grâce,
fur le libre arbitre , fur la mort de J. C.
pour le falut des Elus : matières , qui pref-
que dans tous les tems ont été Técueil de la
curiofité & des vaincs fpéculations de l'ef-
prk humain. On les méprifa d'abord \ &
c'elt une faute dans laquelle on ne fe Ia(Tc
point de tomber : mais bientôt un exrériein:
compofé , des aumônes répandues avec art ,
un commerce doux , des manières infmuan»
tes , des manufcrits bien travaillés ne tardè-
rent pas à multiplier leur nombre , & à le
rendre formidable. Ils le devinrent encore
plus par la manière dont ils fçurent fe dé-
fendre. Ils frapoient d'une manière fi dure
quiconque ofoit les attaquer , que lorfqu'ils
commençoient à s'établir dans un Canton,
l'innocence même n'ofoit leur jetter la pre-
mière pierre.
Boudon aimoit la paix *, mais il ne l'aimoît
pas au préjudice de la vérité. Ainfi dès qu'il
eût reconnu que les voies de la douceur
♦ Les démêles àç& Gomariftes avec l<s Arminiens font fi
connus desSçavans, fi inutiles '■> ceux qui ne le font pas ,
c;je je ne crois pas devoir m'y arrêter plus long-temps. Le
fyftèmc des pre niers , après avoir eu le defTus avec beau-
coup d'éclat , a tant perdu de terrein , qu'il n'eil pref^ue
|>h]s fuivi que dans les £coies de Genève.
I
DE M. BoVDON. LiV. î. 1 35
éroient mutiles , ôc que la contagion com-
mençoic à entrer dans le Sanctuaire , il ré-
foluc d'éclater. Il le fit à la manière du faint
Concile de Trente , c'eft-à-dire , fans nom-
mer perfonne : mais il le fit en même tem^
d'une manière fi forte , û détaillée , qu'il eût
enlevé à Terreur routes fes armes , fi la ré-
volte &. le mépris des Puifiances ne lui ea
euflent fourni de nouvelles. Lettres , manu-
fcrits, ouvrages faits ou à faire en faveur du
parti, tout fut interdit fous la plus rigour-
reufe cenfure ^ 6c les précautions furent en
ce genre portées à un point , dont je n'd
point vu d'exemples.
Si ce règlement fut applaudi de M. dt
Maupas & de tous les vrais enfans de l'E-
glife , il déplut horriblement aux parties in-
téreflées. Dès-lors Boudon ne fut plus qu'un
ûirieux du premier ordre. Sa perte fut ju-
rée i & on lui prépara plus d'anathémes,qu'il
n'en avoir décerné contre les Partifans du
nouvel Evangile. Mais avant que la fuite des
années nous découvre la profondeur du Ca-
lice amer , dont il fut enivré, il eft jufte ,
6c l'ordre des tems l'exige , que nous faïTions
çonnoirre une partie des fervices qu'il ren-
dit aux Carmélites du Ponteau - de - Mer ,
aulTi-tot que fon Evêquc lui en eût fait ac-
cepter la direction. Il eft beau de trouver
dans un feul homme des règles de conduite
pour des états fort différens.
Si l'eftime qu'on fait d'un emploi , porte
à s'ea bien acquitter , le grand Archidiacre
l6Cl
Ï54 ^ La Vie
ducréufllr en celui-ci. Quoiqu'il aimât tous
^°ùv. ^^^ ordres de TEglife , il avoir pour le Car-
mel un attrait particulier. Sainte Thérèfe
qui l'a réformé , fut toujours un des plus
tendres objets de fa dévotion-, ôc jamais il
n'en parloic qu'avec des iranfports, qui rriar-
quoientla liaifon de fon ameavec lafienne,
ôc la parfaite confiance qu'il avoir en fa puif-
fante interceflion. Il n'avoir pas moins de
tcndrefle pour le fage Ôc zélé coopérateur
de cette grande Sainte. Au nom feul de
Jean de la Croix , fes entrailles étoicnt pro-
fondément émues. Il l'appelloit ordinaire-
ment le Père de fon ame. Il lifoit fans cefle
i^s fublimes Ouvrages : il l'invoquoit
fouvent, il ctudioit fa vie , cette vie d'amour,
d'oraifon , d'auftérité , de travaux Apoftoli-
ques , & il s'efforçoit de l'imiter. Il le pro-
pofoit pour modèle , & dans (les difcours pu-
blics , &: dans fes entretiens particuliers.
De l'amour du Père naiflbit une fînccre
te conftanr e affed:ion pour les Enfans. Dans
its voyages H logeoit ordinairement chez les
Carmes Déchauffés , lorfqu'il fe trouvoit à
portée de leurs Maifons. Il célébroit fou vent
chez les Carmélites. En toute occafion il fc
fit un devoir de rendre aux uns & aux au-
tres tous les bons offices dont il étoit capa-
ble.
C'en fut un fignalé aux yeux de la foi ,.
que de maintenir Tordre, l'union, la fer-
veur dans le Monaftere du Pontcau-dc-Mer,
ê(. d'en écarter jufqu'à l'ombre de ce qui au-
DE M. BOUDON. LiV. L Ijj-
roîf pu en troubler l'harmonie. Le plan qu'il
reforma poury réuiTir, efl auffi beau qu'il
eft naturel.
Il vouloir, I*. que les Rcligieufcs enflent
toujours devant les yeux de la fin principale
àe leur Inilitut , & la vie de ceux que Dieu
avoir employés pour l'établir. CV/, difoit-il,
qu'une cQpie eft toujours plus parfaite , à me-
[ure qu'elle approche plus de [on original.
1^. Il s'appliquoir à ne recevoir que des
Sujers, dont la vocation ne fût ni fufpede ,
ni équivoque. Ceft pourquoi , lorfque des
parens demandoient pour une fille le voile
de la Religion , il ordonnoir exprefl'ément
â la Supérieure de les averrir du terrible
anathême, qu'a porté le Concile Trente con-
tre ceux qui forcent leurs cnfans à embraf-
fer un état , dont leur cœur eil fouvent bien
éloigné. Il examinoit lui-même la vocation
de celles qui fe difpofoienr à eonfommer
leur facrificej parce que, difoit-il , toute
perfonne qui eil bien appellée& fidèle à fcSr
exercices , arrive en peu de tems à la per-
fedion religieufej & que fouvent une pau-
vre Converfe, qui, par déf^iut d'induflrie
ou de fanré , paroît inutile à la maifon , eft
pour elle une fource de grâces ëc de Béné-
didions j pendant que celles que leur com-
merce avec les grands du monde font re-
garder comme Tappui d une Comimunauté ,
lui portent un coup terrible , en y faifanc
entrer la diiïîpation ôc l'efprit des enfans du
ûcck, V
1^6 La Vie
■ " 5^.Pourncfe pas tromper dans uncaf^
iS. ^^^^^ •^^^ décifive , il fe faifoit rendre un
compte exad des bonnes & des mauvaifes
qualirésde chaque pollulance j de la ma-
nière dont elles avoient fait leur Noviciat ,
& fur-tout de la pleine ôc entière liberté
avec laquelle elles s'engageoieiit.
4^. Il s'informoit encore fi la Poftulantc
avoit bien confulté Dieu. Car , après tout ,
difoit-il , une affaire fi férié ufe mérite êien
qu'on aille au confeiLCe/^ ici , ou jamais y
qu'il faut une mïire délibération^
5^. Quand la Novice avoit bien pris fort
parti , & que fa vocation avoit toute la cer-
titude qu'un homme fagc peur raifonnable-
ment exiger , il ne manquoit pas de la con-
firmer dans fon deflein. Après l'avoir forti-
fiée par des difcours , à qui Tondion du S»
Efprit donnoit toujours un grand prix , il la
recevoir à la profeHîon -, mais toujours fous
ces deux conditions : l'une que fa dot ne
feroir point excelRvc i Tautre , que la Mai-
fon ne pr endroit jamais plus de Sujers^qu'elle
n'en pourroit nourrir.
6**. Dans fes vifires , fon plus grand foirr
îî'éfoit pas de s'informer jufqu'à la dernière
obole de l'état du temporel \ mais de biert
examiner fila clôture étoit exaétemcnt gar-
dée \ fi les parloirs n'étoient point trop fré-
quentés i fi l'on s'approchoit des Sacremens
dans l'ordre & félon la règle -, fi VOf^ct di-
vin fe faifoit avec piété , fi la règle du fi-
knce éioit fidéleracm obfervéej fi Ton ne
BE M. BouDON. Liv.î. 137
manquoitni lemarin, nilefoir à lOiaifon •■*■
mentale j û chaque Religieufe faifoit tous l^ç^\^
les ans les exercices fpirituels ^ iï par de
pernicieux adouciflemenson n'altéroit point
la fainte rigueur des Conftitutions j û les
vœux , & fur-tout celui de pauvreté , fub-
fiiloient dans toute leur vigueur. Car Tef-
prit de propriété, quelque couleur qu'on
pût lui donner, étoit un monftre à fcs yeux:
Ôc c'eft pour cela qu'il ne foufFroit ni pen-
fions hors de la mafle commune, ni dépen-
fes fuperflues , fur-tout en bârimens fcmp-
tueux , ni dettes contractées mal-à-propos,
ni procès entrepris fans une vraie «ScpreJOTan-
te néceflité.
7^. A tant de précautions , ce digne Su-
périeur en joignoit une autre contre les li-
vres curieux , ou fufpedls de nouveauté. Il
les bannifToif tous fans miféricordc. » Que
a» fervent à des filles , dijoit - // , des Traités
9> fur la grâce , fur la Préde/lination , Ôc fur
i» femblables matières de la plaus haute
» Théologie ? Quel fruit retirent-elles de l'é-
»> tude qu'elles en font , fi ce n'ell une vaine
>• fuffifancc , un efprit de révolte , ôc fou-
« vent de très- grandes peines d'cfprit j pei-
>» nés , dont f ai vu les funeAes effets à la
»i mort de certaines perfonnes. Non > ajou-
» toit-il j je n'ai jamais compté fur une fille
>» qui fait la fçavante. Sa vainc curiofitén'eft
»» bonne qu'à mettre la divifion dans un Mo-
si nalkre , ôc à partager les cœurs- en parra-
wgçanc les çfprics. Sainte Théièfe l'avoic
138 ^ La Vie
" » bien prcvu , elle , qui , après avoit reçu
& fu/v. " ""^ Poltulante , la renvoya, parce qu'elle
« la vit attachée à une leéiurc , qui , quoi-
» que très bonne en foi , étoit trop élevée
» pour elle. »
Telles furent les maximes que fui vit l'Ar-
chidiacre dans le gouvernement fpiritucl de
£cs filles. La grande idée qu'elles s'étoient
faite de lui, les avoit portées à le deman-
der pour Supérieur i les progrès qu'elles fi-
rent fous fa conduite, leur apprirent qu'el-
les ne s'étoient point trompées. Heureufes
les Communautés, qui pourroient toujours
avoir de guides auiTisûrs: la paix , la grâce,
la vérité y regneroient à jamais.
Mais quoique les Carmélites ayent eu l'a-
vantage d'avoir ce vertueux Prêtre pour Su-
périeur , on auroit tort de croire que fa cha-
rité fe foit bornée à elles feules. Depuis fa
difgrace , dont nous parlerons bientôt, juf-
qu'à la fin de fes jours , il eut pour règle
dans tous les lieux où la Providence le con-
duifoit , d'aller de Mona/lere en Monaftc-
re , & de Communauté en Communauté ,
pour y répandre le feu du divin amour. La
plupart des Maifons , foit Religieu fes , foie
Séculières de Paris, ont eu pendant plufieurs
années le bonheur de profiter de (qs con-
feils , & de £ts difcours, ou publics , ou par-
ticuliers. Les Religieufes de la Vifîtation Ôc
celles de Sainte Claire de l'étroite obfervan-
ce , les RR. Mères Carmélites , Récolletes ,
Urfulines, & Feuillantines j \qs Filles de la
& fuir.
ri M. BouDOK. Liv. I. 13^
Croix, de la Providence , de l'Union Chré-
tienne 3 & un grand nombre d'aurres , ont l^^l
plus d'une fois entendu les paroles de vie ,
qui fortoienr de fa bouche.
Ce qu'il faifoir dans la Capitale par rap-
port à ces âmes d'élite, qui , comme le dit
S. Cyprien , font la plus noble portion du
troupeau de Jefus- Chrift , il avoir foin de le
faire dans les Provinces , lorfqu'il en trou-
voit i'occafion. C'eft ainfi qu'a Âietz il fit des
conférences fpiriruelles aux Rehgieufes de
S. Dominique, ôc defainte Marie-, à Nan-
cy , aux Dames du Refuge ; à Munick, à di-
verfes Communautés *, à Scrafbourg , aux
Filles de la Vifitation. Si dans cette dernière
Ville l'Archidiacre édifia beaucoup toute la
Communauté , que la Supérieure , qui étoic
une Princefle de la maifon de Bade , lui
préfenta en corps , il en fut à fon tour
beaucoup édifié i & dans une lettre qu'il
écrivit à ce fujct , il félicite êc la Merc ôc
les Filles du tendre amour qu'elles avoicnt
pour* J. C. Se du parfait mépris qu'elles
faifoicnt du monde ôc de tout ce qui lui
appartient.
L A V I E
DE M. HENRI-MARIE
BOUDON,
GRAND ARCHIDIACRE DÉVREUX,
LIVRE SECOND.
On SIEUR de Mâupas voyok
ivec unfcnfibleplaifir les grands
jiens que fon Archidiacre fai-
ibit dans tout le Diocèfe d'E-
vreux , lorfque le Clergé de France , qui
vouloir obtenir la Canonifation du Bienheu-
reux François de Sales , le députa à Rome
avec TEvêque de SoifTons , pour y travailler.
Avant fon départ, il crut ne pouvoir rien
faire de mieux pour k falut de fon trou-
peau, que de donner à M.Boudon une auto-
rité fans bornes pour le gouverner-, & il dé-
clara de la manière la plus authentique,qu'il
cntendoit qu'on eût pour fon Archidiacre ,
& pour les Ordonnances qu'il jugeroit à
La Vie de M. Boudon. Liy. II. 141
propos de faire , le même rcrpect , la mcme
foLimiflion , qu'on auroic pour fa propre
perfonne j en tout & par-tout , quelque lon-
gue que put êtrefon abfence.
Une diftindion fi marquée , & qui peut-
être rétoit trop , mit de mauvaife humeur
certaines gens , qui croyoient la mériter da-
vantage. Ce fut- là un premier grief contre
l'Archidiacre. Il s'y en joignit bientôt d'au-
tres. Boudon , chez qui l'intérêt de Dieu
l'emportoit fur tout autre intérêt, frondoit
avec une liberté Apoilolique des perfonnes ,
qui nées pour édifier , menoient une vie
fcandaleufe. Gens de ce caradcre ne font
grâce à perfonne , ^ ils réfolurent de pouf-
fer à bout un homme , dont la feule vue
ctoit une cenfure de leurs défordres. Enfin
fa fermeté à n'accorder des Bénéfices qu'à
ceux en qui l'on trouvoit les qualités nécef-
fairespour les bien remplir, mit le fceau à
fes prétendues iniquités. Il en refufa un à un
homme , qui comptant fur fon nom & fur
le crédit de fes amis , n'avoit pas douté un
moment qu'il ne dût l'obtenir. Il en refufa
un autre à un Eccléfiaiiique , qui gâtoit de
beaux taîens par un attachement invincible
aux nouvelles opinions , dont nous avons
parlé. Il alla plus loin encore j car il le fît
chailer de tout le Diocèfe , où depuis il n'o-
fa jamais rentrer.
A ces nouvelles , le parti déjà trop fort
jetta les hauts cris , &: les mécontens de tou-
te efpéce s'y réunirent. Cent voix crièrent
14^ La V I I
- de concert qu'il falloir crucifier ce perturba-
i'fufr ^^^^ ^^ repos publicLes circonftancesparoif-
foient favorables: TEvcque d'Evreux étoit en
Italie i &:il n'eft pas difficile de fiirprendre un
Prélat , qui ne pouvant fçavoir que ce qu'on
lui écrit , apprend chaque femaine par une
nuée de lettres habilement concertées , que ,
s'il n'a pitié de fon Diocèfe , un brouillon
va le mettre tout en feu.
Quelque fecret que fût ce manège , Bou-
don en fut informé. Il apprit en même-tems
d'une perfonne de confiance , que fes enne-
mis vouloient le perdre à quelque prix que
ce fût ; qu'ils ne penfoient à rien moins qu'à
Texpulfer du Diocèfe i que dans cette vue
ils faifoient faire une exadte perquifition de
la manière dont il avoit vécu depuis fon en-
fance dans tous les lieux où il avoit demeuré.
Comme cette lettre marquoit beaucoup
d'inquiétude dans celui qui l'avoit écrite ,
Boudon , par fa réponfe qui fuivit de près ,
le pria en peu de mots d'être tranquille fur
fon compte, parce qu'il avoit mis fa con-
fiance en Dieu , oc qu'après tout les hom-
mes ne font que les exécuteurs de fes volon-
tés. >» Pour ce qui e/l des recherches que
» vous me mandez qu'on fait de moi , ajon-
« ta-t-il 5 fi vous voulez fcavoir le fonds de
»> ma vie, je vous dirai fans détour qu'elle
M eft plus remplie d'ingratitude que celle des
»> démons -, 6c que ce qui m'appartient avec
«' jufticc , c'eft l'enfer. Je ne fçais perfonne
»' fur k terre , qui foie indigne des grâces de
DE M. BouDON. Lir. IL 145
a Dieu comme je le fuis ; au refte il n'y a ■*
» point de grâce pareille à celle d'être cruci- ^'^f^^^
M fié avec J. C. De quelque part que la
»> croix nous arrive', de en quelque manière
" qu'on la puiile fouffrir , on ne peut jamais
»» aflez bénir la divine Providence d'une fa-
»> veurfi particulière. Bienheureux celui qui
9* peut dire , qu'il eil comme la balayeure
»' ôc l'ordure du monde, v
Voilà ce que penfoit de lui-même ce pré-
tendu ambitieux , dont on faifoit à fon Êvê-
que un û terrible portrait. Cependant com-
me la charité n'exige pas qu'on facrifie ab-
foliiment la réputation à l'impoflure , &
qu il efl de la fageffe de prévenir le fcanda-
le : Boudon crut devoir inftruire M. de
Maupas de l'état des chofes. Il le fit avec
cet air de candeur qui fied bien à Tinno-
cence , & avec cet efprit de défintéreflemcnt
qui n£ labandonna jamais. Après lui avoir
rendu un compte exact de la conduite qu'il
avoit tenue , & des motifs qui l'y avoient
engagé j il le prie de lui donner fcs ordres,
foit pour continuer à fervir fon Diocèfe ,
foit pour renoncera fon emploi de premier
grand Vicaire. Quoiqu'il laifie l'un ik l'au-
tre parti au jugement du Prélat , il lui fait
cependant entrevoir qu'il fc forme contre
lui un orage , dont il fera tôt ou tard la vi-
^ime , fi fa charge lui efl continuée.
Cette lettre fit l'effet qu'elle devoit natu-
rellement faire fur un efprit judicieux. M,
de Maupas redoubla d'eflirae pom unhom-
144 ^ ^ V I ï ^
■■ me qui ne chcrchoic que Ja gloire de Dieu
&£\nv, ^ ^^ ^^^^^ ^^ ^^^ peuple. Bien loin de lui
donner fa démiflion , il approuva tout ce
qu'il avoir fait j de juftemenr perfuadé que
fon Diocèfe ne fouffriroir point de fon ab-
fence , tant qu'il feroic conduit par un grand
Vicaire, qui joignoit la prudence à la fer-
meté , il lui continua fes pouvoirs , en 1 af-
fûtant qu'il l'appuyeroit en tout^ occafion.
Sur ces nouveaux ordres , le grand Ar-
chiacre ne penfa qu'à remplir dignement les
fondions de fon miniftere. 11 fuivit fa pre-
mière route , fans jamais s'en écarter d'un
pas. Il veilla , comme auparavant , fur les
mœurs des Eccléfîaftiques ; Ôc s'il donna de
. juftes louanges à ceux qui en raéritoient ,
il réprit avec une fainte liberté ceux qui des-
honoroient la Maifon de Dieu. Son zélé ne
iît qu'aigrir des gens endurcis dans le mal.
On drefla de nouvelles batteries contre lui ;
ôc l'on fit jouer tant de refforts , qu'on eut
enfin le malheureux plaifir de le voir fuc-
comber fous le poids de la calomnie , de le
perdre de réputation dans l'efprit d'un des
plus vertueux Evêques de fon tems , de le
rendre le fcandale des gens de bien , la fable
& l'opprobre des libertins. C'eft ce trifie,&
fune/le événement , qui n'a prefque pas fon
pareil dans l'hifioire de l'Eglife , que nous
allons développer.
Boudon n'étoit occupé que des obliga-
tions que fon état & fon zélé lui impofoient,
lorfqu'au forcir xi une Mifliofî, Dieu lui fit
voir.
DF M. BouDON. Liv. II. 145
Toir, à peu près comme à S. Paul, ce qu'il —
auroit à fouffrir pour fon nom. Le jour me- sci\l'v,
me de faint Taurin, premier Evêquc d'E-
vrcux , il apperçuc en Tair une Croix d'une
longueur extraordinaire. Il avoue lui même
dans une lettre écrite à Madame de Rouves,
femme d'une éminente vertu , que fon
cœur en fut effrayé. Cependant il fe fournit
au moment même à tout ce que la Provi-
dence jugeroità propos d'ordonner.
Les defleins de cette Providence , deiTcins ,
toujours juftes , & quelquefois bien terri- & i^r,
blés , fe manifefterent peu à peu. L'Archi-
diacre préchant au Neubourg avec tout le
zélé poinble , fut faifi au milieu de fon dif-
cours d*une douleur fi violente , qu'il fut fur
le champ obligé de defcendre de Chaire.
Une femme de condition , & d'une probité
reconnue, qui écoit préfente , crut ne de-
voir rien épargner pour fauver la vie à fon
père fpirituel : elle le fit tranfporter à fon
château de Fourneaux , qui n'étoit pas éloi-
gné, & dont elle portoit le nom. On eut de
lui tous les foins que la charité & la recon-
rioiflance peuvent infpirer. Mais le mal Ce
déclara fi vivement dès le troifiéme jour,
que les Médecins jugèrent qu'il n'y avoic
plus d'cfpérance , de qu'il failoit fans délai
lui donner les derniers Sacremens. Cette
nouvelle qui en effraye tant d'autres , n'al-
téra point fa tranquillité. Il fit une Confef-
fion générale au Vicaire de la ParoifTe , qui
depuis a alTuié que les chofes dont il s'accii-
G
144 ^ ^ Vie ^
" me qui ne chcrchoit que Ja gloire de Dieu
iruîv. ^ ^^ ^^^"^ ^^ ^"^^ peuple. Bien loin de lui
donner fa démiflion , il approuva tout ce
qu'il avoir fait ; ôc juilement perfuadé que
fon Diocèfe ne foutiriroir point de fon ab-
fence , tant qu'il feroit coiiduit par un grand
Vicaire , qui joignoit la prudence à la fer-
roeté , il lui continua Ces pouvoirs , en 1 af-
furant qu'il Tappuyeroit en tout^ occafion.
Sur ces nouveaux ordres , le grand Ar-
chiacre ne penfa qu'à remplir dignement les
fondions de fon miniftere. 11 fuivic fa pre-
mière route , fans jamais s'en écarter d'un
pas. Il veilla , comme auparavant , fur les
mœurs des Eccléfîaftiques : & s'il donna de
. juilcs louanges à ceux qui en raéritoient ,
il réprit avec une fainte liberté ceux qui des-
honoroientlaMaifon de Dieu. Son zélé ne
iît qu'aigrir des gens endurcis dans le mal.
On dreffa de nouvelles batteries contre lui ;
ôc l'on fit jouer tant de refforts , qu'on eut
enfin le malheureux plaifir de le voir fuc-
comber fous le poids de la calomnie , de le
perdre de réputation dans l'efprit d'un des
plus vertueux Evêques de fon tems , de le
rendre le fcandale des gens de bien , la fable
& l'opprobre des libertins. C'ell ce rrifie,&
fune/le événement , qui n'a prefque pas fon
pareil dans l'hiiloire de l'Eglife , que nous
allons développer.
Boudon n'étoit occupé que des obliga-
tions que fon état & fon zélé lui impofoient,
lorfqu'aufortirxiuneMiflion, Dieu lui fit
voir.
DF M. BouDON. Liv. II. 145
Toir, à peu piès comme à S. Paul, ce qu'il *
auroit à fouffrir pour fon nom. Le jour mé- sci\lv,
me de faint Taurin , premier Evequc d'E-
vrcux , il apperçut en Tair une Croix d'une
longueur extraordinaire. Il avoue lui même
dans une lettre écrite à Madame de Rouves,
femme d'une éminente vertu , que fon
cœur en fur effrayé. Cependant il fe fournit
au moment même à tout ce que la Provi-
dence jugeroit à propos d'ordonner.
Les defleins de cette Providence , deficins ^^ ~'
toujours juftes , Ôc quelquefois bien terri- & fujv',
blés , fe manifellerent peu à peu. L'Archi-
diacre prêchant au Neubourg avec tout le
zélé poiTible , fut faîfi au milieu de fon dif-
cours d*une douleur û violente , qu'il fut fur
le champ obligé de defcendre de Chaire.
Une femme de condition , & d'une probité
reconnue, qui étoit préfente , crut ne de-
voir rien épargner pour fauver la vie à fon
pere fpirituel : elle le fit tranfporter à fon
château de Fourneaux , qui n'étoit pas éloi-
gné, Se dont elle portoit le nom. On eut de
lui tous les foins que la charité & la recon-
noiflance peuvent infpirer. Mais le mal -fc
déclara fi vivement dès le troifiéme jour,
que les Médecins jugèrent qu'il n'y avoit
plus d'efpérance , de qu'il falloit fans délai
lui donner les derniers Sacremens. Cette
nouvelle qui en effraye tant d'autres , n'al-
téra point fa tranquillité. Il fit une Confef-
fion générale au Vicaire de la Paroiffe , qui
depuis a affuré que les chofes dont il s'accu-
G
i4<^ L A Vi E
fa , éroîent moins des fautes que des vertus ,
àù qu'il ne fçavoic pas trop comment lui
pouvoir donner l'abfolution ^. Cepeixlanc
cette ConfeiTi on fe fit avec autant de dou-
leur , que s'il eût commis les plus grands
crimes. Sur le foir il reçut le faint Viatique
avec une piété qui édifia toute Taflemblée,
Comme il comptoit toucher à fa der-
nière heure , il réfigna fon Archidiaconé
au plus vertueux Eccléfiaftique '^'^ , qu'il
connût dans le Diocèfe , afin de ne plus
penferqu'à bien mourir.
Si le bruit de fa maladie fit plaifir à ceux
qui ne Taimoient pas , il affligea fenfible-
ment les gens de bien , qui voyoient en lui
une des plus belles lumières de l'Eglife prête
à s'éteindre, Meflieurs de la Cathérale dé-
putèrent quelques-uns de leurs Chanoines ,
pour lui porter la précieufe Relique de S,
GaudjUn de leurs premiers Evêques.L'Archi-
diacre mourant la reçut & l'honora avec un
profond rcfpeâ:',& plein de confiance en fon
inrercefiion , il fit vœu d'aller à fon tom-
beau dans le Diocèfe de Coutances , fi Dieu
lui rendoit la fanté. Cependant, pour ne fe
priver d'aucun des fecours que l'Eglife ac-
corde aux Fidèles dans les derniers momens,
il demanda l'Extrême Onétion. Four la re-
* Quoique ces fortes de déclarations ne foient pas fan$
exemple ,il y a des gens de mérite qui ne les approuvent
point : & il me femble qu'il vaut mieux s'en abftenir.
*• M. du Vaucel. Il étoit aulH grand Vicaire de M, d$
Mâupas. Cettje Réfignation fe ût lç8 Février i66^.
DE M. BouDON. Liy. IL ^jj
c<îvoir avec k plus profond fenrimcnt de
pénitence, il fie étendre de la cendre fur le
plancher de fon appartement , & pria qu'on
le mît defllis.
Ce fut alors que voulant faire connoîtrc
qu'il mouroit parfaitement foumis à TEglife,
il fupplia le Miniftrc de ce dernier Sacre-
ment de l'interroger fur les principaux My-
fteres de la Foi , comme on fait les enfans ,
de manière qu'il put répondre par oui & par
non , attendu que fon mal le preflbit trop
pour qu'il lui fût polTible d'en dire davan*
tage.
Ce dernier ac^c d'humilité , joint à la con-
fiance que Boudon avoir aux mérites de S
Gaud , plut Cl fort à Dieu , que ce vertueux
malade fe trouvant à Tinilant même failî
d'un nîouvement extraordinaire de grâce
parla plus d'une heure aux afTiflans^de h
grandeur & de l'importance du falut. Il le
fit avec tant de feu , tant d'onclion , qu'on
avoua unanimement qu'il s'étoit autant fur-
paiîe lui-m.ême dans ce dernier difcours
qu'il avoir coutume de furpaflcr ks autres
dans fes difcours ordinaires. Cependant le
Mcdecm qui craignit que ce violent effort
ne lui otat le peu de vie qui lui re/ioit
i ayant prié decefTer^il obéit fans délai. Mais
il Y avoit beaucoup moins à appréhender
qu'on ne l'avoir cru. Un Médecin , qui fcaic
des routes inconnues à tous ceux de la terre
s'en etoit melé^ & quand celui qui aiF./loic
fioudon, voulue par le mouvement de fon
Gij
14S La Vie
pouls juger de fa fîcuadon , il fut étrange-
ment furpris de le trouver fans fièvre. Dés-
lors on le crut hors de danger. Mais fa ma-
ladie, Se les travaux immenfes dont elle
ctoit la fuite , Tavoient fi fort épuifé , qu'on
lui ordonna de prendre les eaux, Ainfi il
féjourna depuis la Purification jufqu'à Pâ-
ques dans la maifpn où on l'avoit d'abord
tranfporté.
Comme , après s être démis de fon Ar*
çhidiaconé , il reftoit fans titre , il pria TEt
vêque de Laon , dans le Diocèfe duquel il
ctoit né , de vouloir bien l'en difpenfer , ôc,
de lui permettre de vivre déformais fans
bénéfice , comme un pauvre Prêtre , qui
n'a pour tout revenu que les foins amoureux
de la Providence, Cet efprit de dénuement
édifia (i fort le Prélat , qu'en accordant cet-
te difpenfe , il félicita fon Diocèfe d'avoir
donné à TEglife un Prêtrç fi plein de mérite^
^ fi détaché des biens de la terre.
Mais Dieu fe contenta de la bonne vo-?
lonté de fon ferviteur. La réfignarion qu'il
fivoit faite de fa dignité fe trouva caduque,
parce que la régale n'étant pas clofc àEvrcux,
il n'apparteuoit qu'au Roi d'en difpofer.Uii
ami de Boudon pria le P. ConfefTeur d'agir
auprès de fa Majeflé en faveur d'un homme
qui fervoit fi utilement l'Eglife depuis plu-
Heurs années. La chofe fut bientôt conclue ;
& le faint Prêtre , qui ne s'attendoit à rien
moinSjfut nommé une féconde fois au grand
^rchidjaconé d'Evicux.Il avoit déj^ acquitté
fcE M. BouDOK. Liv. IL î^9
le vœu qui Tcngageoit à vifîter le tombeau *"
de S. Gaud. ^ ^ ^ i,]^;^
Ce grand Eveque , après avoir gouverne,
ou plutôt créé en quelque forte FEglife
d'Evreux , où la perfécution avoir prefque
entièrement éteint la foi , fe retira au Dio-
cèfe de Coutance , dans une affreufc foli-
rude fur le bord de la mer. Ce fut là qu'a-
près avoir long-temps édifié S. Pair "^ ôc les
pieux folitaires qui vivoient fous fa con-
duite , il termina fa courfe , & fut enterré
dans fon Oratoire.
Son corps , que Dieu avoit comme laififé
dans l'oubli , pour le fouflraire à la fureur
impie des Normands , fut découvert en
1 1 3 1 . fous le Pontificat de Richard de Bruc-
re , trente - huitième Evêque de Coutance,
Les miracles qui s'y firent dans la fuite des
rems , Ôc fur-tout vers le milieu du XVIL
fiécle , déterminèrent Euftache le Clerc de
Lefleville à en faire la Tranflation. 11 la fit
en effet en 1664. fuivi des députés de fou
Chapitre ,& de ceux du Chapitre d'Evreux,
de Ces Archidiacres, des Religieux du Mont
S. Michel , d'un grand nombre d'autres
Communautés, & de plus de vingt mille
perfonnes de toutes fortes d'états , que la
nouveauté de ce grand fpectacle avoit atti-
* Si s. Gaud eft mort à ScifTy en 491 . comme le dit M.
Roault dans fon Catalogue des Evêques d'Evreux , ou
même dans les premières années du fixiéme fiécle , com-
me le dit le même Auteur, pag 184. de fon Abrégé de
la vie des Evêques de Coutance ^ il ne doit avoir vu que
très-peu de teinsS.Pair,que cerEcrivain fait mourir €0565,
G iij
i;o La Vu
"^^^ récs derous les lieux circonvoifins. Les ot~
i. fuiT. démens du faint Pontife fe trouvèrent , après
plus de douze fîécles , aufli vermeils que le
feroienr ceux d'un corps qu'on viendroit de
réparer de ks chairs. Ils exhaloient une
odeur fi douce , qu'une perfonne de qua-
lité , mais Calvinifte , la regarda comme ab-
folument miraculeufe.
Ce fut dans ce refpeâ:ableSancl:uaire,quc
Boudon fe transporta pour y rendre grâces
à fon Libérateur. Il y célébra les divins My-
iîeres j ôc quoique pauvre, il réfolutde don-
ner , comme il fit enfuitc , à la Cathédrale
d'Evreuxun Reliquaire d'argent , pour ren-
fermer la précieufe parcelle du corps de fon
deuxième Evêque , qu'elle avoir demandée
& obtenue dans la dernière translation , &
qu'on lui avoit appliquée dans le tems qu'il
ctoit aux portes de la mort.
Comme Thermitage de S. Gaud n'eft pas
éloigné du Mont S. Michel , lieu f\ célèbre
par le concours des Pèlerins , qui s'y ren-
dent de toutes parts pour honorer ce Prince
de la Milice célcfle i Boudon , qui eut tou-
jours un profond refpeét pour les SS. An-
ges , crut devoir vifiter un Temple qui eft
dédié au Seigneur , fous l'invocation de Ces
premiers Minières. Il y fut tout inondé de
confolations : & perfuâdé par de nouvelles
lumières du Ciclque l'heure du grand com-
bat s'avançoitjil s'y difpofa avec une parfaite
foumiflion & un courage à toute épreuve.
Il en avoit befoin j & peut-çcre n'a-t-on
DE M. BouDON. Liv. IL tp
jamais mieux vu qu'en fa perfonne ce que ' '"
peut l'enfer contre un homme de bien qu'il ^fy/y,
veut perdre , & dont le corps n eil pas ,
comme celui de Job , laiiTé à fa difpofirion.
Le premier nuage vint , comme il arrive
affez fou vent, du côté dont on l'attendoitle
moins. Le féjour que l'Archidiacre avoit fait
chez Madame de Fourneaux , fut la fourcc
innocente du mal. Quelques - unes de ces
perfonnes , à qui le monde ne donne gueres^
le nom de dévotes, que pour décrier la vraie
dévotion , foit de leur propre mouvement,
foit par une impreflion érrangerc , trou-
vèrent mauvais que le faim Frêrre eût ab-
folument donné la préférence à la maifon
de cette illuflrc veuve. Bientôt après on ré-
pandit le bruit, qu elle fe ruinoit en dépern
fes excefllves , pour fournir , difoit-on, à
ce malade imaginaire , à ce dévot apparent,
les mets les plus exquis. Infenfiblement on
ajouta que dans le cours de cette maladie il
s'étoit paffé bien des chofes , qui ne pou-
voient donner qu'une idée afTez équivoque
de la Pénitente & du Dircdeur. Ces bruits
groflircnt peu-à peu, comme il eft d'ufage j
& ce que la calomnie même n'avoir d'a-
bord débité qu'en tremblant , devint bien-
tôt une vérité inconteftable.
Mais ce fut bien pis , quand les Partifans
de la nouvelle Doéirine dont j'ai déjà parle,
fe mirent de la Partie. Il y avoit long-tems
qu'ils haiflbicnt l'Archidiacre; mais quand
ils eurent appiis que depuis fa convalcf-
Giv
iji La Vie
■' cence il avoît informé M. de Manpas des af-
^^^Jy^ fcmblécs fecrertes qu'ils faifoicnt dans fon
Diocèfe , ôc reçu de lui des ordres précis
de s'y oppcferde toutes fes forces , leur hai-
ne fe changea en fureur , & ils réfolurcnt
de le faire chafler du Diocèfe. Dès-lors on
ramafTa tout ce qui jufqu'alors s'ctoit dit ,
ôc fait contre lui. On empoifonna de la plus
horrible manière fes démarches & ù con-
duite. On compofa contre lui àcs libelles û
diffamatoires , qu'un libertin les eût défa-
voués, pour peu qu'en perdant Thonneur,
il n'eût pas encore perdu tout fentiment
d'humanité. A l'exception du larcin , dz
c'eft lui-même qui le difoit deux ans avant
fa mort , il n'y eut point de crime dont on
jie l'accufar.
Comme malgré ces premières émotions
l'Archidiacre , qui étoit naturellement fer-
me, fur-tout quand il s'agiffoit de la gloire
de Dieu, marchoit toujours fur la même
ligne , 6c continuoit à dérouter les enne-
mis de TEglife , ils dreffcrent un Libelle,
qui contenoit plufieurs chefs d'accufation
contre lui , bien réfolus de le préfenter à
M. de Maupas , qui ayant heureufement
terminé l'affaire de la canonifation de S.
François de Sales "♦' , étoit de jour en jour at-
tendu dans fon Diocèfe.
* s. François de Sales fut canonîfié le 19 Avril j66<;,
fclon d^Avrigni : la Chronologie du nouveau Bréviaire de
i'arisdit i666.c^eft uncfaute. M. de Maupas étoit de re-
tour à Evrcux le 14 Juillet 1665. comme il p^oit pa* lç$
lî^natuies du Sécréuîiac»
DE M. BOUDON. LiV. II. IJ5
II y arriva enfin , quoique plus rard qu'il
n'avoi: cru , parce que de longues & impor-
tantes affaires lavoient arrêcé a Rome. Sans
prefque lui donner le tems de refpirer , on le
mir fur le chapitre de Ion grand Vicaire.Des
perfonnes qui portoient un nom , Ôc qui
avoieni: de Taucoricé , lui préfenterent tous
les Libelles qui s'éroient faits contre lui. Il
les lut, de en fut auffi frapé que les Concy-
royens de la charte Sufanne , quand ils la vi-
rent accufée d'adultère par deux Vieillards
à qui l'on ne pouvoir rien reprocher. Son
chagrin ôc Ces inquiétudes redoublèrent ,
quand il vit tour le peuple d'Evreux , que
tant de mauvaifes hilloires avoicnt féduit ,
entièrement foulevé contre l'Archidiacre.
Chaque jour on vcnoit lui en raconter de
nouvelles ; Se on le mettoit comme par de-
grés dans cet état violent, où l'on ne peut
abfoudreun feul homme , fans en condam*
ner un très-grand nombre d autres.
Cependant, pour découvrir au jufle ce
qui s'étoit pafle à l'occafion de la dernière
maladie , dont Boudon avoir été atteint au
Neubourg, le Prélat pria Madame leFevre
de fe rendre chez lui. Elle étoit fous la con-
duite de l'Archidiacre. La calomnie Tavoit
refpectée , & M. d'Evreux honoroit profon-
dément fa vertu* Il lui lut le fanglant Li-
belle qui avoit été fait contre fon Directeur:
ôc bien peifuadé qu"elle ne le juflifieroit
pas aux dépens de fa confcience , il la pria de
lui dire la véricc.
Gt
IJ4 La Vie
Elle prote/la d'abord en général que eec
injurieux F^^7^;w n'étoit qu'un tilTu de ca-
lomnies i puis reprenant en détail les prin^
cipaux chefs d'accufation qui y croient con-
tenus,elle foutint queBoudon n'avoitfaitchez
fa pieufe hôtefle un fi long féjour , que parce
que les Médecins l'avoient exigé -, que bien
loin de la ruiner , il lui avoit abondamment
payé fa dépenfe , au moyen d*une reftitutioii
de fix cens livres , qu'on l'avoir obligé de
recevoir au lieu ik place de feue Madame fa
mère i qu'elle connoiffoit trop le grand Ar-
chidiacre , pour voir fans douleur qu'on
foupçonnât la pureté de fes mœurs ; qu'elle
croyoit avoir l'honneur d'être aflez connue
de celui à qui elle parloit , pour ne lui être
pas fufpedc de ce côté- là ; & que cepen-
dant perfonne n'avoit rendu à Boudon plus
de fcrvices qu'elle, pendant le temps de fa
maladie.
Un témoignage fî précis ôc û fur , à rai-
fon du crédit delà perfonne qui le rendoit y
£t imprcflîon fur l'efprit de M.de Maupas.I!-
dit plus d'une fois que fi fon grand Vicaire
croit coupable en quelque chofe , c étoji d'a-
voir trop de zélé pour la vérité ôc pouc le
maintien de la difcipline. Ainfi il étoit ait
moins difpofé à fufpendre fon jugement ,
îorfqnela dame deFourneauxle força d'aller
beaucoup plus loin qu'il n'auroit voulu.
II eft fur que cette Dame avoit de la
piété qu'elle aimoit l'oraifon , ôc que lorf-
^u'on avoir le talent de lui montrer le bica
DE M. BOUDON. LiV. ÏT. IJ5
que Dieu atcendoit d'elle , elle s'y livroic "
toute entière. Mais il eit fur aufli , & c'étoic ^^^J'^^
moins un vice du cœur , qu'un défaut du
tempérament , il eil fur qu'elle étoit ex-
trêmement fenfible j que le feu de fon ima-
gination Tentraînoit malgré elle j & que fa
tête n'écoit pas faite de manière à porter ces
grands coups , qui font plier les épaules les
plus vigoureufes.
Ce fut à fa campagne qu'elle apprit l'in-
digne & cruelle manière dont on traitoic
fon Diredeur. Elle en fut touchée , & elle
dut l'être. Mais quand elle fçut que c'étoit
de fa propre maifon , qu'on datoit une par-
tie des crimes de l'Archidiacre , elle en fuc
au défcfpoir -, & fauflement perfuadée qu'el-
le n'avoit à faire qu'à un petit nombre de
dévotes jaloufeS; elle réfolut de leur appren-
dre avec éclat , qu'il falloit y penfer à deux
fois, quand on attaquoit une femime de qua-
lité , ôc qui avoit toujours vécu avec hon-
neur. Elle fe trompoit j & peut-être qu'avec
un efprit plus tranquille^ elle eût jugé, com-
me le firent dès le commencement un petit
nombre de perfonnes intelligentes , que la
dernière maladie de Boudon , ôc toutes fes
circonflances n'étoient qu'un prétexte , fous
lequel rhéréfie fécondée du dérèglement,
couvroit fa manœuvre.
Quoi qu'il enfoit, cette Dame commença
par fe plaindre de Boudon à lui - même :
elle lui écrivit qu'on étoit furpris de le voir
ibuffrir , fans rien dire ^ de fi noires calom-
G vj
î;^ La Vie
'" nies ; que fon honneur exigeoit qu'il fe juP
i^iulv. ^^^^^ ' ^ qu'elle l'en conjuroit rrès - inflam-
lîient j que le rang qu'il tenoir dans l'Eglife
ne lui permtrtoir pas de facrifîer fa répu-
tation ; ôc que les biens qu'il avoir faits
dans le Diocèfe ne pouvoient fubllfter, fi
par fon fdence il laiffoit à chacun la liberté
de dire& de penfer de lui tout ce qu'il ju-
geroit à propos.. Mais ce parfait imitateur
de JefusChrift avoir desfentimens bienop-
pofés. 11 avoit pris fon parti , & ce parti
étoit de porter fa croix à l'exemple du Sau-
veur. Ainfi il fe contenta de lui répondre ,
qu'il falloit qu'elle & lui païufTent crimi-
nels, tant qu'il plairoic à la divine Provi-
dence i Se que fi J. C. qui étoit 1 innocencs
même, avoit été fi outragcufement traité,.
ri étoit bien jufie que le pécheur ne fût pas
ménagé.
Une réponfe fî fublime étoit trop forte
pour un efprit agité. Bien loin de s'y reur-
dre, la Dame de Fourneaux parla avec plus
de chaleur que jamais. Elle écrivit à R ouen,
à Paris , & dans je ne fçais combien d'autres
endroits , où elle fçavoit que la calomnie
avoit pénétré. Rien de plus fage , de plus
chrétien, que la réponfe que lui fit la Merc
Meélhilde , dont nous avons déjà parlé.
Elle difoit en fubflance , qu'à la vérité oa
ne po\.ivo\tfa?7s étonnemcnt voir la conduit e^
de la fr évidence fur M, Boudon ; qu'âpres
tout. Dieu le traitoit en favori , puifqu'il
îwi £aifoir part du Calice dont il a enivré foa
666.
BE M. BotJDOî^. Liv. IL i;7
propre Fils ; que ce vertueux Prêtre triom- ■-'
pheroit de tcut par fa patience & Ion fi- &^fuiy.
lence , ôc que s'il étoit aàuellement comme
le grain de froment tombé en terre pour y
être anéanti , il germeroit un jour , ôc por-
teroit dans PEglife des fruits de bénédidion.
>■» Ayez , Madame , pourfuïvoït - elle , ayez
«cette confiance en la bonté de celui qui &fui^
« prend en main lacaufe de Tinnocent , &
" qui fouffre en la perfonne de £qs Elus. Que
« (i Ton divin Efprit vous pouffe à faire quel-
« que diligence de votre part , que ce foir
>' avec cette paix & cette douceur qui ani-
« me Tefprit des Saints , ayant toujours un
« fingulier refpect pour la manière dont
^ Dieu fandlifie les ficns. »
Des avis fi faluraires, fî conformes aux
plus belles maximes de l'Evangile , auroient
du faire quelque impreffion fur celle à qui
ils étoient donnés. Mais le zélé commen-
çoit à fe changer en pafTion ; & la paflîon
n'efi: pas propre à écouter. Le langage chré-
tien de fon amie parut à la Dame de Four-
neaux une leçon déplacée. Elle vouloir
forcer les calomniateurs à faire hommage à
la vérité , & tous Çts efforts n aboutirent
qu'à fcrvir leur fureur.
Elle fit un grand nombre de Mémoires
apologétiques pour fe venger elle-mêm.e &
pour venger fon Diredeur , qui lui paroif-
foit trahir fes intérêts. Boudon les lut , ces
Mémoires, & quelque folides qu'ils îuC-
fenr > il la pria de les fupprimer. Mais cette-
IjS L A Vl E
* femme aigrie n*éroit plus allez forre pour
1666. ^ o • •
&fuiv. connoitre, oc moins encore pour pratiquer
robéiÏÏance. Elle envoya de tous côcés Ces
apologies , & y joignit des lettres dont bien
des gens furent touchés. En peu de tems M,
de Maupas en reçut une foule de la Cour
ôc d'ailleurs , dont il n'avoir pas tout-à-fait
lieu d'être content.
Ce fracas fut à l'ordinaire mis fur le comp-
te de M, Boudon, qui néanmoins avoir tout
mis en œuvre pour l'empêcher. Dès-lors fa
caufe fut jugée plus mauvaife , & on fe crut
obligé d en venir aux dernières extrémités.
Cependant , pour ne rien faire qui fentît la
précipitation ;, le Prélat aflembla comme en
fynode ce que fon Diocèfe fembloit avoir
de meilleur & de plus expérimenté dans
l'un & l'autre Ordre du Clergé. Mais il s'y
trouva des gens d'autant plus dangereux ,
qu'ils étoient moins fufpeds-, & fur - tout
un de ces hommes à face compofée . qui ne
difent un peu de bien , que pour fe rendre
croyables fur beaucoup de mal, & qu'on
regarderoit , à entendre leurs foupirs fimu-
lés , comme prêts à donner leur fang pour
im malheureux qu'ils égorgent. Cet homme
grave , fouple , infinuant , ami public , en-
nemi fecret -, paiïionné dans le cœur , mo-
déré, & prefquc infenfiblc à l'extérieur , ne
pouvoir porter qu'un coup sûr à ceux qu'il
vouloir perdre. Le réfultat de cette affem-
blée fut d'avertir l'Archidiacre qu'il eût à fe
içtirçr de lui-même , & à remettre au Pré;
DE M. BouDON. Liv. IL 15-9
lat fes lettres de grand Vicaire , de les pou- -*
voirs qu'il avoir reçus de lui. ecivlL
Sa réponfe fut courte, ô<. telle qu'on de
voit l'attendre d'un homme , qui ne connoif-
foit d'autre bonheur que celui d"être cloué
à la croix de fon Maître, & d'y mourir avec
lui , s'il en étoit befoin. 11 écrivit en deux
mots au Prélat, qu'il ne pouvoir fe rendre
à l'avis de fon Confeil ^ qu'en s'y confor-
mant , il fcroitune aciion indigne de l'hon-
neur qu'il s'étoit toujours fait d être me-
prifé ôc anéanti pour J. C. ôc que fur ce
principe Evangéliquc il avoit pris le parti
de s'abandonner fans mefure de fans réferve
à tous les deflfeins de la divine Providence.
En conféquence de cette réponfe il fur
dépofé dans les formes , & lafentence lui en
fut fignifiée avec tout l'appareil qui pouvoir
la rendre odieufe. Ce procédé ne l'ébranla
point ; c'eft trop peu dire : il le combla de
joie , & le même jour il la fit éclater devant
un ami ndéle , qui ofa lui rendre vifite.
Car dès lors il n'étoit pas permis de le voir ,
ni de le plaindre.
Quelque grand que fût ce premier coup , ■
ce n'en fut point allez pour l'implacable fa- l^^^r
rcur de Ces ennemis. Leur deiïein éroit de le
fuivre de porte en pofle , (?^ de le forcer en-
fin à fortir d'un Diccèfe , où , tout méprifa-
ble qu'ils l'avoient rendu, il pouvoir toujours
leur donner de Vinquiétude. Ils agirent donc
tncore auprès du Prélat -, & ils l'engagèrent
à faire figniâcr à l'Archidiacre ime défcnic
&ruiif^
i6o La Vie
■ de confefler la Dame de Fourneaux. Boudon
d^My, ^^^ ^^ connoifToit à fonds , ôc qui ne l'avait
maintenue dans un érar de laifon , que par
des ménagemens infinis y vit tout d'un coup
que fon efprit déjà troublé par la calomnie ,
ne foutiendroit pas ce nouvel aflaur. Ce-
pendant , pour obéir aux ordres qu'il avoir
reçus , il la pria par lettres d'entrer dans les
fentimens du Fils de Dieu anéanti pour fon
amour ; & de ne penfer plus ni à préfenter
des requêtes, ni à obtenir des réparations
d'honneur. Il lui parla plus ferme dans la
fuite , ôc après s'erre plaint à jEJle mcme de
fes emportemens , il la conjura au nom de
la plus douce Ôc de la plus obéiflante des
Vierges de facri fier à Dieu & fes peines ôc
tous £es reflentimens.
Ces avis étoient trop raifonnables pour
une femme , qui commençoit à ne l'ctre plus
beaucoup. Apres avoir eflayé trois Confef-
i'eurs qu'elle ne goûta pas , ôc qu'elle n'é-
toit prefque plus en état de goûter , elle re-
mua plus que jamais. Son dépit la tranfpor-
ta à la Cour. Elle demanda juftice au Roi,
mais en des teimes qui annonçoient moins
l'excès de fa douleur , que le dérangement
de fon efprit. Cependant elle difoit à haute
voix que M. l'Archidiacre étoit fon Direc-
teur , ôc que jamais elle n'en auroit d'autre.
Il eii vrai que c'eût été un grand bien pour
clic. Tanr qu'elle avoir été fous fa conduite
elle avoir édifié route la ville , ou plutôt
tout le Diocèfe d'Evreux. Plus d^ foixante
BE M. BoUDON. Ltv. II. I^I
lettres que Boudon lui avoit écrites , 6c qui ■
nous relient encore , font voir avec quelle &^f^^^
fageffe ce pieux Directeur la garantilToit
de lillufion , Ôc la formoit à la folide piété.
Il eût pu encore la fervir par la même voie
fans donner d'ombrage. Mais quand il vit
que rien ne pouvoir la fléchir,il fut contraint
de l'abandonner.
Ses ennemis ne crurent pas , ou voulu-
rent ne pas croire , qu'il l'eût fait. Ce que
difoit la Dame de Fourneaux, que M. Bou-
don éfoit toujours fon Direéleur , fut pris
dans le fens le plus rigoureux. On fit enten-
dre au Prélat , que malgré la révocation de
fcs pouvoirs , TArchidiacre continuoit à la
confeiïer. Aux premières nouvelles d'une
révolte û décidée , ôc d'un facrilége fi fcan-
daleux , M, de Maupas ne put fe contenir :
& fans perdre de rems il ôta au prérenda
coupable le pouvoir de prêcher ôc de con-
fefler dans fon Diocefe.
Un traitement fi dur , & qui après tout
n'étoit fondé que fur l'expreiTion équivoque
d'une femme en colère , ce traitement parut
aux ennemis du faint Prêtre un ménagement
cxcelTif. Ils firent à l'Evêque un crime , de
ce qu'ils appelloient une douceur pernicieu-
fe : & de cet air, qu'un fcélérat prend mieux
qu'un homme de bien, ils lui dirent, que
le Sieur Boudon étant perdu de réputation
ôc d'honneur , étoit déformais inutile , ôc
plus qu'inutile à Evreux. Qu'il n'y avoit pas
d'apparence que les Curés , ou les peuples
1^1 La Vit
■ fouffrifTent la vilitc d'un homme , à qui Ùl
^ £y^y^ mauvaife conduire avoir mérité une puni-
tiop rigoureufc , Que tant qu'il demeure-
roit ddns le Diocèfe, fa feule préfence y
perpétueroit le trouble & le fcandale ; Que
pour fe procurer une bonne fois la paix , il
n'y avoir plus qu'un pas à faire; c'étoit de
le dertiruer de fa dignité , &: de le chafler
fans miféricorde.
M. de Maupas , qui fçavoit que les voies
d'éclar ont leurs inconvéniens , propofa à
l'Archidiacre de fe démettre de fon emploi.
De ce peu d'amis qui lui revoient, plufieurs
furenr du même avis, perfuadés que fans
cela il n'y avoit point de paix à efpérer pour
lui -, & qu'il n'étoit plus en état de faire
aucun bien dans le Pays. L'efprit de Dieu
qui le conduifoit , ne lui permit pas de défé-
rer à ce fentimenr. •» La croix , répondit-il ,
3» ne nous doit pas faire quitter les lieux où
w nous la portons. C'efl: tout le contraire j
9> s'il y a quelque chofe qui nous y doive ar-
■»» rêter , ce font les fouffrances. « Ainfi il
refufa de fe rendre aux ordres de M. d'E-
vreux. Il réfolut même de faire fcs vifires
avec plus d'exactitude que jamais ; quoiqu'il
n'en attendît que de la peine ôc de la confu-
fion.
Une réfolution fi ferme étonnaun peu les
Partifans de la nouveauté , que le Prélat
fervoit , fans le fçavoir : mais outre qu'ils
n'étoient pas gens à reculer , ils avoient déjà
gagné tant de terrcin, qu'ils crurent qu'un
DE M. BOUDON. LiV. II. l'è^
nouvel effort les mettroit en pofTeïïion du
relie. Ils fe trompèrent pour cette fois. M. de s[f^^\
Maupas,après avoir confulté un grand nom-
bre de Sçavans, & ceux fur-tout qui étoient
le plus au fait des matières bénéficiales , vit
clairement qu'on le jettoit dans un labyrin-
the, dont il auroit peine à fortir. Ainfi, mal-
gré qu'il en eut , il lailTa Boudon en place :
bien réfolu de le ponfler û vivement , qu'il
Tobligeroit enfin à lâcher le pied de lui
même , ôc à quitter fon pofte. Ceit ce qu'il
fît avec tant de chaleur, que ceux qui (lu-
prirent fa confiance , mérireront à jamais
l'indignation de tous les fiécles.
Et d'abord ce Prélat , qui , après avoir
fait vœu d'obéir à l'Archiciacre, fembloir,
comme on le dit alors , avoir fait vœu de le
perfécuter, prévint contre lui ceux qui juf^
qu'à ce jour l'avoient le plus parfaitement
honoré. Comme il fçavoit qu'il avoir à
Rouen un grand nombre d'amis refpeda-
bles, il s'y tranfporta j &dans une conféren-
' ce qui dura trois heures , il fit à deux Curés
de la ville , un portrait fi hideux du pauvre
Boudon , que ces MefTieurs à qui la probité
de M. de Maupas étoit connue, s'engagè-
rent enfin à refufer l'entrée de leur maifon
à l'Archidiacre d'Evreux : Se à l'exception
d'une ou de deux perfonnes, il n'y eut dans
cette grande Ville qui que ce foit ,* qui ne le
regardât, ou comme un hypocrite avéré,
pu comme un homme très fufpecl: de l'être.
Ce que le Prélat avoit fait a Rouen ^ il
11^4 La Viî
* ■ crut le devoir faire à Paris, où fon Archî-
ict^'r, diacre avoir encore des parti fans. 11 le fit en
effet j Ôc ce fut toujours avec ce feu d'exprcf-
fîon 5 que didte à un homme de bien la dou-
leur d'avoir été dupe d'un impofteur. Il faut
avouer en pafTantquecetimpofteurde nou-^
velle efpece penfoit comme les Saints , &
parloit comme eux. « Notre bon Prélat y
écrivait- il dans ce mems temps aune f cm'
me de qualité , me décrie de tous cotés dans
« Paris. Il faut le laiiïer faire , l'honorer
3* beaucoup , en dire du bien, & demeurer
9^ en repos. Notre paix fera folide , fi nous
» la mettons dans la Croix. Il eft doux d'y
*> vivre , il eft encore plus doux d'y mourir ,
« & nous n'avons plus que faire au monde ,
»> quand nous cédons de fouflPrir. »» Quel
langage ! fur-il jamais celui de TimpcAure ?
Il relloit encore à l'Archidiacre une rcf-
fource dans les Pays éloignés , où fa mâle
&nerveufe éloquence , & plus encore la
pureté de fes mœurs, l'avoient rendu fi cé-
lèbre. Mais cet azile lui fut fermé comme
les autres. On écrivit aux Evéques de ces
différentes Provinces du même ftyle , qui
avoit fi bien réuiTi à Paris & à Rouen. La
grande & juftc idée qu'ils avoient de M. de
Maupas, les entraîna dans fon fentimenr.
Tous s'engagèrent à interdire au Sieur Bou-
don la Chaire, le ConfeiTional , la célébra-
tion des faints Myfteres.
On juge bien que ce qui fe faifoit ailleurs
contre l'Archidiacre , fe faifoit encore plus
deM. BouDON Liv. ir. 16^
vivement dans le Diocèfe d'Evreux. 11 n e-
toic permis à perfonne , & moins encore
aux Communautés de Filles , de voir le cou-
pable. C'écoit un féductcui , un homme
fans mœurs , fans probité , fans Religion ;
en un mot, un athée : Car quelqu'un dans
un Difcours public en vint jufqu'à cette fié-
triflante dénomination. 11 eft vrai que dans
la fuite il en demanda pardon à l'homme de
Dieu : mais les excufes viennent un peu
tard , quand les imprefTions font faites.
Ce fut alors que Boudon fe vit dans l'état
où fon divin Maître fe trouva pendant fa
paffion. Toutes les voies de la douleur s'ou-
vrirent pour lui i toutes celles de la confola-
tion lui furent fermées. Trahi par les uns ,
abandonné par les autres -, méprifé de tous ,
il fut un but que nulle flèche n'épargna -, de il
faut remonter jufqu'aux premiers temps ,
pour y trouver des exemples d'une perfécu-»
tion auflî générale. 11 ne paroiflbit dans les
rues , que ceint du honteux bandeau dç
l'ignominie. On le montroit au doigt comme
ces hommes de fang , que la juilice a épar-
gnés. On lui prodiguoit les plus fanglantes ,
& fouvent les plus folles épithetes , comme
celles de forcier& de magicien. Un homme
qui en public auroit fait dix pas avec lui , fe
feroit deshonoré. Un Eccléfiaftique , à qui
il fe joignit pour quelque tem.s dans un pè-
lerinage de dévotion , en fut fi humilié ,
qu'il n'ofoit lever les yeux. La confolation ,
donc Dieu récompenfa fa charité, quoique
x66 La Vie
forcée , le fit bientôt changer de fentîment.
Mais cet exemple fut peut-être unique: ÔC
Boudon , à parler en général , ne fut dans
ce temps d orage , qu'un ver de terre , l'op-
probre du genre humain , le jouet & la fable
d'un peuple qui l'avoir tant de fois admiré.
Ce qu'il y eut de plus terrible , Se ce qui
effraie encore aujourd'hui , c'eft que l'humi-
liation fuivoit fcs pas , de quelque coté qu'il
put les porter. Quand fcs affaires l'appel-
loient à Rouen , où il étoit aufTi connu qu'à
Evreux , ilfalloit, pour obtenir une mau-
vaife chambre dans une Auberge , qu'il y fût
incog-mto. Il n'y avoit point de Sacriftie , où
on ne lui refusât des Ornemens -, & afin de
lui faire entendre une bonne fois , qu'il n'a-
voic rien à efpérer de ce coté - là -, on ofoic
lui dire en face , qu'un homme comme lai
étoic indigne d'entrer dans TEglife. Pour un
Confefleur , je ne fçais s'il en eût pu trouver
dans cette grande Ville \ ce que je fçais ,
c'cft que dans tout Evreux , à peine y avoit
îl un Prêtre qui voulût l'entendre. En un
mot , dit un témoins oculaire , on le trait oit
n Rouen avec moins de ptié , qu^on n eût fait
une bête jettée fur un fumier.
Il ctoit difficile de le perdre auffi abfolu-
ment à Paris, où il y a toujours moins de
chaleur , plus de lumières , Se un bon nom-
bre de pcrfonnes , qui ne croient ni les
grands biens, ni les grands maux , qu'après
y avoir bien pcnfé. Cependant il eft sûr que
£a léputatiojtî y fouifrit un échec cçnfidéra-
DE M. BOUDON. Liv. II. 1^7
ble. M. de Maupaslui avoic déjà enlevé une
partie de les amis-, on tacha, & on réuflit à
lui enlever prefque tout le relie , par la ma-
lignité avec laquelle on commença à répan-
dre alors dans la Capitale , l'Hilloire d'une
fille, qu'on difoit ne s'être traveftie en gar-
çon , que pour fervir mieux la pafllon de ce
malheureux Prêtre. Comme cette événe-
ment eil curieux , qu'il a mis à de nouvelles
épreuves la patience de notre Archidiacre y
& que je fçais par ma propre expérience ,
que plufieurs de ceux qui refpedlent fa mé-
moire,en font très-mal informés^ je le regarde
moins comme un épifode , que comme un
point efientiel àl'Hiftoire que jécris.Du refle,
je n'en dirai rien qui ne foit appuyé fur dts
monumens certains -, ôc j'ai fous les yeux la
relation imprimée en forme de lettre , qui
fut dans le tcms même adrelTée à M. de
Maupas par Antoine de la Haie , très- digne
Curé de S. Amand à Rouen "^. Voici en fub-
fiance ce qu'elle porte.
Une pauvre fille du Diocèfe d'Evreux ;
nommée Marie , eut dès fa jeunefTc un goûc
décidé pour la vertu. Les Vies de quelques
* Cette relation eft datée du 17 Dftobre 1665. Elle efl
toute tirée d'un ^Mémoire qu'avoit donné le Confefleur dç
tette Fille. Ce fage Directeur , qu'un ami du pays m'a dit
aveir été un R. P. Minime , avoit mis à la tête de l'on écrit
ces paroi. s de S, Paul , 2. Corinth. 11. Beus & Voter
Dom-ni nojlri Jefu-ChriJl'L , qui ejl bemdiUus infacula p
§fj.t quoi non mtntïor. Ce que nous y ajoutons , eft peu
confidérable , & tiré en partie d'une lettre de M. Bofc-
gucrard , Curé de S. Nicolas de Rouen, parti? d'^uprei
pièces également certaines.
i6% L A V I I
Saints diflingués qu'on lui lifoit de temps-
en-temps , pioduifirenc en elle un grand
defîr de marcher fur leurs traces, Se fur-
tout d'imiter cette pureté fans tache , donc
plufîeuis d'entr'eux ont mérité d'être Mar-
tyrs.
Cette fille ayant atteint râge,où les perfon-
nés de fon état fe mettent en condition , vint
à Rouen , & fut reçue à titre de fervante
dans une des bonnes maifons de la Ville. Elle
prit en même temps pour Direéleur un Re-
ligieux d'un Ordre fert aulkre , ôc d'un
mérite reconnu.
Elle eut bientôt bcfoin de fes confcils.
Jeune , bien faite , d'une taille avantageufe ,
d'une modeftie qui fuppléoit à la beauté ,
fon maître la regarda d'un œil coupable ôc
la follicita au crime. Les premiers refus &
les marques d'horreur dont ils avoient été
accompagnés , ne l'étomiercnt pas : il redou-
bla fes pourfuites. Marie fit alors ce que
doit faire en pareil cas une Vierge chrétien-
ne ; elle eut recours à fon Confeffeur. Celui-
d l'obligea de fortir fur iô champ d'un lieu
où elle étoit dangereufe , ôc couroit elle-
même du danger.
Elle changea donc de domicile ; mais clic
n'évita un écueil , que pour tomber fur un
autre : elle eut le malheur de plaire à fon
nouveau maître , comme elle avoit plu au
premier ; Se il mit tout en uftge pour la fé-
duire. Touchée ôc vivement touchée de ne
prouver par-tout que des pièges tendus à
fou
DE M. BouDON Lrv. ïî. i^5>
fon inr/occiKc , elle réfolut de le jetcer en — ^—
quelque porr , afîii d'éviter le naufrage. Elle ^'(^{^^
demanda avec initance Thabit de la Reli-
gion aux Filles de fainte Claire. Elle mie en
mouvement tous Ces amis pour l'obtenir.
Mais leurs efforts de les Tiens furent inutiles.
Dieu permit qu'elle fiit refufée.
Dans fa douleur elle alla trouver une veii*
ve qui étoit tante de fa Maîtrefiè , & lui con-
ta une partie de £es peines. Cette Dame qui
avoit de la piété , après lavoir beaucoup
comblée j la prit à fon fervice : Marie fe
crut enfin à l'abri du danger. Elle alloit de-
Eieurer à la campagne , chez une femme
d'une vertu exemplaire , & qui , pour com-
ble de bonheur, ne fe faifoit fcrvix que par
des perfonnes de fon fexe.
Mais cet état de paix , dont elle étoit fî
charmée, ne dura pas. Sa Maîtrefle avoit un
fils , qui , après avoir achevé à Paris Ces étu-
des , revint fur la fin de l'année dans la mai-
ion maternelle. Il étoit dans cet âge , où la
piété feule peut arrêter les pallions j Ôc mal-
heureufement il ne la connoiflbit pas. Ainfi.
après avoir épuifc en pure perte les promcf-
fes , les artifices , les menaces pour féduire
la colombe , il forma le détertablc projet
d'obtenir de vive force , ce qu'il ne pouvoir
obtenir autrement. Un jour que fa m.erc
ctoit abfente , <^ que cette fille étoit feule
dans une chambre haute , il y entre comine
un furieux , Ôc fond fur fa proie avec la plus
ngire Se la plus infolente biutaliié. Malgré
H
I70 La Vie
les piodigîeiix efforts que fit la victime pour
brifer les liens qui renvironnoient , elle étoic
aux abois , quand le ciel fe déclara pour elle*
Cette courte prière prononcée à voix haute :
Ofaime Vierge yfcCJitrez.-moi: ne permettez^
pas que votre fervante foit deshonoré<i ! cette
prière fur un coup de tonnerre pour le fcé-
lérat. Il tremble , il palpite , il tombe par
terre fans mouvement & prefque fans vie,
Norre vertueufe fille au contraire , fent à
Vin\ta.nz fa foi blejfe diJJJpée , fes forces réta-
l^l'ies i fon courage fortijié y prend la fuite , &
fort pour toujours d'un lieu , qui avoit pen-
Ce être 11 funeUe à fon honneur ôc peut-être
à fa vie.
Elle partit par un dégel affreux. Les che-
mins croient rompus à faire trembler. Mal-
gré cela , elle lit quatorze lieues à pied ,
n'ayant d'autre chauiTure que celle des plus
pauvres payfans. Enfin elle arriva à Rouen
dans un état fi tride , que fon Directeur eut
de la peine à la reconnoître. Après l'avoir
entretenu dans le Confeffionaûde fa dernière
avanture : J'ai réjolu , lui dit-elle , de cacher
monfexefoHi des habits d'homme y puifque
fat éprouvé le da?iger de me perdre ^ erkmt
faisant connaître pour ce que je fuis.
Cette penfée furprit le Père , & il la dé-
faprouva abfolumenr. En homme fage , ôc
qui prévoit les fuites , il lui repréfenta les
difficultés qui pourroient furvenir dan»|
l'exécution de ce deffein *, l'impoifibilité oà
elle feroit de fubfiflcr j éc enfin le fcandal^
DE M. BoUDON. Liv. II. iji
^.i^i^i^^ai^riveioitinfaillibiei-nent, fi elle ve-
noic à erre reconnue.
Mais elle répondit à fon tour qu'elle
avoit roue prévu j Que pour l'exécution ,
clk avoir dès la veille acheté les habîrs d'un
mendiant j Que prétendant vivre en pauvre
dans un village qu'elle connoiffoit , il en
couteroit peu à la Providence pour la faire
fubfiaer ; Que pour éviter 1 oifivcté , elle
rempiiroît un chemin qui éroit très -mau-
vais ; qu'enfxn pour fa nourriture elle fe con-
tenteroit d'un peu de potage par jourj &
qu'elle attendoit de la bonté de Dieu, qu'il
infpireroit à quelqu'un de lui faire' cette
charité.
Quant au fcandale , elle ajouta , qu'elle
ne craignoit rien de ce côté-là ; Qu'elle étoit
aiTurée de n'être jamais reconnue pendant
fa vie ; que Dieu connoiffoit fon coeur Se
h pureté de fcs intentions j que Sainte Péla-
gie en avoit fait autant; & qu'elle vouloit
imiter fa pénitence Se fa vie depuis fa cou-
verfion.
En parlant ainfi , cette vierge affligée fon-
doit en larmes, ôc fon Dirccl:eur avoua de-
puis qu'il en fut extrêmement touché: mai«
comme il n'ofoit prendre fur lui un chan-
e:ement fi extraordinaire , Se qui de lui-mcmc
n'en pas dans les règles , il la pria de trouver
bon quil prit confeil , vu que l'affaire étoit
affez importante pour n'ctre pas décidée par
un feul homme.
Elle y confeniit. Se en conféquence fon
Hii
I7i La Vie
Ml '^ Directeur confulra leR.P.Godefroy, homme
&'fuiv ^'"necapaciré reconnue ,& qui après avoir
fait d'une manière édifiante les fondions de
|;rand Pénitencier à Lorette , faifoit aduelle-
ment à Rouen celle de Redeur du Noviciat
àçs Jéfuites.
Ces deux fçavans Religieux eurent , tête
à tête y une longue conférence fur cette
matière , qui , grâces à Dieu , n'exerce pas
fouvent les Cafuilles. Le Recleur , après
avoir encendu le principe, les motifs, le
progrès ôc toutes les circonftances de cette
affaire , s'écria en prefTant la main à celui qui
le confultoit ? » Mon Père , voilà une gran-
»^ de ame , il la faut laiffer faire : ce deflein
?j eft la récompenfe d une vertu héroïque ;
" aflfurément Dieu en veut faire quelque
?' choie de grand. " Cette décifion foulagea
beaucoup 1^ ÇonfelTeur , ,& il réfojut àc s'y
tcnif.
Quelques jours après , comme il fortoit
du Confeflîonal , il vit entrer dans fon Eglife
un pauvre garçon tout défiguré, un bâton à
la main , des jabots aux pieds , tel que pour-
roit être un pampre convalescent qui for^
tiroit de fHcpital. Ce jeune homme alla
faluer le tr.ès-faint Sacrement , & y pafTa un
rems confidéiable. Au fortir de rÈglife il
regarda le Père avec un fouris qui l'étonna.
Il y foupçonna du myftere \ Ôc ayant jugé
que ce pourroic bien être fa pénitente , il fit
courir après. On ratteignit fur le chemin de
$, PauL
DE M. BouDON. Liv. II, 173
Le premier moment ne fur pas gracieux ■
pour elle. Sa précipitation fembloit mériter g^^fujv'
des reproches ; elle en eiluya d'alTez vifs.
« Le moins que vous puiTiez faire , lui dit le
i> Religieux , c'étoit d'attendre ma répon-
"fe, puifque vous fçaviez que je n'avois
»j été au confeil , que pour vous donner
« une décifion , propre à tranquillifer votre
" confcience. »
Pour adoucir fon Direcleur , elle répon-
dit avec beaucoup d'humilité ^ que fon pre-
mier defTein avoir été de ne rien faire fans
avoir reçu (es derniers avis -, mais que \^
crainte de quelque nouvelle infulte, la faifoic
frémir j que dans fa dernière Communion
elle s'étoit fentie fi vivement preffée de finir
cette affaire , qu'elle en perdoit le repos ;
qu'au relie on ne devoit avoir aucune inquié-
tude à fon fujet , puifqu'étant fous la pro-
tection de la Sainte Vierge , elle étoit aiTurcc
de n'être connue qu'après fa mort.
Le Confefleur , qui vit que c'éroit une
ihofe faite , & qui d'ailleurs en conféquencc
de l'entretien qu'il avoir eu avec le P. Go-
defroi , ne pouvoir s'y oppofer , l'anima au
bien & à la perfévérance. 11 lui donna une
petite méthode de conduite ; & lui recom-
manda fur-rout l'exercice de Toraifon , & la
fréquentation des Sacremens. A cette occa-
fion il eut une difficulté ; c'éroit de fçavoir
comment elle fe confefTeroir. Mais elle avoir
fi bien lié toutes les parties de fon fyllcme,
qui! n'y avoit point de difficulté, qu'elle ne
Hîij
174 ^ La Vie
flic pi ère à réfoudre. Elle répondit , que Ton
deffein étoit de ne fc déclarer à pcrfonne v
qu'il lui fuffifoit d'être conue de Dieu y qu'elle
efpéroit de fa nûféricorde de ne commettre
aucun péché , qui l'obligeâr à fe découvrir ^
qu'ainfi elle Je co^fejferoit toujours dans le
genre mafculin : ce fut fon terme , dont ce
Diredeur fut aflez furpris. Il le fut encore
plus , lorfqu'il vit cette fille qui ne fçavoii
pas lire , foutenir une longue convcilaiioii
fans fe méprendre une feule fois fur la diaé-
rence des genres. Au rcAe , elle fut toujours
d'un fecret inviolable fur ce qui rcgardoit
fonfexe, vu même qu'à 1 heure de la mort
elle ne voulut point fe fiiire connoître.
Avant que de quitter fon ConfcfTeur , elle
lui demanda un Crucifix Ôc une difcipline#
lln'ofa lui refufer cet in/irument de péni-
tence ^ quoiqu'il fçût qu elle portoit déjà une
haire très rude. Il joignit à ces deux préfens
une i -nage de notre-Dame des fepts Dou-
leurs, pour qui elle avoit uue tendre dévo-
tion.
Il ne rcfloit plus qu'une diiïkulté i c'étoit
de fcâvoir quel nom elle fe donneroit dans
le public. Le Père, au choix duquel elle
s'en rapporta , voulut qu'elle fe fît appel 1er
Claude Petit > Claude , parce que c'étoit
le nom qu'il portoit lui-même , ôc que par-
là il efpéroit qu'elle fc fouviendroit de lui
dans fes prières j Petit , afin qu'elle ne per-
dît jamais de vue fon néant & fa bafiefie. Ce
charitable Direéleur , après lui avoir donné
DE M. BouDoN. Liv. II. 175
fa bénédidion , 1 abandonna à la grâce de ^^^g '
Dieu: Bien confus, difoit-il, de voir une&fuiv,
£lle foible Ô: naturellement délicate , le de-
vancer dans le chemin de la vertu , & courir
les rifques de l'indigence & de la dernière
misère , pour ne pas courir les rifques de
manquer à Dieu & de perdre fon ame. Ce-
pendant dans la jufte crainte qu'il eut , que
les rudes travaux auxquels elle fe condan>-
noit elle même , ne padafTent fcs forces , il
lui donna pour dernier ordre de recourir à
lui dans fes bc feins. Comme il pouvoit man-
quer lui même , il fit part de fon fecret à la
refpeétable & vertueufe Madame de Bre-
bion 5 & il en tira promejje , qu'en cas de be-
foin elle recevrait chez, foi cette fille auiTî
innocente que pénitente. Peut-être auifî
qu'il étoit bien aife d'avoir un témoin , qui
déposât en faveur de la vérité , fi par hazard
cela devenoif néccfiaire. Quoi qu'il en foir ,
cette Dame , dont le nom revient plus d'une
fois dans notre Hiftoire , répondit au Père ,
qu'elle fe prêteroit très - volontiers à cette
bonne œuvre , & que puifqu'elle tâchoit de
ne pas abandonner celles qui étoient dans le
mauvais chemin , il étoit bien jufte d'aiïïfter
celles qui avoient tant d'amour pour Diea.
Claude Petit , car c'eft le nom que nous
lui donnerons déformais avec le public , &
nous prions leLecleurde s'y faire ^ Claude
alla donc fe confiner dans un Village. Mais
il reconnut bienrot qu'il n'eft ni état , ni
habit q,ui foit à l'abri des tribulations. Il en
Hiv
176 L A Vl E
■ eiîbya une , qui ne fera pas la première de
& fu?*, ^^ genre dans l'Hiftoire eccléûaftique. Une
iille qui avoir eu le malheur de fe laifieu ré-
duire , joignir à fon premier crime celui d'en
charger Claude Petit. Jamais calomnie ne
fut plus aifée à confondre. L'accufé ne prit
point le change. Il fouffrir en paix , ou plu-
tôt , comme il le déclara dans la fuite , il
fouffrit avec une joie qu'il n'avoir point en-
core éprouvée , cette humiliation toujours
dure par elle-même, mais plus dure encore
pour ceux qui font profcflîon de vertu. Son
innocence fut entin reconnue, de vraifcm-
blablement par l'aveu d'un des deux cou-
pables.
Ce fut peut-ctre pour éviter la gloire qui
couronne eniin l'humilité ôc la patience,
que Claude changea de domicile , ëc fe fixa
à Evreux , où il loua deux petites chambres
au Fauxbourg Sw Gilles. Sa modclliie, fa ver-
tu conltante , fon alTiduité à fréquenter les
Sacremens , fon invincible patience dans les
cruelles douleurs d'une gravelle, qu'il fouf-
frit fans remède de peur d'être reconnu \ fon
zélé pour l'inJtrudion de la jeunefle , à qui
il faifoit faire des lectures édifiantes : un air
de douceur & de férénité , que fes infirmi^
tés prefque continuelles n'altérèrent jamais,
•le firent bientôt pafler dans la ville pour un
Saint du premier ordre , & on ne lui donna
plus que le nom de Frère Claude.
Plufieurs Eccléfiaftiques , de fur - tout
Meffieurs Poitel, Chanoine de la Carhé-
J
DE M. BouDON. Liv. IL Ï77
^raîe , & le Roi , Confefleur des UiTulines , 7-
foahaiterent de Tavoir à leur fervice : mais & f^y*
de JLiftes égards pour la réputation de ces
vertueux Prêtres , chez qui la mort auroic
pu le furprendre , rempécherent dy con^
fenrir. Et quoiqu'il fît leurs commiiTions ,
comme il faifoit celles d'un grand nombre
d'honnêtes gens, il fur toujours ferme à ne
vouloir loger , ni même manger chez eux.
Pour ce qui eft de M, Boudon , il eil vrai
que le précendu Claude entendoit& fervoit
volontiers fa meflfe , parce que ce faint Prê-
tre la difoit comme un Ange ; mais ce fut le
feul rapport qu'il eut avec lui , & û TArchi^
diacre l'entendit quelquefois en confeiTion,
ce ne fut que très-rarement Ôc au défaut de
fon Direéieur ordinaire.
Samorrfdt auûï fainte que l'avoit été fa
vk. Les derniers Sacremens de l'Eglife re-
çus avec une tendreiïe , une ardeur dont iî
y, a peu d'exemples , lui furent un ^age de
ia récompenfe qu'alloicn: recevoir [es tra-
vaux & fes combats. Ce fut dans cette oc-
cafion que les femmes qui fe préfenterenc
pour l'enfevelir , reconnurent fon fexe . de
publièrent par-tout que c'étoit une fille tra-
veilie en homme. Dans un moment ce fut
la nouvelle dii jour &: de toute la Ville. Le
bruit en pafia bientôt dans les lieux circon- .
voifms , &: ce fut à la campagne que Boudoa
en fut informé.
Une découverte fi extraordinaire n'affol-
Wit point la réputation de cette illuûte
lyS La Vie
■? Vierge. Les gens Tages jugèrent qu'il y avoir
1668. là- de/Tous un miftere qui s'éclaiiciroir aveSr
' Je rems , Ôc Von fouhaitoit qu'il plût à Dieu
de le manifeiler. En attendant fon heure y
on fe racontoit à l'envi ce qui avoit trans--
pire des vertus de cette fameufe pénitente >
fur-tout de fon horreur pour l'impureté ,
qu elle pourfuivoit par - tout , ou par elle-
même , ou par l'autorité de ceux quiétoienC
capables de l'arrêter ; de fon zélé pour re-
tirer du crime les pcrfonnes qui s'y étoient
laiffé engager j de fon attention à fournir à
leur fragile vertu les fecours dont elle avoir
befoin pour fe maintenir -, de fa générofité ,
foit à parrager avec elles le peu qu'elle avoit
pour fa fubfiiiance , foit à leur procurer des.
aumônes , qu'elle acheta plus d'une fois par
des rebuts humilians.
Mais en parlant ainfi , on ne connoiflbit
encore qu'une partie de fes mérites. Nous
en pourrions détailler d'autres , qui fuppo-
fent des grâces d'un ordre peu commun.
Mais dans un fiecle comme celui où nous vi^
vons, on a prefquede la peine à écrire ce
que Dieu n'a point de peine à opérer. Après
tout, le peu que nous en avons dit , c(ï plus
que fuffifant pour concilier à fa mémoire
une jurte vénération ; & nous nous croyons
en droit de répéter aujourd'hui , Ôc d'adop-
ter ces paroles qui terminent la relation du
Curé de S. Amand 6c qu'il adreffoit à M. de
Maupas. » Je demanderois volontiers, Mon*
« feigneur ^ il ce Père Recleur de la Çom-
DE M. HOUDON. LiV. II. 179
» pagnie de Jefus , Ci docte ôc û fpiriruel , ' ■
» n'a pas eu raifon de dire de cette ame , que &^i^i^
" Dieu en vouloir faire quelque chofe de
" grand j &fl les effets n'ont pas jullifié ce
" fenrimenr? Car oà trouve- 1- on rien de
« médiocre dans le cours de cette vie , de
" dans la pratique de ces vertus ? Quelle
" ardeur célefte pour la chaftcté ? Quelles
" flammes du faint amour , qui a paru vifi-
« biement un jour qu'elle entendoir la Mefle
"à Rouen? . . . Quelle patience dans une
«extrémité de douleur? Quelle libéralité
»• au milieu de la difette? Quelle confiance
" en la bonté divine , & en la protection de
» la fainte Vierge ! Quelle forée ôc quelle
« conllance de perfévérer dans toutes les
sï vertus jufqu'à la fin de fa vie, Sec. »
Or ce que penfoit de cette fille fi extraor-
dinaire en tour genre , le Curéde S. Am.and,
c'eft précifément ce qu'en penfa , lors de fa
mort, toute la vilie d'Evreux. Bien loin de
la regarder comime une perfonne qui eût
joué le public ôc la Religion , elle fut uni-
vcrfellement efiiméc , comme elle méritoie
de rérre. On lui fît des obféques honora-
bles 5 ôc on érigea fur fa fofle une croix de
pierre , pour en conferver la mémoire ; ôc
nous fçavons pour l'avoir vu , que le nomi de
Frère Claude carc'ell ainfl qu'on a toujours
parlé , eil encore en bénédidion à Evreux.
Ce fut néanmoins à l'oecafion de cette-
•Cette Crois, qui auroic du êîre coufeivée , ne futr-
fifteplus,
Hvj
i8c La Vie
■■ fille^queT Archidiacre fut fi indignement traî-
i66y. ^^ j^yj^ ^^j^^ Evreux même , où la calomnie
auroit faute aux yeux, mais dans une partie
du Royaume. On y publia avec une impu-
dence qui tenoit de la fureur , qu'il avoir eit
pour fervante une perfonne du fexe , dé-
guifée en hommes mais que Dieu, pour
confondre Thypocrifie du fcélérat , avoir,
permis qu'elle fût reconnue a la m'ort. Le faic
eft au contraire , que, quoiqu'il eût pu y
être innocemment trompé , comme l'cuflent
été ceux qui lui offrirent leur miiilbn j Dieu
^ ne permit pas qu'il le fût , & que jamais pen-
dant tout le tems de fa vie , fans en excepter
celui de fes plus grandes intirmités , il n*eut
ni valet , ni fervante ■^.
Ceux qui ne veulent rien approfondir , Se.
moins encore quand il s'agit de juftificr un
Prêtre, faifirent le dernier morceau de la
fable , & enflèrent le rc/le au gré de leur
pafTion. Le grand Archidiacre, à qui Tort
2voit déjà porté de fi terribles coups , devine
l'abomination de l'homme grave ,& le jouet
delà canaille. On le chanfonna fur le Pont,
neuf à Paris. Son nom courut les halles avec
les vaudevilles-, & ce qui touche plus un bon:
cœur , il fe vit- abandonné par des perfon-
nés, à qui il avoit rendu des fer vices iîgna-
lés. Ainfi de quelque côté qu'il allât , il ne
trouvoit plus que des croix.
* C'eft donc par erreur qu'on a dit Je contraire dans uri
Mercure de 1702, quoique l'on escufeM, Boudon furfon
%norance>
&Luiv^
DE M. BouDON. Liv. II. i8-r
A Evreux , on içprêchoitcn fa prélence j
Se un Religieux qui avoir la ilacion du Ca- ^J^A^*
rcme , le rraitoit en Chaire d'hypocrite ,.
d'impofteur, de faux Prophète. Â Paris il
rrouvoic des Satyres contre lui jufqucs chez^
hs Libraires qui imprimoient Tes Ouvrages^
Un grand nombre de fes amis lui tournèrent
le dos. II n'ofoit prefque voir les autres dans
la crainte de les compromettre. Ainfi , com-
me il ne tiroir rien , ou prefque rien , de fon
Archidiaconc , de que pour fubfifter il n'a-
voir d'autre fonds que ceux de la charité
chrétienne, il fe voyoit dans la plus triftc.
fituation , lorfqu'il éroit obligé de fe rendre
en cette ville. Il y pafia une fois cinq jours
de fuite avec la fièvre dans le grenier d'un
pauvre railleur; ôc il fut alors réduit à une
fî étrange néceïïité , qu'il n'avoir pour tout
fouîagement qu'un peu d'eau , & quelques
miférables bouillons qui ne valoicnt guéres
mieux. Cet extrême befoin eût pu lui coûter
la vie , fi les Filles de la Providence , qui
par hazard en fureur informées , ne rcuiTen:
fait prier de prendre une chambre dans le
voiunage de leur Communauté. 11 l'accepta,
avec bien de la reconnoiiTance , ôc avec des
fentimens d'une humiîiré fi profonde , qu'en
entrantchez elles iibaifa le îcuil delà porte,
& s'écria d'une manière infiniment tou-
chante : *< Efl il donc vrai, mon Dieu , que.
« votre adorable Providence vueille bien en-
3î core donner un lieu de retraire à ce mi-
« férablc pécheur , qui ne mérite que l'en-
iSi La Vie
*~— » fer , pendant que vous n'aviez pas vous-
&fuiv. " même, étant dans le monde, une pierre
" où repofer la tête»
Tels furent pendant le cours de cette mal-
heureufe affaire, ou plutôt pendant toute
fa vie , les fentimens de ce grand ferviteur
de Dieu y mais nous manquerions un des
plus beaux traits de fon portrait , û nous ne
les développions avec plus d'étendue Rien
de plus touchant , de plus noble , de plus
chrétien, que la manière dont il remplit alors
fcs devoirs, foit par rapport à Dieu , dont la
main fembloit vouloir l'écrafer , foit par
rapport à ceux , qui de bonne ou de mau-
vaife foi le perfécutoient fans égards «^ fans
miféricorde.
Quant à ce qui regarde fes devoirs en-
vers Dieu , fon cœur , qui malgré la violen-
ce de l'orage fut toujours inondé d'un fleuve
de paix, fe dévoua au fervice de ce grand
Maître avec une fidélité , une ardeur, que le
rems des grandes épreuves femblc ne pas
comporter. Chaque jour il célébroit les di-
vins mvfleies à Evrcux , où Tan n'avoit ofé
les luiinterdire.il faifoit fesvifites d'Archi-
diacre avec autant de zélé que jamais. Il s'y
dédommageoit par des difcours vifs & en-
flammés de l'impuiffance où on l'avoir mis
de prêcher hors le temps de fes fondlions y.
&c quoique , eu égard aux préjugés des peu-
ples, fon Auditoire fut aufll défcrr , qu'il
avoir été nombreux quelques années aupara-
vant , il park?it avec toute la chaleur d'ua
DE M. BouDON, Liv. ÎI. 1S3
homme, qui eft prêt à donner fon fang ôc ^^^g^
fa vie pour la converfion d'une feule ame. & iui?>
11 faifoit à Tordinaîre ces pieux & laborieux
pèlerinages, qui lui ont raéricé tant de grâ-
ces. Sur-tout il réclamoit du milieu des flots
où il étoit comme enfeveli, la protection de
celle que l'Eglife nomme l'Etoile de la mer»
Dans cetce vue il fit le vovage de Chartres ,
où cette Vierge mère eil: û particulièrement
honorée : & ce fut là y dit fon principal Hif-
torien , que nous eûmes le bonheur de le voir
pour la première fois , & et apprendre de lia
l'honneur que Dieu lui faifoit defoujfrir pour
fa gloire.
Cétoit efFedivement en ces termes, qus-
Boudon parloit de fes humiliations. Sa croix:
ctoit pour lui unefource intariflabîe de joie,
mais d'une joie iî vive , fi animée , qu'elle
éclatoit au dehors mialgré qu'il en eût. Cefl
que , comme il l'avoua une fois , il avoir
toujours dans l'efprit ces confolantes paro-
les du Sauveur; <* Vous ferez heureux quand.
» on vous chargera de malédiclions , qu'on:
»vous perfécutera , qu'on dira faufiement;'
>» toutes fortes de maux contre vous à cau-
» fe de moi. RéjouiHez - vous alors , & tref-
« faillez de joie \ parce que la récompenfe
>î qui vous attend dans le Ciel , e/1 grande..
y> Heureux donc , difoit-il encore , & bien-
»> heureux ceux qui fouffrent , mais plusheii-
>j reux ceux qui font crucifiés de toutes parts,
»» & qui ne peuvent ni mettre le pied , ni
» repofer la tête , ni appuyer leurs matus , ri
184 ^ La Vie
■■ " foutenir leur corps , que fur la Croix y
&fuhv " ^^^ font eux-mêmes àcs croix vivantes,
f> ôc qui n'ont au corps ou à refprit aucune
» partie qui ne ibit crucifiée. >»
C'étoit en partant de ces grands principes,
qui après tout ne font que la fubflance de
l'Evangile bien entendu , que Boudon agréa-
blement flatté de fes fouffrances , s'en hu*
milioit devant Dieu, comme une perfonne
naturellement modefle s humilie à la vue
d'une diftinélion trop marquée. « O mon
'> Seigneur , s'écrim-ilfouvent , par où ai-je
'> mérité que vous me traitiez comme vos
5> plus chers favoris ! Pourquoi me donnez-
» vous en partage la pauvreté , les mépris ,
" la douleur ! D'où vient cet abandonnc-
'•> ment intérieur & extérieur , qjuieil la por-
'> tion chérie de vos premiers nés ! ->'
Ce qui le tou choit le plus , & ce qui re-
doubloir fes actions de grâce, c'eil: que Dieu,
pour le faire entrer dans ce délicieux fentier
de croix &c d'opprobres , étoit plus ou moins
forti des loix ordinaires de fa conduite :
comme iorfqu'il avoir amené à Evreux cette
iîlle vêtue en garçon , qui devoir donner lieu
aux calomnies dont il fut noirci \ Iorfqu'il
avoir fermé le cœur à des gens qiiMui a voient
les dernières obligations j Iorfqu'il avoir iî
profondément endormi tous fes parens , qui-
faifoient a Rouen une figure diftinguée , que
pas un d'eux n'ouvrit la bouche en fa faveur:
enforte qu'il pouvoit dire avec le Prophète
Roi : « Mcsfrerçs rriont traité aomm^ mt .
DE M. BOUDON. LiV. II. I Çj
inconnu , & les enfans de ma mère comme un — -
A la vue de ce renveriement aordre , qui
fait éclater en plaiiires des Chrétiens mal af-
fermis 5 Boudon éclatoit en rranfporrs de
reeonnoiffance. Mais cette reconr.oifiancc
ne lui fuffifoit pas. Il s'étoit allumé dans Ton .
cœur un feu à qui les croix feules pouvoient
fervir d'aliment. Et ces croix, il \qs com-
ptoit pour peu de chofe , lorfque par leur
pefanteur elles n'approchoicnt pas de celle
de fon divin Maître. Point de genre d'é-
preuves qui ne fiuTent \ts bien venues dai\s
ce grand cœur. Il alloit au-devant avec re-
fpedt j il les recevok avec honneur. « Il faut
« avouer , difoit -il , que le comble de ma
» joie feroit d'être emprifonné , chargé de
« fers , faufTement accufé des plus grands
>» crimes , condamné à la mort , exécuté fur
" un gibet , au milieu d'une confufion de
" peuple plus nombreux , s'il étoit poiïlble ,
» que celle qur à la mort de J, C. fe rrou'/a:
« fur le Calvaire. Je fçais, eontinuoÎMl ^ que
» peu de perfonnes goûteront ce genre de
" mort jmais je fçais que mon Maître &
y* mon Dieu Ta goiîcé , & qu'il ne fe trompe
w point dans le goût dçs chofes. Je fçais que
» ce qu'il trouve bon eft bon, quoi qu'en
>ï penfenr & qu'en puiÏÏent dire les créatu-
» res , dont le goût ell dépravé par la corv
*> ruptîon du péché. »
Cette ardeur , ou cette efpéce de faînte
fureur qu'avoir l'Aichidiacre pour les fouÊ-
1Î6 La Vu
■ frances , éroir de tems en rems foutenne par
i«68. clés exemples bien propres à le confoler. Un
homme de bien qui revenoit d'Angleterre,
loi raconta à Paris , qu'un grand Seigneur de
ce Royaume , avoir été dépouillé de tous Ces
biens, parce qu'il éroit Catholique , & que
fon château avoir été donné à un autre ,
parce qu'il étoit bon Anglican j que le pre-
mier ft voyant fans reflburce avoit fupplié
le fécond de le loger dans un petit coin de
fon ancic iMie maifon , ce qu'il lui avoit ac-
cordé-, q:e réduit à n'avoir pour retraite
qu'un r.iicrable trou , &z pour nourritiire
que du pain noir , il voyoit dans une paix
profonde àcs gens qui ne lui étoient rien ,
faire tous les jours grande chère à fes dé-
pens , & habiter un fomptueux palais , dont
il avoit fait tous les frais, pendant qu'il cou-
choit dans l'ordure, & qu'il vivoit dans îa
mifere.
« J'ai vu , difoit cet Etranger , j'ai vu ce
»» digne Confeffeur delà foi. Il me reçut avec
w bien de la charité. Il voulut même me
« traiter j mais le pain & l'eau furent tous les
» mets du feftin qu'il me fit j & il ne pur al-
»' 1er plus loin. Ce qui me ravit, c'eft qu'il
» m'aïïura que jamais il n'avoit été fi con-
»> tent. »
Ces fortes d'exemples animoient fi puif-
famment l'homme de Dieu , qu'il ne pou-
voit plus regarder (ts ennemis , que comme
des bienfaiteurs , à qui il devoir toute fa
tendreffe &: toute fa reconnoiflance. AulTi
I
DE M. BouDON. Liv. II. 187
iît-il pour eux ce qu un bon cœur ne fait pas ;
toujours pour des amis éprouvés. 11 tendit &^to.
la niain à ce fouple Ôc dangereux calomnia-
teur , qui lui avoir porté le dernier Se peut-
être le premier coup , ainfi que nous le ver-
rons dans la fuite. 11 eut roujoursunefingulic-
re vénération pour 1 Ordre de ce déclamareur,
qui lavoit fi indignement traité en Chaire \ &
pour ce qui eu du Prédicateur même , il n'en
parla jamais qu'avec eûime -, 5c depuis C3.
mort : « Je crois, difoit-il, que Dieu lui aura
3) fait miféricorde, parce qu'il croyoit bien
>' faire. «
A regard de M. de Maupas , qui afTu ré-
ment lui donna beaucoup d'exercice , on fe
fouvient qu'au fort de ks peines , il vouloir
qu'on l'honorât & qu'on en dn du bien ;
mais peut être qu'on auroit peine à croire,
qu'il ait pu s'acquitter de ce double devoir
Il pleinement & fi conflammenr.
11 étoit à Paris chez les Dames de la Vifi-
tation du Fauxbourg S. Jacques , & il ne fai-
-foit que fortir de Chaire, îorfqu'on vint lui
annoncer l'étrange mort de ce Prélat , qui
avoit été à demi brifé * fous les roues de fon
caroffe. Après les premiers momens, qui
fe donnent de plein droit à la douleur , ces
Dames qui n'avoient pas oublié les bons of-
* M. de Maupas , qui aimoit à donner i^e rémularion à
ion Clergé , Tcnoit d'entendre le fermon d'^un de fes jeu-
nes Ecciéfiaftiques , lorique fes chevaux à une defcente
près d'Fvreux prirent le mors aux dents. On eut le tems de
le tranfporter à TEvêché , & de lui donner les Sacre-
mens^ll y mourut le lendemain , Liuidi 12 Août 1680.
. îtg La Vie
•^^^ fîcces que M. de Maupas leur avoit rendus
Stfmi. ^ Rome dans TafFaire de la canonifation de
S. François de Sales , prièrent le grand Ar-
chidiacre de leur dire un mot de fcs vertus.
II le fie pendant près d\ine heure -, mais avec
tant de zélé , tant d'efFufion de cœur , que
toute la Communauté en fut enchantée.
Mais les anciennes , & fur-tout Madame
de Lamoignon , qui fçavoient ce qui s'éroit
pafle à Evreux entre ces deux grands hom-
mes , ôc qui remarquèrent que dans le cours
de ce long, entretien il n cchapa pas h Bou-
don un feulïota qui fentit laplainrc , en fu^
rent fi édifiées , que plus de vingt ans après ,
eelles qui re/loient encore , n'en parloient
qu'avec admiration.
Mais ce ne fut point parce que la paix étoîc
faite alors, que l'Archidiacre louoit M. de
Maupas. Il Tavoit fait dans le tems même, où
une vertu ordinaire croit que lefilence ôc la
fuppreifion des murmures font le feul facrifice
que Dieu puifie exiger d'elle : mais il l'avoit
fait avec ces traits mâles ôc nourris , qui de
la part d'un autre auroient annoncé un ta-
bleau d'idée, ôc qui heureufement ne pou-
voient annoncer de la fienne qu'un pinceau
fidèle ôc Chrétien. Nous allons préfcnter
ce portrait -, non pour faire contrarter l'Ar-
chidiacre avec l'Evcque: mais pour faire voir
aux Grands , que la vertu Ôc les bonnes in-
tentions ne ks mettent point à l'abti de la
furprife, ôc qu'ils doivent vingt fois reve-
nir à l'examen , quand il s'agit de juger en
DE M. BouDON. Liv. IL 189
dernier leiTorrun MiniPcre de Jefus-Chrift.
Henri de Maupas du Tour , d'une des
plus illu/lres familles du Royaume , pafTa le
temps de fa jeunefle avec tant de piété , qu'il
en ménageoit tous les momens avec une at-
tention qui alloit jufqu'au fcrupule.
A l'âge de 1.3 ou 14 ans, il fe dépouilla
de fon droit d'aînefo pour entrer dans la
Cléricarure. Sa famille fur étonnée d'une
démarche fi généreufe : le public en fut édi-
B-é i Dieu la récompenfa par une de ces vi-
cloires que l'homme de chair méprife , &
que la Religion f^ait apprécier. Une femme
plus belle que vertucufe tendit un piège à
fon innocence. Ses difcours libres ôc paflion-
nés la décélèrent. Le jeune Maupas en eue
horreur. Il reçut fes premières avances de
manière à la difpenfer d'en faire de nouvel-
les. Engagé par un emploi honorable "^ à
iliivre la Cour, il fçut y vivre comme il eût
fait dans lin cloître. Malgré cela il fut cruel-
lement déchiré par un libelle qu'on lui mie
en main. Il s'en vengea fur l'heure, mais
comme fe vengent les Saints : au moment
même il alla offrir pour fon calomniateur la
victime de paix &: de propitiacion.
Nourri du lait & des maximes de S. Vin-
.centdc Paul ,dont il fit le panégyrique fu-
nèbre , fa foi éroit fi pure , qu'il fut toujours
rintrépide défenfeur de toutes les vérités
catholiques. Si les Novateurs réulFirent à
* Il étoit premier Aumônier de la Reine Ai'me d'AU)?
I
&IU1V
î 90 L A V I E
1 aliéner de fon Archidiacre , ce ne fut qu'à
<^^^^j la faveur d'un mafque, fous lequel il étoit
impoflible de les rcconnoître.
Son amour pour Dieu étoit fî ardent ,
qu'il étoit toujours prêt à mourir pour fon
fervice j & fur la fin de fes jours , quoique
d'un âge déjà fort avancé , lorfqu'il enten-
doit jurer fon faint nom , il faifoit arrêter
fon équipage y ôc fondant fur le blafphéma-
teur 3 il k reprenoit avec tant de force , Se
tout à la fois tant de bonté , que chargé de
confufion , l'impie fe jettoit à Ces pieds , Se
Je conjuroit humblement de lui pardonner
fa faute.
Sa tendrefïie pour la faintc Vierge étoit
auHTi vive qu'elle étoit lumineufe. Il avoir
mis fous fa proteéiion fon Dioccfe , fa fa-
mille , faperfonne , fon falut. 11 fe déclaroit
publiquement l'ennemi des ennemis de cette
Reine des Anges. Il ne pouvoit fouffrir ceux
qui affoibliffoient fon culte. 11 parloit digne-
ment de fa gloire & de fes grandeurs -, &
quoiqu'on ait dit de lui, que de fon tems il
n'y avoit perfonne qui prêchât d'une façon
plus naturelle , plus profonde , plus tou-
chante, il fe furpaflbit , quand il étoit qiief-
lion de la Mère de Dieu.
Son affection pour les pauvres éroir fi
grande , qu'il alloit les chercher dans les hô-
pitaux , dans les cabanes , dans les champs .
pour les indruire. Il fe faifoit honneur de
leur apprendre à faire le figne de la croix ,
à réciter leurs prières , à connoîtrc le Sei-
I
DE M. BOUDON Liv. lï. 19 1
gneur Jcfus , ëc les mviieies delà Religion.
Dans les Villages de fon Diocèie il alTem-
bloit au fon de la cloche ks habicans du
lieu. Il interrogeoit lui - même les enfans ,
pour voir Ci le Pafteur faifoic fon devoir , ôc
s'il avoit foin de fournir à la jeuneffe le lait
dont elle a befoin. En voyage , dès qu'il étoit
defcendu en quelque hôceilerie , il fe fai-
foic amener ôc ks enfans de les pauvres pour
les catéchifer. Tous les foirs Boudon , de-
vant ôc après les brouilleries dont nous
avons parlé , faifoit par fon ordre un dif-
cours de piété à Ces domeltiques.
Une de Ces maximes étoit que l'orgueil
n'a jamais fait que des démons. Pour l'évi-
ter il rcfufa humblement TArchevéché de
Touloufc. La Reine , qui 1 avoit toujours
regardé comme un fujet fidèle , informée de
fon mériie , voulut l'avoir pour Père , & le
traita comme tel. Ces diilinclionsne renflè-
rent point. L'idée de fon néant lui fut tou-
jours préfente.
- Ses voyages n'ôtoienr rien ni à fa piété ,
ni à la pièce de ceux qui avoienc le bonheur
de l'accompagner. Son caroffe ècoic une ef-
péce de temple mobile , où Ton immoloit
fans cefTe à Dieu des facrifices de louanges.
Evéque du Puy en Vêlai , il avoit travaille
avec une application infatigable , foit par
fes vifices & fe s Synodes , foit par fes Mif-
fions ôc fes Séminaires , à arracher de la vi-
gne du Père de famille les épir.vi qui la dé-
figuroienr. Eyêquc 4'^yi^^^x , il travailla
ï^% L A V I 1
— avec la même ardeur à défricher un champ
Sc7idv, ^'^^^^^^^^ P^"^ précieux , que le fonds en étoic
' admirable. 11 mit la réforme dans les Ab-
bayes : il établie des Mi/Tions & des Confé-
rences i il diftribua aux pet-its &C aux grands
une nourriture proportionnée ; il partagea
fes revenus avec l'indigent , de par fa der-
nière volonté il fît les pauvres fes légataires
iKiivcrfels: Ainfi quelque promptequ'ait été
fa mort, on a lieu de croire qu'elle ne fut
pas imprévue.
Tel cil en raccourci le portrait de M. de
Maupas > & c'eft en grande partie à fon Ar-
chidiacre que nous le devons. On a peine à
n'ypas voir qu'il ait honoré ce faint Prêtre
d'une amitié contante : 4vais tant qu'il y
aura âts hommes fur la t-erre , il y aura des
tiiéprifesi(i5<: jufqu'à la fin des fiécles , il fe
li-ouvera des Conllantins , qui féduits par
la faétion Eufcbienne , croiront honorer
Dieu en perfécutant les Athanafes. Heu-
reux encore ces Perfécuteurs forcés , quand
à l'exemple de M, d'Evreux , ils découvrent
enfin le piège qu'on leur avoit tendu , ôc
qu'iJs reviennent entièrement de leurs pré-
ventions.
Après tout , il n'étoit pas de l'ordre delà
Providence, qu'un Prélat, d'ailleurs fi refpe-
étable , ne reconnût jamais la vérité. Il y eut
même toujours en lui , après les premiers
feux , une forte d'incertitude , & un fonds
d'inclination , qui le difpofoient peu à peu ■
à fe déclarçf en faveur de l'innocence. La
vue
DH M. BOUDON. Liv. IL 193
vûede TArchidiacre toujours femblable à lui- •
même j fa parience invincible , fon zele in- ^^7^'
fatigable , fon arrention à ne dire que du "**
bien de Ces ennemis les plus déclarés , fa
mode/îie, cet air de paix, que les païïions
ne connoifTent pas , ik qu'elles donnent en-
core moins -, rout cela faifoic fur le cœur de
M. de Maupas, une impreflion qui le mer-
toir aux prifes avec lui-même , de qui le for-
çoit de revenir au jugement. Je ne fçais , di-
foit-il quelquefois à M. Boudon, qui s'a-
drefToirà lui avec uue parfaire confiance,
quand les affaires de Dieu le demandoient ,
je ne fçais comment je vous ai fait de la pemei
car au fond s je vous aime, & vous eftime.
Mon Archidiacre , difoit-il dans une autre
occafion, ceflun Ange , ctftun Archange.
Cependant comme cet Ange avoir été
profcrit dans un nombreux confeil , où f E-
veque d'Evreuxne fçavoit point encore que
l'iniquité & l'artifice euffent beaucoup plus
préfidé , qu'il n'y avoir préfidé lui méme^ il
y. a toute apparence que les chofcs n'auroienc
pas changé de face , fi Dieu n'eut fait enten-
dre fa voix. Elle éclata enfin , ac ce im par
l'organe de deux Eccléfiaftiques auffi difié^
rens de mœurs, qu'ils Tétoient de fentimens,
^ Le premier étoit un homme d'une pro-
bité antique , d'une droiture à toute épreu-
ve. Celui ci , après avoir examiné à fond l'af-
faire du grand Archidiacre , & l'avoir fuivic
dans toutes fes branches , démontra au Pré-
lat , que de toutes \^% accufation<; intentées
I
194 La Vie
* " ' contre Boudon , il n'y en avoit pas une qui
„^p.^' ne fut le fruit de l'envie & de limpoilure,
M. de Maupas, fembldble à un homme qu'un
bruit auquel il n'eft pas fait, tire tout-à-
coup d'un profond fommeil j mande fur le
champ ce vertueux perfécuté. 11 le force de
rompre le filence , que le defir des humilia-
tions, & la malice de Ces ennemis lui àvoient
impofc. 11 l'entend article par article. Cha-
que circonftance éclaircie devient une preu-
ve de fon innocence. Les doutes formés
contre lui s evanouifTent. On le plaint moins
d'avoir fouffert , qu'on ne fe plaint foi-même
d'avoir été trompé jufqu à le faire fouffrir :
& Dieu qui veut fermer jufqu'à l'ombre du
retour , permet que fon plus violent accu-
fateur devienne fon plus sûr Apologifle.
Nous avons dit ci-defliis qu'entre tous les
ennemis de l'Archidiacre , il y en avoit un
dont les coups étoicnt d'autant plus dange-
reux , qu'ils partoient d'une main plus me-
furée. Or il arriva par un de ces terribles ju-
gemens de Dieu, que S. Auguflin ne lailFe
pas de regarder comme des traits de mifé-
ricorde , que cet homme fi grave , fi impor-
tant, fi accoutumé à être l'oracle de fon
Evêque , fit une de ces chutes épouvanta-
bles qui ne fe pardonnent point ^ ôc que cette
chute lui fut reprochée publiquement par la
perfonne qu'il avoit féduite, ou peut - être
par qui il s'étoit laiffé corrompre. Dans le
trouble énorme , dans la confufion que cau-
fe un coupfiafrommanc , ce malheureux fe
DE M. BOUDON. Liv, II. icjy
foiivînt des maux qu'il avoic'fairsau grand——
Archidiacre. Les bons exemples que lui avoir i%l'^,
donnés ce faint Prérre , la foumifllon, la joie
mcme avec laquelle il avoir fupporré Tes pei •
nés, lui revinrent dans refprii:. Il crut qu'il
trouveroir dans les encrailles de fa charité
de quoi calmer les remords qui le déchi-
roienr. Il alla k trouver , il s'humilia autant
devant lui, qu'il avoir voulu l'humilier de-
vant les hommes. Il s'offrit denétrader par
un défaveu public les calomnies qu'il avoic
avancées contre lui. Et lur ce que Boudon ,
bien éloigné d'accabler un homme qui letoic
'déjà affez , le lui défendit , il fçut le faire
fans l'ôffenfer. Il fc mit fous fa conduite. Il
lui ouvrir dans le facré Tribunal fon cœuL*
&fes plaies. Il ajouta de nouvelles péniten-
ces à celles qui lui étoient impofées. Em-
plois , Béncnces , Compagnies , il quitta
rout , pour vivre prcfqu'aufri pauvre que le-
toit fon Directeur. Il mourur enfin entre
fes bras, plus rempli de tendrefe pour lui
par la venu du Sauveur , qu'il ne l'avoit été
■ de fiel ôz d'averfion par le mouvement de
' l'ennemi du falut. ^
C'eflainfi que Dieu juftifia fon ferviteur.
Tous les gens de bien prirent part à fon
triomphe : Se ce fut avec un véritable plai-
fir, que ceux qui aimoient la Religion, le
virent , comme avant fa difgrace , exercer
fon zèle ôc dans l'adminifl ration de la Péni-
tence , Ôc dans toures les Chaires du Dio-
cèfe. Son Evêque ne fe contenta pas de lui
lij
T9^ La Vie
* ' ' rendic fes premiers pouvoirs j il crut devoir
&fuiJ.* ^^ dédommager de Ces peines, en lui don-
nant des marques authentiques d'efîime &
d'affedlion. Il honora de fa préience plufîeurs
de Ces prédicationsi ôc il voulut que tant qu'il
demeurcroit à Evreux, il n'eût point d'autre
table que la fiennc.
Cette réconciliation dans un tems où le
grand Archidiacre s'y attendoit le moins ,
produifit dans fon cœur deux fentimens tout-
à-fait oppofes , la joie Se la trillefle. Dévoué
& très - parfaitement dévoué à fon Evêque ,
il fe réjouit en Dieu de voir la fin d'une af-
faire qui faifoit tort à ce Prélat dans l'efprit
de bien d'honnêtes gens. Altéré de la foif de
fouffrir , il s'affligea de fe voir trouvé trop
foiblc pour porter la croix jufqu'à la fin. Ce-
pendant il adora la main qui le relevoit de
l'opprobre , comme il avoit adoré celle qui
récrafoit. Dans fon premier état il invita
fes amis à le féliciter du bonheur qu'il avoit
de verfer des larmes: dans le fécond , il les
fupplia de remercier Dieu de ce qu'il avoit
daigné en tarir la fource : trcs-difpofé à en
répandre de noi^^elles , fi c'étoit fa faintc
volonté.
Cette réconciliation , dont le bruit fe ré-
pandit peu à peu jufqu'aux extrémités du
Royaume "^ mit Ces ennemis en fureur. Leur
* M. Boudon travailla avec fon fuccès ordinaire à Bor-
t^eaux en 1(^79. Ses lettres d'Approbation lui donnent un
titre qui ne paroît pas de ftyle : Henricus miferatione di-
vinâ , &c. ycncrabili Magijîro Boudon » &c.dU ij Junii
DE M. BOUDON. Liv. IL 197
dépîr augmenta , quand ils virent que la — —
calomnie n'avoic plus d'accès aupiès du Pré- ^^^Z^'^
la: , & que les mefures qu ils avoien: prifes
pour achever de le perdre, ou du moins
pour le dégoûrer de Ton emploi , ne leur laif-
foienr que la confufion d'un projet égale-
ment odieux & frivole. Malgré leur indigne
manœuvre , tour plia fous l'autorité légiti-
me: Boudon dans fes vifites fut reçu par-
tout avec le rcfpecl qui lui étoit dû. Et de-
puis ce tems jufqu'à fa mort, û l'on en excep-
te quelques-uns de ces vieux pécheurs , donc
la converfionfe met au nombre des mi racles,
le ferviteur de Dieu n'eut plus qu'à fe louer
6c des Brebis , &: des Fadeurs.
Ce retour inattendu fut un nouveau fujet
de chagrin pour ceux qui avoient conjuré
fa perte. Mais ce ne fut pas la dernière mor-
tification qu'ils eurent à dévorer. Malgré
tous leurs efforts, Jacques Potier de No-
vion 5 qui fuccéda à iM. de Maupas en 1 62 1,
* eut pour l'Archidiacre les mêmes atten-
tions qu'avoit eu pour lui fon illuftre Pré-
déceffeur: & quelque tems après l'Allema-
gne lui donna une marque d'eAime , qui les
mit au défefpoir.
La Duchefle de Bavière , qu'il avoir au-
* tt non pas en 1680. comme ledit M. Rouault , Curé
Je S. Pair, Louis-Joleph-Adeymar de Grignan , qui ne
prit jamais pofTeflion de TEvêché d^Evreux , à caufe des
brouilleries qui étoient entre la Cour de Rome & celle de
France, fut nommé au Siège de Carcaffone en 1681 &
Jacques de Novion ne fut nommé qu'après à celui «l'£-
vreux. Foyer l'HiJîo'tre du Comté (TEvreux .p. ^06,
liij
16S2.
& fuiv,
loS La Vie
■ ■• ' trefois dirigée, lorfqu'écant encore Madf
^^.^}' moifdle deBouiUon, elle faifoit fon fcjour.
à Evreux , fe trouva, dans le fcin delà gloi-j
re <S<rdes grandeurs jé} rouvéepar quelques^
unes de ces peines inrérieures, qui livrent
une ame affligée au trouble & à la perple-
xité. Incertaine fi elle marchoit dans les.
voies de Dieu , ou dans une route d'illii-
fion , elle eut recours aux plus célèbres Di-
re'5i:eurs qui fiifTent dans Tes terres. Le fuccèa
ne répondit ni à Ççs defirs , ni à Tes efpé-
rances. Son état fur. une énigme , dont les
Sngcs du Pays ne trouvèrent point la clef.
Il lui falloir un Danel , ce fut à Evreux &c^
dans la perfonnede Boudon qu'elle lécher*
cha. Comme deux ou trois entretiens , dont
l'un peut fuppléer à l'autre, font aifément
ce que vingt Lettres ne pourroienr faire ,
fon AlteflTe crut que la préfence de rArchi-^
diacre lui étoir abfolument néceflaire. Pour,
l'obrcnir à coup sur , elle lui dépêcha quel-
ques uns de fes Officiers, avec ordre de ne
point revenir , qu'ils ne lui enflent fait pro-
inerrie qu'il les fuivroit bientôt après.
Boudon qui fçavoit que les Souverains
méritent d'aurant plus d'égards , que lorf-
qu'ils goûtent en paix combien le Seigneur
eil doux à ceux qui le fervent , ils ont une
grâce finguliere à^ le fair^ goûter au nom-
breux cortège qui les environne : Boudon
crut devoir fe prérer aux defirs d'une ver-
tueufe Pri'icefle , qui ne cherchoitque Dieu.
Mais plus l'aifaire étoic importante , plus il
I
DE M. BouDON. Liv. IL -199
crut âu/Ti s'y devoir préparer par des prières
extraordinaires. Il la recommanda félon fa
coutume ^ mais fans rien fpécifier , à ce pe-
tit troupeau de pieux amis , qu'une vertu
confiance mettoic en étar de tout demander.
Se de tout obtenir. Cependant quelques pré-
cautions qu'il eût prifes , pour dérober aux
yeux mal intentionnés le terme de le deiTein
de fon voyage ^ Tun Se l'autre ne tardèrent
pas à tranfpirer. Ce fut un coup terrible"
pour ceux qui ne penfoient qu'à le dégrader
dans cous les efprics de dans tous les cœurs.
Leur indignation .s'exhala en murmures, ÔC
prefqueen imprécations. Ils auroient voulii
cju'on leur donnât la préférence , de Ton ne
s'avifoit pas même de penfer à eux.
Pour ce qui cftdu grand Archidiacre, ce
n'étoit ni fur Ces talens , ni fur fes lumieresr
qu'il comptoit -, c'étoit uniquement fur la
îpiféricorde de Dieu , & jamais il ne parla
de lui dans âçs termes plus humbles , que
dans ce tcms où l'Allemagne lui donnoit des
"preuves fi marquées d'eflime de de con-
fiance. Ce fut dans ces fentimens qu'il fe mit
en marche. Nous le fuivrons pas à pas dans
fa courfe. Dans les voyages , comme à la
ipaifon , l'Archidiacre d'Evreux ell toujours
l'homme de Dieu feul, toujours édifiant.
Les premiers jours de fa route ne furent
pas heureux. En fortant de Paris, d'où il de-
voit fe rendre à Metz , il lui furvint au doigt
une efpéce de panaris fi violenc , qu'il n'a-
voit pas un moment de repos. La patience
fi/
100 L A V I î
. ôc un remède innocent fiienr en trois fours
ce quen'avoit pu faire un homme du métier,
qui avoit inutilement tâchéd adoucir Ton mal!
A Metz il fut reçu avec toutesles marques
poffibles d'affedion , & par un Confciller
du Parlement de cette ville , & par TEvê-
quc auquel il rendit fes devoirs, commeil
avoit coutume de faire en femblables occa-
fions. Il n y eut aucun genre de pouvoirs ec-
cléfiafliques , que ce Prélat ne lui confiât
très volontiers. Boudcn , qui fçavoit par-
faitement que Jes perfonnes confacrées à
Dieu doivent être beaucoup plus cultivées
que les autres -, ôc qui ne fçavoit que trop ,
q'i'en fait de diredion elles manquent fou-
vent de bien des fecours , qu'on ne peut re-
garder comme fuperfîus, vifita à Metz, fé-
lon fa pratique ordinaire, plufieurs Com-
munautés Religiaifes , ôc les entretint de la
perfection à laquelle elles font obligées de
tendre par les engagemens de leur état.
Les Filles de S. Dominique, à qui la lec-
ture de Ces premiers Ouvrages avoit infpiré
une grande vénération pour lui , le trouvè-
rent dans In converfation tel qu elles l'avoient
trouvé dans fes livres , plein de feu pour les
intérêts de Dieu , pour la gloire de fa fainte
Mère, pour la pratique littérale des obfer-
vances régulières.
Mais il faut avouer qu'elles firent avec lui m
un échangé de biens fpiriruels , où il crut ga- f
gner beaucoup. Comme elles fçavoient qu'il
fenommoit Henri, de qu'elles ont le bon-
i
DE M. BOUDON. LlY. II. 201
heur de pofleder dans leur maifon le Chef
de ce faint Empereur , auflî - bien que celui
de fon Epoufe , elles lui firent voir Fun 6c
l'autre. Plus content que s'il eût trouvé tous
les thréfors de l'Inde ^ Boudon contempla
avec une refpedtucufe avidité ces précicufes
Reliques. Après les avoir profondément ho-
norées, il prit & tint long - tems entre Ces
mains le Chef de fon glorieux Patron. Il
croyoit encore y appercevoir ce Prince , fî
continent , qu'il aima mieux vivre & mourir
vierge, que mourir père des Empereurs -, lî
dévoué au culte de la Mère de Dieu , qu'à
Rome il paflbit les nuits entières dans l'E-
glife de fainte Marie Majeure j fi éminem-
ment Chrétien , qu'il l'emportoit plus fur le
re(^e de fes Sujets par l'étendue defes vertus,
que par l'éclat de fa Couronne. Ces fenti-
mens cufient mené l'Archidiacre bien loin ,
fi la bienféance n'en avoit arrêté le cours.
Cependant dès lors il augura bien du fuc-
ces de fon voyage y de il crut qu'un Prince ,
qui avoit été Duc de Bavière avant que
d'être Empereur , daigneroit favorifer un
Prêtre , qui ne parcouroit une portion de
l'Europe , que pour travailler à la Cour d'un
de Ces SucceiTeurs.
Il fit à Nanci , où il pafifa le faint jour de
la Pentecôte, quelque chofe de plus qu'il
n'avoit fait à Metz. Entraîné par l'exemple
d'une multitude de Fidèles, qui alloient en
pèlerinage à un quart de lieue de la Ville ,
il les fuivit jufqu'à la Chapelle de Notre-
Iv
ta
101 La Vie
Dame de bon Secours , que la piété de Su-
niilas , Roi de Pologne Se Duc de Lorraines
a de nos jours rendue fi magnifique. Il y cé-
lébra les faints Myfleres avec ces fentimens
de Religion ôc de ferveur, qui lui conci-
lioient la vénération de ceux mêmes à qui ii
étoit inconnu. 11 pafla l'après-midi chez les
Dames du Refuge i & ce qui fut un bon-
heur que le public a partagé avec elles , il:
s'y engagea à écrire la vie de leur illuftie
Fondatrice , Marie de Ranfain , fi connue
dans le monde fous le nom d'Elifabcth de la
Croix. Quoique les réflexions qui la cou-
pent fans ceflc , ne foient pas du goût de
ceux qui ne cherchent dans une Hiftoire que
de quoi s'amufer i on ne peut nier quelle
n'ait fait des biens confidérables. Les pre-
mières Dames de la Cour, les Princefles
mêmes y trouvèrent des règles de conduite
Se un grand modèle de perfedion. Nous en
donnerons un précis dans la fuite,
A Strafbourg le grand Archidiacre logea
chez les RR. PP. Jéfui tes, qui le reçurent
avec joie. Ce fut charité ôc jufîice : Il eût été
difficile de trouver un homme plus attaché
à leur Compagnie , plus reconnoiflant de
la fainte éducation qu'il en avoir reçue»
Comme il n'y avoit qu'un an que cette Ville
croit fous la domination du Roi "^ , ôc que
* Strasbourg fe rendit au Roi le 30 Septembre 1681.
Ge Prince n*y fit fon entrée que le 30 d'Oftobre. Cela me
fcroit croire qu'il faut reculer le voyage de M. Boudon juf-
^u'en 1685. Il eft vrai qu'à ce compte il y avoit plus d'un
an que la Vilk appait««)ii à. la France ; mais il n'y avoit
i
Di M. BouDON. Liv. IL 205
les erreurs de Luther qui } avoient régné ■■
pendant plus d'un iiécle , commençoienç ^^^^'
déjà à s'y affoiblir , Boudon crut devoir in- "
former Ces amis de l'état où fe trouvoient
les chofes, quand il y arriva.
Sa lettre porte enfubflance^ que la Cathé-
drale, qui eft une grande ôc magnifique
Eglife, a été rendue aux Catholiques fes
anciens maîtres , par les ordres de Louis le
Grand , toujours victorieux , toujours zélé
protecteur de la Religion -, que chaque Di-
manche on fait dans cette augulte Bafilique
deux fermons , l'un en François , l'autre en
Allemand j Que les Luthériens, à qui l'on
avoir fait croire que TEglife Romaine en-
feigne les plus monflrueufes erreurs , fonc
furpris d'apprendre combien nous en fom-
mes éloignés -, qu'il s'en convertit tous les
jours i que ce n'ert pas le peuple feul qui ou-
vre les yeux à la lumière , mais des Minif-
tres , des Capitaines , des Commandans , des
Villages entiers ^ & que ce qui c(ï plus fra-
pant encore , cefi que plujieurs , tant Offi-
ciers que Soldats , changent de mœurs en
changeant de Religion , & fe convertijfent
in toutes manières»
XJw fpedacle fi beau , fi touchant pour un
tout au plus qu'un an q'je les Catholiques y travailloienr. Ls
Cathédrale étoit depuis cent cinquante-deux ans aux Lu-
khériens . ..Je remarqué après coup , que M. Eoudon
étoit à Toul , & qu'il y fût approuvé le 20 Mai 16 Si. Mafe
ks voyages ne lui coutoient pas. Son approbation porte- r
Cujus srudhio & pieras nobis Jam di» notafunc* Jacohuf
£.pifco^us ^ Cornu TuUtnJU, • ^- ->
ivj
104 La Vie
cœur fait comme celui du grand Archidia*
cre , l'eût occupé plus long-tems, fi un ca»
rofle qui ratrendoit de la part de leurs Al-
teffcs Séréniflimes , ne l'avoit obligé de pré-
cipiter fon départ. Il fe mit en marche, après
s'être muni du pain des Forts. Ce fut une
heureufc précaution j bientôt après il fe
trouva dans un pays tout hérétique , où il
€ut la douleur de ne pouvoir plus célé-
brer les divins Myfteres,
Il arriva à Ulm la veille de la Féte-Dîeu;
Comme cette ville ne lui offrit d'abord que
àcs Luthériens , dont en effet la Religion y
domine , il fut vivement affligé dans la pen-
fée qu'il ne pourroit le lendemain ni dire ,
ni entendre la Meffe. Mais on lui appric
bientôt que la Providence , qui a confervé
en Angleterre une Communauté de Filles,
qui depuis Henri VIII. font hautement pro-
feflion de la vraie foi, avoit confervé à Ulm
tin Monaftere de Religieufes , dont TEglife
cft dédiée à Dieu fous l'invocation de S^
Michel &de tous les Anges. Une fi bonne
nouvelle le confola fenfiblement. Dès le
fo'r il rendit vrfite au Supérieur de cette
n aifon , & le pria d'agréer qu'il célébrât le
1 ^ndemaîn dans fon Eglife. Il le fît de grand
matin j & ce même jour il entra dans un
pays tout Catholique. Enfin il arriva hcu-
reufemcnt dans le Diocèfe d'Aufbourg :
leurs Alteffes Séréniflimes , qui ont à Dyr-
keim un raagni%ue Palais , l'y attendoicnt
avec une fainte impatience*
DE M. BotIDON. Liv. II. iOJ
On ne peut dire avec quelles marques
d'affeclion & d'honneur il fut reçu du Prin-
ce , de la Princeffe , & à leur exemple de tou-
te la Cour. Le Duc Maximilien qui aimoic
tendrement fon époufe , ôc qui avoit une
eftime finguliere pour les bons Eccléfiafti-
ques , ne fçavoit comment reconnoîtrc les
peines 5 que le grand Archidiacre, naturelle-
ment infirme , avoit prifes de venir des ex-
trémités d'un Royaume étranger , pour rerr-
dre la paix à une ame affligée , & pour fan-
difier fa famille par Ces prières , par ks dif-
eours 3c par fon exemple.
Comme Boudon nous a lui-même tracé
le portrait de ce Prince, & de fon augufte
Epoufe, cen'eft pas fortir de notre objet,
que de dépeindre l'un & l'autre diaprés luL
S'il fçut bien fupprimer les défauts du pro-
chain, il fç ut auflî bien ne lui point prêter
des vertus'qu il n'avoit pas. D'ailleurs on eft
toujours confolé , quand on voit les Grands
de la terre ne monter fur le throne , que
pour y faire afleoir la Religion à côté d'eux.
Voici donc ce que l'Archidiacre nous a ap-
pris du Duc Ôc de la DuehefTe de Bavière.
Le Prince Maximilien, Frère de l'Eiedeur
de Bavière , étoit un homme d'un rare mé-
rite , d'un efprit étendu , d'un jugement fo-
lide. Il joignoit à toutes les qiialitcs qu on
peut fouhaiter dans une perfonne de fon
rang , une autre qualité qui ne s'y trouve
pas toujours , la Religion & la piété. Dieu
l'en récompenfa en hû donnant pour époufe
loér La Viz
iVIauricette - Fcbronie de Bouillon , qiie le
grand Archidiacre avoir formée à la plus
fublime vertu dès fon enfance. Elle n'avoir
que feize ans , lorfqu elle époufa Maximi-
lien j mais dans cer âge , où le luxe & la mol-
leiTe en endorment tanr d'autres qui ne la va-
leur pas,elle avoir déjà tourc la maturiré d'une
heureufe vieillefle.Une des premières adlions
qu'elle firen arivant en Bavière , fut d'aller
de Munick à (Eting , lieu célèbre par fa dé-
votion à la rrès fainte Vierge , afin de met-
tre fon époux , fa perfonne , (es Vaflaux ÔC
fes biens fous la protection de la Merc de
Dieu. Le voyage eft de vingt lieues , & elle
le fît à pied.
La Cour de Munick étoit û bien réglée^
que Boudon ne rappelloic que la Cour fain-
te. On l'eût prife pour une de ces grandes Se
vaftes Communautés , où la prière , la râ-
ble , le fervice divin & tout le refle a (^s
heures réglées. Le Prince avoir fait bâtir dans
l'Eglife ParoifCale de Dirk^im une Chapelle
en l'honneur du faint Evêque Rennon , pa^
rron & protedeur de la Bavière. La Duchef-
fe à fon retour d'un pèlerinage à Norre-
J)ame de Loretre , en fît conftruire une au-
tre afTez près du Château , fur le modèle
de celle qu'elle venoit de vificcr. Les Pcre5
Capucins , qui en ce lieu font chargés du
foin de l'inftruction du peuple de la campa-
gne , le furent auffi du foin de deffervir la
nouvelle Lorette \ ôc chaque jour oû y se-
«itoit les Litanies de la Viagc^
DE M. BOUCON. LîV. IL 2C7
L'Eglife ParoilTiale érigée fous le titre de
J'Immaculée Conception , a fept beaux Au-
tels, où Ton gagne les indulgences des Hâtions
de Rome. Cette Bafilique eil magnifique-
ment ornée. Quand leurs AkefTes font à
Dirkeim , elles afliflent régulièrement avec
leur nombreufe Cour à tout l'Office , depuis
hs premières jufqu'aux fécondes Vêpres ,
qui font fuivies de la récitation du Chapelet.
Le banc du Duc & de la DucheiTe ert dans
la nef & hors du Chœur , qui de règle n'ap-
partient qu'aux Minières de l'Autel. On y
chante les Dimanches un Cantique fpirituel
en Allemand -, après quoi l'un des quatre
Prédicateurs de la Cour monte en Chaire 3c
fait le fermon. Ce difcours eil fuivi d'une
}^ic& chantée en mufique : mais cette Méfie
nefuffifoit pas à la ferveur de leurs Alteiles,
elles en entendoient encore pluiieurs autres^
Boudon , qui n'étoit pas homme à rien
perdre d'une matière auiîi conforme a fon
goût y parle encore Ôc du Chapelet , qui fe
dit avec une dévotion que l'on admire juf-
ques dans les enfeis -, & du grand nom.bre
de bougies que le peuple fait brûler pendant
la Méfie , par refped: pour nos Myûeres j Ôc
de la piété avec laquelle il s'approche de la
fainte Table -, pieté (i touchante qu'il en fuc
attendri jufqu'aux larmes. Et voilà ^.àiz-il ^
en réfléchiflant fur tant de biens, voilà ce
que 'produit le bon exemple des Grands,
Parmi tant de fujets de confolation , le
grand -Archidiacre eut toujours une fecrett^
2oS La Vir
■ empreinte de rriftefle. Maïs quel chagrin
^^fuiV. po^^voit avoir un homme , qui étoit auïïi
honoré en Allemagne, qu'il avoit été indi-
gement traité en Franee ? Point d'autre , que
celui de ne trouver fur fa route , au lieu de
ces croix qui lui étoient fi chères , que des
preuves confiantes d'afFedtion de d'cftime :
car en ce genre chaque jour fembloit enché-
rir fur le jour d'auparavant. Ec lorfqu'à la
prière de leurs AltefTes féréniflimes on l'eut
entendu prêcher , ou , comme il difoit lui-
même , irier au divin amour , il n'y eut , ni
Princes , ni Seigneurs, ni aucun de ceux qui
fçavoient afîez de François pour le fuivre ,
qui ne le regardât comme un homme ex-
traordinaire. Et quels biens n'eût-il pas fait
en dirigeant une Cour vertueufe , lui qui
avoit gagné à Dieu tant de perfonnes , qui
n'avoient ni penchant , ni goût pour la
vertu?
Mais il fallut fe borner à la pieufe Du-
chcfle 5 qui avoit été le motif de fon voyage.
En arrivant en Bavière elle s'étoit mife fous
la conduite d'un Religieux très-vertueux &
rrès-éclairé. Mais Dieu , qui la difpofoit à ce
haut degré de perfedion , où elle eft depuis
parvenue , la fit pafTer par ces voies obfcures
& nébuleufes, qui ne femblent faites que
pour les grandes âmes. Son Diredleur perdit
terre. Ces routes d'épreuves , de délaifle-
mens intérieurs , furent pour lui un Pays ,
dont il ne connoiflbit point aflez la carte.
Ce que la Princeâe lui difoit de Boudon y Ôc
DE M, BouDON. Lir. II. 209
de la manière dont il l'avoit conduire dans ^
des états aflez femblables, lui donna une }ff*'
jufte idée de ce grand ferviteur de Dieu :
êc ne doutant pas qu'il ne duc profiter de
fes lumières , auflî bien que fon ilullre Pé-
nitente j il fut le premier à lui confeiller de
le faire venir auprès d'elle. Elle le fit , & s'en
trouva bien. Nous Tavons dit plus d'une
fois, ôc rien n'eft plus vrai, l'Archidiacre
connoiflbit û bien les différens états par où
Dieu fait pafTer fes Elus , qu'un mot ou
deux de leur part lui faifoient comprendre
ce qu'ils ne comprcnoient pas eux-mêmes.
La Ducheffe l'éprouva , comme bien d'au-
tres l'avoient éprouvé. Elle .lui développa
toutes ks peines , quelquefois en particulier,
ôc fouvent en préfence de fon ConfefTeur,
Boudon en difcourut en homme qui a des
lumières fupérieures. 11 fut à la fois & le
Diredleur du Diredleur-même, & de celle
qui étoit fous fa conduite. 11 leur donna des
règles fi sûres, que pour bien faire , chacun
de fon coté , ils n'avoient l'un 6c l'autre qu'à
les fuivre.
Il encouragea beaucoup la PrincelTe à
marcher à grands pas , comme elle avoir fait
jufqu'alors , dans les fentiers de la vérité ôC
de la jullice. 11 lui donna tous les avis donc
elle avoir befoin pour faire un faintufage
des épreuves parlefquelles il plaifoit à Dieu
de l'exercer. 11 lui recommanda fur-tout la
confiance en la divine bonté , la fidélité aux
mouvemens de la grâce , l'humilité profonde
2IO L A V I E
- , ■ au milieu de toutes Ces grandeurs , le faîne .
&i"uiv, exercice de Toraifon , & le fréquent ufage^
des Sacremens. 11 régla fes pratiques de dé-
vption , fes devoirs envers le Prince fon,
époux , fes obligations à l'égard de fes fujets,
11 l'exhorta à entretenir le bon ordre dans
fon domeftique -, à infpirer l'efprit de piété.
à fes Dames d'honneur y à n'en fouffrir point
qui ne fuflcnt dans les régies de la plus fevé-
re modertie. En un mot , il n'oublia rien de
tout ce qui pouvoir conrribuer au vrai bon-
heur de la Duchefle ôc de toute fa Cour.
Ces avis furent reçus, comme l'euflent.
éfé ceux d'un Ange, avec toute la foumiflion
pofTible. Mais plus ils étoicnt proportionnés
aux befoins delà verrueufe Princefle, plus
cl^e fenit le vuide que devoit catdfer chez
elle le départ du grand Archidiacre. Elle trou-
voie en lui un homme qui enrcndoit par-
faitement fon étar , qui pouvoir prévenir fes.
ch6res , ôc l'en relever, éclaircir fes doutes,
la foutenir, la fortifier dans fes peines: L'i-
dée de fon abfence l'effrayoif. Pour remé-
dier à ce mal , autant que la diftance des
lieux le pouvoit permettre , elle le pria inf-
tamment de vouloir bien continuer à lui
rendre par Lettres les mêmes Offices de
charité , qu'il lui avoit rendus de vive voix :
en l'aflurant que de fon côté elle fuivroic
fes avis comme un enfant docile fuit les fa-
ges leçons de fon père. Boudon y confentit
volontiers; Ôc depuis ce voyage jufqu'à fa
oiort, qui ne précéda que de quatre ans.
DE M. BOUDON. LiV. II. 211
crlle de la Duchefie ^ , il J'aida de Tes con-
feils avec autant d'application que de lu-
raiere.
Dans les divers entretiens qu'eut Ton Al-
teiïe avec 1 homme de Dieu , elle s'informa
avec bien de la bonté de la manière donc il
vivoic à Evreux. Son extrême pauvreté l'édi-
fia i maii elle y trouva du trop. Une vie fi
dénuée dts biens temporels lui parut ne
quadrer pas tout-à-fait bien avec la dignité
de grand Archidiacre, d< les fatigues qui y
(onz attachées. Elle crut qu'un CaroiTe mo*
deile n'iroit pas mal, fur- tout à^un hom-
me 5 qui commençoic à n'être plus jeune , ik.
que Tes travaux joints à la foibleffe de fon
tempérament , avoient déjà épuifé. Ainfi elle
le pria d'accepter un petit équipage , s'enga-
geanij^ au dela,à fournir à toute la dépenfe
qu'il faudroit faire pour l'entretenir.
Le faint Prêtre la remercia très-humble-
ment de Toffre qu'elle daignoit lui faire : &
de peur qu'elle ne revint à la charge, il
lui repréfenra tout fimplement, qu'il avoit
fait vœu de pauvreté i que jufqu'ici il s'étoit
rcpofé de fes befoins fur la Providence , 6c
qu'elle ne lui avoit jamais manqué \ qu'en-
fin il ne croyoit, ni devoir être infidèle à
Dieu , ni qu'il lui fut permis de fortir de
l'état qu'il avoir embraflé.
Il fallut céder à des fentimens fi beaux , à
des raifons fi preflantes. Ainfi la Duchefie
n'infilla plus. Seulement , ôc peut être pour
* Elle mourut Cans poflcriié le 20 Juin 1700»
112 La Vie
avoir plus long-tcms le bonheur de pcfTédcr
l'Archidiacre , elle voulut le conduire à Mu-
nich. Mais cet homme qui ctoit mort au
inonde , n'y pafla que trois jours : & de ces
trois jours il n'y eut pas une minute qui fût
donnée a la curiofité. Il ne voulut voir ni les
appartemens du fuperbe Falais où il étoit
loge , ni les jardins qui n'en font pas le der-
nier ornement , ni même la bibliothèque ,
ni moins encore les raretés qui fe trouvent
dans la Ville. En récompenfe , il vifita une
bonne partie des Sanduaires , qui pouvoient
nourrir fa piéré. De ce nombre furent la
Chapelle Eledtorale, qui pofTéde quarante-
fix Corps faints , fans parler d'une main du
S.Précurfeur, & d'une autre deS JeanChry-
foflôme \ la Chapelle du Duc , qui fe glorifie
d'avoir dix neuf Chefs, de cette prodigieufc
foule de Vierges, qui à la fuite de fainre
Urfule, joignirent la couronne du martyre
aux palmes de la virginité -, ôc enfin l'Eglife
Cathédrale, dont lesChanoines font tous les
Samedis libres , l'Office de l'immaculée
Conception, Notre Voyageur remarque au
fujet de cet Office, que le fentiment qui
fou/Irait au péché d'origine la Mère de
Dieu , eA fermement crû , & joutenu très^
régulièrement par tous les DoUeurs Catholi-
ques d'Allemagne.
Boudon fuit toujours ici avec complai-
fance les fenrimens qu'il eut toujours pour
les PP. Jéfuites. Il parle du magnifique
Collège, où plutôt du Palais qu'ils ont à
DE M. BouDON. Liv.II. 215
Munich i de la grandeur & des richeflcs im-
menfes de leur Eglife ; de la mulrirude de
ceux qui font fous leur diredion. Il ajoute ,
en finiflant , que U Qergé vit très-bien avec
eux y & qu'ils vivent très- bien avec U
Clergé,
Dès le premier jour de fon arrivée à
Munich , il voulut célébrer dans l'Eglife des
Théatins. Car il eut toute fa vie une Ipéciale
dévotion pour S. Gaétan leur fondateur,
tant à raifon de fes autres vertus , qu'à caufe
de ce parfait abandon à la Providence , le^
quel fait fon cara<^ere particulier, & celui
de fes Enfans.
Comme il eut appris , que les Filles de S,
François de Sales avoient dans leur thréfor
un des doigts de fainte Anne , & qu'en fait
de Reliques il ne fçavoit qu'honorer, fans
fçavoir philofopher , il leur rendit une vifi-
te , moins de bienféance que de religion. U
les entretint à fon ordinaire du divin amour.
Cette conférence de la part d'un homme ,
qu'elles refpecloient fans l'avoir jamais vu ,
fit un très-grand eiTet. Il y eut le lendemain
à fa MefTe une communion générale. Après
le facrifîce , il expofa le doigt de la Sainte à
la vénération des Fidèles. On conçoit qu'il
ne fut pas le dernier à s'acquitter des devoirs
que prefcrit 1 Eglife en pareille occafion.
Il vit auffi les Religicufes Angloifes , dont
rinftitut a beaucoup de rapport à celui de
nos Urfulines de France. Après lui avoir
montré leurs Chafles , elles lui firent un dé-
2T4 L A V I E
* rail abrégé de la manière dont elles inflruîfent
&ium la jeunefle. II en fut aufli content qu'édifié :
parce qu'il regarda toujours l'éducation des
enfans , &c fur- tout des filles , comme le
principe des bonnes mœurs, ôc le fondement
de la piété chrétienne.
Ce fut à ces objets de Religion , que Ce
termina la curiofité du grand Archidiacre.
'Vous euffiez dit , qu'il ne pouvoir s'arracher
'de ces temples refped:ables , où les corps de
tant de Martyrs fervent d'Autel à la Viàime
qui s'cà immolée pour eux , Se pour laquel-
le ils fe font eux-mêmes immolés. Sa foi,
qui perçoit bien au-delà de leurs maufolécs,
les découvroir dans le fein de la gloire à la
fuite de l'Agneau , qui fut leur force pendant
. ja vie , ôc qui ell leur lumière dans léternité.
Touché , confus de ne pouvoir participer à
leurs combats , il fe propofoir de répandre
par fes pleurs , ôc par Ces macérations , une
' parrie du fang , qu'ils ont répandu par le
' glaive des Néions & des Domiciens. Ce fut
prefque la feule penfée qui l'occupa pen-
dant le fijour qu'il fit à Munich. L'or
l'azur, les richefles fans nombre, la fym-,
niérrie , l'élégance du Palais Eledtoral , qui
en font une des plus belles maifons de l'Eu-
rope, ne le toucherenr point : Ôc il ne dai-
gna pas y donner un coup d'œil.
Après avoir facisfait fa piété > le faint
Prcrre ne penfoir qu'à revenir en France,
lorfqu'on lui parla des merveilles, qui de
jour en jour s'opèrent à Notre-Dame d'Oe*
DE M. BouDON. Liv. ir. iiy
dng. Il fouhaira d'y aller. La DuchefTe , qui
comme nous l'avons dic.avoii: fait elle-même
ce voyage de dévotion , n'eur gaude de sy
oppofer. Le Prince s'y préra auiTi tiès- volon-
tiers. Il ajoura d'une manière fore obligean-
te, que M. l'Archidiacre écoit fort le maî-
tre d'aller beaucoup plus loin s'il le jugeoic
à propos , & que l'argent ne lui manque-
roic pas.
11 fe mit en chemin avec quelques Gen-
tilshommes , que la princefle lui donna pour
raccompagner. II partie un Mardi , jour, oà
il ne manquoit jamais de jeûner, pour ho-
norer les Saints Anges ^ & en eux la divine
Providence , dont ils font les fidèles Minif-
tres. Le defir qu'il avoir de connoître, au-
tant qu'on le peut faire en fi peu de tems ,
l'état de la Religion en Allemagne , le porta
à quitter le droit chemin. Il fut d'abord à
Aufbourg, ville qui n ell; pas moins connue
des Sçavans, par la confeïïion de foi que
Luther & Mélanchton y préfenterent en
1550. à l'Empereur Charles V. qu'elle efl
admirée des voyageurs pour la beauté de fa
Police. Il y vit avec une fenfible douleur la
Religion mi-partie : les Catoliques mclés
avec les LuJÉériens , qui y ont jufqu'à fept
temples. Comme il y arriva précifement la
veille de S. Udalric, qui c(ï le Patron du
Lieu, & du Diocèfe, il eut la confolarion
de célébrer nos faints Myfieresdans TEglife
ou repofent les précieufes Reliques de ce
faine Êvêque,
ii6 La Vie
Le grand Pénitencier le reçut avec une
charité vraiement chrétienne. Boudon en
parle comme d'un homme qui joignoit une
piété fînguliere à une profonde érudition.
Le Doyen Ôc le Sous doyen de la Cathédrale
ne lui firent pas moins d accueil. Le premier
avoir déjà traduit en Alleniand celui de Tes
Livres, qu'il a intitulé Dieufeul. Le fécond
rraduiibit adluellement en la même langue
fa Dévotion aux neuf chœurs des Anges, Ces
marques d'approbation , qui en auroienc
peut - être daté un autre , ne touchèrent
point r>\rchîdiacre d'Evreux. Il ne fut fen-
fible qu'au plaifir de voir , qu'il fervoit d'in-
ftrument à la miféricorde de Dieu , pour
établir fon règne dans des lieux très-éloignés.
Après avoir rendu fes devoirs aux pré-
cieufes Reliques, qui fe trouvent dans la
principale Eglife , il adora l'Hoflie miracu-
îeufe, qui depuis tant de fiécles s'y confervc
fans corruption. Une malheureufe créature
l'avoir prife pour s'en fervir à <\qs opérations
abominables : mais lorfqu'cllc fut fur le
point d'en faire cet ufage facrilége, au lieui
des efpéces du pain, elle n'y trouva plusi
que des apparences de chair. Cette cou-j
leur fi étrangère au pain Eucharillique , dc
qui fe voit encore dans la formule dont nous]
parlons , effraya la coupable. Elle revint fur
l[ts pas , avoua fon crime, '& par fon aveu ,
que les plus sûrs mcnumens on: rranfmis
dage en âge jufqu'à nous, elle apprit d'a-
vance aux Luthériens , qu'indépendamment
de
DtM, BouDON, Liv. IL 217
de l'ufage Jefus-Chrill elt dans fon Sacre-
mène. i'^-^^-
D'Au/Bourg Boudon partir pour la Saxe. ^^"^''^
Son deffein éroit de voir , de pleurer , de
réparer par des larmes améres une partie
â€s ravages qu'a fait Luther dans ce Pays
autrefois fi Catholique. Il alla jufqu'à Iflc-be ,
au Comté de Mansfeld , ôc entra dans h
Chambre , où e/1 né ce profane ôc fangui-
naire Réformateur , qui a enlevé à 1 Egliic
une partie fi confidérable de Tes enfans ; ôc
donné naiflance à ce prodigieux nombre
de faux Prophètes , qui toujours divifés enr-
tr'èux , ne s'accordent que dans la haii:Kî
implacable qu'ils ont contre l'Eglife Romai-
ne. Notre Voyageur ne pouvoit guéres voir
de plus affligeant fpeétacle , que celui que
TEledorat de Saxe offrit à Cqs yeux. De
quelque côté qu'il les tournât , il n'apperce-
voit que les déplorables ruines de l'ancienne
Sion : àts Eglifes renverfées , des Monafie-
res , afyle de la pureté ëc de l'innocence ,
détruits de fond en comble j des peuples >
qui, le Livre de la Loi à la main, difpu-
toient contre la Loi même ; qui fçavoient y
trouver dans un Canton, ce qu'un autre Can-
ton n'y voyoit point -, & qui n'y rencon-
troicnt jamais ce que l'antiquité y vit fi
confiammenr. Ce fut alors qu'entrainé par
l'excès de fa douleur, il s'écria comme un
«lutre François de Sales dans le Chablais :
« Que font devenus ces Solitaires qui peu-
»' ploient autrefois ces forêts, ôc qui les fai-
K
i,S L A V I E
» fôient retentir nuit & jour des louanges du
» Seigneur ? Où font aujourd'hui ces Vier-
„ges, quifuivoient par tout l'Agneau fans
« rache? Quel glaive a moiffonné ces Levi-
3. tes , ces Prêtres , qui dégagés de la chair ÔC
». du fang , n'étoient occupés qu'à fon fervi-
» ce ? Quelle impitoiable main a difperfé les
*, pierres du Sanduaire ? A qui vous compa-
« rerai je , Fille de Jérufalem ? A qui dirai- je
w que vous êtes devenue femblable , ô Vier-
,,ge, fille de l'infortunée Sion? Vos Pro-
3. phêtes n'ont eu pour vous que des vifions
*^ faufles & infenfées : jufques à quand aurez-
« vous le malheur de les fuivre ? Après tout,
.. pourfuivoh le faim Prêtre , c'eft à nos
« péchés , c'eft à ceux d'un trop grand nom-
,. brc de Miniflres de l'Autel, qu'il faut im-
y> puter nos difgraces. Ils vivoient ici dans le
« défordre , & Dieu , le jufte Dieu , s'efl re-
>* tiré d'eux. Ils employoient en folles dépcn-
« fes leurs riches poflefllons : & celui qui en
». efl le Maître abfolu , les 9 tranfportés à
9» leurs plus mortels ennemis. »*
Ce fut dans ces fentimens de douleur que
Boudon parcourut la Saxe. Son efprir, com-
me celui de S. Paul chez les Athéniens , étoic
dans la gêne: & s'il eût feu la langue du
Pays, il n'auroit pu s'empêcher d'annon-
cer,aux dépens de fa liberté, de fa vie même,
la grandeur & la beauté de la Religion Ca-
tholique. Réduit à ne pouvoir prêcher de
parole, il s^cfforça de prêcher d'exemple.
Cette manière d'inftruire ne lui coûtoit pas.
I
DE M. BoUDON. LiV. IL 219
Il porroit la piété peinte fur fon vifage : &
dans tour ce^ voyage qui fut long , il n'y eut
rii lieu, ni hôtellene, où il ne fut regardé ôc
honoré comme un faint.
Enfin il arriva à Oeting : c'étoit autrefois
une grande Ville : mais les Barbares l'ayant
réduite en cendres , il n'y eut que la Cha-
pelle, queS.Rupert, Apôtre delà Bavière
avoit dédiée à la Reine des Anges, que les
flammes refpederent. Ce premier miracle
a été fuivi d'une fi prodigieufe quantité d'au-
tres, que ks quatre côtés du Cloître, ne
fuffifent pas pour en contenir les preuves
autentiques. 11 s'y fait un concours furprc-
nant de toutes les Nations. Peu de tems
avant que Boudon y arrivât , l'Empereur 3c
fon époufe y étoient venus rendre leurs
vœux à Dieu : ils y avoient paflfé plufieurs
jours , défrayés avec toute leur Cour par
l'Eledeur de Bavière.
Le thréfor de cet augufle Sanduaire cfl
un des plus riches qui foient au monde. On
n'y voit qu'argent , or & pierres précieufes ,
dont les Chafubles même font couvertes!
Ce font autant de monumens de la recon-
noiflance , qu'ont voulu témoigner à la
Mère de Dieu les Généraux d'armées , ks
Princes , les Rois , les Empereurs, êc tout
ce qu'il y a de plus grand fur la terre. La
France y a auffi envoyé Ces dons y ^ l'on
juge bien qu'ils n'y tiennent pas le dernier
rang. Il y a peu de Temples en Europe, où
Dieu foif plus honoré. Il s'y dit chaque année
Ki;
220 La Vie
plus de quatre-vïngt-ciix mille Meiîes, 8c
c'e/t pour cela qu'on y a multiplié les Auiels.
Le grand Archidiacre vifita plufieurs fois
ce faint Lieu. Il s'y confacra de nouveau à
Tadorable Trinité , fous la protedion de
celle qu'il appella toujours fon aimable Maî-
treffe. Il y célébra les divins Myftéres. Il y
vénéra les faintes Reliques avec une piété û
édifiante j qu'un Comte Allemand qui en
fut frappé , voulut lier avec lui une étroite
amitié ; Ôc afin qu'il ne l'oubliât jamais dans
fcs prières , il lui donna une image en relief
de la fainte Vierge ; ce qui étoit prefque le
feul préfent que ce vrai pauvre de J. C. eût
voulu accepter. Ainfi pendant qu'on traitoic
en France l'Archidiacre d'Evreux d'homme
à dévotions populaires i ôc qu'on pouflbit le
fcandale jufqu'à dire , que parler en bien de
'fes neuvaines Ôc de Ces pèlerinages , c'étoit
vouloir canomfer jufqu'à fes extravagances:
en Allemagne les Séculiers mêmes , ôc les
Séculiers du premier ordre , rendoient jufti-
ce à fa vertu , & félicitoient nos Provinc*es
du bonheur qu'elles avoient de le pofleder»
Après avoir amplement contenté fa dévo-
tion , notre faint Prêtre s'en revint à Munich.
Leurs AltefTes le revirent avec un nouveau
plaifir. On ne manqua pas de lui demander
encore quelque tems : ôc ce tems , fi la pieu-
fe Ducheflc n'eût fuivi que fon inclination ,
auroit duré autant que fa vie. Mais outre
que les honneurs dont on l'accabloit , fans
y penfer , ctoieut un fupplicc pour lui , il
I
ï)E M. BotJDON. Liv. II. 'ni'
reçut en ce même rems des Lettres de Lor- ■ -
raine , qui le preflbient de partir fans délai. «^^^ ?*'
11 le fit le plutôt qu il lui fut poiTible , & il le ^*^^'
fît encore trop tard , comme nous le verrons
dans un moment. Ce ne fut qu'avec bien de
la douleur, que la Cour de Munick vit par-
tir un homme qu'elle regardoit comme fon
^nge turéiaite. Elle s'efforça de fe dédom-
mager , & de le dédomrnager lui-même par
de riches préfens j mais il les refufa avec
une confiance que rien ne put ébranler. On
crut 5 Ôc on avoir , ce femble , raifon de
croire qu'il accepteroit lepeu d'argent^ dont
il avoir befoin pour retourner en France :
mais il fut encore inflexible fur ce point. Il
n'en prit qii'auranr qu'il lui en falloir pour
vivre pendanr un jour. Il y avoir long-rems
que ce confeil de l'Evangile : Ne vous met-
tez point du tout en peine du lendemain^ étoît
pour lui un précepte rigoureux.
C'eft ainfi que Boudon forrir de la Cour
de Bavière: le cœur aufli déraché des gran-
deurs du monde , que s'il ne les avoir jamais
vues, & l'efprir auffi uni à Dieu après urt
voyage de quarre ou cinq cens lieues , & de
plufieurs mois, que s'il eût palTé tout ce
rems dans une oraifon continuelle.
Malgré fa délicareffe narurelle , il s'a-
vança à grandes journées vers le lieu où il
éroir arrendu ; c'éroir un Monaflere d'Ur-
fulines en Lorraine. La Supérieure lui avoir
écrir , qu'elle avoir d^s affaires d'une extrê-
me importance à lui communiquer -, mais
Kiij
HZ La V I b
que s'il tardoit tant foit peu , elle n'auroit
pas la confolation de le voir. Boudon eut
beau faire ; cette Dame étoit morte , quand
il arriva. Il tâcha de confoler la Commu-
nauté de la perte qu'elle venoit de faire j ôc
s'il ne put arrêter , il adoucit au moins fa
douleur. On eût bien fouhaité qu'il eût en
quelque forte reproduit la défunte , en écri-
vant fa vie , dont on lui dit des chofes ad-
ïtiirablcs. Mais comme il n'écrivoit jamais
pour le public, à moins qu'il ne fe fentît
întérieuremenr preflc de le faire ^ & qu'il ne
vît pas que notre Seigneur exigeât de lui ce
genre de travail , il s'excufa de l'cntrepren-
dre.C^mmeilneferepofoitqu'entravaillanta
il commença la vifite de fon Archidiaconé ,
prefqu'aulTi-tôt qu'il fut de retour à Evreux.
Le peu de loifir que lui laifToient £çs oc-
cupations ordinaires & fes fréquentes infir-
mités , il le donna tout entier à la compo-
fîtion de la Vie de la Révérende Mère Ma-
rie-Elifabeth de la Croix , qui fut imprimée
en Flandre par les foins de la Princefle, de
Vaudemont '*,
j^g Quoique notre plan ne nous permette pas
& luiT. de faire entrer dans la vie de M. Boudon ,
une vie très-différente de la Tienne j & que
par cette raifon nous n'ayons rien dit deplu-
iîcurs autres Hifloires de piété ^"^ , qu'il a
i
* Cet Ouvrage fut approuvé le premier d'Avril 1 6S4.
lar Nicolas Dubois , DoUeur de Louvain , 6* premier
^rofejfeur des fainres Lettres.
•• Les principales , outre celle de faim Taurin , font
Dî M. BouDON, Liv. II. 215
auiTi écrites, il y a néanmoins dans THif-
toire de la Mère de la Croix des chofes fi
fingulieres , fi capables de faire connoitre
le génie & le caractère de celui qui Ta com-
pofée '^ que je crois devoir m'y arrêter ua
peu de tems.
L'Archidiacre a intitulé ce L'iweleTriom'
phe de la Croix ; parce qu'en fuivant Marie-
Elifabeth , depuis fon enfance jufqu à fa
mort , il a toujours vu le figne du faluc
triompher en elle& par elle.
Cette fille naquit à Remiremont en Lor- j.^
raine de Jean-Léonard de Ranfain , ancien Novemb.
Gentilhomme du pays , ôc de Claude de Ma- * 5^»*
gniére. Elle dédommagea en peu d'années fa
Mère , qui n'étoit plus jeune, des cruelles
douleurs qu'elle lui avoir fait fouffrir dans
fon enfantement. Le fiécle dernier n a rien
vu de plus accompli que la jeune Eiifabeth.
Les qualités du corps fe réunirent en elle
aux qualités de l'ame , pour en faire un de
ceschef-d'œuvres que les Romans imagi-
nent , de queTHifloirenc rencontre prefque
jamais. A une taille extrêmement avanta-
geufe, elle joignoit un air grave ôc ferein , un
«ellfcs du P. Seiirin , dn P. Chryfoftome , Religieux du
Tiers-Ordre de fair^t François , du Bienheureux Jean die
la Croix , & de la Sœur Marie-Angélique de la Providen-
ce , connue dans le monde fous le nom de Madenioifelle
Simon. Cette dernière vie a été imprimée pour la pre-
mière fois en 1760. à Avignon , chez Ant. Ign. Fex.
• Ce n'eft donc pas moi qui parle ici ; & u» Criiî(}u«
plus odieux que célèbre , auroit dû y faire attention. Au
rcfte ce morceau qui lui a déplu , a été e> rrimement ap-
plaudi de feu M, TAbbé Sallier.
KiT
214 La Vie
porc majeflueux , un tour de vifagc Ci ébîouif-
iant, que les peintres n'ont jamais pu le fai-
fir , en un mot une beauté fi parfaire , qu'elle
fut rirene * de fon tems , ôc que dans route
l'Europe il n'y en avoir point qu'on pût lui
comparer. L'Archiduc d'Autriche , qui ne
la vit à Remiremont qu'à peine ferrie de
l'enfance , en fut fi frapé , qu'il la demanda
inllamment , en offrant toutes les cautions
pofTibles , pour lélever à fa Cour , mais
Dieu avoir d'autres deflcins fur elle.
Ces grâces extérieures étoient foutenues
par des grâces d'un tout autre prix , celles
de l'efprit &du cœur. Pour ce qui eflde Tef-
prit , elle l'avoit vif, pénétrant, droit , fim-
ple , ami du vrai , ennemi de l'équivoque &
du déguifement : elle penfoit bien , elle ju-
geoit folidement , ôc faififfoit mieux les con-
féquences , que d'autres ne voient les prin-
cipes. De là ce mot d'un des plus grands gé-
nies de fon tems : Je ne fuis qu'un enfant au-
près d^elle. De- là encore cette effufion de
louanges , que prodiguèrent les Cardinaux
Romains à quelques-uns de fes écrits , qui
croient arrivés jufqu'à eux.
* Irène étoit une Grecq-.ie d*une illuftre nai/Tance , doni
les char.Ties , après la prile de Conftantinople , fc firent
feniir imnérie'i'e.nent au cœur farouche de Mahomet II,
Comme (qs afliduités auprès d'elle faifoient murmurer fon
armée , ce barbare, après Pavoir fait luperbement parer ,
la prit par les cheveux d'une main , & de l'autre lui abba-
rit la tête ; & fe tournant vers les Grands de la Porte avec
des ytf'jx phiis de Rireur : Ce fer , leur dit-il , quand je
yeux , fcalt couper les liens de l'amour, Vertot , Hiltoiie
deMalthe, Liv. VI.
ti M. BouDON. Liv. ÎL ne
Les qualirés de refprir le cédoient à celles
du cœur. Elle l'avoir grand , noble , géné-
reux, reconnoifTant prefqu/à l'excès j tou-
jours prêt à faire du bien , Se toujours âulïï
ferme qu'il le devoit être à raifondu rems
du lieu , des circonaances. Qu'on joigne à
c€s précieux dons un naturel extrêmement
doux, une prodigieufe facilité à aporcndre
tous les petits ouvrages qui occupent ks per-
fonnesde fon fexc , une main très- habile
pour les exécuter , une voix des plus gra-
cieufes qu'on ait jamais entendues ; on tom--
bera aifement d'accord que Mademoifelle
de Ranrain effaça toutes ks jeunes perfon-
nes de fon tems.
Tant & de û beaux talens la demnoientaa
monde , félon les idées du fiécle ; mais Dkit
fembloicPappeller ailleurs. A peine avoit-
eiie treize ou quatorze ans, qa'dk devint
un modèle de vertu ôc de pénitence La
prière les ^bonnes ledures, les entretiens
avec Dieu croient fa principale ôc fa plus
rendre occupation. La nourriture qui la ré-
voltoit davantage , étoit précifément celle
qu elle choifiiïoir. Une difcipline de chaînes
deferetoitdetems à autre l'inftrument de
fa mortification. Elie portoit trois fois par
femame un rude cilice en forme de croix de
5. André, & le ferroit û fortement fur fa
ehair innocente, qu'elle en tomboit en for^
blefle. Sa mère qui fondoit fur elle ks plus
flatteufes efperances, autant affligée que fnr-
pnfe delà voir infirme de fi bonne heure
Kv
2i6 La Vif
•— — redoubloît d'attention pour confcr/cr ane
• ^/^' fille û chère , 6c qui d'ailleurs étoit runiqt*c
fruit de fon mariage. Elle prenoit elle-même
la peine de la coucher tous les foirs , d'ar-
ranger fon lir , de faire tendre devant les fe-
nêtres de fon appartement une pièce de ta-
piflTcrie , pour en dérober l'entrée au fouffle
le plus léger. Mais l'amour de la Croix ren-
doit ces précautions inutiles. Ehfaberh , an
jmoment même qu'elle jugeoit tout le mon-
de endormi , fortoit de ce lit fi bien pré-
paré , & fc couchoit à platte terre fur le
carreau.
On s'apperçut enfin qu'elle foupiroit
après la Religion: un cilice trouvé à Técart
la trahit. Dès lors elle efiuya tous les mau-
vais traitemens qu'on put imaginer pour la
détourner de fon deflein. On lui enleva tous
fes livres de piété j on ne lui propofa d'au-
tre ledure que celle des Romans l toute
Compagnie qui n'étoir ni dilfipée, ni dilE-
pante lui fiit interdite. On la forçoir de pa-
- loître dans les cercles avec un ar ri rail de
parure & de mondanité , qu'elle ne détef-
toit pas moins , qu'Efter déteftoit les orne-
mcns de fa gloire. Bientôt après , pour pu^
nir f^n infenfibilité à toutes les bagatelles-
du fiécle , on la revêtit de haillons. Dans
cet humiliant équipée fa propre mère lui
fit parcourir une partie des rues de la Ville,
&la préfenta kCcs amis comme une infen-
fée. A la mai fon on lui prodiguoit les ter-
mes les plus offewfans , les paroles les plus
2>2 M. BouDON. Liv. IL 217
ourragcufes. Mais c'éroit trop peu pour une
merefurieufe ; elle y joignit les coups de
poing les plus violcns: & tout le monde a
%i , non feulement qu'elle penfa la tuer ,
niais qu'à fotce d'efiTons pour la battre , dis
fe elle-même malade pendant deux mois.
-La Croix du Sauveur triompha toujours
dans des épreuves û longues & fi dures :
Elifabethne les portoit pas feulement avec
patience , elle lesgoutoit avec un plaifir dé-
licieux. La Providence feplut à l'en rafla-
ficv : elle lui en ménagea de nouvelles dans
le mariage que fes parens la forcèrent de
contradîier avec le fieur du Bois , Prévôt
d'Arches. C'etoit un homme riche , & àim
un porte à le devenir encore davantage ^
mais qui pofledoit dans un haut degré tou-
tes les mauvaifes qualités qu'un mari peut
avoir,
La douceur , la complaifance , les grâces
de fon époufe ne touchèrent point ce cœur
indomptable. Il n'eut pour elle qu'une aver-
fion pleine de mépris \ Il donnoiî à d au-
tres, & fous Ces propres yeux , les marques
de tendrejTe qu'il lui déroboir. Il lui ôta ,
malgré fon habileté connue , la conduire de
U maifon , pour la livrer à des valets ôc à
des fervantes ^ qui à la vue de leur Maî-
trefle faifoient une diiTipation épouvan-
* Du Bois avoir trois enfânsd*une première femme. Son
a\errion po-jr cei'e-ci vint de ce que Tayant priée avan^
fcs noces de !ui ,!i-e ingénuement , s'il étoii vrai qu'elle-
n'eut point d'inclination pour le mariage , elle lui a^ii.
avoué qu elle laioit en horreur,
Kvj
128 ^ La Vie
" . - rablc.Son mépris devint colère, ôc fa colère,
&to. ^^^^^^^ brutale. Tantôt, malgré la délicatefle
de fa vidime , il lui faifoit faire deux ou
trois lieues à pied. Tantôt, ôc prefqu'à la-
veille de fes couches , il la faifoit monter fur
des chevaux , que de bons Cavaliers n'au-
roi ent eflay es qu'avec précaution. Une fois,,
pourpafïer un torrent débordé , il lui don-
na une monture fous laquelle elle devoit na-
turellement périr. En effet elle fut bientôr
entraînée par la rapidité des eaux; & fon
Miari fe contentant d'éclater en injures , c'en
étoit fait d'elle , fi un étranger qui fe trouva
préfent, n'eut expofé fa vie pour fauvcr lai
fienne.
Le refle de fa maifon regîoit parrapporc
a elle , fa conduite fur celle du Maitre. Une-
Belle- fille la^traitoit d'une manière fi atroce,.
que je crois la devoir fupprimer. Les do-
mcAiques n'en agiûbient pas mieux avec
elle. Un d'eux lui donna du poifon ; elle en^
fut réduite à rextrémitéi^ malgré cette extré-
mité, fou mari, qui joignit enfin lajaloufie
à fes autres défauts , voulut qu'elle montât'
à cheval pour le fuivre.
Mais, & cette heureufe chute reviendra
toujours ici , la Croix de J. C. triompha tou-
jours dans le cœur de la vertueufe Eiifabeth^
Tourmentée par fon mari , plus que Job ne
i'avoitété par fa femme , elle ne pécha point
par fcs lèvres , ni ne tint contre la Provi-
dence des difcours capables de l'offenfer. Ja-
mais elle ne fe plaignit des fureurs de fa.
DE M. BounoNr Lit. II. 229
Belle-fille. Jamais elle ne trouva à redire ,
ni aux mépris de fcs dcmefliques, ni aux ^ futy.-
cmponemens de Ton époux. La volonté, ks
infînuations même du tyran furent toujours
la règle de fa volonté Ôc de fes démarches.
Elle âvok unattrait infini pour les auflérités,
elle n'en pratiqua que de fon confentemenr.
Sa fanté étoit , & devoit être très - foible y
malgré cela , l'été comme l'hyver , qui eft
très-rude dans les Vôges , elle le fuivoit par*
tout où le demandoient Ces affaires, & quel-
quefois Ton caprice. La goutte le retenoit
}ufqu'à des cinq ou fîx mois au lit : la charité
retenoit fon époufedans fa chambre, &les
fervices les plus humilians ne lui coutoient
rien.
Enfin eîle vint à bout de l'adoucir y âc pat-
elle la Croix triompha de ce raonftre, qui
jufques-là n'avoit pas connu les apparen-
ces de l'humanité. Peu à peu il perdit l'ha-
bitude de jurer , & infenfiblement on trouva
en lui un modèle de patitrncejqui fcuiFre
tout fans émotion s un homme de miféri-
corde , toujours prct à foulager l'indigence ,.
fans permettre qu^elle languiffe un momenr
à fa porte ^ un fervitcur fi dévoué à la Mère
de Dieu , qu'il ne fortoit plus de la maifon ,
fans faluer ôc invoquer cette augufle Pro-
tedlrice, devant quelques-unes de fes ii-na-
ges. Ce fut dans cet état que Dieu Téprou^
va Ôc fon époufe avec lui.
Ni les mauvais traitemens , ni les morti-
fications volontaires, n'avoient pu akérer
i^o La Vie
"■ ■ ce fonds înépnifable de beauté , qu'elle avoir
&*^u1^. ^^Ç^ ^^^ mains de la nature. Un Seigneur ac-
crédité, fur k portrait qu'on lui en fit , en
devint paffionnément amoureux. Apres mil-
k ôc mille efforts inutilement bazardés pour
l'entretenir à fon aife , il réfolut de lui fuf-
citer une affaire , qui devoit natuiellemenc
la forcer de paroître à la Cour. Son mari fut
accufé de concufTion , dépouillé de fon gou-
vernement , privé par confîfcation d'une
partie de fçs biens. Pour remédier à tour ,
Une falloit qu'un voyage d'Elifabeth à Nan-
ci ou à Lunéville. Cent bouches apoftées-
le lui répétoient fans ceiïe. Mais elle corir-
noiffoit le piège : elle aima mieux tour per-
dre que d'en courirles rifques y ôc fon époux
mourut en béniiïant la Providence. Lui ren-
dit-elle la vie par fcs prières, afin qu'il pur
recevoir les derniers Sacrcmcns ? c'eft ce que
plufieiirs perfonnes dignes de foi ont affuré r
mais des faits pareils demanderoicnt un exa-
men juridique. Après tout , une vie comme
k fienne , ne la mettoit-elle pas en droit de
triompher de la mort ?
Elle avoir été un modèle de vertu dans
ks liens du mariage \ elle fut un n^odéle de
vertu dans fon état deviduité. Enveloppée
& comme perdue à l'âge de vingt - quatre
ans dans un labyrinte d'affaires épineufes,
chargée de trois filles qui commençoient à
croître , pourfuivie d'une foule d'adora-
teurs , qui par un fécond mariage vouloient
partager avec elle leur crédit & leur fortu*
I
DE M. FouDON. Liv. !!► 251
ne j elle eut , plus que perfonne , befoin de
grâce & de vigilance , pour être du nombre
^çs veuves que S. Paul canonife^ La piété ,
qui, félon le même Apôrre, ell bonne à
tout , la mit en état de faire face à une par-
tie d€s peines qui î'environnoient , de de
fupporter les autres en efprit de paix & de
foumifllon. C'étoit , & )e ne me fers de ce
mot qu'après elle, c'éioit â coups de haton
qu*on l'avoit forcée de prendre un premier
mari ; la noblefle èc les biens de ceux qui
voulurent le remplacer , ne firent point
d'impreflîon fur elle : & malgré les avis
mendiés de quelques Religieux , qui for-
roient des bornes de leur profefTion j J. C*
fut le feul époux qu'elle voulut avoir.
Sans fatiguer (ts filles par di^s fermons
continuels , elle fçut en faire des Viergea
chrétiennes : elle leur permit d'être pro-
pres^parce que leur condition I exigeoitimais
jamais elle ne leur permit d'être moins mo-
deltes , parce que TEvangile le défend. Par
fes foins & parfesattentions charmantes elle
fcur fit trouver dans fa compagnie une joie
kinocenre & pure , qu'elles ne goûtoient
point ailleurs, Jam>ais d'entretiens avec le5
▼alets: très rarement avec les filles de fer-
vice : pcMnt du tout au dehors avec les jeu-
nes pcrfonnes de leur âge, à moins qu'elles
«efuflenr d'une vertu exemplaire. Faut il
s'étonner après cela , fi ces trois filles ont
voulu , fans attendre le foir , confomme^
dans le Clorre le facrifice qu'elles avoienî
commencé de fi bon maiin ?
iji La Yit
•» Les Domeniques de notre vertuenfe EIh
&kî ^^^cth ftirenr y aux yeux de fa foi , un dé^KM
dont elle devok répondce. Audi n'omit-elie
rien pour les former à la piété. Elle préfi-
doit à leurs prïeres , les menoit à l'Eglifc ,les
difpofoit à approcher d^s Sacremens , les
reprenoit avec douceur , & toujours en très-
peu de mots. S'il falloit enfin les congédier,
cWc leur payoit l'année entière de leurs ga-
ges :& quand c'étoit à l'entrée de Thyver,
qu'elle étoit obligée d'en venir à cette ex-
trémité , elle faifoit quelque chofe de plus ,
pour leur adoucir une partie des rigueurs de
la faifon.
Malgré les embarras de ce nouvel étar ,
k pieufe veuve paroifToit dans unefituatioD
bien plus douce que celle qui i'avoit fi long-
rems exercée , foit dans la maifon paternel-
le , foit pendant le règne de fon mari. Mai»
elle étoit née pour les croix du premier or-
dre \ ôc à peine y avoit-il vingt mois que fon
époux étoit mort , qu'il lui en furvint une ,
dont les annales de l'Eglife fournificnt peu
d'exemples. C'eft une affaire qui a tant fait de
bruit en Lorraine , qu'il n'y a point de dan-
ger à en rappellcr la mémoire. Je le ferai
avec précifion : je prie qu'on fe fouviennc
que je ne dois le faire qu'en Hifiorien,
En t6i8. le 20 de Février , quelques
Dames de fes amies l'invitèrent à une par-
tie qu'elles avoient faite d'aller au faint
Mont , lieu de dévotion qui n'eft éloigné de
Remiremont que d'environ une demi-lieue-
Dt M. BouDON. Liv. II. 255
La pîenfe veuve , qui ne fçavoic qu'obliger , *
y confenrir volontiers ; à condition néan- ^^^^'
moins qu'il ne s'y trouveroit point d'hom-
mes. On le lui promit j & plut à Dieu qu'on
lui eut tenu parole.
Lorfqu'clle y fut arrivée , au lieu de fe
chauffer , comme firent les autres , elle par-
courut , malgré la rigueur du froid , les
Chapelles qui font fur le fommet de cette
montagne. Mais elle s'arrêta fur-tout devant
une image de la Vierge , qui eft très- refpe-
<ftéc dansée lieu. Eiley renouvella le vœu
de chaileté , qu'elle avoit fait depuis la mort
de fon mari. Elle fe mit , aulTi bien que fa
fille aînée qv.i l'avoir fuivie , fous la prote-
ction de la NIere du Verbe incarné. Elle lui
protefla avec toute l'ardeur dont elle ctoit
capable , qu'elle ne vouloit plus vivre , que
pour glorifier le Fils dans la Mère , ôc la
Mère par le Fils.
Cependant on l'appelle : êc elle trouve à
table 3 contre la parole donnée , un Méde-
cin nommé Poirot. C'étoit un tour qu'une
Dame de la Compagnie lui avoit joué. Elle
en fut affligée , parce qu'elle ne voyoit
dhommes, queceux qu'elle ne pouvoit fe
difpenfer de voir : mais elle diffimiila fa
peine. Poirot , familier avec tout le mon-
de, étoit timide à l'égard de notre Elifaberh.
La vertu peinte fur fon vifage la rendoit im-
pofante. Le libertin même avoir pour elle
un refpect forcé -, ôc de routes les perfonnes
qui la connoiflbient , il n'y en avoit point
qui osât s'échapper en fa préfence.
234 L A Vr E
Pour s'en faire aimer , le Médecin , qui
fans avoir jamais ofé lui faire l'aveu de fa
flamme, l'aimoit éperduement , eut recours
à la voie du maléfice y ôc pour fe frayer un
chemin au mariage , il voulut , à l'aide de
Tenfcr , comme ce fcélérat dont parle S,
Jérôme dans la vie du grand Hilarion , ob-
tenir des fcntimens dont la nature ôc la ver-
tu lui fermoient l'entrée.
Elifabcth au moment même fe trouva
<îans une fituation qu'elle n'avoit jamais
éprouvée. Une noire vapeur de penfées im-
pures s'éleva dans fon imagination , & elle
fe vit comme livrée aux fureurs de cet Ange
de Satan , qui afflige fi cruellement ceux fur
qui il lui eli donné d'exercer fon empire.
Mais comme le démon , quoiqu'il puifle dé-
ranger les organes, ne peut rien fur la vo-
lonté j & qu'à moins qu'il n'ôce ia raifon ,
il laiiïe au cœur la liberté du confentement :
Elizabeth , qu'une longue fuite de vertus
avoit préparée aux plus rudes combats , ren-
dit inutiles tous Ces efforts. Elle en fit mcme
par la vertu de la croix , la matière de fon
plus beau triomphe. Pour éteindre le feu qui
la dévoroit , fcs yeux verfoient des torrens
de larmes. Elle pafToit en oraifon une partie
des jours (Se des nuits. Sans cefTe elle appel-
pelloit à fon fecours la Reine des Vierges,
& ceux des Saints , qui , comme François
d'Afllfe , ont le plus imité fa pureté fans ta-
che. Elle fe confefibit prefque tous les jours,
& prefque tous les jouis elle trouvoic dans
EE M. BouDON. Liv. îl. 23J
k pain des forts de quoi braver Tenfer , Ôc ''
tous les miniftrcs de fa fureur. Elle fut donc, sl^uih*
quoiqu'il lui en coûtât beaucoup plus, tout
ce qu'elle avoit été jufqu'alors. Son cœur
fut à Dieu, ôc il ne fût qu'à lui. L'impie put
le troubler , il ne put y avoir d'entrée.
Défefpéré d'un fi mauvais fuccès , Poirot ,
qui peut - être étoit accoutumé à en avoir
de plus conformes à fes vues criminelles ,
voulut du moins avoir la funefte confola-
tion d'être appelle auprès de celle pour qui
fa pafiion redoubloit tous les jours. Cela
n'étoit pas difficile ^ il étoit feul Médecin à
Rcmiremont : il n'y avoit qu'à la fraper de
quelqu'une de ces maladies , où il eft de l'or-
dre d'avoir recours à fa profefTion. Il le fît
par de nouveaux maléfices. Anne Bouley ,
pauvre fille de Lorraine , dont on ne fe dé-
fioit pas, & qu'il avoit rendue complice de
fes fortiléges j le fervoit admirablemens; bien
dans ces occafions.
En coRféquence de la nouvelle opéra-
tion , notre pieufe veuve fut bientôt dans un
état à faire trembler ceux qui en étoient té-
moins : ôc qui efl-ce qui ne le fut pas d'un
mal , qui , quoiqu'avec des accès inégaux >
a duré fi long-tems ?
Quelquefois elle avoit la moitié du corps
gelée & fans aucun fentimenr^ pendant que
l'autre éroit fi violemment agitée , que quoi-
qu'elle fût très-fcible, quatre perfonnes bien
fortes avoient peine à la retenir. Quelque-
fois on vayoit avec la plus étrange furprife fa
i^é La Vie
'■ têce s'entrouvrir , ôc fe refermer un peu âê
It^^'v. tems après ■^. D'autres fois cette même tête
' s'enfloif àvued'œilj&devenoit monftrueufe.
Souvent elle y fouffroit des douleurs fi
aiguës , que tous fes fens en tomboient dans
la ftupidité : elle n'entendoit plus : elle voyoit
peu-, elle n'avoit ni goût, ni odorat, tjne
gravelle furieufc , des coliques cruelles , le
corps fouvent courbé en arc , un aftme ter-
rible i une toux très - violente , une veine
rompue qui lui faifoit perdre beaucoup de
fang i un froid qui la glaçoit au milieu des
ardeurs de l'été •<, Ôc avec cela un feu inté-
rieur 5 principe d'une foif que rien ne pou-
voir éteindre : des déchiremens femblables
à ceux des rafoirs^ fes membres difloqués de
façon qu'on entendoit craquer fes os ; la
peau de fa tête confumée par la violence des
remèdes , en forte qu'on lui voyoit le crâne :
tout cela n'eft qu'un foible abrégé des peines
que fouffrit cette femme de douleurs.
Mais ces peines qui n'attaquoient que le
corps , n'étoient rien en comparaifon de
celles qui crncifioient fon ame. Peu fées
abominables dans la perfonne du monde qui
en avoir le plus d'horreur. Doutes contre
le plus confolant de nos myfteres , & dou-
tes fondés fur les raifons des Calvinifles ,
qu'elle iVavoit jamais lus ; Tentations de
blafphême , de fureur, &: du plus affreux
défefpoiri Langueur, fécherefle , diftradion
* Voyez fur ces fortes de Phénomènes VÊxamen critique
de fHiJioire des Diables de Loudun, Entretien VU.
DE M. BouDON. Liv. II. 257
dans ces mêmes exercices de piété , qui juf- *
ques- là av oient été fa plus confolanre , ôc ^^^JV,
prefque fon unique occupation \ tels étoient
les rigoureux exercices que le Ciel lui four-
niflbir. Les eaux de la mer l'environnoienr ,
Se elles avoient pénétré jufques dans la fub-
fîance de fon ame. Tous fes flots avoient
paflé fur elle. Elle erroic dans la folirudc,
dans cts lieux cbfcurs ôc ténébreux , féjour
éternel de ceux qui font morts pour tou-
jours.
Mais dans cet érar , dont nous n'avons
fait qu'affoiblirla double horreur , la Croix
du Fils de Dieu triompha conflammenr.Eli-
faberh ne fe lafToit point de bénir le nom
du Seigneur. Elle le conjuroit de ne pas ^
permettre qu'elle eût jamaais d'autre defir »
que celui d'être dans la fituation où fa Pro-»
vidence vouloit qu'elle fût : ôc un jour qu'el-
le foufïroit des tourmens qui cuffent fuffi à
la fainte avidité des Martyrs , elle dit à ceux
qui la plaignoient , que c'étoit peu de chofe,i
Il eft vrai qu'elle changea enfin de lan^
gage -, mais ce langage , joint aux f\ mptômes
extraordinaires de fa maladie, fir juger qu'el-
le étoit poffédée. Comme c'eft- là 1 endroit
critique de fa vie , ôc de celui qui l'a écrite ,
nous le fuivrons pas à pas dans une matière
auiTi pleine d'intérêt , qu'elle ell environ-
née d'écueils.
L'Archidiacre commence d'abord par p<>
fer pour principe , qu'il peur y avoir des per-
fonnes poffédées par Iç démon. Il le prouve^
&&UV.
238 La Vie
— — & par l'Evangile qui en parle dans un grand
îJ?.tl noiTibre d'endroits , & par la promefle que le
Fils de Dieu fit à fes Apôtres , ôc en leur
jDerfonne , à ceux qui dévoient leur fuccé-
der , qu'ils chafTeroient en fon nom les dé-
mons du corps de ceux qui en feroient in-
fcdés : ôc par l'établiflement d'un Ordre
d'Exorciltes , que reçoivent encore aujour-
d'hui tous ceux qui fe difpofent au Sacer-
doce i 6c enfin par l'autorité des plus an-
ciens âc des plus refpedables Dodeurs de
TEglife ; qui, comme S. Ignace Martyr , S.
Juftin , Tertullien , S. Cyprien , S. Athanafc,
S. Jean-Chryfoilome 5 S. Jérôme, S. Au-
guftin, ont parlé des Hxorcifmes: c*eft-à-
dire , d'un minifiere cflenticUement relatif
au genre de vexation dont nous parlons. Il
ajoute que les fiéclcs fuivans n'ont pas penfé
autrement que ceux qui les avoient précé-
dés-, & dès-là il a fait appercevoir une chaîne
de Traditions, contre laquelle un vrai Chré-
tien ne peut fe roidir. Il cft vrai , & c*eft
peut-être un défaut , qu'il ne cite aucun tex-
te , ni à la marge , ni dans le corps de fon
livre : mais s'il ne faut que cela pour avoir
Ja paix , nous fommes prêts à les citer pour
lui.
Il prétend enfuite , qu'il y a des'pojjeffîorts
'dont tes caufesfont innocentes s c'eft-à-dire ,
qui ne font la punition d'aucune faute qu'ai;
commife la perfonne poffédée , & que par
conféquent le dejfein de Dieu n'cfi,pas tou-
jours de punir , quand il afflige. Il dit d'à-
DE M. BouDON. Liv. II. 25^
bord j mais avec beaucoup de préciûon ,
que la poflcfTion n'efl après tout qu'un genre
de croix , & que Dieu diftribue les croix aux
innocens comme aux coupables. 11 cite en
preuve l'exemple de l'ancien Jofeph, qui
n'eût été ni perfécuré par fcs frères , s'il eût
été moins vertueux ; ni condamné à une ri-
goureufe prifon , s'il eût été auffi corrompu
que fon infâme maîtrefle. A cet exemple il
joint celui du faint homme Job , qui de l'a-
veu de Dieu même , n'avoit pas fon pareil
fur la terre \ Se qui cependant devenu le
jouet des enfers , n'eut pour rcflburce dans
l'excès de fes difgraces , qu'une femme &
àcs amis qui y mirent le comble. Tobie &
l'aveugle né de l'Evangile viennent à l'appui
de ces premières preuves. Boudonne man-
que pas d'y joindre avec fcs tranfports ordi-
naires la très-fainte Vierge. Jamais vie ne
fut plus pure , plus innocente que la Tienne -y
jamais cœur ne fut plus fouvcnt percé du
glaive de douleurs , que Siméon lui avoit
prédit.
Ces principes ne fuffifent pas à notrcEcri-
vain. Il vient au fait précis des poffelTions.
Il foutient avec CaiTicn, qu'ily a eu des per-
fonnes d'une grande fainteté , dont la vertu
a été exercée par ce genre d'épreuves. Il fait
voir par l'autorité de Sulpice Severe , qu'il
s'efl trouvé des Saints , qui l'ont demandé à
Dieu , pour éviter des fautes , dont l'humi-
liation qui y efl attachée , pouvoit les ga-
rantir. Enfin , il ajoute d'après le Chance-
2.^0 La Vie
lier Gcrfon» qu'il y en a eu d'autres qui Tont
obcenue par grâce , & auxquels le bon ufage
qu'ils en ont fait , a beaucoup fervi. A ce
fujet il cite l'exemple de la vertueufe Marie
des Vallées "^ , qu'il avoir très particulière-
ment connue, ôc qui fut poffédée prcf-
que toute fa vie , non pas pour avoir
chanté dans fa jeunefle quelque chofe de
trop libre , ainfi que l'ont écrit des perfon-
nesmal inflruites^ mais pour prendre fur
elle , par un effort de charité , les maléfices
dont un grand nombre de filles , à qui leur
peu de vertu ks rendoient funeftes , étoienc
affligées.
Mais enfin de ce que Mari«- Elifabeth a
pu être pofTédéc , il ne fuit point du tout ,
qu'elle l'ait été effcdivcment. L'Auteur en
convient. 11 n'ignoroit pas , que da^ns THif-
roire il y a cent exemples de poileflions , qui
n'ont €u de réel que la foiblefîe ou l'artifice
de ceux qui les contrefaifoient , ôc la (lu-
pidc crédulité de ceux qui s'y font laiffé pren-
dre. 11 commence donc par avertir , & Dieu
•M Michauît.danslc premier Tome de fcs Mêlangefi
Hiftoriques & Philologiques , p. 324 rapporte un Frag-
ment , où cette fîr.e eft traitée comme n'ayant ni raifon ,
ni Religion. On y 'it qu'on propofa de fa part trente an-
nées de vie au Cardinal de Richelieu , fous la condition de
tlonner dix ou douze mille livres au 1'. Eudes , pour fonder
lacuîfinede fa Mijfion. Onyaioute que J. C. lui révéla
la damnation de ce Miniftre. Unhonme inftruii , à qui
j'ai demandé ce qu'il penfoit de ces pieufes Anecdotes,
m'a prouvé que c'étoient des rêvciies & des irppertinen-
ces. Au r€Ûe^ fi M. Boudoiï a été tmmpé fur le coiiipte
de cette fille , il ne l'a été que d'après un grand nombre
de perfonnes d' un vrai mériie. .
veuille
DE M. BouDCN.'Lîv. II. -241
veuille qu'on ne 1 oL.blie jamais , qu'il ciï ■
d'une exncme conféquence pour la gloire gj'jufy^
de Dieu <^ pour i honneur de la Religion ,
de ne marcher qu'à pas très - mellaes
dans un l'entier aufli gliiTanr que l'ell celui-
ci. Il dit que certaines maladies , fur-tout
quand elles font jointes à une imagination
vive , à un tempérament robu/le , 6c plus
encore à une volonté ou déterminée au mal,
ou féduite par l'apparence du bien , peu-
vent produire , ôc produifent les plus fur-
prenans effcis. Il foufient que l'ennemi du
genre humain entre pour beaucoup dans ce
déteflable manège , Se que comme il pro-
cure quelquefois à d hypocrites fcéléracs la
réputation de gens de bien , pour avoir lieu,
quand il aura fait tomber le mafque , de dé-
crier la véritable vertu , de même il met de
rems en rems de faux pofTédés fur la fcêne ,
pour empêcher la gloire qui revient à Dieu
ôc à fes Saints, des véritables pofTefTions.
Il démontre enfuite , mais par des faits
épars ça & là , que fi la pofTeffion d'Eiifa-
bcth a mérité croyance , ce n'a été , ni par
un principe de compalîlon pour elle , ni
par un principe d'averfion pour le Méde-
cin , qu'on foupçonna d'en être FAureur,
Ce dernier étoit eltimé pour fa fcience de
fes talens. Il avoit depuiflans amis à la Cour
de Lorraine. Un air de fermeté fembîoit
dépofer en faveur de fon innocence. Il trai-
toit hautement la poÛefTion d'imaginaire ,
6cdemandoic jufticede la calomnieufe in>
L
141 L^ Vil
putation , qui la mettoit fur fon compte.
'^'4. Pour Elifabeth, elle fe vit abandonnée
^ ^"'''' de tout le monde. On la traitoit avec la
dernière indignité. On étoit infenfible à tous
Ces maux. On alla jufqu'à invediver publi-
quement contre elle dans les Chaires -, &
afin que rien ne manquât à fes humiliations,
on répandit de tous côtés des libelles diffa-
matoires contre fon honneur. // riy avoitm
petits, ni grands , ^ui ne fujfent tmbus des
faux bruits qu'on fit courirpour la perdre de
réputation. Elle étoit l'opprobre du monde.
Chacun parlait contre elle , les uns par mali-
gnité , les autres par ignorance , quelques-
uns par crainte humaine & par intérêt ,d au-
tres par un faux zélé de la gloire de Dieu.
Les plus modérés croyoient lui faire grâce de
ne la traiter que de folle & de lunatique.
Poirot s'étant déclaré partie contre elle ,
obtint à la faveur de quelques Grands de la
Cour des Commiffaires pour en informer.
On entendit à ce fujet plus de quatre-vingt
témoins. On tâcha d'en fuborner par ar-
gent , Se ce furent eux-mêmes qui le depo-
ferent. Comme tout alloit à la décharge de
la fainte veuve , on en vint jufqu à confpi-
rer contre fa vie. On l'a empoifonnée plus
de vingt fois. Sa tête étoit à prix , & mille
piftoles dévoient être l'inique falaire de fon ,
affafnn.Il n'y avoit qu'une protedion des 1
plus fmgulieres qui pût brifer fous fes pas les |
filets qui étoient dreffés pour la prendre. ,
Gensûiconnus 6c fans aveu l'ont fuivie le
DE M. BouEON. Liv. IL 245
pi/lolet à la main pour la tuer. Ils fe trou-
voient attendris au moment de rexécution ,
fans fçavoir pourquoi. Cent fois l'on a voulu
faire entrer de nuit dans fon appartement
des hommes dévoués au crime , pour la
poignarder. De vingt -quatre heures qui
compofent le jour , il n'y avoir pas une mi-
nute , où elle pût compter pour fa vie fur la
minute d'après. Ceft ce qui obligea la Cour
à lui donner des gardes j mais c eft auiTi ce
qui démontre qu'une favorable prévention
n'a point travaillé pour elle , & que ce n'eft
qu'à force d'innocence qu'elle n'a pas fuo-
combé.
Au refle rien de plus fage que la manière,
dont le Sacerdoce & l'Empire procédèrent
dans une affaire aufli délicate , qu'elle étoit
épineufe. Jean des Porcelets , Evéque-Com-
te de Toul , s'y conduifit avec la plus haute
prudence. Lorfque le bruit de la pofleffion
eut enfin éclaté , de façon à invoquer fon
minirtere , il fit tout ce qu'un homme de fon
cangdoit faire dans une femblable occafion.
Comme les pcfleflions ne peuvent être
conflatées que par des fignes , dont les uns
confident dans de certains mouvemens du
corps, qui paHent ks forces du fujet où ils fe
trouvent j les autres , dans des lumières &
des connoiflances , qui fuppofent néceflai-
rement 1 opération d'une intelligence fupé-^
ricure i le judicieux Fiélat appcUa à fon fe-
cours tout ce qu'il y avoit de plus capable
debien ju^eidesuns&des aurres. Lesfignes
Lij
244 La Vie
• — ; — du premîeiv ordre éroient de la compétence
&.knv, des Médecins j on en fie venir fix des plus
habiles qui fufiènr alors à Nanci. Les fignes
de laurre genre étoienr plus du reflTort des
Théologiens : on choifit dans le Clergé Sé-
culier & Régulier des perfonnes , que leur
verru Se une capacité reconnue mettoient en
état de les évaluer.
Les Médecins , après un examen férieux ,
jugèrent que parmi les mouvemens dont
Marie-Elifabeth étoit agitée , il y en avoir
qui furpaflbient les forces de la nature, 6c
qu'ainfi l'on devoir avoir recours aux remè-
des furnaturels. Mais lorfqu'ils eurent af-
fligé aux Ëxorcifnies , mûrement examiné
tout ce qui s'y paflbit , conféré plus mûre-
ment encore Air les prodiges dont ils avoient
été témoins , ils avouèrent qu'ici toute leur
phyfique étoit à bout , de que ni l'art, ni la
nature ne pouvoicnt être le principe de ce
qu'ils avoient vu. C'efl; de quoi ils donnè-
rent rou« une attefiation authentique.
Les Théologiens parurent enfuite ,ôc ou-
tre plufieurs Ecvléllaliiques de Science ôc de
probité , on réunit une bonne partie de ce
que les différens Ordres avoient de plus fa-
ge ôc de plus éclairé. Bénéd'idlins , Carmes ,
Auguftins , Cordeliers , Minimes , Capu-
cins , Jéfuires , Prêtres de TOratoire , tous
furent confultés. D'ailleurs rien ne fe faifoic
dans l'angle : tout étoit marqué au coin de
la précaution ôc du refpeâ:, qu'exigeoient
très-fouvent la préfencc du Souverain ôc de
DE M. BouDON. Liv. II. 245
fa Cour, de Henri & de Charles de Lor- — ;-
raine , rous deux Evêques, de TEvêque Dto- ^^,
céfain , ôc d'une nob^efle, qui bien inren-
tionnée pour le Médecin Poirot , ne devoir
naturellemenc céder qu'à Tévidence.
Ce fut dans ces ciLXonllances critiques
que les Confulteurs déclarèrent fous les
yeux de Dieu , que la poflelTion n'étoit que
trop réelle , ôc qu'après les preuves con-
vaincantes que l'on en avoit , il falloir, pour
la nier , être aufTi téméraire que dépourvu
de raifon.
Le grand Archidiacre rapporte quelques-
unes de ces preuves , car il avoue de bonne
foi , qu'eu égard à fes occupations , il n'a
pu lire qu'une partie des Mémoires qu'on
lui a communiqués. Il remarque principa-
lement qu'Elifabcth , ou plutôt le démon
en elle, a connu des perfonnes qu'elle n'a-
voit jamais vues , qu'elle a révélé leurs ac-
tions les plus fecrettes , ôc qu'ils çonve-
noient avoir été faites fans témoins j qu'un
Docteur de Sorbonne lui ayant préfenré un
billet Cacheté , par lequel il la fommoit de
donner de nouvelles preuves defon état,
elle répondit brufquement que c'éroit en
vain qu'on lui demandoit de nouveaux fi-
gues , ôc qu'elle en avoit affez donnés pour
conllatercent pofTefTions. Du reffe , ajouta
le démon , ton billet eft en latin , & tu Vas
mal écrit ; ce qui fe trouva vrai , quand le
billet eut été ouvert ;, ôc relu avec atten-
tion,
L iij
24<5 La Vie
' L'inreUigencc des langues étrangères eft
&'lui?. un des points fur lequel Boudon infifte da-
vantage. Il étoit de notoriété publique qu'E-
lifabeth ne fçavoit que le François : cepen-
dant elle répondit fans héfiter à toutes les
queftions qui lui furent faires en Italien ,
en Anglois , en Allemand , en Latin , en
Grec ôc même en Hébreu.
Un Religieux Bénédidtin lui fit en Al-
lemand un grand difcours , qu'elle entendit
auffi-bien qu'eut pu faire une perfonne
élevée en Autriche. Pour rembarrafler on
recherchoit à grands frais ce Latin fier Ôc
inufité , que les Sçavans même , s'ils ne
font des Huet , ou des Pétau , n'entendent
qu'à la faveur d'un Dictionnaire : ce qui
arrête quelquefois les meilleurs Humanif-
tes , n'étoit qu'un jeu pour elle* Un Doc-
teur , qui en méritoit bien le titre , l^inter-
rogea à plufieurs rcprifes en Grec , ôc non-
feulement elle facisfit cxaélemcnt à tout ,
mais elle badina fur une faute qu'il n*avoit
faite que par précipitation.
* M. de Sanci , qui pendant plufieurs an-
nées avoit été Ambafladeur pour le Roi à
Conllantinople , ôc qui de Prêtre de l'Ora-
toire devint dans la fuite Evêque de S. Ma-
lo 5 lui fit en Hébreu plufieurs commande-
mens , auxquels elle obéit fans délibérer.
Un Dodteur de la faculté de Théologie de
Paris fit le même efiai , & le fit avec le mê-
me fuccès. Un Anglois , dont elle n'avoit
jamais entendu parler , & qu€ la curiofité ,
©ï M. BouDON. Liv. II. 247
peut-être même une envie fecrette d'inful- '
ter à la Religion , entraîna , comme bien
d'autres, aux exorcifmes, fut tout étonné
de la voir aufli bien inftruite des particula-
rités de fon pays, que des fentimens d'une
fede dont il faifoit profeiïion. Il fut bien
plus furpris , lorii^u'à fa demande , elle lui
dit le nom du maître fous lequel il avoit fait
fpn apprentiflage, & dont il n'avoit point
entendu parler depuis long-tems. Mais ce
qui frapa également, de les gens habiles,
éc ceux qui ne 1 ecoient pas , ce fut de l'en-
tendre difcourirde nos Myfteres avec unç
profondeur , qui n'appartient qu'aux grands
Maîtres, & développer les plus difficiles
morceaux de l'Ecriture avec une facilité que
rien n'arrête.
Ce fut fur cette fuite de preuves ( fuite
qui d'ailleurs n'étoit pas nécciTaire , &c qui
ne fe trouve pas toujours j puifque le dé-
mon , qui de fa nature eft le père du men-
fonge, après avoir malgré lui conftaté fon
œuvre , s'efforce quelquefois pour empê-
cher le bien qui en réfulte , de l'obfcurcir,
& de la rendre douteufe ) ce fut , dis je , fur
cette fuire de preuves , ^ de bien d'autres ,
qu'il faut fupprimer ici , que plufieurs Evê-
quesqui avoient tout vu , tout examiné de-
vant Dieu , plufieurs Religieux diftingués
dans leurs Ordres, & parmi eux le Provin-
cial des Capucins , le premier Déliniteur des
Minimes , le Prieur des Carmes , le Redeur
du Collège des Jéfuites , un grand nombre
Liv
k tuiv.
148 La Vie
de Ledeurs en Théologie , auxquels il faut
joindre le Supérieur de lOracoire, malgré
le penchant connu des Seigneurs de iar Cour,
déclarèrent par un ade folemnel ^ que la
pofleiTion étoit indubitable.
Comme* je m'apperçois que cet extrait
grolTit beaucoup plus que je n'avois préten-
du, je ne fui vrai le grand Archidiacre, ni
dans rénumération des biens, qui malgré
tous les efforts de l'enfer , fuivent toujours
l'effrayant fpeélacle des poffeiTions , & les
aveux que le démon efl forcé d'y faire ; ni
dans le fage examen qu'il fait des raifons ,
qu'a le Dieu Tout- puiffant de permettre ,
qu'il en coûte tant à fes Minières pourchaf-
fer l'ennemi de la maifon où il s'cff une fois
logé. Je dirai feulement que les Exorcifmes
fervirent au moins à délivrer Elifabeth de la
plus grande partie de fes maux -, que Poirot ,
fur l'avis qu'on eut , qu'il vouloit s'enfuir
dans un pays hérétique , fut arrêté j qu'Anne
Bouley fa confidente , qui s'étoit évadée
avec des papiers, qui développoicnt fes abo-
minations & celles de fon maître , fut prife à
Paris , Se ramenée à Nancy , où elle rendit
hommage à la vérité -, que le Duc de Lor-
raine Henri II. à qui la bonté qu'il eut pour
fes Sujets , a mérité de leur part un furnom
qui vaut mieux que celui de Conquérant,
chercha & dans fes Etats , & hors de fes
Etats , vingt-quatre Commiffaires pour in-
ffruire le procès du Médecin -, que malgré
les follicications d'une faction puifîante, ils
CE M. EouDON. Liv. II. 249
le condamnerenc au feu j qu'aux initantes
prières d'un nombre de grands Seigneurs ,
cetArrérfut encore ramen^^ au jugement;
qu'il fut enfin confirm.é j &c que fi Poirot &c
h Bouiey eurent le même fort devant les
hommes , ils en eurent un bien différent de-
vant Dieu : puifque celle - ci mourut dans
des fenrimens de douleur <5i de foumilTion,
donc tout le monde fut attendri ^ ôc que ce-
lui-là au contraire mourut comme il avoic
vécu.
Pour ce qui efl de la vertueufe Elifa^
beth jcefutà la fainte Vierge ^ob'et & prin-
cipe de fa tendrelTe , qu'elle dût fa pleine &
entière délivrance. Réfolue de gagner à la
Mère pour l'amour du Fils le plus d'ames
qu'il lui feroit poiTible , elle travailla à fou-
flraire au danger celles des perfonnes de fou
fexe , qui y étoient les plus expofées j Se
fans fe rebuter de la grolliereré , de Tingra-
tkude , quelquefois même de la fureur de
ces âmes honteufement vénales j elle en rr.f-
fembla peu à peu jufqu'a vingt dans fa mai-
fon , où elles éprouvoient tous les ména^r
gemens de la charité chrétienne. ^
Les grâces que Dieu répandit fur cette
petite aflbciation , firent juger à l'Eyéquede
Toul , qui pour lors étoit de la Maifon de
Lorraine, que pour lui donner une jutle
confillance, il falloit l'ériger en Commu-
nauté Religieufe. Notre fainte veuve , qui
dès-lors futappellée Marie-Elifabeth de la
Croix de Jefus , nom qu'elle ne porta pas ï
Lv
i/o La V I I
■ ticrc gratuit , en fut la première Supérieure.
& fulv. L'aînée de fes filles prit le voile avec elle ,
Ôc les deux autres la fuivirent avec le tems.
Elifabeth eut toutes *les vertus néceflaires
pour le pénible ôc laborieux Inftitut , dont
la Providence l'avoit rendue fondatrice ; de
pendant vingt cinq ans qu'elle a gouverné
cette Maifon -^ , elle y a donné tant de mar-
ques de pureté , d'obéiflance , d'humilité ,
d'amour pour Dieu , de charité pour le pro-
chain, de patience & de douceur à l'égard
du troupeau , fouvcnt indocile , que la main
d« fon Evêquc avoit confié à fes foins, qu'on
n'a point de peine à croire avec fon Hiflo-
rien , que Dieu l'ait honorée pendant fa vie
& après fa mort , du don des miracles. Mais
un plus long détail nous mencroit trop loin.
Il ert tems de paHcr^ie l'Hiftoire de Â4arie-
Elifabeth à l'Hifloire de celui qui l'a corn-
pofée.
, L'Archidiacre d'Evreux avoit fait tant de
1685. bien dans tous les lieux où il avoic travaillé,
"^' il y paflbit û univcrfcllement pour un Saint,
dont les vifitesrépandoient par tout la paix
& la Jpie de TEfprit divin , qu'on fouhaitoit
ardemment de l'y revoir encore une fois ,
-avant que fes infirmités le miflent entière-
ment hors de combat. Il fut donc prié, ôc
par un grand ncmibre de perfonncs de la pre-
mière condition , & par plafieurs Commu-
ta Communauté du Refuge fut établie le premier Jan-
vier 1614. Elifabeth delà Croix la gouverna juftju'au 14 de
Jftnviet i(S^9. jour&arviée où elk moucjt.
CE M. BouDON. Lit. II. 15 1
naurésReligieufes , de vouloir bien donner
une nouvelle façon à des terres, quis'étoienc
fi bien trouvées delà première.
Sa charité toujours active parla pour le
moins auflî haut que les voix multipliées de
ceux qui l'appelloicnt à leurfecours. Ainfi
il ne tarda pas à fe mettre en marche: mais
pour fe difpofer par fa propre fanctifica*
tion à la fandifîcation du prochain , il vou-
lut commencer par une retraite. L'eftimc
qu'il eut toujours pour le faint Ordre des
Chartreux , lefilcnce éternel qui règne dans
leurs Cloîtres , la facilité qu'on y trouve à
pratiquer la pénitence , foit par les longs
Offices du jour & de la nuit, foit par une
abflinence inviolable j enfin un attrait dé-
cidé pour la folitude , le déterminèrent à
donner la préférence aux enfans de S. Bruno.
Ce fut à la Chartreufe du Mont-Dieu ,
que fa pofition met encore plus à l'abri du
tumulte 5 de qui d'ailleurs Tapprochoit des
Provinces où il étoit appelle , qu'il pafla
quelques jours à fe recueillir devant Dieu,
S'il édifia beaucoup fes pieux Hôtes en fui-
vant nuit & jour leurs exercices, il fut beau-
coup édifié des grands exemples de vertus
qu'ils lui donnèrent. Tous le touchèrent
par réclat de cette ferveur primitive , que
tant de fiécles n'ont point encore altérée :
mais ce qui k frapa davantage , ce fut l'ad-
mirable vertu de deux vieillards que Dieu
éprouvoit chacun à fa m.aniere, ôc qui, cha-
cun à Tenvi , remercioiem Dieu de la ma-
nière dont il les éprouvoit. L vj
1)2. L A V I E
' ' ■ Le premier éroic paralytique , foiird, Se
„^^|^?'* à peine poLivoit-il parler. Il ne vouloir an
monde que ce que Dieu Veut. Ses Frères ,
dans les momenj^ où la vertu peur & doit
s'égayer, lui dcmandoient quelquefois par
le moyen d'un alphabeth fait exprès , ce
qu'il penleroit fi l'armée ennemie venoit
fondre fur la maifon , ou fi un feu violent
menaçoit fa cellule. Mais on avoit beau le
tourner en tous les fens>on ne trou voit en lui
qu'un homme qui ne craint rien, & qui ne
defire rien fur la terre. Sa réponfe toujours
uniforme étoit , que , quoi qu'il d'ut lui en
coûter , il feroit ravi que la divine volonté
s'accomplît en lui de en Ces Frères.
L'autre Solitaire étoit fi affligé dans tou-
tes les parties de fon corps , que Boudon
l'appelle un honi'me de douleurs. Cepen-
dant, comme il pouvoit encore fe traîner
un peu fur les pieds , il ne manquoit pas
aux exercices communs. » J'eus , dit notre
" Archidiacre , j'eus le bien de le voir af-
» fiiler à la Pfalmodie de la nuit \ ôc certai-
''nement quelques petits cris, que l'excef-
Î-» five douleur lui faifoit' faire , durant Fin-
5> tervalk des verfets que l'on ne chantoit
>* pas de fon côté , au lieu de donner de la
« diftraclion , portoient merveilleufcment
" à Dieu i & je puis dire avec vérité , que le
* cœur en étoit plus touché , que des plus
» belles voix que l'on pourroit entendre.
Quelque pbifir que prît notre vertueux
Pictre à écouter la voix de Dieu , qui pan-
I
DE M. BauDON. Liv. lî. i)^
loit à fon cœur dans la Solicude, il fallut en ■
forcir. Le même mouvement qui l'y avoir &i;i^v*
porte' , comme Jean Baptiite , l'en tira , com-
me ce faint Précarfeur. En répandant à
droite ik à gauche de fa plénitude , il arriva
jufqa'a Cambrai , où la grâce fit par lui fes
miracles ordinaires. Une illuitre Comteffe
A'oulut avoir avec lui une longue conférence
fur les befoins de fon ame. Elle en fut û fatis-
faite, que ne pouvant fe réfoudre à le per-
dre fi tôt, elle fe détermina à le fuivre juf-
qu'à Anvers, oùilétoit invité. Il lui donna
pendant une bonne partie du voyage les avis
dont elle avoit befoin pour fe fanclifier. Ses
difcours publics purent fuppléer au relie,
&: achever ce que la droite du Très haut
avoit fi bien commencé.
A AnverSjUn homme de qualité ne voulut
jamais fouffrir que l'Archidiacre eût d'autre
maiforr que la fienne. L'humilité fut donc
obligée de céder à la charité; mais elle eut
fon tour. Boudon , comme un autre Elle ,
récompenfoit toujours fcs hôtes. l\ donna à
ce Seigneur & à toute fa famille de grandes
leçons , & il les foutinr par de grands exem-
ples. Ce genre de falaire en vaut bien un
.^utre.
D'Anvers, il devoir aller à Bruxelles, ôc
de-là fe rendre à Mons. Pour tant de voya-
ges il navoit d'autres refiburces que la Pro-
vidence , mais on eût prefque cru que la
Providence étoit à fes ordres. Une PrinceflTe
voulut abfolument le. défrayer. Il ne pof
2J4 La Vie
*'■ doit rien , & il ne manqiioit de rien. Ce fut
fc^fJv, ^^^ ^^ même fonds , qu'il Ce rendit à Namur,
ôc nous connoiflbns encore aujourd'hui des
pcrfonnes , qui dans une heureufe vieillefTe,
fe rappellent fon nom avec joie , ôc refpec-
tent fa mémoire "^.
Mais ce fut en Lorraine , que fon zélé
trouva plus d'occupation. Il avoue lui-
même , dans une lettre qu'il écrivit à une
Religieufe , pour lui demander le fecours
de fes prières , qu'on Tarrêtoit à chaque pas
pour l'entendre parler du Royaume de
Dieu i ôc qu'il donna en différens Dioccfes ,
les exercices de la retraite à un grand nom-
bre de Communautés. Or voici en abrégé
le plan qu'il fuivoit dans ces fortes d'occa-
fions i «3^ qui , quoique fîmplc en apparence ,
a élevé tant d'ames à la plus haute perfedion.
Il repréfentoit à celles qui avoient déjà
le bonheur de s'être folemnellement enga-
gées à Dieu 5 que cette première confécra-
tion ne leur fufïifoit pas , mais qu'il falloir
y répondre par une vie vraiement ôc pleine-
ment Religieufe j' Qu'on ne fert pas Dieu
comme il doit l'être , précifément parce
qu'on fe trouve dans un lieu où il eft aifé de
le fervir j Que comme ceux qui dans le
monde meurent à eux - mêmes , ne font
point du monde ^ ceux qui dans les Monaf-
tcres fe laifîent aller à leur humeur , à leurs
paflîons immortifîées , à leurs inquiétudes ,
font du monde hors du monde j Qu'il faut
• C««ie trouve encore vrai en 176a.
DE M. BOUBON. LiV. II. 2J-J
donc s'efforcer , à Taide de la grâce , que ^^^
Dieu répand avec libéralité & avec mïféri- & fuiy,
corde ^ de dompter la chair & de mortifier
rcfpric , en modérant fes faillies & fa viva-
ciré \ Qu'une des grandes leçons qu'on doit
tâcher d'apprendre dans le Cloître , eu celle
de rhumilité , & de l'humilité continuelle ;
puifque c'eft fur les humbles que rEfpric
faint fe repofc \ ôc que ce n'eft que pour eux
qu'il eft le Dieu de paix , mais de cette
paix que le monde & la nature ne peu-
vent donner , Qu'après tout en s'humilianc
de fes fautes , il ne faut pas s'abattre ^ ni fe
décourager , en gémiflant de [es chûtes >
Que les âmes qui font foncièrement à Dieu ,
vivent à la vérité dans unefainte confiifion^
dans une humiliation anéantijfante , dans
une douloureufe componclion de leurs péchés s
mais qu^elles ne perdent ni le courage, ni
la confiance qu'elles doivent avoir en l'ado-
rable Jefus , leur Sauveur & leur Dieu.
Pour les fortifier dans ces fentimens , l'Ar-
chidiacre prcfcrivoit à fes Filles fpirituelles,
Ja fidélité à l'oraifon , le doux & tendre
fouvenir de la PalTion, de la mort, ou de
quelque autre point de la vie de J. C. la fré-
quentation des Sacremens i mais toujours
dans les règles de TobéifTance & d'une jufle
foumiiTion.
Il leur apprenoit encore à faire, àcs auf-
térités de des mortifications du Cloître , le
faint ufage pour lequel elles ont été établies.
•«Elles vont ces pénitences, leur di- oit-il ,
1685.
& fui».
25Ô La Vie
» elles vont toutes à nous unir au Sauveur ,
» & à faire par cette union qu'il régne feul
»&à jamais dans nos cœurs, Jerus-Chrift
5j nous a appris qu'il ell venu apporter le
y* glaive fur la terre , pour nous apprendre
» qu'il divife les unions les plus étroites j Sç
" que non content de féparer l'homme du
« reite des créatures, il veut encore le fépa-
» rer de lui-même. Entrons donc dans Ces
5-> deileins adorables. Abandonnons- nous à
» Con divin Efprit. Quittons-nous nous-
-mêmes, &: avec nous toute vue des créa-
>» tures, toute idée d'ellime &c d'amitié ,
» toute ombre de refped humain. Telle ell
» la fin des pénitences régulières. » Et fans
ces mortifications ultérieures, en vérité, les
plus féveres mortifications extérieures fer-
vent de bien peu.
Le faint homme revenoit fouvent à cetts
mort fpirituellej parce qu'il la regarda tou-
jours comme le terme où doit tendre ôc
conduire l'Etat Religieux. '> Tenez pour
'j maxime, s^ecriou-H dayisfes entretiens y
» que pour être dans un véritable repos, il
» faut que notre cœur forte des créatures,
" qu'il les quitte abfolument d'afîeclion, &
» qu'il retourne à Dieu feul dans l'union du
^y Sauveur. Les liaifons, qui caufent du trou -
» ble , de l'eippreflement , des chagrins , font
" bien humaines. Une liaifon qui ne vient
» que de Dieu, ne caufe ni ces regrets, ni
" ces fenfibilités, ni ces triflefles défolantes
5* dans les féparations: car on ne fouffre pas
DE M. BouDON. Liv. IL 1-^y
" de la forte , quand on n'efl: féparé que •
»' d'une chofe à laquelle on ne dent point. Jr^.'^'
» Que votre cœur ne foit donc qu'à Dieu
« feul , puifqu'il n'eil fait que pour lui, »
Enfin il développoit à leurs yeux , de les
artifices de Tamour-propre , éc les ftrata-
gemes de l'ancien ferpent, dans les diffé-
rentes tentations qu'il nous fuggere. Il leur
préfentoit des armes puiffantes pour les
combattre , de pour les vaincre. 0\\ juge
bien que la dévotion à la Mère de Dieu &c
aux S S. Anges n'étoit pas oubliée. Ort
infîile toujours très-volontiers fur cet arti-
cle , quand on joint, comme lui, la convic-
tion à l'expérience. » Q! difoic-il , fi je pou-
»vois faire entendre à tous les hommes
** combien la finguliere dévotion à l'imma-
>» culée Vierge eft une rare faveur de notre
» divin Maître ; combien font grands les
« avantages qui en réfultenr ; combien il eil
^ doux de vivre & de mourir à fes pieds!
'> Mais non , on ne l'expliquera jamais coui-
" me il faut : on ne l'entendra jamais allez
«dans cette vallée de larmes. w
Il n'étoit pas moins utile à ces jeunes
plantes que forme la Religion ; Se qui doi-
vent tranfporter à celles qui viendront dans
la fuite , le fuc de vie, qu'elles tirent de cel-
les qui les ont précédées. Il proportionnoic
fcs avis à leur fituation préfente. Il commu-
niquoit à celles qui étoient chargées de les
cultiver , l'efprit de fagefle , & de difcerne-
mentj dont elles ont befoin, pour démélei:
2;8 La Vie
^ la tige vîcîeufc de celle qui n'efl que fbible;
& fuiv. ^ ^^^ ' quoique languiffante aujourd'hui ,
peut , à force d'eau ôc de façons, poufTer de
bonnes racines ôc produire de beaux fruits.
Il fçavoit même , en faifant tomber fur elles
la roféc du Ciel , forcer plus ou moins la
nature j rendre excellentes celles qui n'c-
toient que bonnes ; & donner la vie à celles
qu'on étoit prêt à couper , parce qu'on les
croyoit mortes.
Quoique le fpirituel fût fon grand objet ,
il fe prêtoit dans l'occafion aux foins du tem-.
porel. 11 s'intérefToif auprès du Chancelier
en faveur des Etabhflemens , dont Dieu pou-
voit tirer fa gloire. 11 apprenoit aux Com-
munautés naiflantcs à foufFrit tout ce que la
pauvreté ôc le rebut des hommes ont de
moins fupportable. Rien de plus fenfé que
ce qu'il écrivit aux Dames du Refuge , qui
furent aflcz mal reçuc's à Befançon , où
cependant elles pouvoient faire de grands
biens. Leur premier féjour n*y fut. fîgnalé
que par ladifettc, Ôc par la contradidion
des langues. Boudon les fortifia par l'exem-
ple de ce grand Modèle , que le Père éternel
n'a placé fur la montagne , qu'afin qu'il fer-
vk de régie à tous les Chrétiens. « Vous me
" mandez, leur difo'n-it^ que vous êtes dans
5> la dernière indigence : mais qu'eil: ce que
w votre indigence , fi vous la comparez à
" celle de ce Dieu Sauveur , qui à fa naiflan-
" ce n'eut d'azyle qu'un antre fans porte , Ôc
»' qu'un peu de paille pour fe repofer : vous
»E M. BOUDON. LiV. II. 2/9
>' ères aflurémenc encore mieux logées que
w lui. Nous avons bien des contradiclions ,
^> ajoutez-vouf. Mais c'eft l'étar que Thom-
» me- Dieu a porté j & la première Prophé-
3> rie qu'on ait faite de lui , ôc qui fut celle
« du jufle Siméon , ne lui annonça que des
« contradiâiions.On parle de nous renvoyer:
"mais l'adorable Jcfus n'a til pas été exilé
»* àès fon enfance , ôc ce qui cfl bien pis ,
w n'a - t-il pas été crucifié avec une
»> infinité de douleurs ? Il y a des gens ,
« qui ont de l'envie contre nous :
« Mais les premiers des Juifs , les Prêtres ,
" les Scribes , n'en eurent-ils pas une cruelle
w contre le Sauveur? Si donc dans votre
9' entrée à Befançon il veut vous faire l'hon-
»' neur de vous rendre femblables à lui ,
w avez-vous fujet de vous décourager ? Non :
» tout ce que vous me mandez de plus affli-
» géant dans votre Lettre , c'eft ce qui me
» caufe plus d'efpérance. Un établiflement ,
« qui fe fait fans contradidèion , fans paii-
« vreté, fans croix, eft, à mon fens , une
w œuvre bien pitoyable j ôc il n'y a pas lieu
» d'en efpércr de grands fruits. Regardez la
»> divine Providence qui agit dans votre
« état 5 la main invifible de Dieu , qui le con-
» duit y fa divine préfencc , qui eft plus dans
» le lieu ou vous êtes , que vous n'y êtes
« vous-mêmes : ce vous fera une bonne oc-
« cupation , ôc qui vaudra bien l'Office du
w Chœur, que vous ne pouvez pas encore
-»^ récirer. Grande obfervance que l'accoin-
i^o La Vie
^ » pliflement des oïdies de Dieu ! »> Telle
& ruiv! ^^^^^ ^^ Philofophie de TAichidiacre d'E-
vreiix. On pourra en trouver une plus bril-
lante : en trouvera - 1 - on de plus folide ?
' Au refte , fi les Dames du Refuge durent
& luiv. t>eaucoup à la tendre charité que Boudon
eut toujours pour elles ; Boudon dut beau-
coup à la pieufe attention qu'elles eurent
pour lui. Les fatigues d'un long voyage , les
exercices d'une Miiîion , qui ne finiflbit dans
nnlieu, que pour commencer le moment
d'après dans un autre y les efforts de zélé
que faifoit un homme, qui , lorfqu'il s'a-
gifToit des intérêts de Dieu , ne fe ménagcoit
point , accablèrent enfin la nature. En ar-
rivant de MonsàNanci, l'Archidiacre fut
attaqué d'une fièvre fi violente, que fa vie
parut en danger. 11 fe traîna , comme il put,
jufqu'à la Maifon du Refuge. On le logea
au dehors j mais on veilla fi bien à ce qu'il
fut traité , comme il mérltoit de l'être , qu'il
ne manqua ni du néceflaire , ni de ce qui ne
rétoit pas abfolument. Médecins habiles ,
domeftiques affectionnés , argent , linge ,
rien ne fut épargné. Ainfi le tertament qu'il
avoit fait dès les premiers jours de fa mala-
die,devint inutile. 11 ne fervit qu'à faire con-
noître fon an-tour pour la pauvreté &c pour
les pauvres. Il leur donnoit Ces vêtemens ,
de vouloit être enterré comme l'un d'eux»
Les Religieufes du Refuge ne furent pas
les feules, qui dans cette fàcheufe conjon-
clure lui donnèrent des preuves d'attache-
DE M. BouDON Liv. IL 261
nxcm Se dellime. Une Dame auiTi connue ■
dans le pays par fapiéré , que par Ton mé- s^^J.'y^
rire , ne le quitroir prefque point j 6c c'efl: ^^^^^u^
elle qui depuis a fi fouvcn»: rendu ce rémoi- me de
gnage , qu'elle avoir été fore édifiée de la ■'•"'S^^*
paricncedece faint Prêrre -, qu'elle l'avoic
toujours trouvé fcmblabie a lui-même,
plein de reconnoififance pour les plus petits
ïervices qu'on pouvoir lui rendre; le vilage
riant dans fes douleurs les plus vives j de
n'ayant à la bouche que ces paroles : Dieu
foie béni , [a j aime Mère , les SS, Anges &
tous les Saints '.voilà une bonne croix '^ 0 ai-
mable croix ^ & autres femblables.
Lorfqu'il commença à fe mieux porter ,
il rendit vifite à la pieufe Communauté ,
qui , après Dieu , lui avoir rendu la vie. La
crainte qu'on avoit eu de le perdre, jointe
à celle qu'on avoit de ne le revoir que
dans l'éternité , fembla redoubler la julle
confiance , qui étoit due à fa vertu & à fes
lifmieres. C étoit à qui lui ouvriroit fon
cœur, pour profiter de fes avis. Mais per-
fonne n'en profita plus que la Supérieure
& la Maitreffe des Novices. 11 fur leur ora-
cle dans toutes les affaires de quelque im-
portance qui leur furvinrent dans la fuite ;
«5c il régla par fes lettres ce que la difiance
des lieux ne lui permettoit pas de régler au-
trement.
Depuis ce tems il ne fut plus en état de
faire ces longs & pénibles voyages , qui
a\'oient donné tant d'exercice à fon zélé.
i6i L A Vi E
■ Les années qui le nuiltiplioîent fcnfiblc-
I &7. j^ient une deicente affieufe que la Chirur-
gie ne put ni guenr , ni pallier i une fuc-
cefTion de maux , qui afFoibli fient le Cava-
lier , fans le mettre abfolumcnt hors de
combat -, la vieillefle en un mot , qui ell
prefque toujours double en ceux qui ont
outré le travail i tout cela réduifit l'Archi-
diacre à des occupations , qui , quoique
continuelles , étoient plus modérées"*'. J'en-
rends plus modérées pour lui : car ce qu'il
regardoit comme une forte de délafiement •
il eft sûr que bien d'autres Icuflent regarde
comme une vie très-laboricufe Se très-fati-
gante.
Boudon faifoit exadement Ces vifites
d'Archidiacre , & il les faifoit avec une fé-
rieufe application. De retour à Evreux , il
mettoit à profit tous les momens, qu'une
craifon toujours longue , les faints Offices,
la célébration des divins Myfteres laifibienc
à fa difpofition. Tour à tour il compofoic
ces pieux Ouvrages , que Dieu bénit encore
aujourd'hui. Il formoit à la plus haute piété,
non-feulement ceux qui s'adrefibient à lui
dans le facré Tribunal , mais encore un
nombre infini de jeunes gens , qui certains
jours de la fcmaine venoient le trouver dans
•II cft fur néanmoins que M. BouHon travailla encore
ilans leDiocèfede Cambray en 1687. puifque le 19 Juin
de cette même année il obtint de Jacques - Théodore de
Bryas , qui en étoit Archevêque , des pouvoirs trés-ho-
rorables d'y prêcher : Pramonitis tamen Parochiarunt
HéSonbiu , aliorumvt locorum Superioribus»
DE M. BOUDON. Ll7. IL 2^5
fa pauvre chambie. Le refle du tems , ou il 1687.
éclaircilToit les doutes des perfonnes qui le ^ f"i^«
confukoienc fui les maximes fpiricuelles j ou
il répondoic à une foule de lettres , qui lui
venoient de tous les coins du Royaume , ôc
aflez fou vent des Royaumes étrangers. Cha-
que année il faifoit un voyage à Paris , pour
entretenir dans de fain tes Communautés le
feu du divin amour , qu'il y avoit allumé.
De tems en tems il fe retiroit à l'écart , pour
y jouir dans la folitude de la prcfence & des
faveurs de fonBien-aimé. Le penchant qu'il
eut toujours pour les lieux féparcs du tu-
multe & du commerce des hommes , s'ac-
crût fi fort dix ou douze ans avant fon dé-
cès, qu'il prit des mefures pour finir Ces
jours au Mont-Valérien , ou dans la forêt
de Sénar : fes infirmités habituelles ne lui
permirent pas d'exécuter ce projet. Si fon
attrait y perdit, le public y gagna. Livré aux
douceurs de la contemplation , le faint Prê-
tre 5 perdu en Dieu, auroit oublié les hom-
mes , Ôc les hommes avoicnt encore bcfoin
de lui.
Il avoit d'autant plus de mérite à travail- '
1er pour eux , qu'il ne le faifoit jamais fans &\iùv,*
efluyer quelque nouvelle contradiclion. Ses
ennemis , dont la calomnie ne put trouver
d'accès chez M. de Novion , fon Evêque ,
s'efforçoient de le décréditer ailleurs : de
la flèche , qui ne frape jamais plus sûrement
que quand elle frape dans les ténèbres, lui
perçoit des coups auiTi imprévus ^ qu'ils
1^4 La Vie
éroienr peu mérités. Le tetit Livre qu il vc-
noit de compoier , poui taire connoitie le
rcfpea qi.i elt dû aux Egliits , ^ I enormire
des profanaiions qui sy commettent, n a-
•voir rien qui pût effaroucher perionne. S'il
étoir venu de toute autre part ,on y eut ap-
plaudi ^ mais parce qu'il venoit de L Archi-
diacre dEvieux , il fut cenl€, partir d'une
main ennemie. On eût voulu effacer fon
nom du Livre des vivans : tout Ouvrage qui
le portoit fur Ion fiontifpice , étoit ana-
thcme par le feul fait. Ainfi une brochure
qui pouvoir s'imprimer en àtiw mois , fut
arrêtée pendant plufieurs années. Sa patieiv-
ce fes prières 6c celles de fcs amis forcèrent
enfin les obftacles, que l'envie ^ la mali-
gnité avoient fait naître. Deux illuff res Cen-
feurs ,run CurédeS. Laurent, l'autre Théo-
logal de Rouen , rendirent juftice , le pre-
mier à la fainte véhémence de fon zèle , le
fécond au tour neuf &: intérefTant , qu'il avoit
fçu donner à une matière rebattue. ^
Lesoppofitions que notre vertueux l re-
tre trouvoif à faire ie bien, ne l'empcchoient
pas de s^y porter, de d'y porter les autres,
avec ce fonds dardeur , que ni la difticukc
desconjon6tures,ni le malheur destems,
ni l'incertitude du fuccès ne peuvent rallen-
tir Ceff pourquoi ayant appris que les^ af-
faires de la maifondu Refuge n'allant gueres
mieux à Rouen qu'à Befancon , l'on penfoit
à retirer de cette première ville les Religieu-
fes qui y avoient été envoyées s lArchi-
UE M. BOUDON. Liv. II. 26j
diacrcqui fçavoit qu un lieu qui fert d'afyle
à la vertu ôc aux lai mes,eft par tour, Se prin-
cipalement dans les grandes villes , d'une
confcquence infinie , réfolut de faire tous
fes efforts pour empêcher ce malheur. Il fie
plus , & plein de cette confiance , au moyen
de laquelle il avoir tant de fois fait des voya-
ges de trois à quatre cens lieues , (ans pro-
vifion ôc fans argent , il ofa bien prier la
Supérieure de Nanci d'ajouter de nouvel-
les filles k celles qui y ctoient déjà.
Ce fut fur ces mêmes principes d'une
confiance £an5 bornes , qu'il continua de
maintenir le Refuge à Befançon. Hors d'é-
tat de le foutenir par ks libéralités, il tâchoic
au moins de l'encourager par [qs difcours,
& par de petits préfens de piété. Sa foi , qui
fut toujours d'une fimplicité admirable , lui
découvroit dçs thréfors dans une infinité de
petites chofes , que les prudens du fiécle trai-
tent de puérilités. Les CarméUtes d Anvers
lui avoient envoyé quelques eftampes de
Notre-Dame deGiace, en l'afTurant que
Dieu daignoit y arracher une bénedidion
fînguiierc ; & qu'en conféquence des prières
qu'un Monaftere ravagé par des foldars,
avoir faites devant une de ces images , une
fille inconnue avait prefenré à la Tourrierc
trois pains, qui avoient fiiffi pour toute la
Communauté^, &: où IcsReligieufes avoient
trouvé un goût particulier. Le vertueux
Prêtre en envoya une en Franche - Comté.
Je nefçaisfila fainte Vierge , qui fe plaît
M
2^(5 La Vie
— — quelquefois à éprouver ceux qui la fervent ,
^^/P- différa long-tems à déployer fa puiflance en
"'''* faveur d'un Etabliflement fi orageux ^ ce
que je fçais , c'eft que la Maifon du Refuge
cft aujourd'hui une des plus belles qui foie
à Befançon. On ne lui enviera pas fa pros-
périté, pour peu qu'on fafle attention qu elle
fut toujours le féjour , ou de ces vives ac-
tions de grâces qui confcrvent l'innocence ,
ou de ces gémiflemens finceres, qui expient
le malheur qu'on a eu de la perdre. Et de
quel prix n'a pas dû être devant Dieu le fer-
vice que Boudon a rendu au Public , en
s'oppofant a la ruine d'une fondation (i fain-,
te & fi néceffâire ?
Mais il ne falloit pas de û grands objets ,
pour mettre en mouvement fa charité Ôc
fon zélé. La pacification d'une feule amc
lui donnoit des ailes dans le tems même
qu'il étoit déjà courbé fous le poids des in-
firmités. Il y avoit à une des extrémités de
Paris un pauvre Religieux , que la main de
Dieu avoit touché , ôc qu'elle avoit réduit à
un état fi affligeant , que le ciel ôc la terre
paroifibient ligués contre lui. Il ne voyoit
prefque plus , il ne pouvoit faire un pas
qu'avec beaucoup de peine -, ôc ce n'étoit-là
que le commencement de Ces douleurs. Son
ame étoit plongée dans un abyfme ^^^mer-
tume. Le démon de l'ennui ôc du défefpoir
Lobrédoit. Il ne trouvoit dans fes Frères ,
qui ne comprenoient rien à fon état, que
de la dureté , 6c une conduite qui appro*
1
DE M. EOUDON. Liv. II. iGj
choie du mépris. 11 avoit rendu aiurefois ■
àt bons fervices en faifant de^ leçons de ^'1^°''
Théologie : mais fa Théologie & fes lervi-
ccs n'éroient plus , 5c on les avoit oubliés.
On fe croyoit prefque quitte à fon égard ,
en le regardant comme on homme qui avoir
perdu lefprit. Souffrir , fentir fon mal ,
n'avoir perfonne qui nous confole ; c'ell un
état , qui fe trouve dans k monde & hors
du monde , mais dont on ne connoît la
rigueur , que quand on y a pafTé.
Boudon portoit de ce vénérable vieil-
lard un jugement bien oppofé à celui qu'ea
portoient fes Supérieurs. Il le regardoir
comme un Prédeuiné , dans lequel la faulx:
des croix & des fouffrances moiflonnoit ce
peu de paille , qui dans les Elus mêmes fe
trouve avec le bon grain. Et il comproic
bien qu'un Religieux , qui avoit joint Texa-
d:e obfervance de fes Règles à une tendre
dévotion pour la fainte Vierge , ne fouffroir
dans ce fiécle, que pour être ménagé dans
l'autre. Aufli malgré l'éloignemenr des lieux
il le vifitoitavec la tendreûe d'un fils. 11 dif-
fipoit une partie de fes peines : il le fortifioic
dans l'autre par des paroles de vie. Sans
vouloir lui diiRmuler la pefanreur de fa
croix , il lencourageoit à la porter jufqu'aa
bout : ^ il avoit la confolati( n de le laiffer
toi'ioiirs plus tranquille , que ne le compor-
toii la nature de (^s peines Enfin l'Aichi-
diacieappri»- par une Religieufe que cet
homme filons-tems battu de l'orage, étcit
i6î ^ La Vie
■ ^ ' arrive au port dans une paix profonde , 8c
Si'iVi'f. Q^'^^ avoir vu fes derniers momens avec
une tranquillité prefque égale à [es ancien-
nes agitations.
Pendant que Boudon voloit jufqu'au bout
de Paris, pour conijplcï un Religieux d'une
vertu folide , quoiqu'un peu obfcurcie j il
pourfuivoit de ville en ville un autre Reli-
gieux d'une hypocrifie certaine , quoique
encore inconnue. Celui-ci, à la faveur d'une
attertation qu'il avoir furprife à un grand
homme de bien , fignaloit fa route par [c&
crimes , & laiffoit par- tout des traces hon-
teufes de fon apoftafie & de fon libertinage.
L'Archidiacre découvrit le loup fous la peau
étrangère , dont il s'étoir couvert. Il ameuta
contre lui les Chefs du Troupeau ; & on fit
de routes parts fi bonne garde, que ce monftrc
trave/li fut obligé de prendre la fuire , &
d'aller porter ailleurs fa contagion ôc ks
ravages.
C'eft ainfi que notre digne Prêtre faifif-
foit toutes les occafions , grandes ou petites,
d'avancer le Royaume de Dieu , ôc de parer
les coups que Ces ennemis lui portoient. Ce
qu'il ne pouvoit faire par lui-même , il tâ-
choit de le faire par le moyen de fes Livres ;
êc il remarque dans une de fes lcttres,qu'une
des meilleures chofes qu'on puifle faire , efl
d'en prêter de bons à ceux qui n'en ont
point , ou qui n'en ont que de mauvais. Il
envova les Tiens jufqu'au Canada , & il eut
la confolation d'apprendre que la dévotion
DE M. BOUBON. LiV. II. 2<^9
qu'ils avoient infpirépour la faince Vierge, ■■
pour S. Jofeph , ôc pour les SS. Anges , 3^^'"-
avoir fauve Québec dans une occafion où il "^^'
devoir naturellement périr.
Les Anglois , fous la conduire du Cheva-
lier Guillaume Phips , étoient partis de
Bofton avec une armée navale de plus de
trente vaifTeaux , Se pour le moins de fepc
mille hommes de débarquemenr. Dans cet
ordre formidable à une ville qui pour lors
n'avoir que rrois cens hommes , Ôc pas un
feul navire à leur oppofer , ils s'éroienr ap-
prochés de Québec , & avoient fait à une
lieue de fon enceinre une defcente de plus
de deux mille hommes. Mais on reconnut
alors 5 à n'en pouvoir douter, qu'il efl un
Dieu des combats -, ôc que , quoi qu'en dife
Timpiéré , il ne fe met pas toujours du côré
des plus gros bataillons. L'efprit de vertige
faifit l'ennemi : frapé d'une terreur panique^
il fe rembarqua pendant la nuit , ôc aban-
donna au vainqueur cinq pièces de canon,
ôc deux étendarts. ^ Les trois vaifTeaux, qiti
» de dix partis de France , font encore les
" feuls que nous ayons, continue l'Eve que
yt de Québec , qui me fournît ce détail^ n'ont
« pas éré protégés moins miraculeufemenr,
" Les ennemis ont fait pendant cinq jours
»> tous leurs efforts pour entrer dans un lieu,
»» où ils s'étoient réfugiés y mais ils en ont
5* toujours été repouffés par les vents con-
" traires , qui changèrent à Theure même
a* que les nôtres y furent entrés. Enfin le5
M iij
27® ^A Vie
"■"•^ " mauvais tems & des tourbillons de ncige
^1^7°' " ^^^ °"^ forcés de prendre la fuite. ... Je
w ferai toujours , le peu de jours qui me
« re/lent à vivre, tout à vous , en i'amoui:
M de Jefus , de Marie , de Jofeph , de tous
w les SS, Anges , & de tous les Saints. >»
Ces dernières paroles montrent tout à la
fois ôc l'amitié contante dont M. de Mont-
morency honora le grand Archidiacre , ôc
l'ufagc qu'il faifoit fur Ces vieux jours des
pieufcs leçons qu'il avoir reçues de lui dans
ia jeunefie.
Mais la lettre de ce refpedable Prélat
îi'e/1 pas la feule par laquelle Boudon ait
appris combien fcs Ecrits faifoient de bien
dans l'Amérique. Ce feul mot , Duufeul ,
<^ toujours Dieu feul i qu'il mctroit à la tcte
de toutes Ces lettres , rouchoit fi fort unfaint
Prêtre , qui travailloit dans ce nouveau
monde , que de fon aveu "^ il n'y avoir point
de fcrmon dont il (ùt Ci efficacement péné-
tré. Les Séculiers, je dis ceux mêmes du pre-
mier rang, à force de le lire ou de l'enren-
dre , fe faifoient à fon langage , & pré-
voient fes fentimens. La Princefie de Chi-
mai , qui avoir en lui la plus parfaite con-
fance , s'étoit tellement nourrie de fon ftyle
Se de fon efprit , que nous avons cru le lire
lui - même en lifant les lettres dont elle Tho-
noroir. Nous dirons en paffant qu'il y en a
une 5 où cette religieufe Dame , en exhor-
• Lettre de M. E. BoularJ , écrite à Beaupori en Câ-.
nada , & datée du ao Odobre 169c;.
DE M. BoUDON. Liv. II. 271
tant l'Archidiacre à voir Mademoifelle de
Rocheforc à la Communauré de fainte Ge- ^J^.*^'
neviéve , fait en deux mors un fort bel éloge
de Madame de Miramion ^ & de toutes fes
Mes.
Quoique Boudon , chez qui le Grec 8c le
Gentil ne faifoient qu'un feul peuple en
J. C. s'efforçât de fandifier par Cçs pienx
ouvrages l'ancien ôc le nouveau monde , il
cfl sûr que le Diocèfe d'Evrcux étoit en quel-
que forte le premier objet de fon zélé. Ce
fut pour le fanclifîer de plus en plus, qu'il
tâcha de faire rendre à S. Taurin , fon pre-
mier Evêque , les honneurs qui croient dus
à fon Apoflolar. Ce digne ConfeiTeur du
Fils de Dieu n'étoit prefque connu que de
nom de la plupart de ceux à qui il avoir an-
noncé la foi. L'Eglife faifoit fon OiËce;
mais fon tombeau éroit défert , ôc on n'y
voyoit rien de ce faint concours , qui en
marquant la reconnoiffance des anciens
bienfaits , en auire de nouveaux. Un oubli
aufTi injurieux bleila la piété de notre ver-
tueux Archidiacre. 11 invectiva contre dans
fes prédica- ions. 11 montra dans des pané-
gyriques pleins d'ondlion les obligations in-
finies que nous avons à ceux , qui par l'E- .
vangile nous ont enfantés à J. C. de l'on
* Marie Eonneau èe Miramion mourut à Paris le 24
Xlars 1^94. à 66 ans, Elle s*eft diftinguée par fon zélc ,
fa pièce & fes bonnes œuvres , fous la conduite de M,
Joîy, troifiéme Supérieur général de la Congrégation de
la Miflîon : Duquel , dit TAbbé de Choifi , qui a écrit la
vie de ceue vertueul'e Dame , U nom fcul fnu l'clogc.
Miv
i-j-L La Vit^
■ ' ■ ' convient que c'eft à fa véhémence & à fcs
^'J^^; larmes , que le Diocèfe dût la grâce de rc-
connoître & de réparer fon indifférence.
Pour empêcher qu'on n'y retombât , il
crut devoir donner au public la vie de ce
fainr Pontife. 11 ne l'enfla ni de ces differta-
tions fur l'an & fur le mois , que la curiofi-
té aime , & dont la charité fe foucie peu s ni
de ces recherches critiques , qui ne fervent
guéres qu'à rendre l'efprit plus indécis. En
récompenfe il y fit entrer à^s réflexions ,
propres par leur fimplicité même à fortifier
la. foi , à nourrir l'efpérance, à enflammer
la charité. Il y joignit une relation abrégée
de deux miracles, qui s'étoient opérés de-
puis peu par rinî-erceflîon du faint Evêque ,
&:dont le premier gagna pleinement à la
Religion Catholique le fieur Pacheq , qui
ne pouvoit fe réfoudre à admettre l'invo-
cation des Saints \ c'eft-à-dire , qui combat-
toit un dogme, que le Miniflre Aubertin, fur
le témoignage contant des premiers fiécles ,
regardoit comme indubitable. Boudon ter-
mina fon petit Ouvrage par des pratiques de
piété , dont il eft aifé de conclure , que fi les
vœux que nous faifons aux Saints , font ra-
rement exaucés , c'eft que nous ne les faifons
que très rarement avec les difpofitions qui
devroient les accompagner.
m Cependant 1 Archidiacre s'avançoit à
i^"^"^' erands pas vers ce tems lugubre, où la vie
de 1 homme le plus vigoureux , n elt plus
qu'infirmité & que douleur. Mais avant que
DE M. BouDON. Lir. II. 173
d'entrer dans le dérail des dernières croix , —
fous le poids defquelles il a enfin fallu que o^f''**
h nature fuccombat : nous croyons devoir
rapporter ici différents traits , dont , à l'ex-
ception d'un feul , nous n'avons point d'é-
poque certaine. Le Lecteur y reconnoîtra
avec plaifir , que cet homme û maltraité
fur la terre , étoit Tami du ciel , ôc qu'il
puifoit dans le fein de la Divinité des lu-
mières, que la prétendue fublime Philofo-
phie de fes ennemis, ne lui auroit alTuré-
ment pas données.
Un jour qu'il préchoit chez les Religieu-
fes de la Vifiration de la rue S. Antoine ,
une Préfidente , qui étoit fa coufme , 3c qui
ncl'avoit pas vu depuis long-tems , lui fie
promettre à force d'inftance qu'il accepte-
roic un diné chez elle , où elle vouloit l'en-
tretenir d'affaires importantes , c'eff à-dire ,
comme on l'a cru,de cellesde fa confcience,
Boudon s'étant rendu à fcs importunirés,
elle le pria , après la converfarion qui fuivic
le repas , de vouloir bien faire une vifite à
M. de Gaumont * , Confeiller au Parle-
ment de Paris , qui étoit aufli parent du faine
Archidiacre. Boudon y alla fort volontiers -,
ôc ayant trouvé à la fois ôc le Magiilrat Ôc
fon fils qui n'avoit que dix-fept ans , il laiffa
le premier , & s'adrefTant au fécond : Hé
♦ Je ne mets ces noms papres qu'en tremblant , parce
^uele principal MlT. fur lequel je travaille , elt extrême-
ment défectueux de ce cô;é-là. Ce MfT. donne le nomde
Monguien à la Préfîiknte , dont je viens de parler»
M y
274 ^ '^ Vie
bien , mon petit, coiifin , lui dit - il , aimor,j>'-
'fious It bon Dieu : ^enfons-nous quelquefois
quïl fjut mourir , & aller au ciell à quoi ic
jeune homme ayant répondu , qu'à fon âge
on ne penfoit guéres à Tautre vie \ & que
cela école bon pour un homme comme lui ,
qui n'étoic plus jeune, ^ qui étoit Prcirc :
Mais y mon fils , reprit l'Archidiacre , nefça-
vcL-vous pas quon meurt a dix-fépt ans , Ô*
qu'on va paroitre àtvant D^eu , comme à
joixame ? Cette converfation , qui n'avoit
rien damu faut pour celui avec qui elle fe
faifoit, n'alla pas plus loin. On patla de
toute autre chofe \ ôc Boudon ayant dit , ôc
au Confeiller , 6^ à la Fréfidente , qui s'étoit
trouvée chez lui , qu'ils ne le reverroient
plus dans ce monde , il fe retira à l'inlîant
dans une Eglife , pour demander à Dieu la
convcrfion de ce jeune Coufin , dont le
cœur commençoif à s'ouviir aux paflions.
Sa prière fut celle du julle : elle eut auprès
du Seigneur tout le poids que peuvent lui
donner la fainteté & la ferveur.
Dès le foir le jeune homme fentit les at-
teintes du coup , qui devoit enfin l'immoler.
Mais 5 en fe rappellant au moment même la.
prédiâ:ion qui lui avoir étéfaiie,il le fentit en
homme qui conçoit parfaitement qu'on peut
mourir à tout âge. Il rentra en lui-même. Il
verfa des larmes finceres fur feséga remens.
11 fit au fouverain Arbitre de nos deftinées
un facrifîce abfolu de fa vie. Au bout de
trois mois il mourut auffi plein de confiance
DE M, BouDON. Liv. n. 27/
dans les mifericordes de Dieu , que plein — —
de regret de Tavoir offenfé. Il ne fut pleuré &^fui"v,
ni de fon père, ni de la Préfidente fa cou-
fiiie : tous deux avoient été enlevés dans le
mois même , où l'Archidiacre leur avoic dit
qu'ils ne le rcverroient plus. Il y a bien de
l'apparence que celui qui les avoir fi bien
inikuit deleur dernière heure , leur obtint
les grâces dont ils avoient befoin pour s'y
préparer.
II eût bien voulu en faire autant dans une
autre occafion, qu'il ne fc rnppelloit jamais
fans frémir à la vue des jugemens de Dieu.
Un jour il fe trouva avec un Eccléfiafliquc
de la première condition , qui étant tombé
fur fon propre chapitre , difoit avec bien de
la fatisfadion , que pour lui il étoit le plus
fortuné des mortels j qu'il n'avoit eu que dn
bien Se du bonheur pendant fa vie j ôc qu'il
ne connoiiToit ni maladie , ni fouci , ni amer-
tume. Boudon , qui voyoit tout d^s yeux de
la foi, fit ce qu'il put, pour lui faire con-
cevoir que Dieu ne traite pas ai nu fes Elus ,
^ qu'une profpérité confiante fur la terre
cil fouvent la marque la plus aiTurée de fa
colère. Mai« il parloit à un fourd , qui lui
cédoit volontiers toutes les croix du mon-
de, pourvu qu'il continuât à n'en porter au-
cune. Dans ce moment une voix forre ôc
diftincle fit retentir ces terribles paroles iuf-
qu'au fond des moelles du faint Archidia-^
crc : Infenfé , cette nuit même on vous de-
•mandera votre ame ; & qiie deviendront vos
M vj
i7<^ La Vu
" ' hiens , vosplai/irs , vos hormetirs ? Deux oa
&i\iit. trois heures après on vint lui dire que cet
homme , fi content & de fon fort , & de
lui-même , ctoit mort fubitement.
Ce qui fe pada à Nancy immédiatement
après la grande maladie, dont le faint hom-
me y fut attaqué en 1685. fut plus confo-
lant à tous égards. Les vivies étoient cxtrc*
mcmenr chers cette année -là j &: la Supé-
rieure du Refuge , dont la Maifon eft: tou-
jours nombrcufe , étoit inquiète , parce
qu'elle n'avoit en bled & enfariné de provi-
fion que pour Cw mois. Boiidon à qui elle
£t part de fon embarras , l'adura que Dieu
pourvoiroit aux befoins de fa Communau-
té , & qu'elle pouvoit demeurer tranquille,
La Prophétie fe trouva jufle : & ce fut un
miracle éclatant qui la vérifia. Une Maifon ,
qui avoit eu tant de charité pour l'Archi-
diacre , méritoitd être traitée comme le fut
cette picufe veuve de Sarephta , qui parta-
gea fi généreufement avec Elie le peu de
pain qui lui reçoit. Les Provifions du Re-
fuge fe multiplièrent : & ce que fix mois dé-
voient confumcr , dura une année «Se demie.
J' et ois pour lors an Monaflere , dit celle
dont nous avons appris ce trait important ;
0" je fus avec Us autres témoin & admira-^
trice de cette merveille , qui en renferme
deux , Tune de prédiction , Tautrc de mul-
tiplication.
Du relie , ajoute cette fille, qui pour lors
ctoit Supérieure , ce nejl pas hfenU graçe
»eM. BouDON. Liv.il 277
^ue nous ayons reçue four la charité que ■ ' ' '■
7J0US avons fane à M, Boudon : & qui tour- J ^^^
roit raconter les bénédictions qui nous ont ete
accordées par fes prières î Cefi ce qui ne fc
verra que dans l'Eternité.
A ces faits , qui donnent une grande idée
du Serviteur de Dieu , nous en joindrons
encore un autre , qui eft très propre à la
confirmer. Un Eccléfiaftique leconfuka fur
un cas qui i'embarraflbit. Il étoit queilion
de fçavoir fi une Demoifelle qui étoit fous
fa conduite , devoir, contre la volonté pré-
cife de (ts parens , entrer dans un Mona-
ftcre , ou du moins fortir de la maifon pa-
ternelle, où fon falut n'étoit pas en sûreté ,
afin de s'aflbcier à d'autres vertueufcs filles ,
que Boudon connoifToit fort bien , & qui ne
dcmandoient pas mieux que de la recevoir,
L'Archidiacre, après s'être déclaré pour
le fécond parti , revint au premier, & jugea
en dernier refibrt , qu'il falloit laifTer fuivre
à la jeune perfonne le penchant qu'elle avoir
& pour la Religion , & pour le Monaftere
dans lequel elle vouloir rembrafier.
Ce jugement étoit bien alors la chofe du
monde la plus incompréhenfible. Tout s'op-
pofoit à fon exécution. Les parens, bien
loin d'y confentir , en étoient au défefpoir.
La Prétendante n'avoit ni dot , ni amis qui
voulufient lui en fournir. La Maifon qu'elle
avoir en vue, étoit fi pauvre, qu'elle ne
pouvoir y fuppléer. D'ailleurs elle étoit ex*
irêmemcnr décriée. Les mauvais exemples
278 La Vie
d^une AbbefTe . qui regnoît depuis long-
tems,&quin étoir rien moins qu'edifianre,y
avoieminrroduit rinobfervance des Règles,
& avec elle le trouble & la confufion. Cha-
que Religieufe vivoit à fa mode , & cerre
mode étoit un relkhemenr déplorable. Une
propriété , qui peut-être n'étoit que trop
fondée fur l'indigence commune , avoit pris
la place de la pauvreté, qu'on avoit vouée
aux pieds des Autels. Pour comble de mal-
heur , les Supérieurs de l'Ordre s'endor-
moient fur le double bcfoindu Monafiere.
Le temporel étoit en décadence , ôc on man-
ouoit de fecours fpiriruels.
' Toutes ces difficultés s'applanirent.
L'homme de Dieu lavoir prédit, il avoir
prédit de plus que la Propofante réforme-
meroit tout le Monaftere -, l'événement fie
voir que c'étoit Dieu qui avoit ouvert fa
bouche , comme. autrefois celle des faints
Prophètes. La jeune perfonne trouva une
dot , & fut reçue. L'Abbeffe éprouvée par
une longue & dure maladie , rentra en elle-
même , & y rentra û bien , qu'à la vue de fa:
propre rénovation clles'écrioit: Oui , ilfaut
^Jfurémem que qiielqumpriepour moi ; car
je trouve mon cmir tout changé. Comme il
n'y avoir pas fur le lieu de Médecin fpiri-
tuel affez expérimenté pour un mal auflidif-
êcile à traiter , que l'étoir celui de cette Da,
me , qui pour être de qualicé ,n en avoitpas
été meilleure Religieufe \ Dieu , qui cft ri-
che en miféricorde , lui envoya de fort loin >
& laira
DE M. BouDON. Liv. lî. 2757
& contre toute attente , un Directeur éclai-
ré, qui au moyen d'une bonne confeffion , l^^f^
calma les frayeurs de fon ame agitée. Les
douleurs aiguës qu'elle fouffrit long-tems y
devinrent pour elle par le faint ufage qu'elle
en fit , la matière d'une rude ôc falutaire
pénitence. Elle mourut enfin , après avoir
beaucoup édifié une maifon à qui elle avoir
donné beaucoup de fcandales. Hcureufe , fî
la douleur qu'elle en emporta dans le toni-
bcau 5 eût pu rétablir Tordre qu'un long de
mauvais gouvernement avoir renverfé: mais
la plaie étoit faire ^ & il efl; rare que les lar-
mes des mourans fu^fent pour en guérir de
fi profondes.
Celle qui lui fuccéda avoir de bonnes in-
tentions , ^ pour faire du bien , elle n'avoir
befoin que d'être fécondée. Notre jeune
Profeiïe , qui en prenant l'habit ^ avoit reçu
pleinement la grâce de fon état , fe joignit à
elle ; & ces deux en ayant gagné une troi^
iiémc , ce petit troupeau forma la réfolii-
tlon d'obferver exaàement la Règle. Le
vœu de pauvreté étoit à peine connu, on
commença par le rétablir j & malgré les
railleries offenfantes des anciennes , qui ne
pouvoient digérer ce prélude de réforma-
tion , il y eut au moins trois perfonnes , qui
fçurent ne rien pofléder qu'en commun.
Boudon , qui fut inllruit de ces heureux
commencemens , exhorta l'ancien Direcleur
de la jeune Religieufe à fe rranfporrer fiiu
les lieux , pour tendre la main à celles , c^ui
iSo ^ ^ Là Vie
■ peut-être ébranlées par le bon exemple de
Ï694. trois de leurs fœurs , voudroient fe rap-
procher d'elles , & marcher fur leurs tra-
ces. Ce vertueux Eccléfiailique ne balança
pas. Il fe mit en chemin fans délibérer , Se û
l'on peut croire que l'enfer fe bande quel-
quefois contre ceux qui vont attaquer fon
empire : il y a toute apparence que les dé-
mons fe mirent en mouvement pour le per-
dre. Trois fois il fut en danger de périr :
trois fois l'aimable Providence veilla à fa
garde , 6c le délivra du mal, L'Archidiacre
ayant fçu que fa voiture , au moyen d'un
tour de roue , alloit êtrç abyfmée dans un
précipice , que les ténèbres d'une nuit épaif-
fe ne permettoient pas de découvrir ; que le
fécond jour elle avoir verfé , fans que
perfonne en eût foufFert j Se qu'enfin fur
le point d'arriver au terme , le Cocher
avoir enfilé , dans une foret profonde ,
une route inconnue i l'Archidiacre , dis-je ,
mit une fi vifiblc proredion fur le compte
des bons Anges \ & ne douta pas qu'un voya-
ge û traverfé ne dût être fuivi d'un fuccès ,
qui avec le rems en ameneroit encore de
jius heureux.
II ne fe trompa point dans fon attente.
Le Diredeur , que les pouvoirs de grand
Vicaire rendoient encore plus refpedlable ,
fortifia la Supérieure ôc les deux Coadju-
tricesdcfon zélé. Il entendit la confeiTion
générale de la première. Plufieurs autres fui-
virent en ce point fon exemple. Peu à peu
»i M. BouDON. Liv. II. 281
le nombre des bonnes augmenta. 11 en mou- ' *
rur de mauvaifes , d'autres fe convertirent. ^\uii*.
Un excellent Provincial voyant les chofes fi
bien difpofées , y donna la dernière main ,
par fa fermeté & par fa prudence. Peu de
tems après la mort de notre Archidiacre ,
cette Maifon étoit fi régulière , fi fervente ,
il litréiale dans l'obfcrvance de fes vœux ,
qu'il n'y avoit peut-être pas un Monaûere à
qui elle ne pût fervir de modèle. 11 cft à pré-
fumer que Boudon , qui Ta fi bien fervie
par Çqs confeils pendant qu'il étoit fur la
terre , la fert plus puiffamment par fes
prières, aujourd'hui qu'il efldans la gloire.
Je ne parlerai ici , ni du pouvoir qu'eut
l'homme de Dieu furies démons, qui fré-
miflbient à fa vue, & qri pc^r la bouche
des pofTédés déclaroient malgré eux, qu'une
incroyable multitude de bons Anges vcil-
loient à fa garde \ ni du don fmgulier qu'il
eut prefque dhs fa jeuneflTe , de difcerner les
efprits 5 de démêler en eux , de manière à
les furprendre , leurs penfées les plus in-
fimes, & leurs mouvem.ens les plus con-
fus ^ de calmer leurs plus mortelles alîat-
m^es j de leur tracer fi diftinctemenc la route
par laquelle ils dévoient marcher , que de
ceux qui en ce point ont fuivi its avis, il
n'en efl pas un qui n'ait fait de très - grands
progrès dans la perfedion : ce détail nous
meneroit trop loin , & il ne feroit que nous
fournir de nouvelles preuves d'un fait que
cent autres ont amplement conllaLé.
I
iZi La Vie
> Il ne nous rc/le donc plus , pour fînîr fon
^97' portrait , qu'à donner une légère idée de la
patience , ou plutôt de la joie avec laquelle
il a fuporté les infirmités de Tes dernières
années. Sa complexion naturellement déli-
cate n'étoit pas propre aux grandes fatigues :
cependant le zélé de la gloire de Dieu , qui
le dévoroit nuit & jour , fon ardeur pour le
falut du prochain , la fainte haine qu'il por-
toit à cette chair de péché qui nous fuit par-
tout , lui firent tellement oublier la foiblefTe
de fon corps , qu'un homme qui ne fe mé-
nage que dans l'ordre , fait moins dans un
an , qu'il ne faifoit dans un mois , quelque-
fois mcme dans une femaine. Il ne doutoit
pas que tout ne dût fe retrouver un jour :
mais il doutoit encore moins , qu'en fe pré-
parant des foufïiances pour l'avenir , il ne
fe préparât des couronnes. Ainfi peu con-
tent de Ces travaux excelTifs , il y joignoir
tout ce que les auifices de la pénitence ont
inventé de plus terrible, de fur- tout vn
jeûne prefque continuel , ôc des veilles qui
ne duroient guéres moins.
Enfin la nature plia fous un fardeau ,
qu'elle n'avoir fi long-tcms porté que par
une efpéce de miracle. Le grand Archidia-
cre devint fur fes vieux jours fi languiflant ,
f\ deflféché , qu'on ne le prenoit déformais
pour un homme , que parce qu'il n'en avoir
pas entièrement perdu la figure. Ce qui
l'affligea davantage , fut cette terrible dcf-
cente , dont nous avons déjà yarlé j Ôc qui
m M. BouDON. Liv.II. 2S5
fut le fruit de la véhémence avec laquelle il — —
prêcha le Royaume de Dieu dans une Mif- g^f^r*.
fion qu'il fit à Chartres en 1688. Ce mal ,
que les plus fçavans Arti/les ne purent ja-
mais foulager , eut , principalement fur la
fin de Ces jours , toutes les mauvaifes fuites
qu'il peut avoir. L'atteinte en duroit quel-
quefois des fix heures entières. Par tout où
en éfoit faifi le pauvre Boudon , il dcmeu-
roit immobile à force de douleur j & les gens
du méfier convenoient que dans une demi»
heure il pouvoir en mourir.
Mais cet état fi accablant, il le portoic
avec des fentimens, que les anciens Martyrs
euffent admiré. Rien de plus chrétien , de
plus héroïque , que la manière dont il s'ex-
primoit à cette occafion. « Il eit bien jufîe,
écrivoic-il , la femaine même où il fe fentit
blciïé -, c'efl-à-dire dans un tems où la nou-
veauté du mal le rend plus fenfible Se plus
cfirayant 5 c< oui , il ert bien jufte que la
«créature foir en toutes chofes parfaire-
>y ment foumife à la Providence. Qu'elle
>} fafie donc , cette très- bonne ôc très fidèle
y» mère , qu'elle faffe tout ce qu'il lui plaira ,
« je la bénirai en tout tems , Se fa louange
jj ne fortira jamais de ma bouche. Après
Si tout , c'eiten Dieu feul que fe trouve le
»> véritable bien : & c ell: par les maux de
"Cette malhcureufe vie , que l'on arrive à
»^ la vie bienheureufe. »>
Ces maux que le vertueux Archidiacre jg^^/
regardoit comme le chemin d'une meilleure & iuiu
284 La Vie
" vie , s'accrurent confidérablemcnt les trois
k*fuiv, dcr^icres années de fa vie. Tous fes mo-
mens portoient la vive empreinte de la dou-
leur » &c fa vie n'étoit plus qu'une complica-
tion d'infirmités. Malgré cela , dès qu'il
pouvoir fe traîner , il reprenoit Ces fondlions
accoutumées. 11 célébroit les divins Myftè-
res. 11 rendoit au prochain tous les genres
de fervicc , dont il étoit capable. Il écrivoit
de tous côtés pour établir le Royaume
de Dieu : & il le faifoit tout vêtu fur fon
lit , quand la force du mal ne lui permet-
toit pas de le faire ailleurs. On eût dit
que Dieu ne lui montroit les portes de
la mort , que pour le familiarifer avec
elle. Nous l'avons vu , dit un Ecclcfiafli-
que plein de probité , & témoin oculaire ,
recevoir l' Extreme-Ontlion un Samedi , &
faire le lendtmain une exhortation aux
Filles de la C^oix de la rue S. Antoine *.
Un de fes foins dans cet état d infirmité
& d'accablement , fut de difpofer les per-
fonnes, qui étoient fous fa conduire , à fou-
tenir en efprit de paix & de fermeté la perte
qu'elles croyoient faire à fa mort. « Je vous
écris, difoit-ilà une Dame de qualité, qui
dans l'idée que ce fage Directeur venant à
lui manquer , elle n'en trouveroit jamais
un , qui put la connoître & la conduire com-
• M. l'Abbé Tamponnet , Ccnfeur de cet Ourragc , fe
fouvient avec plaifîr d'avoir aiîifté à ce Difcours , où M.
Boudon prit pour texte : B^xti morrui , qui in Domino
moriuntur. Apoc. 14. v. ij.
BE M. BOUDON. Liv. IL 18/
mt lui , croit prefque incapable de confola- •■ ■ ^
tion , >» Je vous écris , ma chcre fille , pour ^^^J^
vous dire, que ce ncil pas feulement un dé-
w faut de foumiflion à la volonté de Dieu ,
»* mais que c'eft une folie de Te tourmenter
w par des peines qui ne remédient point à nos
w maux. Certainement je ferois fâché , que
w vous allalTiez en l'autre monde, fans avoir
»^ fait le facrifice de ma vie entre les mains
93 de la faintc Vierge. O mon Seigneur ÔC
s» mon Dieu , que la difpofition contraire
« où je vous vois , me fait de peine ? Je vous
9J ai déjà tant exhorté à cette foumiffion au
«bon plaifir de Dieu. Faites-le donc, ma
» chère fille , ce facrifice , & faites-le de
îj tout votre cœur? Foulez aux pieds la natu-
9i re , qui viendra s'y oppofer , 6c vous dire,
»> qu'un autre ne prendra pas foin de vous
V comme moi. Eh qui me donne les mouvc-
9i mens de charité pour vous , ma cherc
5' fille, finon la divine Providence ? N'efl-
9; elle pas toute-puiflante , pour les donner
93 a. un autre , comme à moi ? Je vous ailurc
93 de fa part, fans aucun doute, qu'on aura
93 foin de vous , comme auparavant. »
Je ne fçais fi ces dernières paroles furent
la dernière prédidtion de notre faint Prêtre :
mais je fçais que l'événement les vérifia. A
peine Boudon eut-il les yeux fermés, que
cette Dame, quifecroyoit perdue, trouva
en la perfonne d'un des amis du grand Aiv
chidiac*e, un homme , qui formé à fon
çcolc , ÔC nourri de fes principes , faifitpac-
zU La Vie
...■ • M faitement le fore ôc le foible de fa nouvelle
i6^9« pénitente, &laconduifît par la voie où la
&fiuT. Providence l'avoit fait entrer.
Des occupations fi ferieufes ne rétablif-
foient point la fanté du ferviteur de Dieu.
Aufli baiflbit-il tous les jours -, ôc vers le mois
d'Odobrede Tannée 1700 , il fc vit réduit
à garder la chambre, plus qu'il n'avoit fait
jufqu'alors. 11 avoit , comme nous l'avons
dît , un grand attrait pour la folitude , il eut
tout le loifîr de la goûter jufqu'au dernier
moment de fa vie. /<? vis à Evrettx comme
nn Hermite , écrivoit-il à un Magiflrat "*" qui
lui donnoit quelquefois une chambre ,
quand il venoit à Paris jy^ n*m ni ferviteur^
nifervame : à Texception de ceux qui par
charité prennent foin de mes befoins , pref-
que perjvnne ne me vient voir,
^ Cette profonde folitude , qui de quelque
coté qu'on l'envifage , ne iaiflc pas d'être af-
fligeante , n'avoit rien d'ennuyeux pour lui.
C eft que fa couver fation étoit dans ce
délicieux féjouc , où il n'y a ni dégoût , ni
amertume j ôc qu'il s'entietenoii fans cefle
avec ces bienheureux Citoyens du Ciel , avec
lefquels il s'attendoit de chanter les louan-
ges Ôc les miféricordes de fon Seigneur. A
l'égard de fes maux , il ne s'en occuppoic
que le moins qu'il lui etoir polTible. Il re-
gardoit comme préjudiciable au corp<> ôc à
i'ame le retour fréquent qu'un malade fait
* Ce vertueux Magiftrat étoit M. Thomas , Coiifeiilec
au Châtelet , dont on a déjaparré plus d'une fois.
DE M. BouDON. Liv. IL 2S7
fur lui-même & iUr fcs infirmités. »* Notre ■■
fecours , difoit-il ^ cft au nom du Seigneur : }^p.'
« c'eû-là que nous devons le. .r les yeux.
»> L'Oraifon doit erre notre refuge en tous
»> nos befoinsj & Tentier oubli de nous-mê-
" mes , la grande pratique de l'état où nous
w fommcs. Ah ! il nous faut aller avec une
« fainte joie dans le pays de Dieu feul: de
" gré ou de force , tout le monde recon-
5i noîtra un jour , qu'il eft le grand tout , &
5» Tunique tout. »
La vue continuelle de l'érernité où il al-
loit entrer , augmentoit en lui le mépris ,
qu'il avoir toujours fait du monde. « O , /'/-
•>» crioitAL , queHe grâce d en être féparé ! O,
5J heureufe mort , qui nous en éloigne pour
» toujours ! O 5 qu'il fait bon de n'avoir ja-
" mais eu de commerce avec lui ! Le monde
« efl tout peftiféré-.il eft difficile de s'y arrêter
>3 fans encontradler la contagion. Pour nous,
5i nous dirons & nous dirons avec le Pro-
" phéte : llm'efi bon de m attacher â Dieu,
9» & de mettre en lui toute ma confiance^ »
Une des chofes, qui dans ces derniers tems
le raffuroit davantage , c'étoit le fouvenir
de la pauvreté dans laquelle il avoit vécu ,
des opprobres dont il avoit été enivré, 6c
en particulier du mépris qu'il avoit effuyé ,
pour avoir foutenu la glciic de la Mère de
Dieu, & le glorieux privilège de fa Coiv
ccption immaculée. Ce mépris éroir à ît^
yeux une faveur ineftirnah-- .S: il ^e felaf-
foit point de le répéter. Quand la dévotion
iSg La Viî
• à la faintc Vierge ne ferviroît qu*à rendre
iiùlv, ^^^ rerviceurs aufll tranquilles à l'henre de la
mort , que l'a été notre pieux Archidiacre,
en faudroit il davantage pour s'efforcer de
la nourrir en foi , & de linfpirer à tous les
autres ?
Cependant , comme il crut que fon mal
pourroit traîner en longueur j Se qu'eu égard
à fa violence il jugea bien , que déformais
il lui feroit impoiTiblc de remplir les fonc-
tions de fon Archidiaconé , il penfa à s'en
démettre. Peut-être auroit-ilpu s*en faire
honneur auprès de fa famille , & fe choilîr
fur le grand nombre un fucceflcur , qui au-
roit bien valu quelques-uns de ceux qui Ta-
voient précédés. Mais cet homme qui n'étoit
né , ni de la chair , ni du fang , ôc qui pen-
dant toute fa vie avoit méconnu l'un ôc
l'autre , étoit bien éloigné , rout prêt à pa-
roitre devant Dieu , d'en fuivre lesimpref-
fîons. Le plus digne Ecclénaflique qu'il con-
nut 5 fut celui fur qui il jetta les yeux. J ef-
pere , écrivoit-il avec fon humilité ordinai-
re , que M. Guillaume Amey "^ , qui veut
bien fe charger de ma place , réparera les
fautes que fy ai faites.
Il fcmbloit qu'après un fi bon choix &
tant d'épreuves, il ne relloit à ce digne Prêtre
• Il étoit Prêtre du Diocèfe de Bayeux , Dodeur en
Théologie de la faculté de Caën. M. Boudon ne fît faré-
fignation en Cour de Rome , qu'avec Pagrément de M.
l'Evâque de Laon, dont il avoit befoin , parce que fon
Archidiaconé lui tenoit lieu de titre. Guillaume Amey
«nprit f OiTeffion le 22. Août 17C1.
de
DE M. BOUDON. Liv. II. itfi
cîc J. C. qu'à enrendre ces paroles : Courage '
bon &fidéleJerviteMr , ilefi tems que vous ^^'j^q,.
entriez^ dans la joie que votre Maître vous a
préparée. Mais il avoir encore d^s aflaiirs à
fourenir, & des victoires à remporter. Après
avoir fait , fuivant fa pieufe coutume , de-
puis le jour des SS. Innocens jufqu'à TEpi-
phanie , une neuvaine pour demander à
DieurérablifTement de fon règne dans roue
rUnivers, il fe trouva fi mal le jour dQS
Rois , que le Médecin lui déclara tout uni-
ment qu'il étoit en danger de mort. Cette
nouvelle , fi terrible pour tant d'autres , ôc
qui ne doit, ce me femble , s'annoncer qu a-
vec quelque forte de précaution , ne l'ef-
fraya point. Il en remercia fur le cham^p la
divine Providence. Hélas ! dit-il , que Us
maux quelle nous envoyé ^ font de grands
biens ; que fon f^int nom foit béni.
Il nefalloit rien moins qu'une foumilTion
comme la fienne pour porter en paix l'é-
norme volume des douleurs qui l'acca-
bloienr. Des rhumaiifmes continuels , àz%
fluxions fur les yeux, àts coliques fréquen-
tes , ^ une foiblelTe à ne pouvoir fe foutenir ,
fon âge de près de 80 ans , dont environ 70
s'ctoient paffés dans la peine , les mortifica-
tions , & un travail exceffif : tant de mifercs
réunies, eu furchargeant la nature, pou-
voient altérer la tranquillité de l'am.e. Mais
heureux, & trois fois heureux, celui qui
pendant fa vie a été fenfibîe aux befoins
Ipiritueis ^ temporels du pauvre «S: de l'a^^
N
49^ ï-^ Vit ^
fligé : Dieu le foutiendra au )our de le-
preuve * j s'il ne l'en délivre pas , ce ne fera
que par miféricorde j ôc pour la lui rendre
falutaire.
Boudon en fit une heureufe expérience.
Ses douleurs étoient fi violences , fi conti-
nuelles, qu'il avouoit ingénuement que fans
une fpéciale protedion de Dieu , il fe li-
vreroit à l'ennui , au chagrin , à rimpatien-
ce « Mais grâces à Dieu , ajoutoit-tl , ]e fuis
>, content dans ma fituationJe paffe les jours
« & les nuits fort paifiblement , fans même
« que les heures me paroiffent longues. C'eft
,, par votre miféricorde , ô mon Sauveur ,
y. que je fuis ce que je fuis i c'eft a elle que
« je fuis redevable de n'être pas perdu. »
Sa vertu ne fe bornoit pas à la patience ;
elle alloit jufqu'à la fainte joie des enfans de
Dieu jufqu'à la plus tendre reconnoifiTance.
A ces 'paroles , que les malades entendent fi
fouvent : Et bien, mon cher Monfieiir ,
comment allez.-vous ? il répondoit par cel^
les-ci : Je fuu l'un mal , Dieu maci ; mais
que le Seigneur fitt béni , fa fainte Mère
Us bons Anges , & tous les Saints. Expref-
fions qui lui étoient fi familières ,^ qu il faut
prefque toujours lesfuppofer, ou nous nô
ks mettons pas.
On lui annonça pendant fa maladie là
^ort de M. de Bernieres Doyen de Qiie-
bec, & neveu de cet illuftre & refpcâiablc
• « Beatus , qui intellîgit furer egenum & pauperem s.
piadiemalâ libcrabit eum Dominus. PjaLm. 4°.
DE M. BOUDON. Liv. II. 29T
Thréforier de France , dont nous avons -*—■••
pailé ailleurs. Hélas ^ dit- il à cette nou- ^^^jq^
velle , nos a-mi s s'en vont , tous ont dfparH ,
6" J€ refte encore fur i^ terre , m'if érable q^uç
jejuis, Mukùm incola fuit anima mea.
Ce qui le fortifioic le plus dans Tes fouf-
frances , c'étoit d'un côté la vue continuelle
de Jefus-Chrill crucifie , & de l'autre , un
à^Çir: ardent de rendre , autaiK qu il le pou-
voit , fa mort conforme à la Tienne. « Ahl
»' difoh-il , s'il m'éroit donné , comme au
" pieux Henri de Suzo"^ , dont je porte le
» nom, qu'après avoir tant de fois dit : Dieu
>»feul , il n'y eut plus à l'inflant de ma mort
« que Dieu dans ma chétive perfonne j que
" je ne vécufTe plus de ma propre vie , mais
" uniquement de celle de J, C. Vivit ver 9
» in me Chriftus \ quel bonheur , quelle
»' confoîation ! O , l'heureux état que celui
» où J. C. eil tout &L en toutes chofes : Chri-
^fius omnia & in cmnibus. Ah 1 que f écris
>• & que je prononce ces paroles de grande
»* volonté ! Faites , divine Merc , que je ne
3' compte plus les jours de l'Homme-, Diem
» hominis non defideravi. Je veux le dire de
" toutes mes forces -, & j'ajouterai avec un
" autre Prophète , que comme le cerf fou-
» pire avec ardeur après la fource des eaux,
» mon ame foupire après vous, ô mon Dieul
» Sitio yjïtio y/itio. J'ai une foif brûlante de
• Henri de Snzo , de l'Ordre de S. Dominique , mourut
le 15 Janvier de i'aanée 1565.
Nij
i/oz.
l9i La Vu
» lepofledcr, mon Dieu , & cette foif , je
« ne veux point en être délivré. »
De fi beaux fentimens étoient parfaite-
ment foutenus par le refîe de fa conduite.
En revenant de l'Eglife la dernière fois qu'il
y célébra les faints Myf^eres, il donna fes
fouliers à un pauvre qui n'en avoit point. Il
y avoitvingt ans qu'il ne mangcoit point de
fruit , il mortifia ce genre de mortification
parobéififanccau Médecin. Vingt fortes de
remèdes , qui n'avoient fervi qu'à l'arrêter
au lit des mois entiers , ne l'empccherenc
point d'en prendre de nouveaux , précifé-
ment' parce qu'ils lui étoient ordonnés. Il
communia fept fois en Viatique pendant fa
maladie. Il craignoit beaucoup de ne le pou-
voir faire dans les derniers momens à caufe
d'une toux violente, dont il étoit accablé.
JUais , à peine le faim Sacrement fut-il en-
tré dans fa chambre , que cette incommodité
cejfa : Se il communia fort tranquillement.
11 eft inutile d'obferver qu'il le fit à fon or-
dinaire , c'e/l-à-dire, avec ces tranfports d'a-
mour , qui font la fuite naturelle d'une foi
vive de lumineufe. Ces fentimens fe fuppo-
fent dans un homme qui voyoit l'Invifible ,
comme s'il fe fût montré face à face. Ils pa-
rurent , ces fentimens chrétiens , d'une fa-
çon fi touchante , lorfqu'il reçut le Viatique
la première fois , que plufieurs des Cha-
noines , qui l'avoient accompagné, en furent
attendris jufqu'aux larmes. Et voilà cet
homme , dont un calomniateur ofa rendre
DE M. BOUDON. Liv. IL l^i
fiifpecte la foi 3c la piété au fujet de TEu- - ■■
charillie. '^o^'
Le Médecin lui ayant une féconde fois
annoncé que fon dernier moment s'avan-
çoit à grands pas, cet aimable Se vertueux
mourant le remercia du foin qu'il avoit bien
voulu prendre de lui. II en ufa de même à
l'égard de quelques autres perfonnes , qui
Tavoient allillé dans fa maladie. Il lit écrire
de côté & d'autre à fes amis, pour leur fai-
re part de cette bonne nouvelle, & fe recom»
mander à leurs prières. Puis emporté par le
torrent du faint amour , de cet amour qui
ctoit plus fort en lui , que la mort même
qui le pourfuivoit de fi près : » Ceft à pré-
>» fent, s'écria-t'il , que je me vois entre
« les mains de la Providence, ma très- bon-
«* ne ôc très-douce Mcre : c'eft à préfent que
» je dépends d'elle entièrement. Ce qui me
9> donne une confoïation ineffable , c'eil: que
»> tous les moyens humains me manquent.
'y Je puis dire en vérité : Dieu feul , & tou-
» jours Dieu feul , en Tunion de notre bon
93 Sauveur, le Sauveur de tous les hommes."
Il récita fon Office jufqu'au Samedi qui
précéda le jour de fa mort* Pour y fuppléer
en quelque forte , de s'armer pour le com-
bat des derniers momens , il fe fit apporter
les Reliques de quelques Saints, qu'il avoic
toujours fpécialement honorés : & comme
au fortir d'une grande foiblefle , il eut ap-
perçu que fa chambre étoit pleine de mon-
de , il adreflâ à un Eccléfiaftique , qui ccok
Niij
1^4 I- A Vie
^ auprès de lui , ces paroles qu'il ne ponvoît
^^**' plus faire entendre à la compagnie : «« Dites
»» à ces MefReurs , que je les exhorte de tout .
*y mon cœur à fervir & à aimer Dieu de tou-
»> tes leurs forces j & que dans la Région
•> de Dieu feul , où je vais , on reconnoît ,
>3 de fouvent trop tard , qu*ii n'y avoit que
« cela à faire dans le monde. »* Enfm com-
me on lui eut demandé s'iln'avoit befoin de
rien : Non , répondit-il , je ne veux plus que
Dieutoîitfeul y tomfeuL Ce furent fes der-
nières paroles. Un moment après il expira
le Jeudi , dernier jour d'Août , fur le midi.
Il étoit dans la foixantcdix-neuviéme année
de fon âge.
Dès que le bruit de fa mort fe fut répan-
du , on vit tout Evreux fondre dans fa mai-
fon , comme pour réparer par un hom-
mage volontaire , le peu d'égards qu'on
avoit eu pour lui dans le tems de fa perfé-
cution. Les grands , aufTi bien que les petits
révérèrent comme un faint , cet homme
que la calomnie leur avoit fait regarder com-
me un malheureux , indigne de vivre. C'é-
toit à qui lui baiferoit les pieds &: les mains ,
à qui pourroit fe faifir de quelque chofe qui
lui eût appartenu , à qui lui feroit toucher
àts linges &: des Chapelets. On ne fe laflbit
point de voir ce corps , qui étoit le tem-
ple de TEfprit faint \ Ôc qui , à peu près com-
me celui de faint Paul , portoit encore les glo-
rieufes marques de J. C. Enfin le concours
du peuple , qui venoit à flots dans fa cham-
DE M. BouDow. Liv. IL 195
bre , fut fi grand , qu'il fallut en laiffer la — -^
porte ouverte jufqu'à onze heures du foir. *7o»»
Il y eut entre les Chanoines de la Ca-
thédrale ôc les Directeurs du Séminaire une
picufe conteflation à qui auroit fon corps.
Ceux-ci dévoient leur étabUfTement à fes
inftances j & d'ailleurs il les avoir priés par
fon teftament * de l'enterrer fous les degrés
du grand portail de leur Eglife. Ceux-là^
Favoient vu occuper pendant plus de 45
ans une des premières dignités de leur Ca-
thédrale.C'étoient des droits départe d'au-*
tre , ôc la cupidité n'y entroit pour rien :
Jacques Potier de Novion , qui pour lors
ctoit Evéque d'Evreux , termina le diffé-
rend. Il adjugea le corps au Chapitre, ôc
le cœur au Séminaire. Les obféques du dé-
funt fe firent le lendemain avec toute la fo-
lemnité pofTible. Il fut enterre dans la Cha-
pelle dGS SS, Anges "^ , au pied de ce même
Autel , où depuis tant d'années il célébroic
fî religieufement les divins Myûcres. Pour
ce qui eft de fon cœur , il fut placé à côté
de la Chapelle de S. François de Sales , dans
un lieu élevé j d'où il femble encore an-
noncer , &aux jeunes Eccléfiafliques qui fc
forment dans cette Maifon , ôc aux fîdéics
qui vont y prier, qu'il n'y a que Dieu fcul
* Ce teftament eft du 13 Août 1702.
** On la nommoit avant M. Boudon la Chapelîé
Àe S. Jacques. L'aiTociation qu'il y a établie en Thonneut
^es SS. Anges , lui a fait changer de nom. Son corps y
repofe fous le marche- pied de TAute]. C'eft dans ccKC
Chapelle qu'il ccnfe/Toit , & qu'il dtfoi: la Meflè,
Niv
1^5 La V I ï
^^ ■ qui mérîre d'être fervi 6c d'être aimé. On y
'^°*' a depuis quelques années mis cette infcri-
ption,
/. M, /.
SOLI DEO.
Hic quiefcit
Cor
Venerahîlh Sacerdotis Henrici - Marié
B o u D o N ,
DoSioris Theologi , Archidiaconi
Eh'oicenfîs.
Cor
Jifu & Mariit immacuîatdt, & SS.
Angelis devotijjimum.
In variis trihulanombus patientijfimum ^
In caritateperfefiitmy
Pretîofum depofttum ,
'Unie Templo facratifflmo Cordi dicato ,
Legavit moriens vir jiixtà cor Dei.
Cuifemper in mente, in ore , infcriptis,
Solus DeiiSy [dus Deuf , folus Deits,
Ohiit pridie Kalendas Septemhris anno
M. D, ce, IL JEtatii LXXIX,
Cœur de M. Boudon , en qui l'Amour
divin a triomphé par la Croix,
La calomnie , qui devroit au moins s'é-
teindre avec ceux qui ont été l'objet de fa
fureur , ne cefla pas de pourfuivre ce ver-
tueux Prêtre après fa mort. Il eil vrai qu'un
de (es perfécuteurs demanda les lar-
mes au;c yeux quelque chofe qui eût appar-
Bs M. BouDON. Liv. II. 15^7
tenu à ce refpeclable défunt : mais il cil —
vrai auili qu'il y ciu des gens afTez peu fa- ^^^*'
ges , pour dire hautement que fi f on tra-
vail loir un jour à fa Canonifation , il fe
trouveroit des Contradicteurs , qui fçau-
roient bien Tempccher. Qu'il fe trouvât
des Contradicteurs , qu'il fc trouvât mém.e
des gens capables de fe faire des Saints a leur
mode , & de décrier fans pudeur là mémoi-
re de ceux que l'Eglife leur préfenteroit ;
c'ell: de quoi nous ne doutons point. Mais
que ces hommes de ténèbres euffent aflez
de crédit , ou pour fufpendre Tœuvre de
Dieu dans les miracles , ou pour empéchex
que ces miracles ne hlTent imprelTion fur le
Siège Apoilolique i ceit de quoi nous dou-
terons long tem.s.
Quoi qu'il en foit de leur projet , & diî
motif qui les porter oit à Texécuter , nou5
pouvons contrebalancer leur témoignage
par celui d'un nombre de perfonnes , à qui
ces fiers ennemis de l'Eglife 3c de la vertu
n'oferoienr fe com^^arer.
Nous ne parlerons ni de îa Cour de Ea-
viere -^ , ni de la DucheiTe d'Orléans , ni
même de la Reine de Portugal , qui l'ho-
norèrent conilammentde leur affection , Ôc
dont les deux dernières prirent la peine de
s'intéreilerà fa difgrace. Henri deMaupas,
fon Evêque , & l'homme du monde qui doit
♦ Lar Ducheffe de Bavière démarra le Scapu-àire de hi.
Foudon après fa mort. Plufieurs autres perfonnes de di-*
ôinélion le firent honneuj d'avoir que^ue choie qui €ut é;é.
àfonulaffe,
^9^ La Vie
■ êcrc le moins fiifpcdl fur le compte du
170a. grand Archidiacre , fera le premier que
nous cirerons en fa faveur. Nous avons die
que ce pieux Evtquc reconnut enfin l'in-
nocence de M. Boudon -, mais nous n'avons
pas ajouté, que lenfîblenicnt affligé de fa
conduite pailée , il publioit par - tout qu'on
Tavoit indignement furpris par les fauiletés
qu'on avoit avancées contre fon Archidia-
cre j que c'étoit un des plus vertueux Prê-
tres , qui cufleiit jamais été dans TEglife ^ Ôc
qu'on ne pouvoit lui faire aflcz d'honneur,
pour re parer l'injure qui lui avoit ité faire.
Or de quel poids ne doit pas être une ré-
tradation û publique , & qui , eu égard aux,
premiers préjugés, n'a pu être fondée que
fur l'évidence?
Tout le Diocèfe a fçu l'ertimcfinguliere
que M. de Novion faifoit de lui , lacon-
£ance qu'il avoit en fes lumières , Se le plai-
fir avec lequel il l'admit à fa table , tant
qu'il fut en état de marcher.
Jean le Normant , fon fuceefTeur , qui
d'un des plus habiles Officiaux du Royau-
me, devint un des plus fçavans Evêques.
qu'ait eu TEglife de France , peut être en-
core mis au nombre de ceux qui ont rcnda
juflice à ce vertueux Prêtre. Cefl de lui
qu'on a fçu que M. de Maupas ne pouvoir
parler plus avan'-ageufement du grand Ar-
chidiacre , qu'il le faifoit fur la fin de Cqs
jours ^ & que non conten»- d'é^rc devenu
fon proredeur , il s'ccoit fair fon panégy-
riHe.
DE M. BouDON. Cîv, IL 299
François de Ncfmond , qui pendant plus «a—
c!e cinquante années fut rornement de l'E- *7°*'
glile de Bayeux '>^ , écoit trop ami de la ver-
tu pour ne pas admirer celle de notre faine
Prêtre. Comme il fçut que fes infirmités l'o-
bligeoientà garder la chambre, il voulut ,
au forcir de rAlTembléc de 1700. pafler par
Evreux , ôc lui rendre vifite. îl entra dans
fon miférable réduit avec ks Eccléfiafti-
ques -, & après avoir longrems prié à ge*
noux auprès de fon pauvre grabat , il Ten-
couragea à fouffrir fes maux avec patien-
ce j à fe rappeller le touchant exemple de
cettfAlere de douleurs, qui fur le Calvaire
partagea celles de fon Fih bien - aimé ; &c
enfin à compter beaucoup fur le fecours que
donnent les SS. Anges , à ceux qui ont ea
de la dévotion pour eux.-
Nous fupprimons les témoignages d«
bienveillance , d'eftime , de vénération^iié-
me , que lui ont donne en France & hors^
de France les plus grands & les plus reli-
gieux Prélats qui fuflent alors. Je remar-
querai feulement , que lorfqu'il demandai
M^ l'Abbé Bignon un Cenfeur pour fon-
dernier Ouvrage , qui étoit le Chrétien in^
connu 3 ce Mécène des Sçavans , dont tant
de plumes ont célébré la mémoire , le traita
avec une diltindion li marquée ,& lui parla
en des termes fiobligeans, qu'un bon ami
de l'Archidiacre , qui connoiffoit fa pro-
* Ilfutnoniiiié ©iM65g, imii «n 366a. & moofui ca
'*^^' ^T -
500 L A V I f
" - ■ fonde humilité , avoue qu'il en fouffroît
'^^** pour lui. Boudon en fouffiic bien davanra*
ge i & cen homme qui ne relloit jamais
coure , lorfqu'il falloit remercier d une in-
jure , ne répondit à une politefle , que par
lefiience & un grand air de confuAon.
Mais comme les louanges qui fe donnent
après la mort, portent un caradtere de vrai,
que l'idée de Tadulation & de l'intérêt ne
peut affoiblir , nous ne pourrions , fans faire
rort à fa gloire , fupprimer entièrement cel-
les qui lui furent prodiguées , quand on eue
appris que Dieu en avoit diîpofé. En géné-
ral , le premier mouvement fut un m^j-ive-
ment de douleur, mais de cette douleur ,
qui ne verfe que des larmes adoucies par la
plus folide cfpérance. La Capitale & les
Provinces le pleurèrent , mais comme on
pleure les Saints. Tant de Communautés
Séculières ôc Régulières , qu'il avoit for-
mées à la plus folide vertu > tanc de per-
fonnesdela premitve condition, à qui U
avoir appris à marcher dans l'étroit & ri-
goureux fentier qui mené à la vie , ne ver-
ferent fur lui que des pleurs mêlés d'éloges
êc d'admitanon. Les unes gémifToient fur la
perte que faifoit lEglifej les au^ tes fur celle
qu'elles faiibient elles mêmes d'un Dire-
éleur fl fage , il éclairé i pludeurs ôc prcfque
toutes fur lapiivadon de ces difcours,qui
poitoient fi puilTamment au divin amour.
Les Carmélires de Ponreau de-mer , dont
îl avoit éta Supérieur, placèrent Ton poi:-
K^,.
DE M. BouDOK. Liv. IL 501
trait dans un peric Oratoire , pour Tinvo- -
quer dans leurs belbins , & lui demander ^^
que dans te ciel iljât leur Pcre , comme il
l'avait été fur la terre. Le Supérieur des
Marhurins , qui le connoilToit à fonds , en
apprenant (on décès , regarda fa perte com-
me une des plus grandes que l'Eglife pÙE
faire Le père Dupuvs ,zélé Millionnaire de
laC.de J. bai fa par refpect le pavé de la
chambre où il étoit mort. N. de Mélian ,
ancien Evêque d'Aler qui avoit étudié avec
lui, fe faifoit un plaifir de raconter, que
dès ce temps-là il n'enrretenoit les Condif-
ciples que de Dieu [cul , & de la dévotion à
lu fainte Vierge : W ajouroit que ce digne
Prêtre avoir rendu à TEglife de grands fer-
vices. M. de Laval , Evêque de Qucbec, qui
Lavoir plus pratiqué qne perfonne, en féli-
citant un pieux Gonfeilîer du Châreier de
ce qu'il étoit à portée de vjfirer à Evreux le
tombeau de ce cher Défunt ^ fait de lui en
deux mots un éloge complet , en difant que
fa vie a été une surfaite imitai on de celle de
/. C Plaife à Dieu^ ajoute r il , de me f^ire
la grâce deïiraiter aitjfi parfaitement que js
l'honore.
Un des plus célèbres Curés de Paris , Do-
<^enrde Sorbonne , ôc ancien ProfeiTeur de
Théologie , ayant lu le petit éloge qu^on a
mis aa bas du portrait de M, Boudon , die
qu'on V avoir oublié une louange aulTi jufîe
qu'efTenrielle , fçavoir , Ton inviolable atta-
-ckciuem à la dodlrinc de l'Eglife Catholi-
^02 La Vis
■ que , Apoftolique ôc Romaine. Cefi que
*^°** dam le tems oh nonsfommes , pourfuivit-il ,
c\fl un grand mérite pour un homme an j]î
éclairé , qu'une foumijjion comme la fienne
aux décifions du fa'int Siège. Mais fi cette
foumiflfion étoit quelque chofe de fi grand
par rapport aux Iiimieies de Thomme de
Dieu , quel relief ne lui doit point donner
la cruelle & fanglanre perlecution quelle
lui a fafciréc ?
Un excellent Religieux écrivant à une de
fes parentes . pour la confolcr de la mort de
notre digne ]-rcrre , qui étoie fon Direc-
teur: «Ce (croit, lui difoif-il, ce fcroit ,.
*» ma chère coiifine , regretter le bonhcue
« &c le repos , dont jouit lame de M. Bou-
M don , que d'être conrrifté de fon décès.
5» La perte que vous faites , &.que plufieur j
>» font avec vous . n'elî rien en comparaifoil
» de celle que fait l'Eglife. Mais enfin aptes
« avoir confommé fes jours pour elle , il eil
y> bien jufteque Dieu l'en récompenfe ércr-
» nellement. La plupart des perfonnes , à
9> qui j'ai ordonné de prier pour le repos de
*> fon ame , m ont dit qu'il n'en avoir pàâ
w befoin. Confolez - vous donc , ma Cou--
55 fine , de votre perte , quoiqu'elle foit gran-
» de ; & efpérez que Dieu fuppléera à fort
» défaut , -pour vous attirer à lui , quand
>» vou<: aurez achevé vôtre carrière. »»
A ces témoignages , qui ne furent qu'une
fôible répétition des fuffrages du public ,
ïK)us joindrons encore dciw lettres , moin^
i
ri M. BoucoN. Liv. II. 305
pour réloge qu'elles font du grand Archi- — — ^
diacre d'Evrcux , que pour les fenrimens de *7''^»«
piété dont elles font remplies. La première,
qui fut écrite de Marreille par un homme
d'une érudition peu commune , ôc d'une
piété encore plus rare, éroitadreflee à M.
Thomas , dont la mémoire eil en bénédic-
tion. Elle étoir conçue en ces termes.
»* On a coutume , M. de faire des com-*
*> plimens de condoléance à ceux qui per-
M dent leurs amis dans le monde , parce que
» ne les ayant confidéré qre felcn les maxi-
9> mes du monde , la mort leur ravir en un
»» moment tout ce qu'ils aimoient ôc tout ce
'* qu'ils 'îftiinoient en eux. Mais quand on
>' vient a perdre des ferviteurs de Dieu, que
» l'on avoir confidérés en Dieu ôc pour
»» Dieu , c'ell une perte précieufe , qui ref-'
» femble à celle dont parle le Sauveur , lorf-
>j qu'il dit : Quiconque perd fon ame , la
>9 trouvera. Bien loin donc de perdre de tels
» amis , on les recouvre plus parfaitement :
w car fî la charité chrétienne perfeclionne
s> l'amirié naturelle , quel acctoiflement <?<:
9> quelle excellence ne reçoit- elle pas par la
>i gloire , où Tes amis font élevés î Ainfi ,
»■ vous pouvez vops aiTu rer , M. que com-
y> me nos amis femblent crie nne partie de
9t nous mêmes, il y a déjà quelque chofe dé
*> vous-même dan«? le ciel , qui defirede fe
s» conjoindre à vous , ôc qui vous demande
» tout entier. »
« M. Boiidon , quand ù ctoit fur la tctre ;
^©4 Ia Viif
"■" ■ ■ » préfentoît à Dieu vos bienfaits Se rhofpi-
'^^°** »• calice que vous exerciez à fon égaid , pour
» vous accirer les grâces célellcs : &c comme
« fa. reconnoiiïance cft maintenant auifi par-
*> faire que fa charité, il vous recomman-
" de à Dieu de toute (a force j d< les mains de
» ce pauvre éminemmeiu riche ont mis dans
»' les threfors du ciel tous les fecours , tous
>*les fouiagemens , tourcs lescarefles & tous
>» les biens qu'il a reçus de vous. Il lui '"en>
M ble qu'il manqueroit quelque chofe a fa
>» félicité » fi vous n'étiez pas bienheureux
9» avec lui -, ôc il prie pour vous obtenir
w beaucoup de moyens d'augmenter la fé^
»Wicirc qu'il demande pour vo-is. Ce font
»» des vérités que la charité , l'Evang'le Si
«^l'expérience nous apprennent ^ ôc qui doi-
i» vent augmenter notre confiance en Dieu.«
» Pour moi, j'invoque volontiers ceux
» que j'ai aimé dans le monde , ôc qui font
3> morts dans une grande odeur de piété : &C
»y ce m'ell unemerveilleufeconfolarion def-
« pérer que je les trouverai un jour dans le
« ciel. Je leur dis quelquefois fort naïve-
« ment : Quand vous étiez fur la terre.,
>r vous ne voyiez rien que mon extérieur,
» & vous pendez plus de bien de moi, qu'il
« n'en étoit. Je prie Dieu qu'il vous faffe
w connoître tous mes défauts ôc toute ma
f corruption , afin que vous ayez compaf»
^ fion de moi , ôc que vous priiez Dieu qu'il
9 me fafle miféricorde. »
« Je confcrverai , Monûcur , bien pré-
i
DE M. BoxjDON. Liv. II. 305
» deufement les deux Lettres que m'a écri- —
5^ tes ce faine homme , ôc le Livre que vous ^^^^
a* m'avez donné de fa part. Mais je prends
'j la liberté de vous demander deux grâces ,
33 que vous pouvez m'accorder facilement.
" La première , de le prier qu'il demande à
« Dieu de détruire en moi tout ce qui m'em-
" pêche d'aller à lui , & que je ne mètre
« rien au jour que pour fa gloire. Ce bon
" ami ne refufera pas de vous exaucer , & je
y* l'en fapplie de tout mon cœur. L'autre
a-» faveur que je vous demande , eil un petit
« abrégé de fa vie , dans votre plus grand
3i loifir. Vous aviez fa contiance , &c per-
5> fonne , à mon avis , ne La mieux connu
>j que vous. M. Gauthier ne m'écrit qu'un
9) mot de cette belle vie. Ce qui m'y plaît
3» beaucoup ,c'ell: que ce grand ferviceur de
« Dieu n'a jamais podédé un écu vaillant,
3j Une telle pauvreté dans un tel Archidia-
» cre , & même dans un Eccléfiailique , qui
y> eil obligé de garder quelque rang dans le
« monde , eft une pauvreté vraiment évan-
>*gélique, qui paiïe celle du Capucin. Ce
« font des pauvres riches des dons de Dieu,
3^ & qui acquièrent à leurs amis de pareilles
i> richefles. Je fuis , ôcc, »
La féconde Lettre , par laquelle nous fi-
nirons ce deuxième Livre , ell une réponfc
que fît à une Religieufe de Paris le digne
Prêtre, qui eut le bonheur d'aifuler M. Bou-
don à la mort. « Il cil: vrai , difoit-il , que
3> j'ai reçu un honneur de un bien , auquel
17C».
30(5 La Vie
» je ne m'attendois pas , Se qne je n'ofoîs
>f pas me promet ne ; parce que je croyois
»j que M. le Doyen de la Cathédrale, oU
>»M. le Supérieur du Séminaire d'Evreux ,
>*ou quelqu autre pcrfonne, à qui de droit
53 j'eufle dii ie céder , aiTifteroienr M. Bou-
9> don à fon dernier paflage. Mais la Provi-
» dence qui règle tout , m'a accordé ce à
y» quoi je n'ofois pas même penfer \ me pro-
» mettant feulement de m'efForcer d'ctre
w préfent à une fi belle mort. Ah l plût à
9» Dieu , dans l'excès de fa charité envers
*» moi , que j'eufle reçu Tefprit qui a animé
9» cet homme de Dieu : je pourrois dire avec
y» vérité , que j'aurois reçu l'efprit de J. C.
>j dont il a été mû ôc uniquement animé dans
9» la qualité de membre du Sauveur , qu'ont
» tous les Chrétiens. Les Lettres qu'il vous
>* a écrites , difent aflez ce qu'il penfoit Ôc ce
» qu'il croyoit de cette divine union , darîfc
*> laquelle il vouloit tout dire , tout faire ôc
>j tout fouffrir. .. . Je voudrois bien prenT
» dre la devife de mon bon père : DieufeuL
«Mais mes péchés me rendent indigne dé
*> ce beau caradere. 11 falloit un homme
5» comme lui, confacré à Dieu tout entier
wdès fa jeunefTe, pour remplir une telle dè-
»• vife. Tout ce que je puis efpérer , c'efl
V que les miféricordes de Dieu , & la cha-
»» rire dts pcrfonnes de' votre mérite m'ob-
»> tiendront au moins la grâce de vivre & de
» mourir dans une véritable horreur dé
w tout ce qui peut déplaire à la divine Ma-
»> jeflé. »^
BE M. BouDOK. Lir. II. 307
"Cependanr nous appellerons ce cher — —
>» défunc \ Homme de Dieu f eut tmiverfel- *^^*'
w lement & fam aucune réjerve ddm Inmon *
w avec J. C, le Sauveur de tou^ les hommes»
» Si jamais on écrir fa vk , on remarquera
M en lui parfairementcecaraclere. Four moi
» lorfque quelqu'un me demande fi je n'ai
Si pas le portrait de M. Boudon , je prends
» un papier , j'y écris ces deux mors : Dux%
ty feul , je dis : Venez , lifez & vo)ez -, voilà
» Ton véritable portrait. Tachons, ma ré-
w vérende Mère , d'en imprimer quelques
•> traits fur nous avec le fecours divin , fous
» la protection delà très-fainte Mère de
« Dieu. Celui a qui rien n'eil: impolTible ,
>i fçaura bien , quand il lui plaira , trouver
w les moyens de faire connoitre fon fervi-
5* teur : car nous fçavons bien qu'il cfl ja-
« louxde la gloire de fes Saints \ & qu'il ert
9i eft lui même la beauté la plus magnifi.-
» que , quand il plaîr à fa bonté de les ma-
9> nifeiler. Je fuis , &c. >»
Ce pieux Eccléfiallique , qui reçut lef
derniers foupirs de l'homme de Dieu , fut
récompenfé du tendre &c refpedlueux arra-
chement qu'il avoit eu pour lui. On lui avoic
propofé un emploi du vivant de l'Archi-
diacre : mais comme celui - ci , fans l'avis
duquel il ne faifoic rien, lui dit que fon
tcms n'étoit pas encore venu \ il crut ne
pouvoir mieux faire , que d'attendre en paix
les momens de Dieu. Ils arrivèrent un an
apiès^ !k d'une manière qui eût fait levivre
^oS L A V T B
— *— la mémoire de M. Boudon , fi elle avoîtétc
'^*** de nature à s'effacer jamais. Un Magiflrat
d'une probité connue , s'étant rendu de Pa^
ris à Evreux , pour y célébrer rAnniverfaire
du grand Archidiacre, demanda pour l'Ec-
cléfia/liquc dont nous parlons , & à fon in-
fçu , une Cure importante , & très- difficile
à dejfervir y où , pour continuer les grands
biens qu'un Paflcur plein de zélé y avoir
établis , il ne falioit rien moins qu'un Prê-
tre aufTi fage & auiTi vertueux que lui. Cette
grâce , fi toutefois un Bénéfice à charge
d'ame en cil une, lui fut rcfuféc -, & le Ma-
gifirat comprit qu'on avoir jette les yeux
fur un autre. Mais Boudon , tout mort qu'il
ctoit, fçavoit encore faire entendre fa voix,
& il parloiten faveur de ceux qui n'av oient
été fes amis, que parce qu'ils étoient les
amis de Dieu. Trois jours après, le Patron
qui ctoit un parfaitement honnête homme ,
éc Tun des premiers du Chapitre d'Evreux ,
s'en va rrouvcr notre bon Prctre \ il l'a-
borde , les yeux mouillés de larmes ^ il lui
déclare qu'un mouvement intérieur le preffë
de le nommer à cette Cure , & qu'il ne peut
y réfifter. A ces mots le vertueux Eccléfiafii-
que , qui n'avoir pas mcme entendu parler
des tentatives qu'on avoit faites en fa fa-
veur, entafie raifons fur raifons , pour £c
foufiraire au fardeau qu'on veut lui impo-
fer. Maisila beau faire, on le mené, ou
plutôt on le traîne par force chez un grand
Vicaire , qui l'examine félon la coutume :
i
DE M. BouDON. Liv. II. 309
011 lui expédie fcs provifions \ & le jour de ■
la Naciviré de la Vierge , c'ell à-dire, huit ^^^**
jours après Tanniverfaire de Ai. Bondc.n ,
on lui fait prendre poiTeflion de ce Bénvficej
où il a fait tous les genres de biens qu'on
doit attendre d'un Miniitre , qui ne s eil
rendu à la vocation divine , que comme le
premier Prêtre de la Loi ancienne , &: le
grand Ponrifede laLoi nouvelle. "^
Une nous reûe plus , pour obéir à Tufa-
ge , que de tracer le portrait de Ihomme
Apolioliquc , dont nous finiflbns l'hiltoire.
Il étoit d'une taille movenne & peu fournie.
Il avoit le front allez large j l'œil vif en
Chaire , & dans les entretiens où il s'agif-
foit de Dieu -, hors de-là prefqu'éteint , Se
comme infenfible : le vifage lerein , mais
moins frapant par ia douceur , que par un
air de pénitence , qui rappelloit celle des
Antoine ôc des Siméon Stylite. Son efprit,
quoique richement cultivé , n etoit point or-
né à la manière de ceux qui ne cherchent
qu'à plaire par un frivole enjouement. Il ne
connoifToit ni les hifloires qui amufent , ni
les faillies qui dilTipent. Il alloit droit à
Dieu : mais il y alloit avec une ondion qui
lui tenoit lieu de ces agrémens par où d'au*.
* Ce digne Curé fe nommoît M. Chanoine. Ce fut NT.'
Eutcl , qui , -en qualité de Théologal , le nomma à U
Cure de Rully , gros village à deux lieues d'Evreux ; où
pendant plus de quaranie-cinq ans il a fait de très-grands
biens. La fimplicité , la dévotion , Tamour de la pauvre-
lé furent les principales vertus du Difciplc , comme elles
l'atoieni été 4e fon Maître , M, Boudon.
510 La Vie
»- trcs fe ménagent du crédit, & quelquefois
^7^»' une vaine adjuration. Pour le cœur, en fe
rappeliant une partie de ce que nous en
avons dit , on verra qu'il l'avoir généreux ,
intrépide , compatiflant , aufïi vallc que le
monde entier qu'il portoit dans fon fein , &
pour lequel il auroit donné mille fois fou
iâng comme une goutte d'eau , fi la Provi-
dence ne s y fût oppofée. A parler humai-
nement , on trouvcroit quelque chofe de
trop , foit dans cette affreufe pauvreté , qui
fît de lui une efpéce de mendiant du public j
foit dans la fermeté avec laquelle il foutinc
les droits de fa dignité d'Archidiacre. Mais
le premier de ces deux prétendus défauts lui
fut commun avec les hommes Apoftoliques.
Le fécond , qu'un peu plus d'ufagc du mon-
de auroit quelquefois corrigé , n'eut pour
principe qu'une vraie & folide vertu. Un
homme , qui fans ouvrir la bouche pour fc
juflificr , fe vit la fable & l'opprobre du
genre humain , n'étoit attentif fur les hon-
neurs dûs à fon rang,que parce qu'il craignoic
de ne pas rendre en entier à Ces fuccefleurs le
dépôt qu'il avoir reçu de ceux qui l'avoient
précédé. L'orgueil , quelque foin qu'il ait
de dérober fa marche, fe coupe aifémenr ; ôc
on ne l'alliera jamais avec cette fuite con-
ftante de vertus, que THiftoire du grand Ar-
chidiacre d'Evreux nous a fournies jufqu'ici ,
Se dont le dernier Livre de cet Ouvrage va
nous donner une idée plus nette Se plus di-
ftindte. Mais dès ce moment difons , fan^
DE M. BouDON. Liv. II. 311
craindre d'être démentis , que Boudon fur — —
tel , que le faint Efprir nous a peint le grand ^^°*'
Prctre Onias î Vir bonus C" hmignus , vere-
cundus viju y modiftus moribus , eloquio de-
coriis , & à pnero in virtutibus exercitatus»
II. Machab. 15. 12. Sa nouvelle Epiraphe ,
que je viens de recevoir d'Evreux en Latin
éc François , le fera encore mieux connoître.
D E O S O L I
Se ^fuaque omnia , dùm viveret , dîcavît
HENR. MAR. BOUDON , Archid. EhroUi
Ab infantïâ
Pauperhm Pater & Socius ,
Divina Providentia alumnus ^ prœco ,
Immaculatcz Vir^iKis cliens , deinde vindex y
Angelorum amulus & cultor,
D E O S O L 1
Lûhoribus , jcriptis , fennonibus , itineribus ^
Ad annos usque LXXIX.
Per ïnfamïam 6» bonam famam ,
Ut feduElor 6» vtrax ,
Zelo ^elatus efl , & immolât us
Suprà facrificium & obfequium fidei fuœ.
Spe gaiidens , orationi inflans
Obdormivit in Domina die 3 1 . Aug.M. D. CC II»
Et in hoc Saceiloy ipfius decorato Jiudiis
DefunSîus adhuc loquitur ,
Librifque pietatem fpirantibus
Docet quàm bonumfit adhcerere,
l> "L O s o L I.
311 La Vu
A D'TEU SEUL
Confacra fa perfoi^ne , Tes adions & toute fa vie.
HENRY MARIE BOUDOM, Archid. d'Evicux.
Il fut dès Ion enfance
Le père des Pauvres, quoique pauvres comme eux.
L'élevé & le Prédicateur de la divine Providence ,
Le Serviteur de l'Immaculée Vierge , &: puis fou
Défenfeur ^
Le dévot des Saints Anges , & leur imitateur.
A DIEU SEUL
Par fes Travaux , fes Ecrits , fes Sermons , fcs
Voyages ,
jufqu'à l'âge de 79 années
Dans le fein de l'infamie , comme dans la meil-
leure répuraiion
Regardé comme un fédudeur, quoique toujours
ami du vrai,
Brûlant d'un zélé pur , il s'immola lui-même ,
En offrant le facrifice & 1 hommage de fa foi.
Enfin plein d'efpérance , & priant fans cefTe ,
Il s'endormit dans le Seigneur le 3 1 Août 1701.
Dans cette Chapelle où il repofe , & q^ui lui doit
fa première décoration,
Il parle encore après fa mort ;
Et par fes Livres qui refpirent la piété ,
Jl apprend combien il eft bon de s'attacher
A DIEU SEUL
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LA VIE
DE M. HENRI-MARIE
BOUDON,
GRAND ARCHIDIACRE D'ÉVREUX;
LIVRE TROISIEME^
Ou Von traite de fes Vertus,
ANS vouloir prévenir le jugement
du Lecleur , nous pouvons TalTa-
rer d'avance que Boudon , fous
quelque rapport qu'il Tenvifagc ,
va plus que jamais mériter fon cflime & fa
vénération. Nous allons le voir éminem-
ment Chrétien dans raccompliiïement de
fes devoirs par rapport à Dieu -, dans l'atten-
tion qu'il eut à remplir toute juftice à l'égard
du prochain ; dans l'inviolable fidélité avec
laquelle il rendit à fon ame tout ce qu'il lui
devoit en qualité de Chrétien & de Miniflrc
des Autels.
Q
'^i^ La Vie
§. I. Sa Foi.
U Foî, 5^j^5 îa foj ^ jjit; le grand Apôtre , il eil
impoflible de plaire à Dieu. Elle n'efi: pas
la première des grâces , puifqu'elle eft fou-
vent précédée d'une infinité d'autres , qui
foUicitent à croire ; mais elle eft la première
de ces vertus folides , fans lefquellcs il ne
peut y avoir de juftification. Ce feroit donc
en pure perte que le grand Archidiacre d E-
vreux auroit fourni la longue & pénible
carrière , que nous lui avons vu parcourir :
ce feroit inutilement pour fon falut , qu'il fe
feroit épuifé par les rigueurs de la péni*
tence , par les travaux des MifTions , par une
patience que les murmures & les plaintes
ne foulagerent jamais -, fi tout ce grand édi-
fice n'eût eu pour fondement cette foi plei-
ne , fur laquelle la vie du Chrétien doit être
appuyée.
Or cette foi qui croit tout , & qui agit en
conféqucnce de ce qu'elle croit , Boudon la
pofleda fi parfaitement , qu'au rapport d'un
homme de vertu qui le connoiflbit bien , il
auroit facrifîé mille vies , pour la défcnfe
d'un feul dts articles que la fainte Eghfe
propofe à la créance de fes Fidèles.
Pour juger fainement de fes difpofitions
fur cette importante matière , il n'y a qu'à
confidérer avec quelle force il s'oppofa aux
erreurs , qui de fon tems commencèrent à
s'introduire dans le Diocèfe d'Evreux. Af-
DE M. BoUDON, Liv. III. ^If
fable, doux, modcré à i'cgard de tcus les SaFoi^
hoinmts , d: peiic-érrc plus encore à l'égard
de fes plus implacables ennemis, il enrroit
dans une faince colère, dès qu'il s'agifloit
de nouveauté en matière de foi. II ignoroic
cet art funefte , qui par de fouples ôz équi-
voques circuits, fçait parler comme tout le
monde , de ne jamais penicr comme il faut.
Il difoit hautement & librement au fujet de
la nouvelle héréfie , que c'étoit une des plus
pernicieufes qui eût paru jufqu'alors ; ôc
qu'il n'y en avoir point de plus capable de
porter un coup mortel à la Religion.
Il n'ignoroitpas que le parti'^qui vouloit
l'établir , Ce vantoit de faire mourir Jons
la preffe ceux qui ofoient l'attaquer , & qu'il
avoir la mnlheureufe adrelTe de trouver ou
l'iniquité dans la maifon du jufte , ou la ftu-
pidité dans la maifon de Thcmme raifonna-
ble. Mais , ni ces confidérations , qui en
amolliiïent rant d'autres, ni la crainte de
paiTer pour un homme qui aimoit à faire
parler de lui , ne ren)pêcherent jamais d'éle-
ver la voix, quand les intérêts de la vérité
l'exigèrent. Il voyoit toutes les fuites de fa
fermeté : le ciel fembloit même les lui avoir
annoncées. Il en fentit le poids énorme.
Rien ne l'ébranla , ôc il put , comme Job .*
dire dans tousjes rems &: dans toutes les
chcon{lances:ia?7tq2{eje vivrai^ je ne quitte-
rai point le femier de ma première innocence.
Je conferverai iufqii'à la mort le don pré-
cïçiix qui fut la four ce de majujlificaticn , ^
Oij
3ï^ , ^ L A V I E
S^ Foi. qui ^oîc être ic principe de mon falut *.
« Non , écrivoit-il q^uelq^iie tems avant fa.
3> mort y il ne fuffit pas de n'erre pas contre
« l'Eglife: il faut encore avoir un zélé gé-
« néreux pour s'oppofer à Çqs ennemis -, &:
w combattre fortement tout ce qui peut être
« contraire à la pureté de fa dodrine , &
« cela fans aucun refped humain & fans
« réferve. Ceux qui voient une maifon bru-
w 1er , ne crient-ils pas au feu , à quelque
t» heure de la nuit que cet accident arrive ?
V Puis donc que TEglife eft la maifon de
« Dieu , & que les fed:ateurs des nouvelles
»* dodrines s'efforcent de la mettre en feu ,
>> les Catholiques, & fur-tout les Supérieurs
yi doivent-ils fe taire , pour çonferver une
« fauffe paix ? Certes , difoit-iL encore , un
*» homme en place doit éloigner de fa per-
s^fonneceux qui fous main pourroienr fa-
w vorifer Le parti naiffant \ fe roidir contre
** les ennemis de l'Eglife , ^ crier au loup ,
w quand il eil au milieu du troupeau , de
>» qu'il mange les brebis, v
Son attention fur cette matière alloit fi
loin , que dans la crainte qu'on ne paffât de
leftime des perfonnes à l'eftime des fenti-
mens, il n'aimoit pas ces éloges inconfidé-
rés , que quelques-uns font des Novateurs ,
comme s'il n'y avoit rien de bienfait que ce
qui vient de chez eux, ou que leur éloqucn-
* Donec deficiam , non recedam ab innocenriâ meâ,
Jtiftificationem meam , <]uam cœpi lenere , non deferam.
/oè j 17. V. ) & 6.
DE M. BouDCN. Liv. m. ^17
ce fût une preuve de la vérité de leurs (en- Sa F^v,
timens. « Quoi donc , pourfuivoit-il , Tex-
« périence de tant de iiéclcs ne nous a-t-el^
» point encore appris , que les hérétiques
» n'ont jamais manqué de raifons fpécieufes,
?j lubriles ôc fortes en apparence j qu'ils fe
» fervoient de Tautorité de TEcriture, qu'ils
» citoient les Pères j que leurs Ouvrages
« charmoient les efprirs par la douceur du
»uyle& la beauté de Télccution ; qu'il y
» en avoir même plufieurs , qui gagnoienc
«les cœurs par le mépris qu'ils failbient du
» fiécle j &c par une vie édifiante : mais que
'^ parce qu'ils manquoient d'une fincèiefoii-
>' milTion pour le Chef de i'Eglife , pour Iqs
3> Conciles, pour l'autorité qui lescondam-
» noit , ils fe font miférablemenr perdus , ôc
*■> tous ceux qui les ont fuivis. Les Luthériens
»& lesCalviniilescrioient hautement qu'ils
* vouloient un Concile général. Ce Concile
'> ed venu : mais quand ils s'y font vus con-
>' damnés , ils ont dit qu'il n'étoit pas légi-
^> time , à caufe des brigues du Pape. En di-
" fant cela , ils fefonr eifroyah iemeut trom-
»> pés ,eux ôc leurs adhérens , qu'ils ont pré-
» cipités dans la damnation éternelle. A\i
» lieu que ceux qui s'en font rapportés au
>i fouverain Pontife &c au Concile de Tren-
'^ te , ont confervé la foi pour eux &: pour
>• leur poftérité. II faut donc, concluoh le
» faint Prêtre , il faut en matière de foi fe
>» bien donner de garde de raifonner. Croyez-
«moi , fi une foi5 vous en venez aux mains
O iij
Îi8 La Vie
$a Foi. « avec renncmi par le raifonncment , vous
w ères pris , Ôc votre perte efl comme af-
i» fiirée. »•»
Tels étoient les principes fur lefquels
Boiidon appuyoit fa foi , ôc les conféqueii-
ccs qu'il en tiroir. Mais il donnoit & aux
conféquences , & aux principes encore plus
d'étendue. Tout ce qui pouvoit ou nourrir
le dogme , ne fut-ce qu'indireélcment ^ ou
témoigner du refpcd: , je ne dis pas pour les
-décidons formelles , mais pour la fimple
pente de TEglife , faifoit partie de l'objet de
fon zélé. Ce fut par ces motifs , que pour
affermir Ôc pour rendre utile la foi de la
préfence réelle , qu'on réduit à peu de cho-
fc 5 en excluant prefque tout le monde de la
table du Seigneur , il compofa fon petit
Traité de V Amour de Je fus au très-faint Sa-
crement , où parmi plufieurs excellentes
pratiques pour honorer ce divin Myfterc, il
propofe comme la meilleure , la plus fainte »
la feule capable de remplir l'attente ôc les
defleinsdu Verbe incarné, celle d'une di-
gne «Se fréquente communion. Ce fut aufïi
par cette même raifon , que voyant que
fous prétexte d'épurer le culte de la très-
fainte Vierge , on lui difputoit fes plus beaux
privilèges , il publia en fa faveur fon Livre
de la Dévotion à Vimmaculée Mère de Dieu^
où il imit à fon ordinaire Tondiion à la fo-
iidité. Mais l'a6tivité de fa foi ne fc bornoic
pas à ces travaux littéraires. Onl'afouvent
trouvé chez lui à genoux dans une pofture
i
DE M. Bt)UDON LiV. IIÎ. 5T9
anéantie devant laMajefté fouveraine>conju- Sa Foi
rant le Pcre par le Fils de ramener à l'unité
ceux qui s'en ccartoient , Ôc d'arrêter le
cours dïin mal , qui ne pouvoit être que
funefte au Royaume , û Dieu n'y mettoit k
main.
Tel fut le zélé qu'eut l'Archidiacre pour
la pureté de la foi. Mais ce zélé fut toujours
auiTi fage, qu'il fut vif ôc animé. Si Boudon
fçut combattre Terreur , il fçut n'en char-
ger perfonne mal à propos. Plus l'accufa-
rion dhéréfie eil grave, moins il fe crue
permis de la prodiguer. Il alîoit même juf-
qu'à dire , que le démon , pour empêcher le
bien , porte les ennemis d'une pure & faine
morale à ériger en Novateurs ceux qui s'ef-
forcent de la fui vre. Ce qu'on peur dire de
Rioins fort fur laflenne , c'eil: qu'elle étoic
nès-éloignéede tout cmbre derclkhemcnr.
Pour s'en convaincre, il fuffi: de jetter l:s
yeux fur fon Traité de la Sainteté de l'Etat
Eccléfiaflique,
En général , il étoic perfuadé que pour
ne tomber dans aucun excès , on devoit s'at-
tacher fortement aux véritables Difciples
de S. Thomas, qui guidés par les principes
de cet Ange de la Théologie, ont fçu gar-
der en tout genre un milieu afiuré : & c'ell,
difoit un refpectable Curé de Rouen , c'effc
en ce fens qu'il m'a écrit plufieurs fois ,
pour m'infpirer une vive horreur de toute
nouveauté profane.
Mais pourquoi recourir à des témoigna-
Oiv
^19 La Vil
§> Foi. ges étrangers dans une matière , que les faits
domeftiques prouvent fi abondamment ?
Qu'on fe rappelle que Boudon encore
entant inftruifoit déjà desenfans comme
lui , & bientôt après des perfonnes d'un
âge plus avancé i que dans fa jeunelTe il par-
couroit la ville & les campagnes , pour faire
germer la vertu dans des cœurs , qui fou-
vent y a voient tres-peu de difpofition j qu'il
regarda toujours comme un àçs plus grands
malheurs qui lui pût arriver , celui de relier
en Europe , pendant que fes pieux Aflbciés
alloient au de là des mers réveiller ceux qui
dormoient à l'ombre de la mort j que pen-
dant quarante-cinq ans de Prêtrife , il n'a
rien dit , rien fait , rien écrit , qui ne fe rap-
portât plus ou moins directement au main-
tien de la foi j Ôc qu'enfin jufques à fa der-
nière maladie il a travaillé à prémunir con-
tre les erreurs de toute efpéce ceux qui au-
roicnt pu s'y laifler prendre-, on conviendra
aifément qu'il fut du nombre de ces juftes ,
qui vivent de la foi , Ôc qui ne croyent être
fur la terre , que pour la défendre ôc là
multiplier.
§. II. Sa Confiance en Dieu.
5a Con- La confiance , c'eft à-dire , comme nous
fiance, l'entendons ici , cerre efpérance forte & gé-
néreufe , qui ne connoît point de dangers ,
parce qu'elle ne voit dans les plus fâcheux
événemens, que la main de Dieu qui les
opère, fut fi conllammcm une à^s vertus
Bî M. BOUDON. Liv. III. 32.Î
farvoiires de M. Boudon , que depuis fa s^ Ccr.-
tendre jcunefle jufqu'à fa mort il a pu dire
a-vecle Roi Prophète : J'ai efpéré , & plus
qu'efpéré en vous , ô mon Dieu , & in vcr-
bum tuumj'uperfperavi. En Iç fuivant dans
tous les états de fa vie , on n'y trouvera pas
un moment 5 où il ne fe foit abandonné fans
reflriélion de fans mefure à la Providence.
Elle étoit le plus doux , le plus continuel ob-
jet de fcs penfées. Sans cefTe elle revenoir
dans fes Ecrits , dans fes lettres , dans fes
entretiens. Son ftyle naturellement exprcf-
fif , avoit quelque chofe de plus fort quand
il célébroit la main bienfaifante , dont il
avoit fi fouvent éprouvé les faveurs. « O di-
" vine Providence , s'écrioh il , que vou3
» rendrai - je pour les grâces que fai re-
" eues devons! C'eftvous qui, pourpar-
"1er avec le Prophète,. m'avez tiré du fein
'^ de ma mère \ qui m'avez pris entre vos
" bras dès mes plus tendres années -, qui
" m'avez tiré de la gueule du lion, & des
«mains de l'Ange de l'Abyfme. Votre mi-
>» féricorde m'a accompagné tous les jours
>i de ma vie. Ne me rejertez pas dans le tems
« de ma vieillelTe , & ne m'abandonnez pss
« lorfque ma force s'affaiblira. Je me fuis
« toujours appuyé fur vous, & je n'ai ja^
5^ mais manqué de rien, Plufieurs ont dit,
« dans les cuifanres afîliclions que vous
w m'avez fait fentir : Il a efpéré au Seigneur,
» qu'il le délivre; qu'il trouve en fa Provî«-
w dcncek falut fur lequel il avoit compté-
Oy
322 L A V I E
Sa Con- »j Vous VOUS êtes tourné vers moî , 6 mon
fiance. ,, diq^^ ^ yous nVavez rendu la vie. Vous^
>* m'avez tiré du fond de la terre. J'ai paru à
3J pluiîeurs comme un prodige de délaiiîc-
« ment : mais vous m'avez puifTamment slC-
» fifté. Vous avez multiplié votre magnifi-
« cence à mon égard , ôc votre regard falu-
» taire m'a confolé. Auiïi vous louerai-je de
»y vos miféricordes. Je chanterai votre gloire
. « & vos grandeurs. J'annoncerai votre puif-
» fance ik la force de votre bras. »
C'eft fur ce bras miféricordieux que le
grand Archidiacre s'appuyoit uniquement :
ce n'étoit que lui qu'il rcgardoit dans tous
les bons offices que les créatures lui ren-
doienr. »* J'avoue ^ écrivoh-il un jour , qu'il
?j y a des gens, dont la Providence fe ferc
w pour m'afliller dans mes befoins : mais
9> non-feulement je ne voudrois pas y avoir
>' de la confiance , mais pas même le plus
»> léger appui. L'appui en la créature , telle
« qu'elle puiffe être 5 cft un défaut de par-
>» faite confiance en Dieu. Oeil en lui feul
" qu'il faut regarder toutes chofes. Quand
5* nous aurions toutes les créatures avec lui,
" nous n'en aurions pas davantage ;& quand
3> nous l'aurions feul , fans toutes les créa-
33 tures , nous n'en aurions pas moins. Après
9> tout , c'eft une vérité certaine , que rien
aMi'arrive fans la conduite de la divine Pro-
» vidence ; ôc c'ell ce qui nous doit établir
*» dans une paix inviolable , fi nous fommes
» véritablement à Dieu , car que deyoflSr
DE M. BouDON. Lit. IÎI. 515
9> nous vouloir que ce qu'il veut î Et s'il Sa Coni
» veut que les chofes arrivent d'une certaine °^°^**
î^maniero, comment pourrions- nous avec
» JLillice ne le pas vouloir î Ôc fi nous le vou-
« Ions bien , pourquoi nous en inquiéter? »*
C'éroitfur ces règles fi fublimes, fi profon-
dément ignorées dans la pratique , que Boa-
don regardoit ôc les biens & les maux comme
âçs dons de la main de Dieu. «Ily en SL^difoit^
5' il à un bon ami , qui fe fcntant attaqués
i> de quelque mal ou de quelque affliction ,
» penfent d'abord aux créatures , d'où leur
#' viennent ces peines, & puis retournent à
^3 Dieu. Mais je connois quelqu'un , & ce
i> quelqu'un étoit lui - même , qui regarde
« abfolument toutes chofes en Dieu , èc qui
«ne voit en rien les créatures, que comme
>» de fimples inilrumens dont Dieu fe fert
w pour fon plus grand bien, s»
Ces fentimens fi purs , fi cbréticas , fi
propres à nourrir, à élever la confiance,
Boudon les infpiroit à tous ceux qui avoicnc
quelque rapport avec lui , ou qui le con-
fuitaient. Etant arrivé à Paris , pendant
qu'on y délibéroit fur le moyen de procu-
rer des fonds fuffifans aux Ecoles chrétien-
nes , que le P. Barré , célèbre Minime, avoic
établies 5 parce qu'on craignoit qu'après la
mort de M, de Montigni , qui jufqu'alors \gs
avoit fontenues , elles ne vinfient à man-
quer : fon avis fut qu'il falloir tout fonder
fur la Providence , qui vaut mieux que tous
■ks contrats dç cenftîtHtîQn> Cette idée f«t
Ovj
K
3 ^4 L A V r 1
Sa Con- fuivic , Sc Ics Filles du père Barré en fentî-
*"^^' rent la juîlefle & l'urilité après la mort
de M. de Monrigni. Il auroit fouhaitté que
le monde entier n eût eu des yeux que pouK
appercevoir ce premier œil , qui veille fur
tous les hommes , & plus particulièrement
fur les julles. « C'ell , écrivoit il à une Du-
»» me qiiiLaJJîfloit , c'eft la divine Providence
»* que vous devez regarder en ma chcti-
« ve perfonne. C'efl: à elle que vous avez
>>toutes les obligations , que vous penfez
» m'avoir. Elle n'a befoin de perfonne pour
y* vous fecourir , ni de moi plutôt que d'un
5' autre. Ne vous inquiétez donc de rien.
« Quand une mère feroit ailez dénaturée
5j pour abandonner fon enfant , Dieu pro-
>' tefte qu'il ne vous abandonnera pas. >*
Ce fut par les mêmes principes qu'il raf-
fura une perfonne , à qui la crainte de le
perdre , & de perdre en lui le plus fage Di-
redeur qu'elle eût jamais trouvé , donnoit
de mortelles allarmes. Il étoit fi bien ar-
rangé en matière de confiance, que par un
contrafle que la grâce feule peut bien dé-
mêler , quand il étoit dans une pofition
tranquille il efpéroit dç^ croix j & quand il
en étoit accablé , il efpéroit que Dieu vou-
droit bien l'en décharger , ou cki moins
les adoucir. » Ah ! Seigneur , difoit-il à un
) »> ami 5 fi je regarde les peines de la vie com-
9y me des chatimens , je les mérite bien :
>' mais que j'en fuis indigne , fi je les regarde
« comme des dons de votre miféricordc» a>
DE M. BouDON. Liv. ÎIÎ. 315
AufTi craignoit-il plus le moment où il ^?^°^^'
dévoie cefTer de fouffrir , qu'un Chrétien ^*'
foible ne foupire après lui. Cependant com-
me il connoiffoit admirablement bien les
routes & la conduite de la Providence ,
ôc qu'il ne vouloir que ce qu'elle vouloir
elle-même y il ne doutoit point que fes plus
vives difgraces ne duffent avoir un terme ,
& il l'eipéroit avec une pleine confiance
Dans la cruelle guerre que lui firent ceux
qui avoient animé Ton Evêque contre lui,
il difoit hautement à fes amis que cet orage
pafleroic , que M. de Maupas reviendroit de
fçs préventions -, qu'il rentreroit dans fes
bonnes grâces , de que les pouvoirs de prê-
ciier &c de confeflcr lui feroient rendus.
Pour ce qui cd de l'emploi de grand Vi-
caire , dans lequel il ne put être rétabli ,
parce qu'on l'avoir donné à un autre, il crue
encore > & on a cru avec lui , que c'étoic
un coup de la main de Dieu , qui lui en
avoit fermé la porte. Uniquement borné à
la conduite d'un feul Diocèfe , il n'eût pa
donner à l'Eglife ce grand nombre d'Ou-
vrages folides ,. qui ont édifié la France ^ ou
plutôt l'Europe toute entière , & qui éclai-
rent encore aujourd'hui l'un & l'autre hé-
misphère.
Sa confiance alloit fi loin , qu'elle ne
eonnut jamais ces timides prévoyances , donc
la fageffe humaine croiroir ne pouvoir s'é-
carter fans tenter Dieu. 11 entreprenoit fans
argent de longs voyages , avec plus d'aiïu-
5i<^ La Vie
^\^^'fancequ*un riche Financier dont la bourfe
e/l amplement fournie. Il ne s'inquiétoit ni
du lendemain, ni du moment d'après. Les
befoins du prochain ctoient les premiers
qui roccupaiTent : il ne fçavoit pas ce que
c eroit que de penfer aux fiens. Un jour qu'il
paflbit par la Flandre Efpagnole , la femme
d'un Officier lui demanda de quoi délivrer
fon mari de prifon. 11 lui donna tout ce qu'il
avoir d'argent , & continua fa route , bien
pcrfuadé qu'il ne mourroit pas de faim. Le
jour n'étoit pas fini , que la racmc fomrae
ôc en mêmes efpéces lui fu: rendue par une
perfonne qu'il ne connoifToit point.
Une autre fois il fortit de Bordeaux fans
avoir une obole pour faire fa route. Son in-
quiétude, s'il en eût été capable, n'auroir
pas duré long-tems. Un inconnu fe pré-
ientaà lui avec une fomme confidérable,
& le pria de l'accepter. Boudon le remer-
cia félon fa coutume , de ne prit que le peu
dont il avoit befoin pour fc défrayer. Ce
peu même étoit moins à lui , qu'au premier
venu qui en avoit befoin. En forrant d'An-
dely , une Dame lui glifîa trois écus dans fa
poche j à quelques pas de -là un pauvre lui
demanda l'aumône , Boudon lui donna ces
trois écus , ôc la Providence voulut bien y
fuppléer.
Sa vie efl pleine de traits femblablcs.L'ef-
prit de Dieu lui ayant infpiré un voyage
pour fa gloire , il Ce mit à difpofer fa valife
afin de partir le lendemain. Il n'avoit pas
DE M. BouDON. Liv. III. 517
«n fol ', mais chez lui c'étoit la plus pcrire ^^ Con*
choie du monde. Le foir même il reçue ^^"'
deux cens livres de M.de Bernieres. Celui-
ci dans Ton oraifon avoir connu que le
grand Aichidiacre en avoir befoin , & il s'é-
roit fenti pre/Iéde les lui envoyer. C'étoit à
la vue de ces faveurs que Boudon difoic
quelquefois : La Providence s'eft engagée à
ne nous point manquer ; &fes promejjes font
un contrat , qui vaut mieux que toutes les
êbligations des hommes pajfées pardevant
Notaires.
Il faut cependant avouer que fa confiance
étoit quelquefois mifc à Pépreuve. La nuit
l'ayant furpris avec fon guide auprès d'un
Château qui appartenoit à une de fes cou-
fines , il la fit prier de lui donner le cou-
vert. Maïs cette Dame , haute & fiere , lui
fit dire à la porre qu'elle neconnoiflbit point
de gueux pour parens. Un compliment fi
dur ne l'émut point. Il n'avoit pu loger
dans un palais, il logea dans la chaumine
d'un pauvre charbonnier , qui le reçut de
fon mieux. A^ïh tout, la Providence en
le traitant ainfi , le fervoit à fon goût. Uns
table fomptueufe lui plaifoit moins que dxi
pain bis & des noix. Sa plus grande confo-
lation eût été de manquer de tout , &: de
mourir au milieu d'un ruiffeau , comme une
béte de rebut , que tout le monde aban-
donne. C'ell pour cela qu'il avoit une ten-
dre dévotion pour Tilluflre Evcque & Mar-
tyr S. Vaiérien , qui en conféquencc de Tor^
32? LaV^ie
è^ccT ^^^ ^^"^^ ^'^" ^^^"^^ hérétique , ne pow'
vant trouver ni feu , ni lieu , mourut de
faim ôc de mifere. « Et voilà , difoic-il , les
" grandes faveurs de la divine Providence
»» envers Ces Elus. Elle n'honore pas ainfî
" toutes fortes de perfonnes. O que l'on
« eft heureux d'avoir quelque part à la vie
9^ crucifiée deJefus! Cela vaut mieux que-
utons le^plâifirs, 3€ toutes les vaines fa-
*> tisfadtions de la terre , ôcc, »>-
Il gémiffoit de Ces fautes , mais fans fe
troubler , fans fe décourager , fans douter
un moment des miféricordes infinies de
Dieu. « Quoi , difo'u-il , nous fçavons que
« Jefus-Chrill efî notre caution , que fon
w fang efti nous , ôc nous manquerons d'ef-
»' pérance ? Si nous avons de grandes dettes ^
>* n'avons-nous pas de quoi payer ? Le Père
" éternel nous ayant donné fon Fils , ne
« nous a-t-il pas tout donné avec lui? Ôc
^> ce Fils fe donnant foi.même , peut-il nous
>> refuferfon Paradis,pourvuque nous nous
«en rendions dignes en faifant fa très-
» fainte volonté ? »>
Telle fut toujours la confiance du grand
Archidiacre d'Evreux. Tout étoit de fon
refibrti le bien ôc le mal , le tems ôc l'éter-
nité , les befoins de l'ame ôc les befoins du
corps. Plein d'efpérance , lors même que
tout paroifibir défefpéré , il voyoit toujours
àfadroire un Dieu qui l'empêchoit de s*é-
branler -, Ôc la Providence qui l'expcfoic
aux vents les plus orageux , ne lui paroifToiv
DE M. BoUDOK. Liv. m. 32^
pas moins aimable , que celle qui le con- S| Com
duifoit au port à pleines voiles. De - là ces ^"'^**
paroles qu'il a fouvent répétées , & par lef-
quellesnous hniians cette matière : « O di-
« vine Providence, quand je penfeaux foins
» que vous prenez de moi , qui fuis le der-
»y nier des hommes , je ne fçais plus que de-
» venir. Mes forces s'affoibliiTent , je ne dé-
« couvre de toutes parts qu'un abyfme d'a-
M mour , où il faut que je me perde. » Mais
il ne fe perdoit dans cet abyfme qu'à la fa-
çon des Saints , je veux dire , qu'en rendant
amour pour amour ^ autant qu'il lui étoic
polTible. C'eft de^quoi Tartick fuivam ne
nous permettra pas de douter.
§» IlL Son Amoîtr pour Dieu,
J'avoue de bonne foi avec un des meil- ^°"
1 .1 /< . A I . 1 amour
leurs amis de notre faint Archidiacre, que pour
rien ne m'effraye dava.nrage , que l'obliga- ^^«^
tion eu je fuis d'expofer ici le défintérefiTe-
ment , la fuWimité , ôc toutes les dimen-
fions de la charité qui dé-vora fon cœur. Ce
que la folie desamans profanes leur fait ima-
giner en fa ver r de l'objet qui les atrachc ,
n'efl rien en comparaifon de ce que la vraie
fageffc luiinfpira par rapporta fon Bien-
aimé. Il n'y auroit qu'un deecsEfprits donr
le Dur amour fait l'aliment, cui pût nous
bien développer ce qui fe paiToit en lui. Au
défaut de ces expreffions toutes de feu , que
notre folblcfe , &: plus encore notre lan-
gueur nous iziccrdifent ,nous cmpruntcrcnj
330 L A Vie
Son les fiennes propres. Boudon fera le feuî à
7o°u"/ paï^lcr ici. Le défordre , les répétitions mé-
Dieu. mes qu'on pourra trouver chez lui , le ren-
dront mieux que nous ne pourrions faire ;
ôc quelque vif que fût fon langage , on fcn-
rira bien qu'il fut toujours beaucoup au-
de (Tous de fes fentimens.
Et d'abord par une de ces grâces qui tien-
nent du privilège , à peine eut - il l'ufage
de la raifon , que fon cœur commença à
brûler des flammes du faint amour. « Je loue
"&:je remercie la divine Providence, di-
>i fou-il un jour , de ce que par une miféri-
»> corde ineffable , elle m'a prévenu de fes
»' divins attraits pour fon amour. Elle me
" faifoit demander à Dieu cet amour des
" ma jeuneflfe par des prières réitérées avec
^ inf^ance. Déjà , fans trop entendre ce que
«» jedifors, jecrioisaudivin amour j 6«: dans
» la fuite du tems à l'amour de Dieu feuI.
» Ces grandes 3c furprenantes miféricordes
» ont toujours continué , & même augmcn-
i> té malgré toutes mes infidélités. «
Et en effet depuis Tâge de neuf ans , où it
iÎL fa pren.lere communion avec une fer-
veur qui ne fe trouve guères dans la plupart
de ceux qui difent leur première Mcfle i il
n'eut que Dieu feul dans fon cfprit , dans
fon cœur , dans fes paroles , dans fes ac-
tions. « Dieu feul , difoir-ilfans fe lafler ja-
mais , 6c fans examiner s'il ne laflbit point
les autres , » Dieu feul dans l'union de Je-
»> fus-Chriil , notre aimable Sauveur , c'ed
DE M. BouDON. Liv. m. 551
w tout ce que j'ai à dire , de tout ce que je ^^^
j. • . 5-1 » T>' amour
9' puis du*e : car je vois qu il n y a que Dieu p^^r
»j feul : je ne trouve que Dieu feul par tout -, Dieu.
» je vois qu'il efl le grand tout : je vois que
93 les créatures ne font rien. Ah ! iî toutes les
» créatures ne font rien , comment donc
f» peut - on s'y artêrer ? Quelle illufion de
»■> chercher leur amitié , de s'y plaire , d'y
»j mettre fa confiance , d'y décharger fou
yy cœur ? Quelle extravagance de quitter
>' celui qui cÛ tout , pour courir après ce
»> qui n'eft rien j de s'affliger de rien ; de
« s'appuyer fur rien ^ de fe peiner de la
" privation de rien , de fe tourmenter des
i» contradidlions du rien ? Ah ! n'ayons plus
i> d'autre plaifir , que le bon plaifir divin j
» d'autre confolation que Dieu feul , d au-
u tre volonté que la fienne ^ fans être jamais
3> affez téméraire pour vouloir éplucher un
» feul moment les raifons de fon aimable
« Providence. Et que peut oppofcr , le
» rien à la conduite du grand Tout ? Eft-
» ce au malheureux néant à vouloir péné-
»* trer les impénétrables defleins de l'Etre
« infini ? Qu'il n'y ait donc pas en nous le
>• moindre petit mouvement de la plus lé-
«gère oppofirion à (es ordres. Ce qui
» doit faire notre unique occupation au
»' milieu de toutes nos occupations , notre
*> emploi dans tous nos emplois , notre
w grande ôc feule affaire dans toutes nos af-
» faires , c'efl de vivre , d'agir , de fouffrir
M pour ce Dieu feul. Ah 1 Dieu feul tous les
33i I-A Vie
Son » momens de la vie -, Dieu feul à la mort :
^pout' " ^^^"^ ^"^^^ érernellemcnt après la mort. >»
Vicu, Des fcntimens fi vifs , û enflammés ne
fuffifoient pas à la vafle capacité de fon
cœur. Comme TEpoufe du Cantique , il
fuccomboit fous le poids de fon amour -, &
ce poids il le trouvoit toujours trop léger.
Ce n'éroit ni de fleurs , ni de fruits qu'il
vouloit être appuyé dans fa défaillance. L'a-
mour 5 le feul amour étoit capable de le
foutenir. »^ O mon Dieu ! difoit-il dans ces
pieux élans , qui ne peuvent naître que de
la charité , « c'eft votre amour que je cher-
» che , c'eft vorre amour que je veux , c'ell
» votre amour que je demande j je n'afpire
» qu'après cet amour. »
Ce n'étoif ni par intervalles , ni par
bonds , fi j ofe m'exprimer ainfi , que ces
pieux mouvemens fortoicnt de fon ame.
Il les fentoit le jour & la nuit. Le divin
amour avec lequel il s'étoit endormi , le ré-
veilloit ; & la première penfée qui l'occu-
poit , étoit celle de ne refpirer que pour
fon Dieu Tout le rcfle étoit frivole à fes
yeux i de il n'aaroit pas fait un pas pour
voir Salomon dans route fa gloire , û l'efpé-
rance d'apprendre à fon Ecole l'amour du
Dieu des vertus , ne l'y eût invité. Nous
avons dit qu'à Munick il ne daigna pas ,
quoiqu'on l'en prefTàt beaiicoup , entrer
dans le Palais Eledtoral ; nous ajourerons
ici , que quoiqu'il ait logea Paris des mois
entiers chez M^ le Prince, il ne voulut ja-
©I M. BouDON. Lrv. lîL 55 J
mais voir fa riche ôc luperbe bibliothèque. ^^
« Ccd , difoit-il en rendant compte de cette ^^^J?
conduite , qui au premier coup d'œil paroît Dieu,
un peu farouche , »» c'eft que des perfonnes
yi confacrics à Dieu , comme nous le fom-
5^ mes 3 ont bien d'autres chofes à voir que
9> tout cela. O ! combien de chcfcs admira-
9i blés êc divines à confidérer daiis le monde
» intérieur de la grâce -, &: que ce qui éclate
>y le plus dans ce monde vifible , e/tpeu de
9i chofe , Se même n'eft rien , fi on le com-
>^ pare à ce qui fe pafTe dans le monde da
y» nouvel homme. Que la terre me déplaît ,
y» difoit S. Ignace , quand je regarde le
9> Ciel.j^»
Un homiT^e Ci univerfeHement mon à
tous les êtres créés , fi conflamment atta-
ché à Dieu , devoir marcher comme de lui-
même en la préfence de fon Seigneur, ôc
trouver en lui cette paix & cette tranquillité
qui vont toujours à fa fuite. Boudon jouit
de l'un & l'autre avantage. Sa douleur étoit
de voir , qu'un Dieu plus préfenr à notte
ame , que rotre ame ne l'eft à elle-même ,
fût û oiibL. 'e fes créatures. « Eft-il pofll-
"ble , àifou ! , que Dieu qui fera toute
y> roccupatioii ^es Bienheureux , & par-là
3> toute leur fciivité, feroit ainfi méconnu
« dans le monde . 5era-t-il vrai que nous ne
3J pourrons nous nouvoir qu'en Dieu, que
yy nos regards rr pourront fe faire qu^au
*j travers de Di a , que fi nous refpirons,
w ce fera en Dieu : fera-t-il vrai que l'Etre
354 L A V I I
"Son i> de Dieu efl infiniment préfent à notre
*^ur"^ " ^^^^ ' ^^^ ^^ ^^ péncrre , qu'il l'anime , qu'il
jpicu. " le foucienc , qu'il lui donne la vie Se l'o-
» pération , & qu'avec tout cela nous ne le
« regarderons pas , &• que nous ne penfe-
»* rons point à lui ? Si Dieu eft un feu , ajou-
« toii-il , il faut que puifque nous fommes
*> toujours en lui , nous foyons toujours
« dans le feu ôc dans l'amour : quel moyen
w donc de ne pas brûler Ôc de ne pas aimer ?
»Par quel prodige le fer fera-t-il long-tems
» dans une fournaife ardenre , fans prendre
» bientôt les qualités de l'élément qui l'en-
»> vironne. Le feu efl dans nos poitrines »
3' comment donc fommes -nous toujours
»^ glacés ? Il me prendroit envie d'aller par-
>' tout crier au feu, non pour l'éteindre,
w mais pour l'allumer où il ne bruleroic
^ pas , & pour appclier au fecours tous ceux
« qui aiment véritablement , afin que tous
" enfemble nous le filTions brûler encore
» davantage. Ah ! fi nous confidérions dans
» un profond recueillement ces paroles de
>» notre grand Maître: Je fuis venu apporter
»» le feu en terre , & que veux-je , finon qu'il
»3 brûle ? nous entrerions dans les defleins de
»» ce Dieu d'amour , & nous ne penferions
9> qu'à le faire aimer de tous les hommes, »
Cette pente '^ers Dieu, qu'un exercice
fuivi rendoit cciT;me invincible, étoit ac-
compagnée de certe joie fainre , qui n'eft
propre que des vrais enfans j de cette paix
invariable , que le monde ne donne point ^
I
DE M. BOUDON. LlY. IIÏ. m
Se qu'il ne peut ôter. » Il eil vrai , difoit le Son
i>faim homme y ôc il ell: bien vrai , quccom- ^-^^°"^
" me i^œii ne peut fouffrir la plus petite dùh»
»i pouïïîere , fans en être incommodé , de
»> même le cœur ne peut admettre le moin-
i* dre mêlante d'amour étranger , fans en
" redentir de la peine. C'cd pourquoi on
" trouve peu de perfonnes , je ne dis pas
" chez ks mondains , je dis chez les gens
» de bien , qui ne vivent que dans une jufti-
>' ce commune , qui polTédent d'une nia-
» niere conitaiite cette paix , laquelle, corn-
»y me le dit S. Paul , furpaiTe tout fenriment,
w ôc qui pour n'être pas toujours appcrçue
>' de la partie inférieure , ne laifie pas de
»j réfider avec plénitude dans le centre de
>■» l'aiiie , au milieu de toutes les agitations
»j & de toutes les tempêtes qui peuvent s'é-
» lever contre elle. »
Ot ce portrait d'une ame , qui à force de
s'être accoarumée à ne vouloir que Dieu ,
relie en quelque forte immobile au milieu
des orage: , comme l'eft un rocher au milieu
des flots , qui fc biifent follement contre
iui3 ce portrait, dis je, eil la vraie image
du j,Land Archidiacre d'Evreux. Dans quel-
que fifuanon qu'il fe foit trouvé , quelque
a (faut qu'il ait eu à fou tenir , Ôc peu de
Saints en ont eduyé de p^js violcns , fon
cœur fut toujours inondé â\m fleuve de
paix: & cette paix éroir fi pleine, fi abon-
dante . qu'elle rejaiHinoit far tout fon exté-
rieur. Aulli a-t-on die de lui , comme Sui-
35<^ L A Vi E
Son pice Sévère die du grand S. Martin , qu'il
amour y
pour ^^ y ^vo^^ ^"i^^^ ^^"^ ^^ bouche que J. C. rien
Dieu, dans fon cœur que la piété , la miféricorde ,
Ja paix & la douceur -, que comme cet ad-
mirable Pontife , il portoit fur fon vifagc
une joie célcfle j & qu'aufTi éprouvé que
lui , & peut-être plus que lui , il fçut , à fon
exemple, ne juger mal de perfonne , ne
condamner perfonne, ne rendre jamais le
mal pour le mal à perfonne i & être fi con-
ftamment femblable à lui-même dans tous
\^s états par où il a plu a Dieu de le faire
paffer , qu'on l'eut pris pour un homme
d'une efpécc différente de la notre.
Pour entretenir cette paix qui naît de la
parfaite dileétion , Se pour redoubler de
plus en plus cette dileàion fainte , notre
vertueux Prêtre écartoit de lui avec une at-
tention extrême tour ce qui auroit pu y dé-
plaire à Dieu. Les taches les plus légères
l'effray oient , & il ne concevoit pas com-
ment un Chrétien , qui aime èc qui craint,
peut de propos délibéré offenfcr Tobjet de
fa tendrelTe. Mais il ne febornoit pas a fnir
le péché & fes fauflès douceurs , il faifoit à
fon Maître un facrifice perpétuel de fes pi 'S
innocenres fatisfaélions. Il ne connoiffoir ni
récréations, ni aucun de ces délaffemens,
que la nature épuifée par un long Se péni-
ble travail , fe croit nécelTaircs. Jamais on
ne l'a vu à Paris refpirer l'air & les parfums
du printems dans ces jardins fuperbes , qui
font ladmiration du Citoyen & de l'Etran-
ger.
LV. Aî. BOUDON. Liv. lîT, 327
ger. Janîais on ne Ta vu entrer clans ces ^on
conveilations prcfanes , eu tout ell de ^'^*'"'
n-iiic , excepté Dieu 6c Tes intérêts. Un joli Dku,
dans une voiruic publique , eu par nulle
bagatelles qui fe fuccédoienr avec vivacité,
onchaimoit lennui du vo)age, Themme
de Dieu feul jctta, fans le vouloir, un grand
cri, dont la compagnie fut efirayée. On lui
en demanda la raifcn. « Hélas I répliqua-
"r-il,nous nous occupcns en p ure perre
• -> de niaiferies , pendant qu'il y a un Dieu ,
" qui pourroit fi folidement occuper nos
" cœurs, & être la matière de nos entre-
" riens.»
Ce qu'un mouvement îndélibére 3c fubit
iîr dire ôc faire à Boudon dans cette conjon-
durejlla fait & dit tous Iqs joins de fa
vie. Il n'éfoit pas de ces amans oififs , à qui
les fentimcns fuffifent. Sa charité fur adive,
' Jaborieufe , anifi incapable de repos qi.e le
feu , qui en eft le f\ mbcîe. Nous l'avons vu
jufquici : il fut daPiS les plus féricux travaux
dès fa jeuneiTe j ^ fes travaux qui avoienc
pour principe la charité, n avoienr qi e la
charité pour fin. Il avoir un àcûr , rne faim
infatiablede faire connoitre à tout le mcnde
le bonheur qu'il y a d'aimiCr Dieu. « Ma
» joie , dîfou-il , ç{ï de pouvoir crier à l'a-
>» mour , au pur amour de Dieu feul en trois
" Perfonnes , & de di, e à tous les hom.mes :
« Aimons Dieu, & aimons-le généralement,
"Aimons-le dans roures nos actions, dans
" toutes nos fouffrances, dans tout ce que
P
5 3^ La Vie
»* nous fommes. Aimons- le dans tons le»
Amour " ii"iomens de norre vie, dans rinftant de
pour t> notre mcrr, pour ne jamais cefler de Tai-
piçu. „ nier après notre mort. Aimons Dieu Se
" Dieu feul , quoi qu'il nous en coure , ôc
93 ne foyons pas afiez malheureux pour par^
w rager nos cœurs .& nos affections ^ dcc. »
Mais l'amour faifoit chez lui quelque
chofe de plus fort , que de le faire crier à
l'amour. Il l'uniiToit parfaitement à toutes
les volontés de Dieu \ Se les ordres les plus
amers de ce grand Maître n'avoient pour ce
fervireur fidèle, que la douceur du miel le
plus délicieux." Pourquoi, s' écrioit-il y pom-
« quoi , ô mon Dieu , ne pas voler au pre-
" mierfignede votre volonté? O Dieu de
»j mon cœur , que votre volonté fe fade en
"la terre comme au ciel. Courage, mon
»> ame , tirons toujours du côté de la vo-
w lonté de Dieu : que fon bon plaifir foit à
•> jamais notre unique plaifir. Dieu de l'é-
" tcrniré , difoïî-il encore , quand vousm'ac-
»> câbleriez de miferes , je vous trouverai
V toujours infiniment aimable. Je veux em-
9> brafler avec amour votre divine main ,
>j quand elle ne feroit pleine que de foudres
»* pour m'écrafer. Ah ! main infiniment ado-
?? rable , je vous baiferai toujours , quelques
9> coups que vous puifliez me porter. »*
Tels étoient les fentimens de l'homme de
Dieu : en eft-il de plus nobles , de plus gé-
néreux ? Oui , à fon avis, il y avoit encore uri
pas à faire, ç'étoit d'aimer Dieu uniquement
DE M. EouDON. Lîv. ÎIL 5^9
pour lui, ôz fans aucun retour fur foi-mcme : sofi
E: c'€{ï ce quil s'eifoiçoic de faire. AufTi Airoar
quand il vit quelques Théologiens difputer ^'\'^'
à l'occafion du Livre de AL de Cambrai , û ^'''"'
on pouvoir aimer Dieu , fans avoir égard à
la récompenfe : Je ne/fais , dit il , comment
ces Mcjfieurs lente/ident i maisjefcais bien
que f aime Dieu purement -pour V amour de
lui-même. Ce n'e'll pas , die un de Çqs meil-
leurs amis, qu'il air jamais prérendu exclure
i acle ouïe motif de refpérance chrétienne;
puifqu'il fçavoit comme un autre , Se mieux
que bien d'autres, que David 5iS. Paul ont
fervi Dieu dans la vue de la récompenfe.
Maisc'eft qu'il étoit perfuadé de deux cho-
ies , l'une que Tamour pur eft très-poffibîe ;
l'autre, qu'il fait partie de cette voie excel-
lence , que TApôtre nous a montrée \
$. IV. So'a Oraifofi.
Si l'amour de Dieu efl tout à la fois î'ef- Soa
fet &c le principe de l'efprit d'oraifon , on ne Orahon,
peutguères fe rappeller ce que nous venons
de dire de l'amour du grand Archidiacre ,
fans tomber d'accord qu'il a dû erre un
homme d'une très-éminente oraifon L'ex-
cellent Ouvrage qu'il a compofé fur cette
matière , efl une preuve qu'il en connoiiToic
parfaitement la théorie & la pratique. Elle
lui étoit devenue fi familière , fi habituelle ,
qu'on pourroitdire de lui , comme du faine
* Amu'aminiautemcharifmatameliora, Et adhuc_ex- •
pcUenuorem viam vobis demonftro /. Corintk. 12, 31,
Oailon
340 La Vie
Son^ Evêque de Tours, que fon efprît en éroîc
toujours occupé : Invidum ab orationefpi-
ritum nunqiiam relaxabut.
Tout ce qui fe préfentoir à Ces yeux étoît
pour lui une matière de réflexions , & ces
réflexions ne manquoient point d'élever Ion
cœur à Dieu -, ce qui fait la fubftance de
Toraifon. Il rencontroit , par exemple , fur
fa route un jeune Prince , âgé de vingt-trois
ans , qui ne penfoit ni à fon falut , ni aux
exemples de vertus que lui av oient lai fle fes
Ancêtres. « Mon Dieu , s'écrioit^il , quel
S' malheur pour l'autre vie que d être grand
» dans la vie préfcnre ! O qu'il fait bon être
»* petit dans ce monde , oc n'y être rien àa
» tout t Faites-moi la grâce , ô mon Sau-
»* veur , d'être méprifé t de vivre ôc de mou-
w rir dans la douleur. »* Il voyoit en Alle-
magne une Eglife confidérable , où l'on exa-
ininoit auflî peu les mœurs d'un nouveau
Chanoine , que Ton examinoit févcrement
fes preuves de noblefle. « Quel aveugle-
9» men , mon Dieu , difoit il en gémiffant,
♦« Hélas , que fouvent les nobles devant le
>» monde , font méprifables devant Dieu î
>' Que ceux que les hommes choififlent ,
« font rarement ceux que Dieu appelle. »>
Il fe rencontroit dans un pays hérétique , où
les habitans étoient bien logés , meublés fu-
perbement , & regorgeoient de biens.«Mon
»> Dieu , d'ffotMl , que vous faites peu de cas
9» des richefles de ce monde , puifque vous
«^ les donnez à vos ennemis î au lieu que
Oraiioa*
DE M. BôUDON. IlV. ITT. 54Î
« VOUS réfervez a vos véritables amis des _^o^
» croix , des tribulations , âcs peines conti-
» nuelles. C'efl que vous leur préparez dans
9' le ciel un torrent de délices. Ah Seigneur !
3> que l'indigence de Tafflidion foient mon
5' partage r ie renonce aux biens du fiécle ^
11 examinoit les précautions fans nombre ,
que prenoit la Police , foit contre ^les in-
cendies en certaines villes de Bavière , ou
chaque nuit plufieurs perfcnnes font la
ronde , ôc crient de routes leurs forces ,
qu'on prenne garde au feu \ foit contre la
pefte , pendant qu'elle étoit à Rouen , en
mettant à Evreux , ôc dans les villes voifines
des fentinelîes , qui ne laifToient entrer per-
fonnefansun certificat de fanté en bonne
âc dueforme. « Hélas! difoit-il,ces pauvres
« gens font ce qu'ils peuvent pour fe préfer-,
« ver d'un feu pafTager , pour fe garantir de
" la contagion ; de prefquc perfonne d'entre
« eux ne penfe à éviter les feux éternels , ou
>y à fe fouilraire au péché , qui efl le plus fu-
« neUe de tous fes fléaux. "
C'efl ainfi que le bien & le mal rappeî-
loient Boudon à Dieu. Mais il n'avoir pas
befoin des objets étrangers pour s'y porter.
Ce grand Maître luf croit û préfent , que
feul , ou en compagnie , en repos ou en ac-
fion , en voyage ou chez lui, il fembloit ne
le point perdre de vue. La moindre dillra-
dion de cette adorable préfence "^ lui eût été
* Ces espreiïions & autres femblables ne peuvent avoir
^u'^uiisgéaéralité morale. Les hommes les plus faims ent
P;ij
O rai ion.
541 ' L A Vl E
^0^ plus rude , que la diflocation d'un de fef
membres : celle - ci n'eiu déplacé qu'un os :
celle-là auroic mis fon ame hors de Ion
cenrre. Cell ainfi qu'il raifonnoit , parce
que c'cllainfi qu'il éroir affecté. Je fens qu'on
aura peine à le comprendre j mais je fens
aufli que Dieu e/t admirable dans Tes Sainrs,
^ qu'ils peuvent tout en celui qui les forti-
fie. \m jour qu'il éroit fur l'eau avec un
grand nombre de paflTagers , il gémjflfoit fé-
crecemenr de voir qu'ils ne s'occupaient que
du fpeélacle que leur ofTroit la nature , fans
jamais remonter à celui qui en ell: l'auteur ;
cette réflexion l'ayant rendu tout penfif,
quelques perfonnes qui s'en apperçurenc^
lui en demandèrent la caufe. «« Je penfois ,
^> leur dît-il ^ que Dieu par fon immenfité
»j remplit tout Tunivers , <Sc même ce ba-
30 teau , & que perfonne n'y penfc. » Ce qui
Taiiligeoit , c'efl que ces fortes de difcours »
fi propres à rameiier à Dieu, étoient fou-
vent inutiles. « îl faut, difoit-il en lui-même
i> à cette occafion , il faut que l'efprit ôc le
j> cœur de l'homme foient étrangement dé-
ii rangés. On lui dit : Voilà des bêtes , des
« maifons , des atbres j il les regarde , il en
3i parle , il en fait la matière de fon entre-
" rien. On lui dit : Voilà Dieu , il n'y fait
3i point d'attention , il n'en dit pas un mot.»
On le plaignoit un jour de ce qu'il fe
trouvoit feul dans une voiture publiques
mais il plaignit encore plus ceux qui le phi-?
d€S diilxadions : ils pèchent par furprife > &c,
deM. BouDON. Liy. IIL 343
gnoîcnt fi à concretems. « Pauvres aveugles, Son
tj difo't-ile/7 fon cœur, j'ai bien une aurix ^'^^''^"^
» compagnie que celle que vous me fou-
" haicez. Bien loin d'avoir du plaifir de celle
» des créarures , elle me donne de la peine ,
" parce qu'elle ne Terr qu'à divertir Tappli-
i3 cation amoureufe que je dois avoir à mon
" Créateur. O hom^me, fi ru fçavois quel
» honneur il nous fait , en nous permettant
"de converfer avec fa grandeur infinie,
» que ne ferois-tu pas , pour jouir d'un bien
« fi précieux , fi divin l »
Ces vives afpirations , cerre atreniioii
coniuuelle à la préfence de Dieu , ne fai-
fi^ient qu'une partie de fon oraifon. Nous
avons vu au premier Livre ,que dès fa plus
tendre jeunefic il y paflbit une partie des
nuits , ôc fouvent les nuits toutes entières.
Cette première ferveur ne fut ralentie ni par
rage , ni par les affaires. Plus l'Archidiacre
vit fon compte s'augmenter avec les em-
plois , plus il comprit la force de ces paroles
de J. C. Il faut prier fans ceffe , & ne Je re-
lâcher jamais : & on peut dire qu'il tendic
à les pratiquer dans le fens le plus rigou-
reux. Il donnoit Je marin un tems réglé à
l'oraifon. Il y en donnoit un autre devant
& après la Méfie. Il recommençoit le foir,
& la nuit même ne pouvoir l'arrcter. Cha-
que année il prenoit furfcs occupations dix,
quinze ou vingt jours , pour jouir à l'aife
des entretiens du bien aimé de fon cœur.
C'étoit là que plongé dans le fein de Dieu ,
Piv
O difon.
^44 L A V I E
Son co'iime un poi:Von i eit dans les eaux de
i' >cciii , les femaîiics pafToien' poar lui
avec plus de rapi lire , que les heures ne
paî!*en aux mondains au milieu des faufles
jo'fs qui ies enivrent. « Non , difoit-il en
9»Ciihj}.ince ^ W n'y a point d'txercicc plus
do.ix , plus c^n'olant , plus lumineux que
sioeiiide lafainie oraifon. Elle diifipe les
P> ténèbres q'ù nous environnent -, elle ou-
*y vre les veux aux plus bcUes lumières du
3*r!iC' eî^e nous découvre les rhrcfors de
» la grâce , elle nous procure l'union divine,
« elle nous rend invincibles contrerons nos
»> ennemis , elle nous comble de toutes for-
»> -es de Di PS. »
W par(^r que roraifon palTive , qu'il a fî
bien décrire dins Ton Livre du Kcgne de
Di€î4,éum celle qji lui rc\'enoir davanta-
ge Mai<î H ne s'y livroir pas a une inaction
flupide . qui a^rçnd rour de Dieu fans raifon
d'a*rendre. S il fc preroit à l'opérarion de la
grâce, cé'!)ir en homme qui fçait qu'elle
agit , & qu'el e fait agir "^ A i/Ti ne vifoic-il
dans Toraifon , qu'a ne plus voir que Dieu ,
qu'à ne plus aimer que lui , qu'à ne plus agir
que pour la gloire , qu'à ne plus fouffrir
qiie pourvu} , qu'à s'unir intimement, fidè-
lement , tendrement aux adorables difpofi-
tîonsdu cœur deJ. C. Et c'efl pour cela,
fans doute , que l'oraifon a produit en lui
* M. Boudon corrigea dans ce Livre beaucoup d'expref-
fions , de crainte que les nouveaux Quiétiftcs ,dont le S»
Siège avoir condamné la faufle fpiriiualité , n'en abufatf-
fenc contre fon intention.
DE M. Boue ON'. Liv. III. 54J
tous les cffers qu'elle a coutume de produire -"^J^ .
^ans les plus grands Saints.
Elle lui donna, 1°. une paix fi profonde,
fi confiante , que les nuages les plus fombres
n'étoient pas capables de l'altérer : 2°. une fi
grande foumilTion au bon plaifir de Dieu ,
qu'il le béniflbit également dans la joie
éc dans les peines les plus ameres: 3^. un
amour û ardeni pour Dieu , qu'on ne pou-
voir convcrfer avec lui , entendre fes Ser-
mons 5 lire fes Lettres ou fes Livres de piété,
fans fe fentir atteint de la fiamme qui le dé-
voroit : 4^. un détachement fi univerfel de
tous les objets créés, qu'il n'eût pas voulu
que fon cœur s'attachât aux perfonnes les
plus faintes. <i O qu'il efl rare^ difoit-il, de
»> trouver fur la terre des âmes à qui Dieu-
î' feul fuffife ! Qu'il y a peu de perfonnes
»' qui puifient dire en vérité avec Thumble-
5' ôc dégagé Saint François d'AlTife : Mon
» Dieu , & mon tout ! Quand on s'eil dé-
>• fait de l'attache aux perfonnes du fiécle,
iy l'on fc prend , & quelquefois prefque*
3* fans s'en appercevoir , à celles qui fonc à
9> Dieu.»
Pour lui il gardoît une conduite abfoîa-
ment différente. Il aimoit tous les hommes ,
Se fur -tout les gens de bien: mais il les
aimoit fans attachement, fans emprelTement
pour leur eftime & pour leur amitié. Il les
aimoit en Dieu & pour les feuls intérêts-
de Dieu. «--O mon ame? fe difoit-il à Im-
i> mêiïi€> donnons toucç notre atre^tioa'i^
34^ I-A Vie
Son » Tadorable Jcfus. Contemplons- le dans?.
*^"^ ^"' » cet écat douloureux , où il fouffre une ex^*
» trême privation de toutes les créatures ,
» pour nous apprendre qu'il n'y a que Dieu
»> ïeul, à qui nous devions nous arrêter.
» Jefus ell fi peu aimé des hommes , qu'on
» voit un peuple nombreux demander fa
» mort, & crier à haute voix -.Qu'il foit
» crucifié. Les Magiilrats & le Gouverneur
'> le condamnent. Un Roi le méprife avec
'> dédain , & le traite d'infenfé. Le grand
î> Prêtre le déclare digne de mort. Ses-
w propres Difciples prennent la fuite Se
» l'abandonnent. Le plus zélé d'encre eux
>•» le défavoue avec imprécation devant une
>' malheureufe fervante. O mon aimable
>' Sauveur ! quel part aviez- vous pour lors
« dans l'efprit & dans l'e/iime dts créa-
» turesî Après un exemple fi touchant ofe-
»> rions - nous encore defirer l'eftime &
a> l'affcclion des hommes 1 Allons , mon
.»> ame , quoi qu'il puifle nous en coûter ,
« fanté, vie, réputation, amis , allons fur
w le Calvaire avec notre adorable Roi :
5^ tenons-lui compagnie avec fa tres-fainte
>j Mère 5cle Difciple bien aimé. Allons &
" mourons avec lui. Mourons au point
" d'honneur, au defir des biens temporels,
ii aux plaifirs des fens, à nos amis, à nos
« plus proches : mourons à tout , afin que
5> ne vivant plus à nous-mêmes, ni pour
w nous-mêmes , nous ne vivions plus que
« de la vie de Jefus , vie cachée eiiDieu &
« en Dieu fcul. î*^
Di M. BouDON. Liv. îlî. 347
Ce n'etl- là qu'une foible efquiiTe des fen- Son
timens , que Thomme de Dieu puilbic dans ^^^^^ûm
i oraifon. Mais ce ne lUC pas le dernier avan-
tage qu'il en remporta. S'il y trouvoic de
quoi former en lui , de quoi perfectionner
rhomme nouveau , il y trouvoic des lumières
sûres pour la fanclification du prochain.
C'étoic-Ià qu il découvroit les artifices de
Ihom.me ennemi, la corruption de la na-
ture, les remèdes les plus propres à guérir
les maladies de l'efprit & du cœur , d<. cette
fage variété de leçons Ôc d'avis, dont avoienc
befoin ceux qui de toutes parts s'adreflbienc
à lui pour avoir fes décifions. C'étoit - là
qu'il voyoic les plaies de l'Eglife , qu'il gé->
miiToic de fes maux , qu'il prioi: rEfpric
faintde former dans fon cœur ces foupirs
ineiïables qui font exaucés. C'étoit-là qu'il
fe revétoit de cet efprit de force qui lui
éroit nécefifaire , foit pour remplir fes em-
plois malgré les contradiclicns j foit pour
embellir la mai fon de Dieu , malgré les
obilacles de l'enfer «5c de fes minières -, foie
pour méprifer les dangers ôc les peines fins
nombre , dont les voies de fon zèle éroienc
parfemées. C'étoit-là qu'il pleuroit avec des
larmes de fang, l'inaction, ôc quelquefois-
les défordres de cette multitude d'Ecclélla-
iiiques, qui ne penfent à rien moins en fe
mettant fous Us étendarts de J, C. qu'à le
prendre pour la portion de leur héritage;
& que fon efprit , comm.e celui de faine
Paul 3 écoit dans la déireiTe, en voyant des»
54S 7.A Vie ^ ^
^.°" Clercs fans vocation , des Bénéfîcicrs fans^
^'^^°"' autre deffein que celui de vivre plus à leur
aife , des Abbcs , des Prieurs , des Curés
fans zèle pour ks inrérêcs de Dieu , fans
attention aux befoins de leurs frères , fans
amour pour les régies &: pour la difcipline.
Enfin c'étoit-là, & ce ne put ctre que là,
qu'il fçut amafter ce thréfor de vertus , qui,
quoi qu'en aient pu dire l'erreur ôc la ca-
lomnie, onr fait de lui un des plus vertueux
Prêtres, que Dieu ait donné à fon Eglife
dans ces derniers temps.
Nous finirons cet article par une re-
marque, qui peut - être de quelque utilité.
M. Boudon ne blâmoit pas la pratique éta*-
blie en plufieurs Communautés, de rendre
compte de fon oraifon : mais il en blâmoit
l'abus. « Autre chofe cfi: , difoit - il , de
" rendre fimplement compte de ce qu'on
>^ a penfé dans fon oraifon ; autre chofc
>' de s'occuper de ce compte durant l'orai-
w fon. Cependant, pourfuivoit-il , cet abus
>j eil fort ordinaiie, particulièrement par-
>■> mi les jeunes perfonnes , qui n'ayant pas
» grande facilité de s'expliquer, où n'étant
^> pas encore foi-t verfées dans l'exercice de
w l'oraifon , dans la crainte qu'elles ont de
^> la confufion, 11 on les oblige de parler,
»' pafTent une partie du tems delliné à la
« méditation à fe préparer à cctre reddition
» de compte. En forte qu'au lieu de s'occu-
» per de Dieu, ou des Myfleres, ou de
^ quelques vérités Chrétiennes par amour
DE M, BouDON% Liv. HT. 545?
^ de Dieu, elles font routes occupées de q^^^.
» leur Supérieur ou de leur Directeur.
« Ceux qui gouvernent les Novices dans
" les Maifons Religieufes, ou qui ont foia
« des jeunes perfonnes dans les autres Conv
w munautés , doivent veiller à empêcher
« cet abus , en ne les prelTant pour ces
>' fortes de répétitions, qu'avec une mode»
" ration qui leur lailTe la liberté de s'occu-
'^ per de Dieu.
« Le faint homme ajoutoit, que le de^
» mon ne s'oublie pas dans ces rencontres^
« qu'il fait tous fes efforts pour défoccupe^
» les âmes de Dieu , & les occuper de la
w créature , quoique fous de bons prétextes^
S' parce qu'il fçait qu'il n'y a rien de grand ,
» rien de folide à attendre d'une Commu-
>j nauté , où il y a peu d'occupation affec-
» tueufe ic cordiale de Notre Seigneur
^ Jefus-Chrift. -^ Si cela eft ainfi , que pour-
roit - on attendre de celles , où la vraie
méditation feroit prefqus entièrement in-
connue ?
§. V. Sa Religion >-
La religion, c'eft-à-dire, cette première ^a
des vertus morales , qui porte l'efprit & le ReiigicTi
cœur à rendre à Dieu , comme au Souve-
rain Maître de toutes chofes , le culte &
l'honneur qui lui font dus , devroit être
comme naturelle à tous les Eccléfiailiques*
Dévoués par état au minitlere des Autels,
rien, de ce qui. concerne la gloire de l'Etre
'5P^ La Vie
Itciflo ^"P*^^^"^^^ ^ ^"^ '^^ ^o'"^^ érigés , ne peut
'^^^* leur paroîrre indifférent. Ce fut de ce prin-
cipe f{ fécond en conféquences , que partit
le Taint Prêtre , dont nous tâchons d'effleu-
rer les vertus. La foi , qui lui rendit Dieu
préfent , ne lui infpiroit que des fentimens
dignes de fa Majeîté infinie. De quelque
côté qu'il portât fcs regards , il ne vovoic
que ce grand Arbitre de l'univers. L'idée
de fa gloire , de fa magni^cence , de fes
intérêts , du profond refpeél qui lui efl dû 5,
le fuivoit en tous lieux , & principalement
en ceux où il veut être honoré. Ecoutons-le
difcourir fur cette niatiere ic'efl notre mé-
thode , de la piété y gagne toujours.
« Je connois , dit il , &C nous femmes sûrs
que c'eft de lui même qu'il parle, quoique
fon humilité s'efforce de donner le change 5
3» je connois des perfonnes , qui dans une
3» vue pénétrante de la Majefté de Dieu ,
î> ont pour tout ce qui regarde fon culte
« une vénération inconcevable. Tous les
'> lieux & toutes les chofes confacrées au
3> fervice de Dieu, comme les Temples 5.
-> les Chapelles, lesOrncmens, les Cime-
« ticrcs , les Images , les Chapelets , les
»' Scapulaires, & généralement tout ce que
>> TEglife approuve , font pour elles l'objet
^> d'un refpeét inexpliquablc. Elles fe don-
" neroient bien de garde de faire de nos
»> Eglifes unpafïage, elles n'y entrent que
-> pour rendre leurs adorations à la Majellé
^» fuprcme.-Si elles font voyage , ôc qu'eiL^s^
SE M. BOUDON. IlV. in. 5JI
9> pafTenc devant nos facrés Temples , elles ^5^ ,
a ne manquent pas de deiccndre de ^^^^5^^**'^
w cheval , pour donnera J. C. réfidanr
53 en ces fainrs Lieux des marques de leur
« vénération pour lui. Elles font faifies de
V frayeur au moment qu elles y entrent : Se
53 fi elles font obligées d'y dire quelques
53 paroles , elles le font à voix baffe , ÔC
>3 d'une manière qui marque affez combien
53 elles font pénétrées de la prelencc de
w Dieu. Quelque part qu'elles fe trouvent,
53 n elles entendent dire quelque chofe, qui
5» regarde fa grandeur , dans l'inllant elles
53 fe fentent précipitées dans un abyfme
53 d'anéantiffement devant cet Etre intîni :
3> & c'eîl: en quoi elles ont le bonheur d'être
53 bien éloignées de ces perfonnes , qui ^
>3 quoiqu'elles falTent profeîTion de piété ^
5» parlent de Dieu en certaines occafions
>* avec fi peu de refpecl:, fi peu d attention,
53 le faifant même entrer dans leurs badi-
»5 nages, que vous diriez qu'elles ne le con-
55 noiffent pas. »
C'ert ainfi qu'en iiofrc pieux Archidiacre
le refpecV pour la Divinité en produifoit un
autre pour tout ce qui a rapport à elle. Il ne
regardoic les Sacremens qu'avec une fainte
frayeur. Il ne les adminillroit qu'avec crain-
te. Saifi, déconcerté du peu de préparation
que la plupart des pénitens apportent au
facré Tribunal , il s'écrioit avec douleur :
« Où çîï donc la foi î Qu'ell-elle devenue L
«■ J'ai connu un Prince , ajouroir-il , qui
^5-2 La Vie
Keiidcn " ?^^^ ^^ Toulager de la gravelle , dont îÎ
■> 'â^cn. ^^ ^j.^.^ tourmenté , s'abftenoit de chair , de
» poiflbn , de routes les délices de la vie ,
» 6c menoit une vie plus mortifiée que
>» celle des plus auftéres Religieux. Si un
» Confefîeur lui avoir prefcrit, non pour
» plufieurs années , mîiis pour quelques
»' mois , une pareille abftinencc , afin de k
»' délivrer des peines de Tautre vie : n'eût-
>» on pas taxé cette conduite d'indifcrétion ,
» ôc d'un zélé trop outré? Oui fans doutey
>> car on ne trouve perfonnc , ni parmi les
« grands du fiécle , ni parmi les gens âii
» commun , qui fe mortifie de la forte poHC
>' éviter les tourmens de l'enfer ; puifqu'à
»' peine en trouve t- on , qui veuillent faire
» la pénitence qu'on leur enjoint , & fuivre
" les confeils qu'on leur donne pour leur
?» falut. O hommes , ne connoîttez - vous
'* jamais affez le prix des fources de votre
3» fanclification ! «
Mais , de il nous l*a déjà fait entrevoir , jî
ne falloit pas d'aufll grands objets que les
Sacremens, pour mériter fa plus refpec-
tucufe attention ; un des cheveux de TE-
poufe l'attiroit toute entière. Ce qui la toiv*
choit , quelque petit qu'il fût en foi , lui pa-
roifToit intéreflant. Il admiroit la conduite
de TEfprit faint , à qui tout ce qui regarde
îa nouvelle Jérufalem a femblé fi augufte,
qu'il lui a donné des Minières pour fermer
êc pour ouvrir (qs portes ; pour préparer
I*encens qui doic fumer devant elle ; peur
DE M. BOTJDON. IlV. TIT. 515
allr.mcr (î^- pour porrcr la Ii niiere, dont ei'c •^^. ,
fe Icrt afin de répandre la digniré fur fts *" ^^^
Ofhce.s ; pour barrir de Ton enceinte ceux
qui par leur immc^dertie ôc î'indccencc de
leurs atritudcs oftroicnr la profaner.
Il avoi adrTiirablcmenc bien pris ces fcn^
timens religieux, & par rapport arx Mini-
flrts de l'Autel. & par rapport aux Lieux
fainrs. II honoroit fi profondénienr J. C. en
laperfonnedc fes Prêtres, qu il les recon-
duilbit toujours la tête dceouverre , &c )uC-
ques dans la rue. 11 ne leur écrivoit gi.ères
qu'a genoux. Il ne parlait jamais d'eux que
dans des termes pleins d'honneur de d'eilimc
pour leur caradere & pour leur dignité. 11
ne voyoit qu'avec indignation les Oinrs du
Seigneur frairé> d'une manière peu propor-
rionnée à réminente grandeur de leur con-
dition.
A rép;ard des IJeux iaints , fa douleur la
plus profonde étoit de les voir déshonorés ,
foir par le peu de modeftie dans les perfon-
nesou dans les polhues , foir p.ir la liberté
qu'on fe donne d'y parler mal à propos. Ce
fcandale qui frape moins, parce qu'on y efl
prefque accoutumé, le faifoit enrrcr dans
une fainre colère , que la maladie du ref-
peCt humain n'arrétoit point. Il s'y oppo-
foit fur le champ , quoique toujours avec
prudence. Il éclatoit contre dans Ces entre-
tiens, & fur-tout dans fes fermons , avec
une force, une véhémence, dont la foibleffe
de fon tempéranienc paroiffoii: incapable» îl
554 , La Vie
Sa^ prioit , îl conjuioic les Supérieurs de rcme-
^e igion ^jgj^.^ ce criminel abus. Il a fait un Livre en-
tier fnr cette matière. Son zélé pour la iMai-
fon de Dieu s'y fait fentir à toutes les pages :
ôz malgré fa douceur , on l'y rrouve pref-
que dès Tcntrée un enfant du tonnerre.
Ce que la Religion lui faifoit faire en fa-
veur des Temples matériels , il le faifoic
bien plus volontiers en faveur de ceux qui
font , ou qui peuvent devenir les Temples
vivans du faint Efprit. Nuit ôc jour il n'étoit
occupé que de la penfée d'établir le règne
de Dieu dans tous ks cœurs. Cei\ - là que
tendoient Tes Ecrits , Tes travaux , Ces jeûnes ,
fes aumônes , fes macérations , fes vœux.
Ces pèlerinages , Tes fréquentes neuvaines ,
& fes oblations plus fréquentes encore de
l'Agneau fans tache Vers la (ètç de Noël il
ccrivoit à Tes amis , pour les prier d'obtenir
du ciel par une pieufe & vive confédéra-
tion, que le divin Enfant que l'Eglife adore
dans ces faints jours , triomphât dans toutes
les parties de l'Univers. Pendant les guerres
qui ont agité l'Europe de fon tems , il fou-
haitoit avec ardeur que les ennemis de l'E-
glife fuffcnt humiliés , comme elle le fou-
haite elle-même dans fes Litanies : Se que
ne pouvoir pas la prière affidue d'un Ju/îe
fi puiOant auprès de Dieu ? Au reile, dans
les nouvelles publiques & particulières il ne
voyoit, ôc il ne cherchoit que la Pveligion,
Tout ce qui pouvoit y porter coup , raffli-
geoit fenfiblemenc j ôc ce ne fut qu'avec
DE M. BouDON. Liv.TIL 35/
bien de la douleur qu il vit un Prince écran- ^^ ^
ger,mais Catholique, s unir pour des m- ^
térêcs profanes avec des Puiffances engagées
dans l'erreur , de dont les fuccès ne pou-
voient être que funeiles à l'Egliie. « Helas !
9j difok-il, un feul degré de votre gloire,
«6 mon Dieu , eil plus confidérable que
yj coures les Monarchies du monde : cepen-
» danc votre gloire efl négligée , ôc Ton va
« jufqu'à faire des ligues pour s'y oppofer.
3> Sera-t-il donc toujours vrai , comme le
3» difoit l'Apôtre , que chacun cherchera Tes
^^ propres intérêts, de que perfonne ne cher-
^^ chera ceux de Jefus-Chriii? Mettez fin ,
3i Dieu de milericorde , à un oubli qurvous
3> eil fi injurieux. Répandez vos biens ôc vos
3' grâces fur Sion , votre fainte Eglife , Ôc
yy que l'éclat de votre gloire en forte depuis
M rOrient jufqu'à l'Occident. «
Mais rien ne fait mieux connoître le ren-
dre , le folide de la Religion du grand Ar-
chidiacre , que fon refpect pour les deux
plus auguftesMyftèresque cecce même Re-
ligion ait à nous préfencer. Il avoit fur l'un
de fur l'autre des fentimensfi beaux , û pro-
pres à réveiller la foi ,& à nourrir la piété ,
que les gens de bien ne nous pafTeroient pas
de les leur dérober.
§. VI. Sa Piété envers la fainte Trinité,
L'ineffable Myftere d*un Dieu en trois Sa pîéré
perfonnes , fi peu honoré de la plupart des ^"^^^J^J^
Chrétiens , parce qu'il en eil fi peu connu , Trinité,
3J<^ La Vie
Sa piété fut toujours le premier objet de la pîcté de
"^g'i^V^ M. Boudon. Eu plût à Dieu qtie le Chriftia-
Trinité, nifme , le Sacerdoce aTeme enflent en ce
point bien des gens qui s'eiibrçaiTent de li-
miter !
Sa foi , quant à ce premier dogme de la
Religion , fe fortifioir par les motifs , qui
l'ont altérée , ou même anéantie dans les
téméraires fcriirareurs de la divine Majeflé.
L'ircompréhenfibilké du Myftéreéroir pour
lui une raifon de le croire : il fentoit qu'une
chofe fî n blime fi fupérieure aux notions
communes de l'imelligence humaine , n'au-
roir jamais eu ni Mart) rs , rri défenfeurs , û
elle n'avoir été révélée. De-lâ ces paroles
aulTi pleines de fcns , qu'elles font pleines
de fouinflÏÏon ^ d'amour : « O Trinité in^
>■> compréhenfîble , qiii furpafTez toute rai-
" fon , tout enre'uiement , toute lumière
» des hommes 6c des Anges , & qui n'êtes
« comprife que de vous feule ! cette élé-
« varion irrfinie au defllis de ma foible ca-
» paciré , efl une vraie raifon qui me porte
» davantage à croire la grandeur de votre
»> Myllére. Les ténèbres facrées qui envi-
" tonnent de toutes parts le lieu que vous
»' habitez , m'en donnent des clartés & plus
» certaines Se plus vives. Ah ! je voudroij
« dans la fermeté que j'en reçois par votre
» grâce , donner non - feulement ma vie ,
» mais un million de vies pour en foutenir
» la vérité. Je vous fupplie en toute humt-
^>lité , que la profeiTion que j'en fais pré-.
DE M. EOUDON. Liv. III. 3/7
» fcntenitnt , le ieiîuuvelle autant de fois ^^ P'^«^
» que je rerpiitrai , ë^ fur tout au moment ^"J^aj^tlT
" de ma mort. Oi.i , Seigneur, je prends le Tcmiié*
" Ciel 3c la Teric a tcmoins , que je veux
w vivre Ck. iiiourir en cette foi , Se qi;e j'ana-
'i thémarife toutes les erreurs qui y (bnC
'' contraires. »
De cette foi il vive , û éclairée , fi capa-
ble de rapprocher (on objet , 6: de le rendre
toujours préfent , naifloicnt tous les ehets
qu'elle produit , lorlqu'cile ne trouve point
d'obfiacle à l'on opération. Un refpeâ:, qui
alloic julqu au tremblement devant cette
adorable Maj.fté , étoit le piem.ier de ces
effets , & le principe efficace d un grand
nombre d autres. Toujours plein de Tidéc
ôc de la grandeur d'un Père tout puiflant ,
d'un Verbe qui cû la Sa^cf^e par elience ,
dïin Efprit qui fonde toutes les profon-
deurs, Boudon rélégué au fond dïui dc-
fert , n'eût rien voulu faire dans £a folimdc,
qu'il n'eût pu faire devant rLnivers aficm-
blé. C'étoiî fous les yeux de ces trois Per-
fonnes, qu'il travailloit , qu'il convcrfoir,
qu'il prenoit fa nourriture pendant le jour,
ëc Ton repos pendant la nuit. Taniot frapé ,
faifi détcnnemcnt. il fe prollernoit le vi-
fage conrre r.crre -, ôc par cette pofture d'a-
néantiHement il doi noit aux Anges un fpc-
£î:acle ,qiLe les hommes ne pouvoitnr avoir
qu'à la dérobée. Tanrôr pr.^fondément re-
citeilli au-dedans de lui même , il demeu-
xoit , comme un courtifan devant Ion Prin-
5c8 La Vie
Sa piéîé ce, ^ans nn humble filence , pour écourct
^'^falnu l^'^SagCiTe ércrnelle qui lui parloir au cœur.
Trinité. Tantôt , comme un lidéle fervireur , il ac-
tendoit en paix les ordres d€ fon Maître ,
pour courir au premier fignal , où fa voix
daigneroit l'appeller : & c'éfl pour cela
qu'en fa maifon il demeuroit prefque tou-
jours la réte découverte.
A ce profond refpect pour les trois au-
gures Perfonncs de la Trinité , fe joignoic
une converfation , une efpéce de fociété
toute célefte. D^ns ces communications in-
times , qui ne peuvent fe bien décrire que
par ceux qui en ont gouré la douceur , le
laint Prêtre s'entretenoit tantôt avec le Pcre,
dont il béniflbitla toute-puiflance , qui l'a-
voir, comme toutes les autres créatures,
ciré du néant pour la gloire de fon nom j
tantôt avec le Fils , dont il adoroit les gran-
deurs , èc qu'il remercioit tendrement de ce
qu'après avoir fouffert la mort pour fon fa-
lur , &z pour celui de tous les hommes , il
vouloir bien encore être leur aliment dans
î'Euchariftie ; tantôt avec le faint Efprir ,
dans lequel il exaltoit la bonté infinie , par
laquelle il fandlifie nos âmes. En fon par-
ticulier il lui rendoitde très-humbles adlions
de grâces de ce qu'il l'avoir fait Chrétien ,
régénéré , nourri &c fortifié par les Sacre-
mens , honoré du Sacerdoce , fout en u &
béni dans fes fonctions.
De là rentrant dans une vue plus généra-
le des perfedlions , qui font communes aux
Bï M. BoUDON. Liv. III. 5/9
trois adorables perfonnes , il fe reriroit avec Sa pî6é
k Fils ôc lefaint Efprirdansk feindupcie, ^^.^.^^^^^
pour y puiler par grâce la force , la vie , Trinité,
la fainteré , quelles ont par nature,
ce Quel repos, difoir- il;,- car il n'apparrienc
qu'a lui de donner du corps à. des matières
fi fublimes & û fpirituelles , »• quel repos
» pour un Chrétien , quiconfidére par tout
« la Trinité fainte avec Tes grandeurs : qui
>j voie cette PuiHance fuprcme à qui toutes
« les créatures de lUnivers , &c les démons
sj mcmc font afiujettisdans les enfers ? Que
« doir craindre celui qui eft appuyé fur un
yt tel bras ? Si Dieu eft par - tout avec Ces
i> grandeurs , il ell: donc par- tout avec fes
3j bontés divines , & les bontés d'un Père
Si infiniment riche en miféricordc. Il y ell
» donc avec fa fagelTe qui gouverne toutes
9> çhofes , & qui difpofe de tout d'une ma-
w niere admirable. Il y elT: donc avec une
9» Providence , qui accable de fes bienfaits
93 les foibles créatures j qui étend fes ailes
» fur elles , comme un aigle fur fes petits -,
3* qui les charge fur fes épaules -, qui les
» porte dans fon fein comme une tendre
w mère , qui rient leur nom écrit dans fes
w mains , & qui protefte qu'elle ne les ou-
>* blira jamais , qu'elle veille à leur garde
i> avec des foins admirables , & que chez
« elle le dernier de leurs cheveux eft en li-
*> gne de compte. Quel moyen après cela
9i de ne pas mettre toutes fes efpé tances dans
¥ un Dieu fi puilTanc , fi bon , fi libéral ,
3^o La Vi E
Sa piéré „ ^ de ne s'y pas repofer avec une pat-
''ia'mJ' " ^'^^^c tranquillité : »
Tniiité. Mais de toutes les peifeclions de la Tn-
nité , il n'y en avoit point qui le touchât ,
qui enlevât fon cœur comme la fainteté.
Au nom du Dieu Saint & trois fois Saint , il
fe voiloit la face , il s'a néanti (Toit comme les
Chérubins : » Dieu de l'éternité, s écrioit-il^
»> vous êtes infiniment faint , & votre di-
*' vine parole nous apprend que perfonne
» n ert faint comme vous. l'ere Eternel ,
»> vous êtes faint , parce que vous ères tout-
y puiflant , &c que le péché n'eil: qu'un effet
w de la foibleiîe & de l'impuilTance. Fils
M unique du Père, vous êtes faint , parce que
>* vous ê es la fagefTe même , & que le pé-
» ché n'eA que folie & qu'illufion. Efpric
w du Peie 6c du Fils, vous êtes faint , parce
« que vous êtes la bonté fublian"icllc , 3c
»> qu'elle ne peut s'allier avec le mal du pé-
« ché. C'eil donc avec vérité que vous ré-
y> pétez tant de fois dans vos Ecritures, que
9> vous ères faint. . . . Votre erre c/l la fain*
» ceté même : & c'eil ie Cantique, que les
if Séraphins chantent inceiTamment à votre
5> gloire. Mais fouffrez, ô Père de miféri-
«cordes, que vos pauvres créatures de ce
w bas monde mêlent leurs foiblcs voix avec
if CCS Efprits fublimes, pour chanter, &
» pour publier de concert avec eux, que
3* vous êtes le Dieu faint i & que vous n'ap-
i> peliez votre peuple une nation fainte ,
5> que dans la vue de lui communiquer
w votre^inteté. Ces
DE M. BouDON. Liv. m. )6l
Ces fentimcns fi dignes de Dieu qui ks Sa piété
infpiioir , Boudon eue voulu, au prix de ^^a^^'j^
fon fang, les voir répandus dans toutes les Tm.ué.
parties du monde. Et ces fouhaits n'étoienc
pas chez lui de vaines ôc ftériles idées.
Dans Ces vjfites , ks voyages, ks miïïîons,
par-tout cil il trouvoit des perfonnes qui
ignoroient , ou qui ne connoiiïoienr pas fuf-
filamment ce Myftere capital de la Reli-
gion , il les en inflruifoit avec une patience
que la ftupidité la plus groffiere ne reburoic
point.Il apprenoit à chacun ; félon fa portée,
la manière d'honorer , d invoquer , de fervir
ces trois adorables perfonnes. Si quelque
chofe dans ces occafions eût pu faire fuccé-
der l'indignation à fa douceur naturelle ,
c'eût été la négligence de quelques Pa/leurs,
qui n'étudioient , ni pour eux , ni pour ks
autres, ce dogme important, dont la médi-
diration ne fert pas moins à l'amour qu'à
la foi.
Ce fut pour remédier à ce défordre, qu'il
parla fi fouvent de la fainte ôc furadorable
Trinité dans ks Ouvrages , & qu'il en corn*
pofa un dont elle eft l'unique fujet. Mais ,
à fon ordinaire , il joignit conftamment la
pratique aux Ecrits. Il offroit fouvenr l'au-
gufte facrificc pour honorer ce grand My-
ftere. La kiç, de la Triiiiré étoit pour lui la
folemnité dts folemnitcs. Il invitoit à la cé-
lébrer dignement tous ceux à qui il con-
noidoit du goût pour la folide piéré. Ses
penfées , fes paroles , fes aclions , ks fouf-
Q
5^i La Vie
Sa piété frances éroîeiit auranr de viccimes , dont iî
■'YJ^ll^ lui failbir hommage. Le nombre de trois ^
Jinmé. que les efpnts céiei"tes,enchanranc fa fain-
teté infinie , ont çonfacré à Ton honneur <
revenoic fou vem dans fes exercices de dévo-
tion. C'ell ainfi qu'il jeûnoit trois jours,
que dans une EgUfe il vifitoit trois Autels »
qu'il donnoit laumone àtrois pauvres hon-
teux , qu'il récitoit trois fois le Chapelet
compofé pour adorer le Père par le Fils , 8c
le Fils comme le Père par FEfprit faint , Qui
eH le lien de tous les deux. Quoiqu'il n'y
eût aucun Ordre Religieux qu'il n^imat
très-fmcerement , il avoit néanmoins une
fmguliere affection pour celui de la Mercy ,
que fon nom feul invite à glorifier fans
çefTeun feul Dieu en trois Perfonnes : ôc
qui pour en foutenir la créance a fi fouvenç
prodigué fon fang &C fa vie.
§. Viï. Sa Piété envers l'Himamté
fainte de Jefus - Chrift,
Parmi les illufions des nouveaux Myfti-
^envefs^ ques , il s'en eft trouvé une , qui feule étoit
rhuma - capable de décrédirer leur fyllême. Sous
J^'t. ^^ prétexte d aller immédiatement à Dieu , &?
' de fe perdre dans fon fein par la fublimiré
de leur contemplation , ils dédaignoicnc
tous les objets fenfibles. Un coup d œil fur
les Saints , fur la mère de Dieu , & n-^êmc
fur l'humanité du Sauveur , n'étoit.propre ,
/çlon eux, qu'à les déguadero C'étoit le bie
DK M. BOUBON. LlV. îîî. ^6^
des enfans , ce ne pouvoir erre la nourrirure ^^ ^'"^^^
des parfairs. iT'-^!^^^
Saine Paul, quoiqu'éîcvé jnrqu'aii rroi ni-^' de
fiéme ciel , croir bien éloigné d'une fi mon- ^- ^*
iîrueufe opinion. S'il fçavoic médirer ces
ineffables fecrets qu'il avoir enrendus, il ne
fçavoic pas moins bien médireu J. C. dc
J. C. arraché à la croix. Il le voyoir par rour,
il en parloir fans celle. C'eft de J. C. qa'ii
croir Amba(!adeur(5(: Minillre plus qu'au-
cun autre. C'eft pour J. C. qu'il fe livroic
à la mort tous les jours de fa vie. S'il fcait
quelque chofe fur la terre , c eft J. C. qu'il
fait profcffionde fçavoir. Un Apôrre fi pleiii
de l'Homme Dieu , n'éroit pas difpofé à le
metrre à l'écart , comme un objer dont le
fouvenir auroit pu rerarder les progrès de
fon union avec la Diviniré.
Inltruir à fon école , 6c formé par fcs
leçons , le grand Archidiacre d'Evreux fe
fir un devoir de penfer comme lui, La voie
d'une conremplarion abihaite , qui exclut
toure penfée de J. C. lui parut une erreur;
& c'eiî ainfi qu'il en parle dans fa vive
flamme damovr. Quoique très-éclairé fur
les grandeurs divines, quoique fouvenr &
très-fouvent plongé dans la vue ^ dans
l'amour de la fainrc Trinité , il eut un foin
particulier de fuivre dans tous fes états l'hu-
manité du Sauveur , de de s'unir à lui par
les plus vifs& les plus tendres fentimens.
Si comme un cerf il s'éleva jufqu'au fom-
met de ces montagnes , où la vérité fait en-
Qij
3^4 ^ A Vie
Sa piété tendre îmmédiarement fa voix , il fçnt, com-
rhuma - ^^ ^^ colombe , fe cacher dans les trous
cité de de la pierre , ôc s'y mettre à l'abri des in-
^* ^' fuites du milan. Mais n'oublions pas que
c'eft l'homme de Dieu qui doit parler ici ,
ôc que , lorfqu'il s'agit de fon amour pour
J. C. perfonne ne peut le rendre , comme
il fe rend lui-même.
« Ah , mon très-doux Sauveur j difoit-îl,
" que mon ame fe fépare de mon corps en
» prononçant votre divin nom ! O aimablç
" Jefus,& plus aimable un million de fois
" qu'on ne peut le dire , que je vous aiç
'* toujours en la bouche & au cœur ! O Sei-
" gneur , à qui irons-nous , fi nous n'allons
« à vous ? Vous êtes la voie , & quiconque
s> en fuit une autre , eil dans l'égarement.
" Vous êtes la vérité ; celui qui ne vous
" écoute pas , efl dans le menfonge. Vous
» êtes la vie » celui qui n'ell: pas uni à vous,
>i e/l dans la mort, j?
«Non , pourfuhoiMl , ce n'eft que par
» ce divin Médiateur , que nous allons à
>j Dieu feul. . . . Pour moi , c'eft dans ce
« divin fancfluaire de la très - fainte huma-
9' nitédeJ. C. que je vois dans un grand
« jour les vérités de l'Evangile. C'eft - là
» que je vois , à n'en point douter , que le
« bonheur de cette vie confille à y être ^
» malheureux j que toutes les croix qui
»> nous arrivent , doivent être reçues à ge-
»' noux , avec de profonds refpeéts, & tou-
w te la reconnoiflance poflible.
Di M. BOUDON. Liv. III. 5^/
Ces tendres fentimens avoient pour bafe Té- ^^ P'^*^
, o . I I envers
rude réfléchie qu'il avoir faite des grandeurs iiuma-
de fon aimable Jefus. Il en naiiToit en lui un ^-^^ ^^
mouvement d'amour & de tendrefîe , que
routes les eaux de la mer n'auroient pas éteint.
" Certainement , difoù • il , tout ce que les
'j Anges ôc les hommes pourroient fe figurer
'^ d'aimable, fe rencontre dans mon Jefus. Il
» eil infiniment aimable , à raifon de Ces
•> grandeurs divines ; puifqu'il poiTede la
« plénitude de la Divinité corporeliemenr.
« Il eft infiniment aimable à raifon des per-
« fedtions de fa très-fainre humanité -, puif-
j> que ces perfections charment tous les
» Saints , & que leur contemplation cm-
5> brafc dans le ciel les plus hauts Séraphins.
5* Il cft infiniment aimable à raifon des
w obligations infinies que nous lui avons;
3* puifqu'il nous a délivrés des tourmensin-
»i finis de l'enfer. Il ell infiniment aimable
>» pour tous les biens qu'il nous a mérités;
5' biens infinis dans leur grandeur , puifque
w c'cft la pofTelTion de Dieu même -, biens in-
w finis dans leur durée , puifqu'ils font étcr-
» nels \ biens infinis dans leur totalité, puif-
»» qu'ils font l'affemblagc de tous les biens.
« Enfin mon Jefus eft infiniment aimable ,
« à raifon de la manière dont il nous a ai-
« mes. Tous les momens de fa vie divine-
5» ment humaine étoient plus précieux , que
5> le bonheur éternel de tous les prédefiinés;
« cependant il a bien voulu la donner pour
» nous. O mon eœur , mon cœur , élargii^
Cîiij
.3^^ La ViB
^'^^■^^/j^'^ifons- nous donc ici , pour nous laiflcr
rhuma- " perdre dans cet ab) Tme d'amour. Mais
rite de « pouvons- nous bien conrenir nos hrmes
" fur nos froideurs, nos glaces , nos ingra-
" ticudes ! Pour les pleurer, il faudroic des
5j rorrens qui coulaflent de nos yeux autant
^' àc rems qu'il nous en re/le à vivre. Mais
3> héias ! on ne voie fur ce point que la plus
>> déplorable infenfibiliré. »»
'iOn pafîe les jours, les femaines^ les
« années. & prefque toute la vie dans une
" continuelle occupation des chofes de la
5> terre -, pendant que l'on vit dans un oubli
» perpétueldes obligations infinies que l'on
« doit avoir à l'aimable Jefus. Car enfia
»' quelle part a-t-il dans lesdeffeinsdeshom-
»-> mes , dans leurs penfées, âms leurv af-
» faires , dans leurs difcoars? Hé ! quelle
5^ part lui donne-ton même dans Ces prie-
3' res & dans Ces actions de piété } Hélas l
^y vous diriez que ces prières Se ces actions
^3 de piéré ne font que des bagatelles, tant
« on y apporte de langueur ôc de difira-
3> étions *, ôc fouveiit avec cela une demi-
5> heure de temps dans un exercice Ci mal
'> fait , paroît bien longue à plufieurs^ Se
^> leur donne de l'ennui. »■»
Pour dédommager en quelque forte le
Seigneur Jefus d'une indifférence auifi ou-
rrageufe, Boudon Tétudioit tous les jours
de fa vie. C'efl dans ce grand livre qu'il ap-
prenoir le mépris de foi - même , l'obéif-
ilsnce à Ces Supérieurs , la douceur enver^r
DE M. BOUDON. Liv. lll. 5^7
tenx qui lui éroienc fournis , la compaflîon Maniéré
envers les pécheurs, la libéralité envers les i^^uma-
pauvres , la chariré envers tous les hom r.ité de
mes , le pénible amour des ennemis- Ceft ^' ^*
fur ce divin modèle qu'il compaffoit routes '
fes aclions , qu'il régloit routes les démar-
ches , qu'il dirigeait tous les mouvemens de
fon cœur. Pour rout dire en un mot , J. C.
étoit fa vie 3 fon thréfor , fon amour , fes
efpérances , fes délices , fon Médiateur ,
fon Dieu , fon Tour.
Cet amanr paiTionné du Dieu Sauveur,
cet homme fi fcnfible aux biens que Jefui-
Chrift efl venu apporter fur la terre, de-
voir faire , & fit en effet toute l'eftime pof-
fjble de la grâce du Chriftianifme j grâce ,
qui unit hs Fidèles à l'Homme-Dieu, corn-
mêles membres à leur chef , &qui, comme
parle l'Apôtre, les fait os de fes os. pour
ne faire de lui & d'eux qu'un feul corps my-
fiique. Il étoir fi touché de cette faveur ,
qui , dans le premier des Sacrem.ens de la
nouvelle loi , nous fait enfans de Dieu , hé-
ritiers de fa gloire , frères 6c cohéritiers de
Jefus-Chrill: , temples de TEfprit- Sainr,
Roix &: Prêtres ; qu'il auroit en quelque
forte defiré qu'elle devînt la matière éter-
nelle de tous les livres , de tous les entre-
riens , de toutes les prédications. Son ar-
deur fur ce point redoubloit avec l'âge. II
n'étoitprefque plus niairrefurla lin de fes-
jours , ni de fa gratitude, ni des termes qui
l'énoncoient, 11 en parloir à rout le monde ,
Qiv
5^8 ^ L A V I E
Sa piété àfes amis, à ceux qui étoicnt fous fa con-
envers , , ,, ^ . . ,
rhuma- cluite , aux perionnes qui avoient quelque
iiité de rapport à lui. Ses Ouvrages , fes Lettres ,
^' ^' its difcours en ctoient pleins.
"Je difois &redifois, la faintc nuit de
Noe'l , écrivoit-ilà un pieux ami , ** je di-
" fois : Tôt us in me Chriflus , totus , totus»
'^Oui, Monfleur 5 il faut cefler de vivre
5^ de notre vie , pour ne plus vivre que de
ii la vie de Jcfus-Chrift. Tout ce qui eft en
«nous: nos deilcins, nos converfations ,
« nos foufFrances » nos adions les plus vi-
-= les , tout doit être digne de l'Homme-
i^ Dieu. »
Quoique le faint Efprit l'appliquât d'une
manière admirable à toutes les difpofitions
intérieures & à tous les états de ce Premier
né d'entre les morts \ dont il l'avoit rendu
frère par la grâce du Baptême \ il eft fur ce-
pendant qu'il étoit lié par un attrait parti-
culier à la vie cachée , aux fouffrances & à
la charité du Sauveur. Celui de fes Ouvra-
ges qui a pour titre : La vie cachée avec Je-
Jus-Chrifl en Dieu , en efl une preuve des
plus fenfibles. « Pour moi , dit un de it^
« amis , je confefle que fa ledure m'enlève-,
jj & il m'a paru que M. Boudon y étoit en-
" tré fi avant dans toutes les difpofitions
w du Verbe fait chair , que pour parler avec
" l'Apôtre , il a pris avec tous les Saints les
wmefures de la charité, de l'humilité &
*> des autres vertus de fon Sauveur. Car ja-
** mais il n'auroic pu nous donner les traits
deM. BoUDON. Liv. III. 3(^9
ii de ce nouvel homme , de cet Homme- Sa pléiê
» Dieu avec tant de lumières , s'il ne les inhuma!
« avoir eu lui-même profondément gravés niié d*
»j dans Ion c<i;ur. » ^' ^•-
Auiïi tâchoit-il de les exprimer tous , <5c
fur-tout ceux qui retraçoient parfaitement
les peines , les humiliations , TanéantifTe-
ment de fon divin Maître. « Ne feroit-iî
» pas honteux , drfoit-il d'après S. Bernard ,
" de voir les membres d'un chef percé d'é-
» pines , vivre fans peine & fans afflidion ?
"Et que peut-il nous arriver de meilleur,
>* que ce qu'un Dieu a eu pour fon partage?
** Qu'eft-ce que le Père éternel a accordé à
>* fon Fils bien-aimé , fmon dts croix , des
"Opprobres & une mort honteufe ? Le
" monde , il eft vrai , n'en'"end point ces
" vérités \ la nature ne les goûte pas : mais
»* le vrai Chrétien qui fe conduit par \cs
»• règles de la foi, &l qui a en lui même les
" fentimens de J. C les conçoit parfaitc-
" ment. Et c'ert pour cela que s'uniffant par
"laparrie fupérieure de fon ame à Jefus-
*' Chrifl foufPrant , il adore la divine mahi
" qui le crucifie-, il l'arme» il la remercie ,
"il fe foumet entièrement à fa conduite.
>» Certainement ^ après re'lime q ic Jcfus-
»> Chrirt, notre bon Sauveur , a fait des
'> fouffrances , comment ne pas voir qu'cl-
" les font d'nn prix inellimnbîe î Comment
" ne pas profiter des leçons (S: àts exemptes
^ d'un fi grand Mairreî »
» C'cil , difoitîl encore , c'eil J. C. qui
Qv
57© La Vu
Sf pi^té „ efi toute la religion eu ciel 8c de la terre J
rhum" " ^^^ parfait Chti/lianirmecoijfifle à l'ai-
n'ité de » mer & à l'imirer. C'eil , comme l'aiTure
•'• ^: « S. Faul , le fondement unique fur lequel
3J tous les érars intérieurs font appu)és. »
Ce fut fur cetre pierre vivante & érerneîle,
que le grand Archidiacre fonda rédifice de
fon falut : &c c'eft pour cela que ni le vent
impétueux de la tentation , ni les fleuves
âts afflidions ne piiient jamais Tcbranlcr.
Heureux, qui fçait comme lui bâtir fur u»
fondement ai'ïTi foljdc : il fouriendra fans-
confuiion le regard de fes enneiTiis , lorf-
qu il leur fera confronté au tribunal du
fouverain Juge. Non cofifundetur , cum lo*
quetur iriimicisfitis wportâé
§. VIII. Sa Piété envers le îrès-faint
Sacrtmcm de l'Autel,
Sa pié é ^^'^ grand homme difoit autrefois que \ù
«nvers vic du vrai Chrétien eft une vie d'étonné- -
^'.^".'^'^^■' ment 6c d'admiration j fi à ces fenrimens-
vous ajoutez Tamour le plus vif, & la plus
parfaire rcconnoiffance , vous aurez les plus
beaux rraits de celle de M. Boudon
il ne fe laflbir point d'admirer Tinfinie
bonté , avec laquelle fon aimable Jefus
fait fur la terre fa demeure dans nos Ta-
bernacles. C'eft à cette occafîon qu'il b'é-
crioif : » O Dieu d'amour , qu'une ame de-
'> meure étrangement érontîée , lorfqn'à
« l'aide des rayons de la grâce , elle dé--
»>; couvre une vérité û confolame 1 Sou eÇ:
DE M. BouDoM. Liv. Iir. 571
3J prît reile tout inrerdir. Elle fent que Sa piété
5> quand une créarurc parleroit le langage i4Tcha^-
" des Anges 3c des hommes , elie ne pour- riftie,
» roic donner qu'une foibîeidée de la bonré
" par laquelle le Dieu des miféricordes
"s'elt choiiî une demeure parmi les hom.-
" mes. »>
Mais plus cette faveur artendrifToir le
cœur de notre falnt Prêtre , plus il fouilToic
de voir combien peu la plupart des Chré-
tiens y font d'attention. Il a ini-mcme avoué
qu'il étoit inconfolable de voir le Dieu d'a-
mour fi méconnu ^ & l'horreur qu'il avoic
pour le monde , venoit en partie de ce qu'il
ne découvroit en lui que la plus ilupide in-
fenlibiliré à l'égard de fon Créateur (S: de
fon Sauveur. « Ah ! mon Dieu , difoit-il ,
y> faut il que vous ayez pour les hommes un
" amour fi excelTif , & qu'ils foient fi in-
'j grats , fi infenfibles ! La plupart des Egli-
'^ Tes de la campagne font défertes pendant
"toute une femaine j Jefus -Chriil: y elî
5j comme un paiTereaufolitaire , & comme-
5' îe pélican dans le défcrt. Perfonne ne va
5^ lui tenir compagnie : efl-il une dureté de'
'^ cœur auiïi prodigieufe ? On fe fait un
" honneur défaire fa cour aux Rois & aux
'j' Princes de la terre: le Roi des Rois refte
» feul \ ôc quoiqu'il foit affis fur le thrône
« de fa'miféricorde , perfonne ne va lui'
» demander des grâce*;. Votre auguftc Sa-
s^crement , ô Dieu d'amour , devroit être'
?^îe rendez-vous de tous les cœurs afitigésv
Ovj
37^ , La Vib
Sa piété „ lethréfor de tous les pauvres, l'afylc cîe
envers , ,, ^, . \. ^ , y
l'Eucha- " foi-^s les malheureux , le pain fpirituel de
riitie, w tous les faméiiques.Une feule heure pafféc
»■» à vos pieds , vaut mieux que mille autres
i> pafTéesdaiis les tabernacles des pécheurs:
y> cependant vous n'êtes ni vifîté, ni adoré,.
5* ni aimé. O charité fans bornes , n'aura-
»* ton jamais de retour pour vous, Ôcc. »>
Il invitoit de routes Çts forces à ce juAc
retour tous ceux qui vouloient bien en-
tendre fa voix , & rien ne l'eût plus charme
que de les voir fe réunir, comme à^s aigles,
autour de ce corps adorable. « C'eft - là ^
» écrivoit-il , qu'il faut nous rendre avec
3i toutes les ardeurs poflîbles , pour lui of-
« frir avec le facrifice de nos cœurs celui
^> de nos vœux ôc de nos adorations. Ve-
«nez donc y adorer la Majeflé divine, le
'» Dieu de l'Univers. Mais fouvenez-vous
^> bien q^u'il çli écrir , que les hommes doi-
3> vent s'anéantir d'une religieufe frayeur >
>« en entrant dans le fanduaire où il ha-
w bire avec toutes fes grandeurs, »*
Rien de plus beau , de plus Chrétien que
ces fcntimensiBoudon ne s'en contentoitpasj
il étoit cxad à les mettre en pratique. S'il fe
réveilloit la nuit ^ comblé de joie dans la
penfée qu'il auroit bientôt le bonheur de cé-
lébrerruQ mon âmCydifoit-il^nom iietarde-
« rons pas à entrer dans la maifon du Sei-
i> gneurlNousTadoreronsdansfon faint tem-
>i ple,& nous bénirons fonnom.»S'iIprenoic
(es habits, il difoit; « Que vos Prêtres,
DE M. BouDON Liv. III. 373
» Seigneur , foient revêtus de juftice , ôc Sa pîété
•» que vos Saines treffaillent d'allégrelTe à i4ucha-
»» l'approche du moment , où ils auront le riftie,
w bonheur de vous podéder I » S'il entroic
dans une Eglife : « C'efl ici mon repos , ^î-
»*/o/r-î7 , c'eftma demeure dans les fiécles
>' des fiécles , parce que le Seigneur Ta choi-
« fie. Que chacun prenne paiti à Ton gré y
w pour moi je veux que ce lieu foie ma plus
>» douce Ôc plus continuelle habication. Il
>» fera à mon égard cette tour de David,
w d'où pendent mille Boucliers , une Cité
»» de refuge , un Sandluaire inviolable , un
>rafylc alTuré dans toutes mes tribulations.»*
Une deschofes qui le touchoit davanta-
ge dans fes réflexions fur ce myfiere d'a-
mour , c'ell l'extrême facilité avec laquelle
le Sauveur s'y laifie approcher. <• Quelle
« bonté , difoit-îl , Jefus-Chrifi eft pendant
" toute la femaine dans nos Eglifes les plus
»> abandonnées , afin que le pauvre peuple
>' n'ait pas, les Dimanches & les Fêtes , la
»> peine de l'aller chercher bien loin. Ce
»* Maître fouverain du firmament n'a point
>» de gardes , qui éloignent de fa divine
» perfonne ceux qui veulent l'aborder. Tou-
» tes les avenues du Palais de ce Roi de
3' l'cmpirée font libres. O vous, qui êtes
» affligés , confolez-vous : celui qui fandli-
« fie les cœurs ,&: qui remplit parfaitement
» tous leurs defirs , cft à vous. Pauvres , ré-
»> jouiflez- vous : vous pouvez jouir d'un
«* bien iramenfe j ôc pendant que les Grands
,574 L A Vie
$a pîété cja monde vous rebnrent, le Roi des An-
envers -, u i-
TEucha- " ë^s VOUS donne toute 1 audience que
riftie. » vous pouvez fouhairer. 11 fe plait a vos
» entretiens, pourvu qu'ils panent du cœur;
" il vous remplir de fes grâces , il vous mec
>> au nombre de fes plus chers favoris. »>
Mais 1 humilité Ôc lanéantidement font
les leçons que ce digne Prêtre apprit le
mieux aux pieds de la Vi^limcqui s'immole
fur le faint Autel. Voici comme il s'en ex-
pliquoit , & le peut-on faire d'une manière
plus fenfce , p4us touchante J
« Si Jefus-Chrift efl: méprrfé fur le Cal-
w'vaire, il y eft glorieux par les merveilles
>^ qui s'y opèrent. Les pierres fe fendent ,
»^le foleil s'éclipfe , les monumens s'ou-
>' vrent , les morts reiïufcircnr : mais dans
" TEucharirtie fon immolation eiî route en-
« tier« , & fes humiliations y font portées
">' jufqu'à l'excès. Encore , s'il y paroîfToit
5^ enfant , comme dans la crèche , ou hom-
" me comme fur le Calvaire. Mais non : "
" l'homme & le Dieu difparoilTent , Sz les
'^fensne découvrent que les foiblcs fym-
^boles fous lefqucls il eft enveloppé. ..*..,
^' O mon ame , écoute à loifir la leçon que
>^te fait ton bon Maître dans cet adorable
j> Sacrement. Oui , après un anéantiffement
" û profond, notre plus grand bonheur'
«doit être de porter avec douceur, avec
'^ paix , avpc amour toutes les abjections
'' poffibles. C'eft dans ces abjeélions qinï
'^-faut mettre le point d'honneur j ôc le mi-
DE M. BoUEON. LiV. ÎIL ^7)
w pris doic faire le fujer de notre gloire , Sa fréter'
Nous avons vu dans THifloire du grand riilie^ .
Archidiacre , qu'il fçut parfaitement réali-
fer ces nobles idres. Il facritia au Sauveur
anéanti fa réputation, fa fanté , fes biens,
fes efpérances. Et pour peu qu'on réfiéchifie
fur l'ardeur de fa foi , on conviendia, qu'au
moins par rapport à lui-même il n'outroit
point les chofes , lorfqu'il difoit dans l'excès
de Con zélé , qu'un Chrétien , qui dans cet
augufce my/lere étudie Jefus-Chrilt tout
brûlant d'amour pour les hommes , n'hé(i-
teroit point à lui facrificr tous les hon-
neurs du monde , toutes ks xVIonarchies de
la terre, toutes les couronnes de l'Univers^
rUnivers lui-mcmc tout entier , & un mil»
lion d autres , s'il les avoit en fon pouvoir.
Or ce qu'il piatiquoit fi pleinement à l'é-
gard de la divine Eueharifiie , il s'eîîorçoir , ^
autant qu'il lui croit poilible , de le faire
pi-atiquer à tous les Fidèles ; & fon indu-
flrieufe charité lui en fournifibit un grand
nombre de moyens. Il exhortoit ceux qui
avoient quelqueconfiar.ee en lui, à s'ap-
procher fouvent & dignemcnr de la fainre
Table j à rendre vîfite au Fils de Dku dans
nos Tabernacles i a l'accompagner avec un
profond refpecl , quand on le porte aux
malades ; à faire fouvent célébrer le redou-
table facriiîce j à orner les Autels ôc les
Eglifes; à procurer que celles-ci ne fuficnt
dsfîcrvies que par des Miniilrcs félon le ,
37^ L A V I I
Sa piété cœur de Dieu j à communier fpirîtuelîc-»
rtîl'cha- l'ï^ent , & cela plufieurs fois la nuit ôc le
siùie. jour, félon i'excellentc méthode qu'il leur
en donnoiti à prendre parti dans cespieufes
Aflbciarions , dont la fin principale eft de
rendre à l'Agneau immolé i'iionneur & la
gloire qui lui font dus -, à le faluer fouvent ^
ôc fur tout en entrant ôc en fortant de fa
chambre , par ces paroles : Loué foit à ja*
mais le très-faint Sacrement de l Autel ; à
poner un refpedt fingulier à tous les Ec-
cléfiaftiques , qui ont l'honneur d'appro-
cher de fi près de ce Roi de Majefté \ à de^
mander avec ardeur de dignes Miniîlres à
celui qui fcul eft la porte par laquelle on
puifle entrer , & qui l'ouvre & la ferme fé-
lon fes deflcins éternels. Ce fut par ces pra-
tiques auflî folides qu'elles paroiflent fini-
ples, que M. Boudon enfanta tant d'ado-
rateurs à l'Hommc-Dieu anéanti fous les
voiles Euchari/liques. Chacun peut en faire
l'cflai : il n'y a rien à perdre , & nous fom-
mes sûrs qu'il y aura beaucoup à gagner.
§. IX. Sa 'Dévotion envers la très-fainte
Vierge,
Sacîévo- Nous ne pouvons mieux commencer
*fa"nte^ cCt article , qu'en donnant une idée des
Vierge, grands biens qui font attachés au v rai culte
de Marie •,& cette idée nous ne la donne^
rons jamais plus jufle , qu'en l'empruntant
àçs fentimens Sc des paroles du grand Ar-
chidiacre d'Evrcux: « La dévotion à l'adq
DE M. BouDON. Liv. III. 377
>^ mirable Mère de Dieu , difoitil , porte Sadéfo.
» avec foi tant de bénédidions , que Téter- "f^^Jg *
'i nité toute entière ne fera pas trop longue vierge. ♦
»> pourreconnoître les biens qui en décou-
5^ lent , Ôc dont le prix elt un thréfor caché
" à la terre. . . . Les pauvres y trouvent des
" richeiles pour le foulagement de leur in-
" digence ^ les malades, des remèdes à leurs
'> maux ^ les ignorans , de la fcience j les
'^ foibles , de la force ; les afRigés , de la
« confolation ■■, ceux qui font dans la peine,
" du repos j ceux qui vivent dans Tinquié-
j^ tude, de la paix. Les pécheurs y rencon-
wtrentla grâce j les juftes, leur fandliiicâ-
« tion i les amcs du Purgatoire , leur déli-
i> vrance. Enfin il n'y a point de condition
a» qui ne participe à ks faveurs i point de
3' nations , point de pays , point de Royau-
M mes, qui n'éprouvent faproteclion.Toutc
« la terre eft pleine de Ces miféricordes.
»» Son cœur , ce précieux cœur , qui eil
» après celui de Jefus , le plus pur , le plus
'■> doux, le plus charitable de tous les cœurs,
s-» a lui feul plus d'amour êc de perfedtions ,
Î-» que tous les Anges §<: tous les Saints en-
" femble ^ ôc par conféquent il a popr nous
»» incomparablement plus de tendreiïe, plus
" de compaiTion , plus de pente à nous fe-
'> courir que tous les Saints enfemble. Et
« c'eft de ce cœur miféricordieux , comme
M d'une fource inépui fable , que découlent
»> continuellement fur toutes les créatures
>• une m-ilritude prefque infinie de toutes
»' fortes de biens. >»
37? tA Vie
Sa d^vo- Mâis> conrinne le fainr Piètre, » Son élé-
fa?me^ " vatioD & fes grandeurs ne fuififent- elles
Vieigç. « pas pour mérirer parfaitement notre ad-
»j miraiion , nos rcrpeds , nos amours. De
« routes les pures créatures il n'y en eut ja-
w mais d'auHi unie qu'elle à N. S. J. C. Elle
5j eft le fingulier ouvrage de la Trinité.
« Elle eft une terre nouvelle , qui de fon
» fein virginal ne porte d^autre fruit que
« THomme-Dieu. Elle eft un ciel nouveau,
w qui ne contient rien moins que le Verbe
5^ incarné. Elle ell dans le monde un mon-
« de de prodiges , qui a fes loix Se fon état
« à part : un nouvel ordre dans l'ordre de
>' la Providence, de la puiffance de de la
3> fageiïe de Dieu j ordre fingulier , où les
>' loix communes font fi dérangées , que ce-
w lui qui commande à MJnivers , obéit à
»i une Vierge devenue fa mère ; ordre qui
9i entre en quelque façon dans celui de l'u-
" nion hypoflatique , puifqu'une femme
« y devient mère de Dieu. »^ On fent ici ,
comme ailleurs , que la main ne féconde
point affez les exprcifions du cœur \ ôc que
malgré l'énergie des termes qu'elle emploie,
elle ne peut rendre qu'une foible partie des
fentimens dont il ell aficdé.
Malgré cet embarras, que l'éloquent S.
Bernard avoir aufii éprouvé , l'homme de
Dieu avoit fi bien uni fon cœur à celui de
fa bor7fie & tendre Mère ; il y avoit fi par-
faitement établi fa demeure , qu'il en dit
plus avec fa fimple ôc naturelle efTufion ,
DE M. BouDON. Lrv. lîL 37^
que bien d'autres avec les frivoles agrémens Sa èé^a
de 1 éloquence humaine. « O cœur virgi- ç^^^^^
ii nal , s'i'crie t il , 6 cœur glorieux , vous vierge.^
>' renfermez feul toutes les excellences de
» l'ancien & du nouveau Teftamenr. En
>' vous je découvre la charité des Aporres ,
5-» la force des iMarryrs , la fidélité cesCon-
» fe/Teurs, la pureté des Vierges ,1a retraite
« des Solitaires , de toute la fainieté des
5' âmes les plus innocentes. Ocœurfacré»
« vous êtes tout ce qu'on peut dire de
« grand. Après en avoir tout dit , nous n*au»
5j rons encore rien dit de ce qui en eft,
" Non , ce cœur n'aime pas comme les Se
5> raphins , il n'eit pas faint à la manière
9> dont l'ont été les plus grands Saints. La
» fainteté de ceux-ci , l'amour de ceux-là,
» n'étoienc qu'un amour de ferviteurs ÔC
"d'amis ;au lieu que \e^ grandeurs deMaric-
»? font celles d'une Mère qui a un Dieu pour
>»Fils, dcc. V
A ces fenimens d'admiration fe joignoîent
ceux du plus tendre & du plus refpectueux
dévouemenr. « O mon ame , difoit le faint
3» homme , quand ferons-nous tour à Marie ,
j> pour erre par elle tout à J. C. Vierge pu-
3j re ! je veux vous aimer autant que Dieu le
>» délire. O fainte Mère de Dieu , montrez
3> que vous èzçs ma mère ! O mon cœur ,
53 fouvenons-nous bien, que nous ne fom-
« mes plus à nous , qu'appartenant à la
« Reine du Ciel nous ne pouvons plus dif-
»• pofer de nos affecUoiis ! O mon ame rouï
580 ^ La Vie
5a dévo- ,/ c{\ à Marie pour la gloire de Jefus ! & û
"fa^nV " ^^^^ ^^ > ^^ "'y ^ ^o"c plus rien en nous
Vierge. >' pour aiicune créacure. «
Ce grand & parfait dévouement étoit
fondé &c fur la noble idée que ce digne
Précre s'étoit faite de la fainte Vierge , ôc
fur les bienfaits qu'il en avoir reçus dès fes
plus tendres années. « De quelque côté que
" je me regarde , difoic-il , en quelque fens
« que je m'examine , je ne vois rien de bon
?■» en moi , que je ne doive aux libéralités du
« Fils par le crédit de la Mère. . . . J'ai fait
" depuis ma jeuncfle une û douce & û con-
'' tinuelle expérience de fcs foins vraiemcnt
^i maternels , que je voudrois pouvoir crier
»* par tout à fon faint amour j ôc plus encore
» dans un tcms , où le démon ôc les hommes
»' mus de fon efprit , s'efforcent de bannir du
'^ monde fon cuire &Ic zélé de fcs intcrêts.>»
Nous touchons ici un point , qui fut pour
le cœur du dévot Archidiacre le fujet d'une
douleur continuelle. « Ah l difoit il , que je
»> gémis de roppofuion qu'on a préfente-
" ment au culte de la facréc Vierge ! A me-
»' fure que l'heréfie s'établit , on déclare la
'* guerre au culte de la Mère de Dieu. Le
" démon efl: indigné , de voir que route l'E-
" glife chante dans fon Office , que c'eft par
*» elle que toutes les héréfies ont éré détruires
« dans le monde. Ce/1 pourquoi Calvin
" dans les derniers fiécles crioit tant contre
" la dévotion à la fainte Vierge. . . . Mais
'» ce qui efl déplorable , c'ell que cette oppo--
DE M. BOUDON. LlY. III. 381
»> fition fe trouve aujourd'hui parmi les Sa <?fv<>
>^ Eccléfiafliques , qui devraient le plus ven- ^'?a"inte'
»• ger les intérécs de la xMere de Dieu Viergç.
5^ contre fes ennemis , &c ceux de l'Eglife.
» Car il ell furprenant de voir la liberté
« qu'on fe donne préie^ptem.eut fur ce fujet «
>y liberté qui poufTée bien moins avant dans
« les tems qui nous ont précédé , auroic
V faintement foule vé le Clergé , le peuple ,
y» les Univerfités ; de don: on auroit fait
9i une févére punition. '>
Il fouhaitoit qu'à cette ligue qui s'élevoic
contre la Reine des Cieux , on en opposât
une autre , qui fût pleine d'ardeur pour fa
gloire. Il y invitoit jufqu'aux habirans du
nouveau monde -y 6c ce fut à cette occafion
qu'un faint Prêtre de l'Amérique lui deman-
da , s'il étoit bien poflîble , qu'il y e fit des
chiens qui akoyajfem contre la Lune. Un
autre, 6c c'etl celui qui a le plus travaillé à
l'Hilloire de ce grand ferviteur de Dieu , Iç
félicitant du Livre de la dévotion à la fainte
Vierge,qu'ilvenoitde donner an public, Bou^
don lui répondit avec un mouvement plein de
ferveur : « O qu'il me feroit doux de donner
'j plufieuis vies , fi je les avois , pour Thon-
" neur de ma bonne MakrelVel Ah! difoi:-
» il à un troiîiéme , qu'il fait bon de vi\ re de
»j de mourir fous la protection maternelle
^' de cecce Reine des Anges & des hommes!
3.» Je vous avoue , que 'e nai point de paro-
3' les pour expliquer ce mbien je fuis 'ouché,
w quand je pcnfe que Dieu , dans l'excès de
3Si ^ La Vie ^ '
Sa Aévo- „ fa charité , m'a donné , àh que f aï com-
^'Jaînte'^ " i"^^^i^cé d'cLTC , iiHC fi gloiieufe Dame pour
Vierge. " me Icivir de refuge ôc d'azile Qu'un
w chacun porte fa piéré où il voudra , pour
3> moi , incomparable Marie , j'entens qu'à-
>i près mon Dieu tous les defirs qui éclor-
» ront dans mon cœur , tous les mouve-
» mens qui s'élèveront dans mon ame , tous
»> les acles qui fe formeront dans ma volon-
»> té, toutes mes aétions & toutes mes fouf-
»» frances , foicnt confacrées à votre gloire,
" pour la gloire de Jefus , qui feul doit être
"loué ôc aiiTié , dans toutes les afîedions
" qu'on a pour vous , Se dans toutes les
*' louanges qu'on vous donne. «
Mais cet homme fi dévot à la fainreViergc
n'a-t-il point excédé dans les louanges qu'il
lui adonnées , Se dans les différentes efpé-
ces de culte qu'il lui a rendu ? Pour en juger
fainement , examinons , mais en deux mots,
ce double grief, dont on l'a chargé.
Et d'abord , pour ce qui concerne les élo-
ges qu'a fait de la Vierge ce faint Prctre j il
eft vrai qu'il l'a traitée de Mcre , d'Avocate ,
de Vie , de Douceur , d'Efpérance des Chré-
tiens. Mais il n'y a pas un feul de ces glo-
rieux attributs, dont la plus pure antiquité
ne lui ait fai*" hommage. Je fçais que pour
réduire ces termes à leiH" jufle valeur, elle
les a pris dans le fens d'une vraie & parfaite
fubordination j mais on ne prouvera point
que l'Archiciacre d'Evreux fe foit écarté de
ces idées: Ôc pour le trouver en défaut, il
DE M. -BOUDON. Liv. IIL ^3
faudra lui prêter des fentimens qu'il n'eut 5a déir*-'
jamais. i.i^^e
Quant à ce qui regarde les pratiques \ierge.
dont il fe fervit conâamment pour ho-
norer la Mère de Dieu , celle qu'il préféra
de beaucoup à toutes les autres, fut l'étude
ôc l'imitaricn de Ces vertus -, Se je ne crois
pas que qui que ce foit voulût lui en faire
un crime. Je fçais de plus qu'il louoit fans
cefTe fes admirables perfeclions: qu'il lui a
dédié tous les Ouvrages j qu'il n'entrepre-
noit rien que fous fa protection ; qu'il 1 in-
voquoit avec beaucoup de confiance , dans
fes peines ; d^ns fcs épreuves, dans fes ten-
tations : qu'il récitoit fouvent en fon hon-
neur le niaguifique Cantique qu'elle a com-
pofé j qu'il y joignoit le Rofaire,& les autres
prières que l'Eglife a cru devoir approuver j
■qu'il honorcit Se faifoit honorer , autant
qu'il étoit en lui , Ces Fêtes, fes images , ôc
les temples qui portent fon nom j &c. Mais
fi ce font -là des fautes, daignez, Mon Dieu,
n:iulciplier les coupables : & fur- tout ren-
dez-en complices ceux qui les reprocheiu à
votre ferviteur.
§. X. Sa Dévotion envers Us SS, Anges»
Pour bien apprécier la dévotion qu'eut ^^^ JJJ
notre grand Archidiacre pour les faints An- ss. An-
ges , nous tacherons d^expofer ici & fes g^s*
fentimens à leur égard , & ce qu'il fît pour
les infpirer aux autres.
Pour coLumcncer par ce derniçi article.
384 La Vie
Sa âévo' qui fuppofc manifeftement le premier , tout
ss."An- ^^ n^onde efl tombé d'accord , que perfonnc
gej. dans ces derniers fiécles n'a travaillé avec plus
de zélé à Ibutenir la vénération qui eft due
à ces bienheureux Efprits. Pour les trouver
en tout tems 5c en tout lieu , il les joignoit
à Tadorable Trinité , dont ils font les Minif-
rres ••, à la Meie de Dieu , dont ils font les
admirateurs ; aux hommes , dont ils font les
protedteurs & les gardiens. « O hommes,
« difoit-il toutes les fois qu'il en trouvoic
" Toccailon , aimez les faints Anges : Ce font
» des amis fidèles , des protecteurs très puif-
» fants , des pères tout remplis de charité
» pour nous. Prédicateurs , Diredeurs ,
y hommes Apoftoliques , aimez les faints
« Anges: ce font les fçavans de la fcience
» du Ciel & de la terre , les Princes de la
« lumieie céle/le , & les guides aflurés dans
»» jes voies de la vie intérieure. Prêtres du
" Seigneur , aimez les faints Anges : c'efi:
»> par leurs mains que le facrifice eA p.orté
» fur le fiiblime Autel de fa Majefté divine.
y> Vous qui vivez ou dans îe Cloître ou dans
i> la folirude , aimez les faints Anges : Ces
'' Efprits admirables font toujours cachés
" en Dieu ; & jamais ils ne le perdent de
sj vue. Vous qui êtes obligés de vivre dans
« le monde , aimez \cs faints Anges : Ces
« pures Intelligences vous fuivent , & veil-
»j lent à vos côtés. Aimez les faints Anges,
w vous qui êtes engagés dans les liens du
9> mariage ; Votre état ert l'objet de leurs
foins 5
BE M. BouDCN. Liv. m. jS/
5» foins y ie jeune Tohie L'éprouva a une ma- S» d^vo-
» niert bitnpliii confolante. Aimez les fainrs §5" ^'^!
*» Anges , ô Vierges , aimez les faints Anges, ges.
« Ce font les grands amis de la pureté, les dc-
« fenfeurs de la fideliré que vous avez pro-
» mife à Dieu. Julles 6: pécheurs , riches &:
>» pauvres, heureux ou affligés, aimez \t%
« faints Anges : Ce font les guides de linno-
"ccnce, les afyles de la vertu fubmcrgée ,
« des lumières qui vous feront voir le néant
"détour ce qui paiTe,%cle bonheur de
>* ceux qui verfenr des larmes. »>
Ainfi parloir 1 Archidiacre , Se plein de
cette idée du Pape faint Léon : « Faites de
-> faintes liaifons avec les Anges : » Confir^
mate amicnias cum fantiis Arigelis ; il en
parloit aux riches & aux pauvres, dansfes
voyages, dans fes Millions, dans Ces pèleri-
nages. Or , quoique fes difcours n'aient pil
manquer d'être fouvent le fujet des fades
plaifanteries du libertin & de Tindévot, il
eft néanmoins certain qu'ils ont produit des
fruits confidérables. Le fcul Diocèfe d'E vreux
en cil une preuve fenfible. Il eût été difficile
d'en trouver un dans tout le refie du Royau-
me, qui fût plus dévot aux SS, Anges/ Un
très grand nombre de Paroifles leur confa-
crérent dts Autels; ou, pour parler ju/le,
ils les confacrérent à Dieu fous leur invo-
cation. Boudon , tout pauvre qu'il étoit , fit
placer dans une Chapelle de Ja Cathédrale*
* C'eft la Chapelle où il eft enterré , & qui a perdit
4on nom depuis rAflbciation que noue pieus Prêtre y a
R
38^ L A V r E
&i dévo- des tableaux qui les rcpréfentent autant qu ils
tion aux pe^yei-it l'être \ ôc qui font plus ^honneur à
ges.^'' ' fa religion , qu'au pinceau qui les a travaillés.
Nous l'avons déjà dit j ces grands efforts
pour accréditer le cuire des Efprits célelles,
naiflbient en notre Archidiacre du tendre Se
profond xefpeâ: qu'il avoit pour eux. Il
auroit fouhaité que tous les Auteurs en par-
laOent dans leurs Ecrits -, que tous les Minif-
tres de l'Evangile en inftruififfcnt les Fidèles j
qu'on s'en entretîj|l dans toutes les compa-
gnies. Pour lui , par la plus fimple & la plus
heureufe des méthodes, il avoit trouvé le fe-
cret de s'en occuper prefque fans cefle. II
ne recevoir jamais aucun bienfait, de quel-
que ordre qu'il fût , fans remercier ceux qu'il
regardoit en ce genre comme les Miniftres
de la volonté de Dieu. S'il honoroit un
Saint , fa régie inviolable écoit d'honorer en
même tems l'Ange, qui, pendant fa vie,
avoit veillé à fa garde. S'il entroit dans une
Eglife , après avoir humblement adoré celiii
qui y réfide , il faluoit ces Princes de la mi-
lice célefte, qui lui font alTiduement leur
cour j & il s'uniffoit de tout fon cœur aux
hommages qu'ils lui rendent. S'il faifoit un
voyage , il faluoit autant de ces Efprits bien-
heureux , qu'il y avoit de perfonnes dans la
compagnie i 6c laiffant celles-ci difcourir à
établie pour honorer les SS. Anges. Le tableau de PAu-
t fjui?epréfemeles fept Efpnts devant le thrône de
Dieu! fut faic fur le modèle d'une image apportée d M-
DE M. BouDON. Liv. ni. 5S7
îeurgré, pourvu que la piété n'en foufînt Sacîe'f«i
pas, il s'entrerenoic avec ceux-là des gran- 55." An.
deurs du Maître qu'ils ont l'honneur de fer- g-s,
vir. Dès qu'il appercevoit un hameau ou un
village, fon premier foin , après avoir rendu.
fes devoirs a J. C. dans fon Temple , étoic
d'en rendre de proportionnés à ceux qui ont
la garde Ôc du lieu , & du peuple qui y fa t
h. demeure. «« Hélas ! difoit-it , il y a ici des
" grands , non de la terre , mais du Ciel , &
»^ les pauvres gens de la campagne à peine
*> le fçavent ils , bien loin d'y penfer avec
5j dévotion. »
11 ne doutoit point que les hérétiques (?c
les infidèles n'euffent des Anges tutélaires.
Sur ce principe il fe tranfportoit en efpric
dans ces régions malheureufes , d'où la foi
& la fcience de Dieu font bannies. Il s'unif-
foit à ces fublimes Intelligences, pour dé- ,
plorer de concert la perte irréparable de tant
d'ames,qui tombent à milliers dans l'abyfme.
Il les conjuroit avec larmes de travailler puif-
famment à réparer les brèches du Royaume
dlfrae'h II faifoit avec eux une fainte ligue »
qui alloit à rétablir l'empire du Roi de gloire
fur les ruines du régne de Satan. Lorfque
quelqu'un offenfoit Dieu en fa préfence , il
s'en plaignoit tendrement à l'Ange gardien
du coup>able. Il tâchoit par ks prières de le
fléchir en fa faveur.
Quand il étoit fur le point d'entrepren-
dre quelque affaire importante , il imploroiB
par des prières redoublées , de fur-tout pai
Rij
^
sU La Vie
Sa ftévo- des neuvaines fréquentes , la protedion de
ss? An- ^^^ premiers Citoyens du Ciel. Il leur de-
ges. niandoit une petite portion de leurs lumiè-
res , & de ce zélé emprefîe pour la gloire de
Dieu , qui les rend tout de feu pour fcs
-intérêts. Dans les calamités publiques , ôc
pendant les agitations qui de fon tems trou-
blèrent toute l'Europe , il montoit en cfpric
dans la célelle Jérufalem ^ Se humblement
prollerné aux pieds de Ces habitans , il les
prioit de remettre en fa place le glaive ven-
geur , ôc d'accorder aux hommes la triple
)aix, dont ils ont befoin pour la vie prélente
pour la vie future.
Sa récréation ordinaire , ôc c'eft en quoi
il n'aura point trop d'imitateurs , fa récréa-
tion étoit de parcourir fucccflivement les
Hiérarchies céleftes , de comempler leur
beauté & leur bonheur , de s'unir à la gloire
qu'elles rendent à Dieu dans les fiécles des
fiécles , de les féliciter de leur grâce primi-
tive ôc de la fidélité qu'elles y ont apportée ;
de les remercier de la tendrefle qu'elles ont
pour les hommes , ôc fur-tout pour ceux
qui font de bonne volonté.
Le quatorzième jour de Janvier , qui
étoit celui de fon Baptême , étoit pour lui
une fête annuelle en l'honneur de fon fidèle
Gardien. Ce jour- là il l'honoroir par autant
d'adtes de vertus , qu'il avoir vécu d'années
il célébroit les divins Myflères pour remer
cicr Dieu de l'avoir mis fous la protedion
d'un des Miniftres de fon amour. Il le
DE M. BOUDON. Liv. III. ^î^
remercioit lui-même des charitables foins ^.^ '^^^'^-
qu'il avoir jufqu'alors pris de fa perfonne. ss. ak-
II ne penfoit qu'avec une joie pleine de re- ges.
connoiflance . qu'il avoir le bonheur d'être
fous la proreclion d'un de ces foldats du
Dieu des armées , & qu'à celui-là s'en joi-
gnoient des légions d'autres, toujours prêts
à combattre en faveur de ceux qui doivent
poiïéder 1 héritage du falut. C'ell à la fuite
de ces réflexions, qui jamais ne furent oiiî-
ves chez lui , qu'il s'écrioit : « O mon ame,
" quelle confolarion pour vous ! Après une
" fi grande faveur, pourquoi êtes-vous trifte?
»y Pourquoi vous lailTez-vous aller au rrou-
" ble & à l'inquiétude ? Un feul de ces
« Prince*; fuffiroic poiT relever votre cou-
« rage .^bbatu i & voilà qu'au lieu d'un,vous
y> en avez i.n nombre innombrable toujours
9' difpofés à vous défendre. Non , pour lui-
« voit-il y je ne fçaurois penfer aux faints
»^ Anges, que je n'en reçoive de la f<.'rce.
« Le Pfalmiile , après avoir dit qne Dieu
'■> leur a donné ordre de nous garder dans
" toutes nos voies^affure qu'en conféquencc
»Mious marcherons fur l'afpic & fur leba-
" filic , & que terrafles fous nos pieds le
" lion & le dragon ne pourront nous nuire.
" Il faut donc , conclnoit le jaint ^rchidia-
» cr'e , ou ne fçavoir plus raifonner , ou
>^ tomber d'accord que rien n'efl: plus jude
» que la dévotion aux faints Anges. 11 faut
» les aimer à quelque prix que ce foit. Ai-
f> mables Efprirs , ma plus grande ambition
R iij
590 L A V I E
Sa d^vo- «fera toujours d'avoir le très-grandhonncur
tion aux i r • - • ' t
ss. An- " "^ vorre lainre amirie. Je vous aime , je
fics, » veux vous aimer , faires que je vous aime
3> encore davantage. Je n'ai rien qui m'in-
« téreffe plus que mon cœur ; & ce cœur
w je vous le mets entre les mains, pour le
^> préfenter au pur Amour , & pour l'aimer
5^ comme vous l'aimez vous - mêmes. Je
« n'ai rien de plus précieux que ma vre , &
w cette vie je la confacre à votre gloire,
iy pour rhonneur de Dieu. Je n'ai rien de
?:> plus étendu que mes ào.^i'is, : ah ! ces defirs
9' font tout à vous. Je voudrois que toute
30 la terre retentît de vos louanges : que
w par -tout il y eût des temples confacrés
93 fous votre nom à la Majefté divine , Se
93 desCongtégations établies pour glorifier
« Dieu des grâces qu'il vous a accordées. »^
Malgré la fublimité de cette dévotion,
on y trouve quelque chofe de fi aifé , de fi
naturel,quelecœurle pluslanguifiantcnell:
touché. Quoi de plus uni, de plus familier
que ce raifonnement du faint homme pour
établir la dévotion aux Anges Gardiens ?
« Comment , ce fo'nt [es termes ^ & on ne
yypeut giières s'y tromper , comment être
3^ toujours en la préfence d'un des Princes
3J du Ciel 3 fans lui témoigner notre recon-
9« noifiance ? N'en doutons point , c'ell: un
5^ ami très - fidèle , très - confiant , très - aî-
5> mable , très- plein d'amirié. Hé ! que n'a-
3* git-on donc avec lui comme avec un vérî-
wtable ami?.Que ne prend- on quelque heure»."
DE M. BOUDON. LiV. III. 35)T
" quelque demi- heure pour lui parler cœur ^^ iév<^
'> à cœur ? Que ne l'entretient - on fur la ^^^ ^^
'^ grande affaire du falut -, » fur cette af- ^cs.
faire où les meilleurs confeils ne font ja-
mais de trop ?
Mais quelque vive que fut fa dévotion
envers tous les Chœurs des Anges , un at-
trait fupérieur le portoit du côté des Sé-
raphins. Pcrfuadé que leur cœur eft le plus
enflammé du faint amour -, il s'adreflbk
conrinuellemenr à eux , pourobrenir quel-
que étincelle du feu qui les confume. Il ex-
pofoit fon cœur aux flèches dont ils per-
cent les parfaits amans , & les vrais fervf-
reurs de Dieu. Il s'uniflbic à eux pour tra-
vailler , fous leurs aufpices , à rétabliflc-
ment&au progrès de la loi d'amour. C'é-
toit-Ià qu'alloient tous fcs vœux : un Prêtre
^n peut - il former de plus beaux? 'Paf- '
fent-ils même les forces du fimple Fidèle ,
aidé de la grâce , de foutenu de l'efprit da
Chriûianifme ? Non fans doute j &: l'Afla-
ciation ,qui fous les aufpices du grand Ar-
chidiacre a formé daTis tous les états tant
de dévots à ces bienheureux Efprits , en e/l
une preuve complette. Il l'a commença à
Evreux , ou elle fubfifle encore , Se où,
malgré la langueur des tems , elle porte
tous les jours des fruits de grâce de de bé-
nédiction.
§. XI. Sa Dévotion aux Saims , &
fur-tout à la fainte Famille, Sadévo^
1 en écrivant la vie dun famr Prêtre, Saints,
55)2, L A V lE
•S-» dévo- j'av.ois en vue ces Réformateurs prétendus j
tioii aux ■ ^^^j. colorer leurs erreurs nous en pré-
&c, cent que nous deteitons avec eux j qui con-
tre l'évidence de nos paroles ôc de nos fen-
rimens , nous accufent de tranfporter à la
créature l'honneur qui n'efl dû qu'à Dieu y
êc qui traitent d'idolâtrie un culte que
nous ne pourrions refufer aux amis de
l'Epoux, fans l'outrager, ôc fans mécon-
noitre l'ércndue de fes dons : je commen-
cerois par démontrer que ce culte religieux
fut en ufage dans les plus beaux jours de
TEglife \ que TOtient &c l'Occident , quoi-
%ie fouvent divifés d'intérêts, fe font con-
ftamment réunis pour le venger-, que les
Origène, les Eufébe, les Bafile, les Chry-
foftôme, les Ambroifc, les Hilairc. ôc une
foule d'autres , l'ont établi de concert; que
les Jérôme ôc les Augullin ont attaqué &
confondu ceux qui avec l'impie Vigilance
ont ofé y trouver à redire y ôc qu'un des
quatre premiers Conciles généraux en a
fuppofé le dogme comme l'ancienne foi de
l'Eglife , en demandant à l'Illuflre martyr
S. Flavien , ôc fa protection , Ôc le fecours
de fes prières : Flavianus -poft mortem vi-
vit , M.irtyr or et pro no bis, ^
Grâces à Dieu , aucun de ceux pour qui
j'ai entrepris ce petit ouvrage , ne conrefiera
au grand Archidiacre d'Evreux , la légiti-
mité du culte qu'il a rendu aux Saints. Il ne
s'agit donc que de faire voir hilîorique-
• Condl. Calcbedon, SeiT. XI, pag, ^^y, Edit, taV.
D£ M. BouDON. Liv. ni. 31^5
îiienr , que , fans roiirreu , il Ta porté uufîi Sadévo-
1 . 3.1 11 tien avix
loin qii il peut aller. Saims ,
Charmé , pénétré de ces paroles du Roi i^c
Prophète, * qui difenc tanr de chofcs , &." les
difent d'une manière fi concife: Seigneur ,
vous glorifiez vos amis avec une efpéce de
profufion, Nlmis honorati fitnt amïci tui ^
Deuî ; il les regardoit comme les enfans de
Dieu, comme les frères & les cohéritiers
de J. C. comme des Rois dont l'empire e(l
affermi pour route rérernité \ comme des
protecteurs puifTans , qui du port , où ils
font heureufement arrivés, rendent la main
à d'infortunés voyageurs , qui font toujours
en danger de faire naufra e. Dans cette vue
il célébroit leurs fêtes avec tous les fenti-
mens de la plus vive & de la plus tendre
Religion. Il vifitoit avec beaucoup de vé-
nération dans fes voyages leurs tombeaux fi
féconds en prodiges. Il honoroit leurs pré-
cieufes Reliques. Il défendoit envers tous
& contre tous leur honneur facrilégement
attaqué par le libertinage & par la fot:e in-
crédulité. Il gémidoit de la longueur de (on
exil, parce que fon exil retardoit Iheureux
moment où il efpéroit jouir de leur compa-
gnie. Il les prioit avec ardeur. Il les invo-
quoit avec confiance dans tous (ts befoins.
Sur-tout il les conjuroit de lui obtenir la
grâce de les imiter « Glorieux Saints , leur
3> difoît - il , ne permettez pas que voTe
ij pauvre ferviteur écrive ôc parle fi fou-
*Pral, 138. T. 17.
ï
55?4 Î^A Vis
Sa àévo- „ vçnt de vous , fans marcher fur vos trace?,.
«jon aux • ^-1 r ^ '1 . .
^ain:s , " ^^^ ^^ li i^îi^ connoitre les voies qui vous
J^c. w ont conduit à Dieu , fans vous y fuivre.^
?' Confldérez que la volonté divine efi: que
>> je fois faint , puifque tous les Chrétiens
»> y font appelles : faites donc que pour
" rhonneur de cette divine volonté je de-
3> vienne véritablement faint. «
Ce pieux defîr que Boudon formoit pour
lui-même , il le formoit pour les autres. Il
ne fouhaitoit rien plus, que de voir Dieu
auflî glorifié dans Ces Saints , qu'il efl admi-
rable en eux. Il exhortoit fortement les Pa-
ileurs à établir dans leurs Eglifes une vraie
êc folide piété envers ces anciens Pères de
notre foi ; à bien régler les Confrairies ,
qui ont leur culte pour objet -, à en retran-
cher les abus , que l'ignorance , la fuperfli-
tion , & plus encore le défaut de piété ont
coutume d'y introduire. Pour lui , pendant
plus de quarante ans , il a travaillé à bannir
de leurs Fêtes les profanations qui hs deS"
honoroient. Il n'a épargné ni les danfes ,
ni les foires , ni ces pèlerinages mal con-
certés , au moyen defqiicls on ne fert Dieu,
ni dans fa propre ParoifTe, qui cfl: défertée,
ni dans la. Paroifle voifine , où régnent le
défordie, le tumulte & la confiifion.
Quoiqu'il honorât tous les Saints, il avoir
une dévotion particulière pour le faint Pré-
curfeur , pour S. Pierre , Chef de toute
THglife , pour S. Paul , le Douleur des na-
Éûûs, pour S. Jean , l'Evangélifte de bdi-
DE M. BbUDON. Lîv. TH. 395
kcl'ion 5 pour S. Joachim 6c Sainte Anne, Sadéva-
S. Zacharie de Sainte Elizabeth -, dont les 5°^^^^"^''
uns nous ont donné la Mère du Rédemp- &c.
reur , les autres celui qui devoit être le pro-
phére du Très- Haut, Se préparer fes voies.
Les faintes femmes qui ont eu l'avantage
de fuivre & de fervir le Sauveur, S. Ni-
colas , Evcque de Myre , à qui étoit dé-
diée la Paroide où il logeoit à Evreux ,
S. Ignace de Loyola , S. François Xavier,
FApôtre du nouveau monde , S. Françofs
de Sales, S. Jean de la Croix , Sainte Barbe
Ôe Sainte Thérèfe étoient encore les grands
objets de fa dévotion. Il y joignoit S. Tau-
rin , premier Evcqiie du Dioccfe , où la
Providence Tavoit lui-même appelle , de
tous ceux qui ont eu le bonheur de marcher
fur fes pas & d'imiter fes vertus. Mais il
avoir un certain fonds de tendrefle pour
ceux qui, comme les Antoine, les Onufre ,
les Pacôme , les Gaétan , d<. un nombre
d'autres femblables , fe font abandonnés
fans mefure de fans réferve à la divine Pro-
vidence. Cefl: que ce parfait & généreux
abandon fut toujours fon principal attrait 5
ôc le caradére de fa grâce.
Tant de Saints , û religieufement ôc û
continuellement honorés , n'épuifoient pas
le riche rréfor de dévotion , que la divine
miféricorde avoit mis en lui. Il fembicic
fe furpafTer lui-même , lorfqu"il s'agiflbir
de glorilier la fiiinre Famille du Verbe in-
fâme. Sa foi y trouvoit 6c des grandeurs &
3f?^ La Vie
Sa àévo- ç^Qs exemples , qu'un cœur de glace n'y dé-
tion aux • • • II 1 j • 1
Saints , couvrita jamais. 11 la regaidoïc comme le
&c. parfait modèle des vrais Fidèles & de toutes
les maifons Chrétiennes. « Cette famille
» fainte, difoit-il, n'avoit que Dieu feul
» pour tout bien. Elle vivoit dans l'obfcu-
" rite 5 dans les foufFrances , peut-être dans
♦' le mépris , & très-furement dans la pau-
" vreté. L'adorable Trinité lui tenoit lieu
" de tout , ôc elle fe perdoit heureufement
»> dans fon amour & dans fa eontcmpla-
" tion. Mais que de grâces couloient de - là
» dans les cœurs de Marie ôc de Jofeph ! »»
A mefure que le faint homme approfon-
di/Toit les faveurs que Dieu répandoit à flots
fur ces deux grandes âmes , il entroit com-
me la reine de Saba , 6c à plus juile titre
qu'elle , dans ce trouble paifible , où Tefprit
ôc les Cens font comme interdits. « O ai-
» mable Sauveur , difoit-il au jaïnt En-
" fant Jefiu , ô Dieu fi divinement caché
a à Nazareth , je veux le rerte de mes
" jours , & , fi vous me faites miféricorde ,
'> pendant toute l'éternité , honorer , be-
» nir , louer votre vie cachée. Et comment
» ne feroit-elle pas l'objet de m.on admira-
>' tion , elle qui étonne , qui ravit les Saints
« pour jamais?»
Ce que nous l'avons vu dans les Articles
précédens penfer du Fils ôc de la Mère , il
le penfoit à proportion de S. Jofeph ,
père nourricier de l'un , ^bux de l'autre ,
tendre ôc refpedueux gardien de cous les
BE M. BoUDON. LiV. III. 3îJ7
deux. Il en parloit avec une douce émorion, ^adevo»
qui répandoir la joie fur fon vifage, 11 fo- s^inis ,
lemnifoic fa Fête avec h plus finguliere &c.
piété. A l'exemple du célèbre Gerfon , il
prêchoit volontiers fes privilèges & fa
gloire. Il tarifToit moins fur fes louanges ,
que l'Egypte entière fur celles de l'ancien
Jofeph. Il difoit qu'après la glorieufe Vierge,
il a fans contredit été le plus éclaire de
tous les Saints j qu'au feul nom de Père de
Jcfu€ ôc d'Epoux de Marie, il n'y a fur la
Terre ni titres, ni qualités qui ne doivent
s'évanouir; ôc que comme l'a remarqué un
ancien Père, il tient dans le Ciel le premier
rang après l'Homme - Dieu ôc (a fainte
Mère , comme dans l'Evangile il tient le
premier rang après l'un ôc lautre. De ces
principes il inféroit, que le pouvoir de ce
grand Saint palTe les bornes de notre foible
conception ^ que fa charité eit plus éten-
due que nos befoins ; ôc qu'ainfi heureux
font ceux qui ont recours à fa protection ,
ôc qui ne fe lafTent point de l'invoquer.
Pour lui il Tinvoquoit alTiduement : mais
jamais avec plus de ferveur , ôc en même
temps avec plus de fuccès , que lorfqu'il
avoit à traiter des perfonnes vexées du dé-
mon. Cell que l'orgueil qui fait le caraclèrç
de ce prince des fuperbes , ne peur être
mieux confondu que par la vraie , la par-
faite humilité : ôc quelle plus prodigieufe
humilité que celle d'un Saint , qui maître
f n quelque forte du Maître du monde , n'a
59? La Vie
Sa Jevo- vu dans fon élévation que des motifs de
Saines"^ fiiencc , de retraite , d'anéantifTement !
&c.
§. XII. i'o» amour pour le Trochain,
Son li y âj difoit notre vénérable Prêtre,-
amour bien de la différence entre l'amour Chrétieii
Ï?oJk ^^ ^ l'amour naturel. L'amour naturel a pour
objet la créature: 1 amour Chrétien a Dieu
même pour fin. C'eft lui qu'il regarde en
routes chofes : ainfi il ne voit fon prochain ,
que comme Timage de Diea , que comme
une partie du corps myRique dçj. C. que
comme tour couvert du fang de ce divin
Sauveur.C'efl pourquoi dans les liaifons qu'il
contrade , il ne confulre ni le fang , ni la
chair, ni la naiffance , ni les charges. C'efè
Dieu feul qui e 11: fa raifon d'agir, ôc c'eil
pour cela qu'il aime tout le monde. Gros-
fiéreté , mauvaifes façons , manières rebu-
tantes, rien ne l'arrête. Il chérit Jufqu'à fcs
ennemis les plus déclarés. AulTi ce vrai , ce
folide amour efl-il un des plus beaux fruits
de la Croix : puifque c'ert: d'un Dieu mou-'
rant fur le Calvaire pour le falut de tous les
hommes , que nous apprenons coram.e tous
les hommes méritent d'être aimés.
Ce fut fur ces grands , fur ces divins prin-
cipes, que Boudon aima fon prochain. Sa
charité s'étendit à tous les genres de befoin
qu'on peur imaginer. L'ame de le corps
furent également de fa compétence , ôc ja-
mais il ne travailla pour l'un ou pour l'au-
tre , que dans la vue de plaire à Dieu , ds
de procurer fa gloire.
I
BÊ M. BouDON. Liv. HT. 5"99
ït d'abord il feroit difficile de poufl'cr ^^^^
fins loin qu'il n'a fair , ramour& larendref- pc^^i^'ie
le pour fes ennemis. Peu de perfonnes en prochain
onc eu d'aufTi violens , d'aulTi acharnés à
leur perte : peu de perfonnes , s'il s'en efl
trouvé quelques-unes, onf été plus ar-
tenrives à ménager la réputanon de ces
cruels perfécuteurs j à leur rendre le bien
pour le mal dans routes les occafions j à faire
valoir ce qu'ils pouvoient avoir d'ailleurs
de bonnes qualités y à demander à Dieu par
de ferventes prières qu'il voulût bien leur
pardonner j à les recevoir comme de tendres
ôc folidcs amis , lorfque la grâce leur ou-
vroit les yeux , de que dépris de leurs inju-
ûcs préventions , ils revenoient à lui , ou
fouffroient qu'il vînt à eux. » Je fuis té-
" moin oculaire , dit tm célèbre Curé dt
« Rouen ^ qui fut hin des enfans fpmtitels
>j de notre faim Archidiacre , je fuis témoin
» que deux perfonnes , que je ne veux point
« nommer, lui feront, après Dieu, éternel-
« lement redevables dubonhenr, dont i^
>* crois qu'ils jouiflenr dans la gloire. Tous
>' deux lui dévoient leur conveifion : toiîs
" deuxnéanmoins fe déclarèrent contre lui,
*' & par-là donnèrent occafion à la cruelle
" guerre que fes ennemis lui fufciterent.Ce-
« pendant dès qu'ils voulurent renrrer fous
« fa conduite , il les reçut comme d'anciens
»> de de fidèles amis \ &c il eut enfin la coir-
>• folation de les voir mourir de la mort des
» vrais pénitens. Le dernier lui ayant re^.
409 La Vie
\ Son „ commandé fa fille , qui étoît veuve ^
pour le " chargée d'enfans , le ferviteui" de Dieu lui
prochain „ promit qu'il en auroit foin. Il le fit -, mais
»ille fit avec cette activité, que les amis
y> ordinaires n'ont pas toujours pour leurs
»y amis les plus tendres , les plus confiam-
« ment éprouvés.
Ces exemples , quelque touchans qu'ils
foient 5 ne font ni les feuls , ni les plus forts
par oLi le grand Archidiacre ait fait con-
noître , qu'il n'y avoit ni injures , ni mau-
vais traitemens , qui puflent altérer fa cha-
rité. Pour s'en convaincre , à n'en pouvoir
douter , il fuffiroit de jetter un coup d'ϔl,
& fur fa grande perfécution , & fur la ma-
nière dont il fe comporta envers ceux qui
en furent les auteurs. Mais ce détail odieux
noLM a déjà tant coûté , & en relevant la
vertu de Boudon , il répand une ombre fi
facheufe fur la vertu de quelques autres,
qu'il vaut mieux n'y pas revenir , que de
mettre à profit les conféquences qu'on
pourroit en tirer.
Si le faint homme ne mit point de bornes
à la charité qu'il eut pour fes ennemis , il
n'en mit point à celle qu'il eut pour les plus
grands pécheurs. A l'exemple de fon Maî-
tre , le Publicain le plus inflexible , le pé-
cheur le plus endurci fut l'objet de fon plus
vif & de fon plus tendre empreffement. Le
foin de ces hommes prefque défefpérés ,
dont Tinfenfibilité eft fi propre à reburer
une patience communei ce foi«,qui fouvent
DE M. BOUDON. LlY. III. 401
bien loin de donner des fruits , ne donne ^^
pas mcme des efpérances , éroir , pour par- p^ï^r^ '["e
1er avec l'Ecriture , Ton partage le plus prochaiB
doux , & fa nourriture la plus délicicufe.
Il les rraitoit avec des ménagemens qu'on ne
peut définir. II difoic que ce zélé amer , qui
eft l'unique talent de bien des ConfetTeurs ,
caufe plutôt la perte des aines que leur con-
verfion j qu'un Diredeur qui ne connoîc
que la dureté , pourroit bien répondre au
jugement de Dieu du fangde Tes frères; ôc
que les fuccès de S. François font une preu-
ve, que rien n'ell: impolTible à la douceur^
Il falloir que l'Archidiacre pafTat univer-
fellement pour en avoir beaucoup , puifquc
nous avons vu ailleurs le plus dangereux de
fes ennemis fc jetter après une faute énor-
me , entre £cs bras avec la plus parfaitç
confiance.
Mais rien , ce femble , n'égala la com-
paffion qu'il eut pour les âmes qui mar-
choient dans le dur fentier des peines d< des
tentations. Les vingt , les trente lieues ne
lui coutoient rien , quand il s'agifToit de
rendre le calme à un cœur que la main de
Dieu avoir concerné. Boadon,en ce point,
comme en bien d'autres , fe régloit fur
l'exemple du faint Evêque de Genève , qui ,
dès le commencement de fon Ponrificat,
exhorta par une lettre circulaire les Curés
de fon Diocèfe à lui envoyer tout ce qu'il y
auroit de plus miférable 3c de plus incura-
ble dans leurs Paroifles. La charité de no-
4021 La Vie
Son j-j-g vcrtnenx Prêtre étoit fi connue à cet
pour Je égard , qu'on s'adreflbir à lui de tous les cô-
procbain tés du Royaume , comme au puifTant Mi-
niftre de celui qui guériffoir les langueurs
&qui confoloit les affligés. Il recevoir cha-
que jour une fi étonnante quantité de let-
tres , que Ces amis ne pouvoient concevoir
où il prcnoit de quoi en payer le port:
Se ce fut à un d'eux , qui lui deman-
doit comment il pouvoit fe tirer d'affaire,
qu'il fît cette réponfe fi digne de lui: «La
w Providence eft mon magafin. J'y trouve
« tous les fecours dont j'ai befoin : elle ne
y> m'a jamais manqué. »
Mais ce n'étoit pas feulement par lettres
qu'on le confultoir. On a vu arriver à-
Evreux,&qui pluseft, y arriver de pays
fort éloignés , beaucoup de perfonnes qui
venoient chercher dans fes lumières & dans
fon expérience des reiTources qu'ils n'a-
voient pu trouver ailleurs. Mais ce qui fait
mieuxconnoîrre ledon de Dieu qui étoif
en lui , c'efl: que de tant de malades fpiri-
tucls de tout érat ôz de toute efpéce , on
n'en a pas vu un feul , qui ne s'en foit re-
tourné aufÏÏ net , auffi paifible que Naa-
man aufortir des eaux du Jourdain. C'ércit
fa grâce : il l'avoit méritée & piefquc exer-
cée dès fa plus rendre jcuncile. La fidélité
a\'ec laquelle il y répondit, en augmenta la
mefure ^ ôc peu de perfonnes en ont fait un
ufage plus sûr 6c plus continuel.
Un Prêtre à qui pluficurs confciTions gé--
I
DE M. BoUDON. Liv. IIL 405
néraîes n'avoicnt point rendu la paix , fe Soh
perfuada que s'il en faifoit encore une au ^^"^"""'.ç
grand Archidiacre , il trouveroit enfin le re- prochaim
pos , qu il avoir jufques - là û inuiilement
cherché. Boudon l'entendit avec patience
autant de tems qu'il le falloir pour bien ju-
ger de fon étati mais dès qu'il eut vu qu'il
n'y avoit chez lui que du fcrupule , il ne
voulut plus l'écouter. La fermeté du Dire-
éleur força enfin Tobéiflance du- Pénitent,
êc la docilité de celui-ci lui rendit une par-
faire tranquillité.
Comme il nefe rebutoit point, lorfque
Dieu ne béniflbit pas f^s premiers travaux i
il ne pouvoir fouffrir que ceux qui exer-
çoient le même miniftere que lui , perdilTent
patience , quand ils ne réuflîfToient pas. Un
Confefleur lui ayant dit un jour qu'il étoit
accablé d'une foule de gens très-incommo-
des , ôc qui ne profitoient guères de C^s
foins , cet homme tout de feu, lorfqn^il étoit
queftion du retour de la brebis égarée , lùî
répondit : « Ceil dans l'union ôc dans lie
» cœur de Notre Seigneur J. C. mon cher
a> Monfieur j c'ell dans fes entrailles â<. dans
5j fa charité infinie que nous devons preii-
« dre le zélé & la force dont nous avons
» befoin pour fecourir les âmes que fa Pro-
9» vidence a mifes fous notre conduite. Sou-
3> venez-vous que notre bon Sauveur nous a
» commandé d'aimer notre prochain comm.c
M il l'a aimé. Ce principe nous mené bien
»* loin» Ne vous regardez pas vous-mcux
4^4 La V I î
Son „ (^ans votre emploi. Arrêtez feulement vo-
po^r "le *^ ^^^ vue fur le Fils de Dieu. 11 vous don-
procbain » nera fa grâce , ôc fa grâce eit plus forte
'> que routes vos peines , & que tous les
*» démons. Souvenez vous , dijou-il à un dU-
>>.tr€, que cen'eii que par une très-grande
V grâce , que vous avez été appelle au fe-
» cours des âmes pcinées Agififez-en à leur
'' i^gârd avec beaucoup de charité. Surmon-
" tez par amour routes les répugnances que
« la nature peut avoir. Ne vous reburea
»> jamais , &c attendez avec une grande pa-
>* tience les effets de la bonté de Dieu fur
« elles. Nous n'avons pas encore donné no-
w rre vie pour nos frères , comme J. C.
w notre modèle. Nous ne fommes pas morts
" comme lui pour les pécheurs fur une
» croix dans un abyfme de douleur. Ne vous
»•» étonnez donc pas des difficultés qui vous
" arrivent à l'égard des âmes que Dieu vous
?' adrefle. ... Le foin que Ton en prend ,
» glorifie plus fon adorable Majeflé , que le
w foin de plufieurs autres. Ne vous décou-
« ragez jamais du peu de fruit qu'elles fem-
» blent faire fous votre conduite j parce
*» que c'eil: le travail qu'on vous demande ,
" 8c non le fruit du travail , &c. »*
Sans faire l'apologie de cette expérience
brute, qui ne confiile qu'à avoir entendu des
miferes de tout genre ^ ôc qui rafiure mal-
à-propos bien des gens: comme fi un Mé-
decin étoit habile, précifément parce qu'il
a vu bien des makides i Boudon difoit fans
DE M. BouDON, Liv. m. 405»
héfirer , que les Directeurs qui n'ont que So«
de la fcience , fans avoir Texpcrience des po^J"^ie
voies du Ciel , peuvent beaucoup nuire aux prochaia
âmes, 6c fur-tout à celles que Uieu conduit
par dçs peines intérieiu-es , par des fentiers
qui fortent de Tordre commun. Il vouloic
que pour ks bien conduire , on eût la fcien-
ce du cœur. Or , pourjuivoit-il , cette der-
nière forte de fcience , on ne la tire sûre-
menc , ni des réponfes , ni des aveux de ceux
qui font dans ks érars dont nous parlons j
parce qu'ils s'imaginent fouvcnt faire ce
qu'ils ne fontpnsenetiet. Il faut donc pour
ne pas faire de faux pas , recourir à l'étude
des Livres qui traitent des voies intérieures ,
mais beaucoup plus à l'oraifon , & à de vi-
ves ôc firéquentes commimications avec
Dieu.
Ceux qui vivent encore fur la terre , n'é-
toient pas le feul objet de fa charité. Il Té-
tendoit aux Fidèles qui fe font endormis dans
le Seigneur , fans avoir entièrement farisfaic
a fa juflice. Ces hommes , que nous fem-
Hions aimer avec tendreffe , pendant qu'ils
étoient au milieu de nous ,& que nous ou-
blions avec une û étonnante facilité > dès
qu'une fois le voile de la mort les a dérobés
à nos yeux -, ces hommes , qui ne fouffrent
peut-être, que parce qu'ils nous ont connus;
fournifToient au grand Archidiacre une four-
ce prefque continuelle de réflexions ; & ces
réflexions ne pouvoient manquer de pro-
duire dans un cœur comme le fien , la corn-
4o^ La Vie
Son paflîon &c les plus ardens defirs d'accélcfer
'^o'îîr^^^ie ^"^pos après lequel ils foupirenr fans in-
ifrocham terruption. Mais ilne le contentoir pas d'y
travailler par les prières , par l'obi arion
fréquente de la viclime qui expie les péchés
du monde , par des aumônes répétées : il y
exhorroit encore puiflainment , Se fur-tout
ceux qui devant moins à la juftice de Dieu
pour eux-mêmes , étoient plus en état d'ob-
tenir miféricorde pour les autres. Il étoic
perfuadé qu'il y a des âmes qui fouffrent &
beaucoup ôc long tems pour des fautes très-
légères : parce que Dieu, qui ell la pureté
eficntielle , ne juge pas des chofes comme
en jugent les hommes , & qu'à fon redou-
table tribunal on réprouve fouvent comme
du bois & de la p aille ^ des ad:ions qui fur
la terre avoient été prifes pour de l'or aflîné
^ des pierres précienfef. 11 aflliroit à ce pro-
pos , qu'il y avoit plus de foixante ans qu'il
prioit pour de certaines perfonnes , qui
avoient vécu dans une grande réputation de
fainceté , de que tant qu^ Dieu lui conlir-
veroit la vie , il s'efforceroit de diminuer
leurs fouffranccs. Un homme û précaution-
né , fi fage , auroit-il parlé d'un ton auiïi dé-
cifif , fi une lumière fupérieure ne l'eût
éclairé.
Son ardeur à foulager les befoins fpiri-
tuels ne prit point fur l'aélivité qu'un Prê-
tre doit avoir pour foulager les befoins cor-
porels de la pauvreté Se de l'indigence. Il
rendit aux membres affligés deJ.C. tous les
DE M. BOUEHDN. LiV. IIÎ. 407
fer vices qu'il pue leur rendre j & fouvent il ^^*
iirplus qu'il ne pouvoir faire. Il les forri- p^ur le
ficic dans leurs peines par des difcours en- prochaia
flammés qui en adoucilToienr ramerrume.il
fe dépouilloicen leur faveur ^ je ne dis pas
de Ton fuperfîu, il n'en eut jamais y mais de
Ton plus iridirpenfable néceflaire. Pour jufti-
ficrfes pieux excès à leur égard, il difoit
qu'ils méricoient mieux que lui , ce dont il
fe privoic en leur faveur. Il joignoir l'humi-
Jicé 3 le refpecl , 3c fur-rout Tinitruccion aux
aumônes qu'il leur prodiguoir. Il pa) oie les
loyers , &: quelquefois la dépenfe entière de
plufieurs perfonnes , dont la condition ne
pouvoit s'allier avec le travail , & moins
encore avec la mendiciré. En un mot , il
n'avoif rien qui ne fut aux pauvres ^ & s'il
n'eût été de ces jurées , à qui la Providence
s'ell fpécialemenr engagée , il eiic éré bien-
tôt plus à plaindre que ceux donc il foula-
geoit la mifere.
§. XIII. Sa Reconnoijjance,
Ilefl: peu de vices au/ïi déteftés dans le 5a Re-
monde , que celui de l'ingratitude. Cepen- f^"e? '
dant l'ingratitude n'eft rien moins qu'un
vice fans exemple. De l'homme à Dieu elle
eft fi commune , que lEcriture fainte la re-
proche plus de mille fois au peuple chéri.
De l'homme à Thomme elle eil fi ordinaire ,
qu'elle a paflé en proverbe dans le monde,
&: qu'on y regarde prefqne comme une ma-
xime , que les bienfaits ne fervent qu'à faire
des ingrats.
4cS L A V I E
Sa Re- La vraie piété écarte ces horreurs , la rc'
cunnoii- Hgion Ics détefte.Boudoii qui fit un honneur
"* inhni a 1 un ôc à 1 aune , fut toujours extrê-
mement éloigné d'un défaut aufli capital. Il
nelailTa lombcr à terre aucun des bons of-
fices qui lui fuient rendus. Grands & petits,
tous furent Tobjet de fa tiè.s humble recon-
noifTance.Ily futfenfiblt devant les hommes,
il y fut encore plus fenflble devant Dieu.
M. de Novion , Evéque d'Evreux , Pré-
lat, qui à la noblelTe des fentimens joignoic
une charité ccmpatiflante , lui ayant donné
ordre de manger tous les jours à fa table ,
lorfque fes affaires ne lappelleroient pas
ailleurs : T Archidiacre en fut fi touché , qu'il
regardoit comme un devoir indifpenfable
celui de publier par tout & la faveur qu'un
Prince de TEglife vouloit bien lui faire , ôc
la reconnoiflance qu'il en avoit. 11 invitoic
fes amis à en rendre grâces à Dieu. Il ne
pouvoit finir , quand une fois il avoit enta-
mé l'éloge de cet aimable bienfaireur. Il
louoit fur-tout fon inébranlable fermeté à
foutenir les intérêts de TEglife , fon refpedt
pour le faint Siège , fon oppofition aux pro-
fanes nouveautés , & cette réfidence inflexi-
ble qui le Hoir fi conûamment à fon Diocèfe,
qu'il n'en fortit jamais que pour des raifons
indifpenfables.
On peut dire au refle , que la gratitude
de l'Archidiacre croit un payement de celle
de TEvcque. M. de Novion avouoit haute-
ment , que le bon ordre de fon Clergé , Se
la
DE M. BouroN. Liv. III, 400
îa réformacion de (on peuple croient le fruir 5- »?e-
dcs travaux de notre faine Prêtre. Pour ce ^^r"* "'
qui cfi de cet amas d'infamies qu'on avoir
débitées fur fon compte , nous avons dit
ailleurs que le judicieux Prélat le regarda
toujours comme Todieufe production de Ter-
reur , de la jâloufie Ôc de Timpoilure.
Mais il ne falloir pas être dans les pre-
miers rangs de TEglife & de l'Etat , pour
s'acquérir un droitcertainfur le cœur &: fur
la reconnoifiance de l'homme de Dieu. II
avoir â^cQ coté - là dçs fonds auffi étendus ,
qu'ils croient inépuifables. Comme il ne
voyoit les bienfaics qu'au travers de fa pré-
tendue indignité, illestrouvcit toujours plus
grands qu'ils n'étoient en eux-mêmes : & af-
fez fouvent il regardoit comme un vrai fer-
vice j ce qu'un autre , fans fe tromper, au-
uoit pris pour une action onereufe ou inré-
leiïée. On faifoit une commiiîlon pour lui :
il donnoit d'un air gai Se content tout ce
qu'on lui demandoit j & il fe trouvoit en-
<:ore heureux de trouver des pcrfcnnes qui
voulurent bien lui vendre leurs pas Ôc leur
rems. On lui envoyoit par méprife une chofe
pour une autre -, il renvoyoit la marchandife
Ôc l'argent, ôc fe fourniffoit ailleurs de ce
dont il avoit befoin. C'ert: qu'il avoit pour
lui-mcme un mépris û furprenant , qu'il fe
crovoir heureux de trouver des gens qui vou-
luflent bien avoir affaire à lui.
Ce qu'il y avoit de fmgulier dans fa re-
connoiflance > c'eft que la fuite dçs années ,
S
410 La Vie
Sa Rc- oa la diftance des lieux ne l'affolbliiToie nt
connoii- p^jj^^^ ji ç{^^ plutôt Oublié fon nom , qu'il
n eut oublie un lervice qu on lui avoit len-
du. Il apprit que la Supérieure du Refuge à
Nanci étoit malade. 11 fe fouvint à l'inllant
de la charité qu'elle avoir autrefois exercée
envers lui , dans une femblable conjoncture.
Quoiqu'il fut accablé d'occupations, comme
il le dit lui-mcme,il ne différa pas à lui témoi-
gner combien il prcnoit de part en notre Sei-
gneur à fa trille fituation j Ôc fa lettre prou-
ve d'une manière bien touchante , que chez
lui la gratitude fe déclaroit par les œuvres,
& fur-tout par celles à qui la piété ne peuc
refufer la préférence. Mortifications , priè-
res , flicrifices , démarches extérieures, rien
ne lui coutoit , lorfqu'il étoit quellionde re-
çonnoître un ancien fervice.
Un homme fi fenfible aux moindres bien-
faits qu'il recevoir de la part d'un autre
homme, ne pouvoir manquer d être extrê-
mement attentif à ceux qu'il recevoir de la
main de Dieu , ou plutôt de regarder Dieu
comme le principe de tout le bien que les hom-
mes pouvoient lui faire. AulTi , Se nous n'a-
vons prefque vu autre chofe dans tout le cours
de fon Hilloire , la divine Providence fut-»
elle le fujet perpétuel de fes louanges & de
fes cantiques. Quelque rude qu'ait été le
chemin , par où elle a jugé à propos de le
faire marcher pendant prefque toute fa vie ,
il ne vit jamais en elle que la plus douce, la
plus tendre , la plus aimable de toutes les
î>E M. BorrroN. Liv. lîî. 41!
ttieres. Il ne la chéiifioic pas moins , loriqu'à Sa P.^«
coups redoublés elle le conduifoic jufqu aux [^^^pyi'^'^'"'
porces de la mort , que lorfqu'elle 1 en fai-
foic fortir tout glorieux , pour chanrer avec
la fille de Sion fa grandeur ^ fa niagnifi-
cence.
Rien ne l'eût plus confolé , que de voir
naître de fon tems un peuple de Saints de-
ftiné à la bénir nuit & jour. Dans cette vue
il alTocia plufîeurs familles des plus Chré-
tiennes qui fullent à Evreux , ^ leur ayant
prefcrit des exercices de piété , relatifs à la
lîn qu'il fe propofoit , il les dévoua en quel-
que forte à l'honneur de la Providence. Il
les raflembloit de temiS en tems , ôc à Taide
du talent qu'il eut toujours de manier les
cfprits de de remuer les cœurs , il les portoit
efficacement à glorifier l'Oeil bienfaifant ,
qui veille fur les créatures , ëc a lui rendre
de continuelles actions de grâces pour les
biens dont il ne cefie pas de les combler.
Pour lui , quoiqu'il etk- été difficile de
trouver fa rcconnoiffance en défaut , il lui
donnoit chaque femaine un jour, pour fe
livrer à fes plus doux tranfports. Ce jour,
qui ordinairement éroit le mardi , commen-
çoir en quelque forte dès la veille par un
jeune rigoureux. Boudon dès le matin fe
profternoit en terre pour adorer la Provi-
dence. Il la remercioit humblement dcLtou-
tes les faveurs qu'il en avoir reçues pendant
toute fa vie. Il lui oifroit en adions de grâ-
ces les mérites du Sauveur ^ la pureté de la
sa
412, L A Vie
Sa Re- Reine des Vierges , ôc toutes les bonnes
fancer ' ^^^vres des Saints. Il faifoit quelques libé-
lalités aux pauvres , pour honorer les pro-
fufions de ce Soleil bienfaifant , qui répand
fa lumière fur les méchans ôc fur les bons.
Il lifoir le fixiéme chapitre de l'Evangile fe-
îon S. Matthieu , où la vaine follicitudc des
befoins de la vie eft réprimée , & où un am-
ple néceflaire eft affuré à ceux qui avant tou-
tes chofes chercheront le Royaume de
Dieu 6c fa juftice. Notre vertueux Prêtre
avouoit que cette pratique de piété Se de
reconnoiflance avoir été pour fon cœur une
fource de grâces 6c de miféricordes.
Mais ee qui donne un nouveau prix à fa
c;ratirude , c'cft qu'elle mettoir au même ni-
veau les maux & les biens j ou , û l'on veut ,
c'eil: qu'elle regardoit comme de vrais biens
ce qu'un Chrétien foible regarde comme de
vrais maux. Sa vie nous en a fourni cent
preuves différentes; la matière ell: fi inté-
reflante , fi nouvelle pour bien des gens , que
nous y en joindrons encore une.Elle efl tirée
d'une lettre qu'il écrivit à une perfonne de
confiance fur la fin de fes jours j c'eft-à-dire,
dans un tems où nuit & jour il étoit en proie
^ux pluscuifantes douleurs. « Adorons , di-
fifoît il , la divine Providence , aimons-la ,
9f ôc glorifions-la en toutes chofes , de quel-
yy que manière qu'il lui plaife d'en difpofer.
«Mes incommodités continuent toujours,
" Dieu merci , ôc je vous écris adluellemcnt
t> dans l'exercice des douleurs de ma Def-
DE M. EOUDON. Liv. IIL 4T3
" cente,quine me donncnrpas un'mcment ^^ ^--
5^ de rreve. Mais après rouu, jamais nous ne ç^^^^^
" femmes mieux , que quand nous fommes
5-^ mal dans l'ordre de Dini , Se ce mal c(ï un
5i bien plus grand que tous les biens du mon-
» de. ... Aidez-moi à magnifier Dieu de ce
« qu'il veut bien me donner quelque parc
»j au Calice du Sauveur. »
Ce qu'il y a de plus beau dans Ces pieux
fenrimens , c'eil: qu'ils n'éroient le fruit ni de
î'étude, ni de la contention. Us couloienr de
fource , 8c roceafion la moins prévue les
faifoit éclater. 11 v parut un jour , que Bou-
don ne pouvant fe tirer d'un chemin abfo-
lument rompu , entra dans le champ voifin
pour continuer fa route j car un particulier
homme brutal ôc nerveux , l'ayant maltraité
êc de coups & de paroles : Frapez. , mon ami 9
lui dit notre vertueux Prêtre , frapez , je l'ai
bien mérité. Mais ce prétendu ami , qui s'a-
perçut enfin que c'étoit le grand Archidia-
cre d'Evreux , qu'il avoir fi indignement ou-
tragé , ayant voulu lui demander pardon ,
Thomme de Dieu fe mit à l'excufer , & qui
plus eft , à le remercier avec beaucoup d'af-
fection : &,pour preuve de fa reconnoif-
fancc , il le reçut très - volontiers au nombre
de Çts pénitens. C'efl ainfique Boudon vis-à-
vis du prochain accomplilToit toute juflice ,
de quelque chofe de plus.Le peu de réflexions
que nous allons faire fur fa douceur , ne
nous permettra pas d'en douter.
S iij
4^4 La Vu
§. XIV. Sa Douceur.
îiaDou- Quoiqu'il foie fâcheux d'êrre réduit à faire
^ur. àes apologies , dans le rems fur- tout qu'on a
droit de ne donner que des louanges -, ce-
pendant comme la mauvaife foi a vivement
€Îc€rié notre Archidiacre du côté de la dou-
ceur y il ne fera pas hors de propos d'exami-
ner les plaintes qu'on a faites contre lui. On
a donc dit qu'il étoir fougueux , vindicatif,
ennemi déclaré àts Eccléflafliques qui n'a-
voient pas le bonheur de lui plaire. Repre-
iK)ns ces griefs ; ils vont fondre comme la
glace , quand clic eii cxpofée aux ardeurs dLi.
foleiî.
îl eiï vrai qu^iî n'a voulu avoir ni paix ,
ni rréve avec certains ennemis de l'Eglife »
dont nous avons parlé : miais outre qu'après
la /anglante manière dont ils l'ont traité , il
leur convient aflez mal de Itù intenter pro-
cès : falloit-il donc que pour mériter leur
bienveillance , il fe mit fervilcment au nom-
bre de leurs admirateurs , & qu'il les laifîab
ëifpofer à leur gré de l'héritage que le Perc
de famille avoir confié à Ces foins. N'étoit-il
pas à titre d'Archidiacre, & pendant un tems
aflez confidérable , à titre de premier grand
Vicaire , un de ceux à qui Dieu dit dans lE-
ciitiire : « Fils de Thomme, fi faute d'avoir
» été averti , mon peuple périt par le glaive,
» c'efl: à vous que je demanderai compte de
" fa vie , & fon fang vous fera imputé. »<
Et qui jamais fut plus doux 6ç plus humble ,
BE M. BOUDON. Liv. III. ^^^ _ ^ -
que celui qui a voulu qu'on apprit de lui a ^Sa^*'^
être l'un & laurrer Cependant avec quelle
force n a-t il pas brifé le mafque trompeur
fous lequel fe cachoiem les Phariiiens , ôc
fait toucher au doigc , qu'avec toute leur ré-
forme imaginaire ils n'étoient que des loups
couverts d'une peau de brebis.
Ileftvrai encore que Boudon s'éleva en
Chaire contre tous les genres de défoidres,
qui regnoiem de fon tcms. Mais lui arriva-
t-il jamais de difliller fur le vice ces couleurs
de détail, qui carac^érifent le vicieux. On a
vu pendant plufieurs années un peuple nom-
breux forcir de fes ferm-ons le cœur humilia
^ les yeux baignés de larmes : vir-on jamais
un feul homme en fortir fcandalifé , & fc
plaindre que l'Orateur l'eût eu en vue r On
ne difputera pas l'efprit de douceur à l'Apo-
tre des Gentils, lui qui eût voulu être ana-
thême pour fes frères : & qui fçut mieux
que lui confondre , anéantir toute hauteur
qui ofoit s'élever contre Dieu , reprocher
à des peuples entiers leurs folies ôc leur
chûre , & cela dans des Lettres qui dévoient
toujours fubfifter -, & enfin menacer des
dernières peines ceux qui n'obéiroienr pas
aux loix de l'Evangile ?
Mais il ne nous convient pas de reltcr fi
long-temsfur ladéfenfive^ & en fjppofant
que la douceur d'un Chrétien conflfle a n'a-
voir aucun reffentiment contre fes ennemis,
à oublier les injures qu'on a reçues d'eux , a
ne leur jamais cendre k n:ial pour le mal , a
S iy
41^ La Viî
S2D0U- les traiter en route occafion comme Von
traite de bons ëc tendres amiSj il nous fera
aifé de faire voir que notre Archidiacre ,
malgré le feu du tempérament , malgré
Tardeur du zélé que la grâce y avoir ajouté ,
fut un homme plein de douceur ôc de me-
déraricn.
« Non 5 dit un homme bien inftriiit , &
» d'.iprès lequel nous allons parler , perfonne
» n'a plus fidèlement que lui pratiqué le pré-
« cepte évangélique d'une douce ôc fîncere
>> charité. A-t-il jamais demandé en juilice
w aucune réparation d'honneur pour tant de
'» calomnies inventées contre lui ? A-t-il
" porté Ces plaintes aux premiers Supérieurs
" de ce Religieux téméraire , qui fut pubîi-
« quement un de fes plus cruels ennemis l
■» A t-il du moins fait paroître quelque froid
" contre 1 Ordre en général , ou contre quel-
» ques-uns de fes Membres en particulier ?
'' Difons plus : a-t-il depuis cette funefle
" époque laiifé pafTer une occafion d'en dire
" du bien ? Un homme fe fouléve contre
'•> lui avec le dernier éclat : l'a - t- il jamais
» regardé d'un œil qui marquât l'indignation
» ou le mécontentement î Ne l'a -t-il pas
»• vifité , chéri , honoré , comme on fait ua
» ancien ami. »
Il connoiiïbit par nom de par furnom la
plupart de ceux qui le dégradoicnt dans
l'efpritde fon Evéque. L'a ton vu une fois
dans la vie , je ne dis pas s'emporter , je dis
murmurer contre eux? Des amis, ou moins
DE M. BouDON. Liv. IIÎ. 417
patîens qu'il n'écok , ou qui ne croyoient SaDou-
pas qu'en pareil cas la patience fût de fai- ^^^'
ion , veulent le venger , & en fa perfonne
les intérêts de la vertu opprimée : loin de fe
prêter à ce genre de juftice , il fe jette à fon
ordinaire , fur les ordres de la Providence y
il veut qu'on la laifle faire , 3z forcé, comme
S. Paul , à découvrir ce qu'il penfe , il dé-
clare que les croix les plus humiliantes font
fa confolation ôc fa gloire.
Comme Thypocrifie fe décelé dans les
coups imprévus -, la folide vertu s'y annonce
de manière à forcer les fuffrages. Peu de tems
avant que Boudon fut interdit , un homme
de confidération vint le trouver au tribunal,
& après lui avoir dit qu'il choirifToit ce lieu
pour lui décharger fon cœur, il vomit con-
tre lui un torrent d'injures j & finit par lui
dire qu'il étoit étrange qu'un homme auiïi
fcandaleux fût à la tête du Clergé. Le fervi-
leur de Dieu Técouta avec une parfaire tran-
quillité -, &C après l'avoir remercié de C3. bonne
volonté e^ de fcs remontrances, il fortit da
Confeflional fans trouble ôc fans émotion.
Un homme , qui avoit pouffé l'excès jiif-
qu'à dire publiquemeut que l'Archidiacre
étoit un impie & un Athée, eut quelque
tems après hontede fes emportemens. PreHé
par les remords de fa confcience , il vient
trouver le fervireur de Dieu , & le prie d'en-
tendre fa confefTion. Le faint Prêtre y con-
fent fans délibérer. Il l'écoute , parce que
.fon naiuillere l'exigeoit j mai^il lui épargne
S
4^ s La Vi2
l-humiliation dts excufes, parce que fa cha^
rire & fa douceur ne pouvoient s'en ac-
commoder. Gagné , confondu par un ac-
cueil fi gracieux , le pénitent s'en retourne
plein de tendreiîe & de reconnoiflance pour
fon nouveau Diredeor. Il publie par-touc
fcs vertus, & fur-tout cette aimable affabi»
lice , qu'il avoit fi fenfiblement éprouvée»
Si , lorfqu'il s'agit des vertus de M. Boudon .
on ne croit pas fcs amis , au moins faudroit-
ii en croire fcs ennemis les plus déclarés.
Mais ce fut principalement dans la corn-
pafFion qu'il eut pour les pcrfonnes affligées
que fa douceur fe maniiefla. On fent qu'ou-
tre fes devoirs de Chréiien , de Prêtre Ôc
d'Archidiacre , qui faifoient fa première oc-
«upation, il étoit accablé d'affaires. Lettres,
confukations , réponfes , ouvrages de piété,
tout cela , quelque facilité qu'on ait d'ail-
leurs 5 demande du tems *, & un homme de
cabinet , qui en connoît le prix , ne le, pro-
digue pas volonticrs.Avec cela Boudon étoit
le refuge ordinaire de tous ceux qui fou^
froient. Il fembloit qu'il eût écrit fur la porte
€k fa mai fon , fi l'on peut ainfi nommej fon
pauvre réduit : Veriez, a moi , vous tous qui
êtes dans la -peine , & je tacherai de vous
confoler. On l'a vu très - fouvcnt entendre
l'ennuyeux récit des peines que fouffroient
dans leur domeftique des gens du plus
bas étage. Il écoutoit tout avec plus de
paix , plus de patience , qu'un Juge qui va
prononc.ero U- entroic dans les in:éi êts des
DE M. BouEON. Liv. III. 419
parties belligérantes , autant qu'il le failoit StDoii.
pour les faire encrer elles- mêmes dans fes ^'^^^'
fcnrimens. Lorfqu'il avoir adouci Sz difpofé
les efprits , il leur faifoit concevoir qu'il n'y
a point d'erat fur la terre , qui n'air fes amer-
tumes -, que les croix font la voie par oui on
arrive plus sûremeut à Dieu -, qu'il ne s'agit
ni de les choifir , puifque c'eil Dieu qui les
diîtribue pii de n'en point avoir, puifqu'il
y en a jufques fur le thrône des Rois ^ que
tout fe réduit donc à en faire un bon & faint
ttfage j que le meilleur, le plus confolant,
cil de les unir à la croix de notre divin Sau-
veur j ôc que quand on entre bien dans l'ef-
prit de l'Homme Dieu , en ne fe trouve ja-
mais plus heureux, que lorfqu'on efl: moins
ménagé. Ces paroles prononcées avec tous
les charmes delà douceur, affaifonnées de
Tonclion du S. Efprit , foutenues du ^rand
exemple d'un homme , qui avoir été rafia-
fîé d'humiliations 6c d'opprobres , rou-
choient beaucoup ces pauvres gens: ils s'çn
rerournoient plus tranquilles , ' qu'ils n'é-
roienc venus agités.
Ce qui donnoit un nouveau prix à la dou-
ceur du grand Archidiacre , c'eil: que fon
tempérament rour de feu ne l'y porroit pas
naturellement. Mais la grâce bien fécondée
Tavoit heureufemenr réformé. L'exemple
de David , fi paiîîbîc pendant l'afTreufe pcr-
fécution que lui fufciîa Saiil fon Eeauperej
Itiirevenoitfouvent à l'efprit dans fes peî^
nos les plus aiifantes. Mais l'exemple du Fils-
tcur.
4^* La V I I
$aDou. de [)|ç^ ^ q^i JQfq^'au dernier foupir fir âe^
vœux pour Ces plus implacables ennemis , le
toucha fl puiflamment & de fi bonne heure,
qu'au premier abord on croyoir entendre
fortir de fa bouche ces paroles de TApôrre :
Soyez, mes imitateurs , comme js le fuis de
Jefiis-Chrifi. Figurez-vous un homme , qui
ne s'apperçoir , ni de l'humeur , ni des biza-
rericsdu prochain y qui reçoit une dureté ,
comme un autre reçoit un témoignage d'af-
feéHon j qui dans tous les tcms , Se dans les
plus cruelles pofitions , a un vifage toujours
ferein, toujours affable ; un homme dont le
langage honnête , fimple , plein d'onclion 5c
d'agrément , charme fi bien , qu'on s'arra-
choit phitôt qu'on ne fortoit de fa compa-
gnie ^un homme enfin dont laconverfation
étoit, comme nous le prefcrit faintPaul , af-
faifonnée du fel de la prudence , charita-
ble/vraie, pieufe, pleine d'intérêt: à tout
cela joignez un ton de voix agréable , un ris
modefte 3c toujours fans éclat , des yeux ref-
pcclucufemenr baifTés , un difcours naturel
^ fans afFedarion , beaucoup d'attention à
ne fe point faire valoir , plus d'attention en-
core à faire valoir les autres , toujours prêt
à les entendre , jamais à les interrompre , à
moins que fon humilité ou la gloire de Dieu
n'y fut bleffée ^ vous aurez , ce me femble ,
îe portrait d'un homme accompli, ôc fur-
tour en fait de douceur & d'urbanité : or ce
portrait fera inconteliabîement celai d\i
grand Archidiacre d'Evreux,
DE M. BouDON. Liv. m. 421
Rien ne lui faifoir plus de peine que d'érre SaDouî
obligé d en faire à quelqu'un. Cependanc fcs ^^"^*
emplois le forçoienc quelquefois d'en ve-
nir-là j mais alors il prenoit tant de mefures,
qu'il ôtoic à la coupe une bonne partie de
fon amertume. Comme fa pratique répon-
doit à fes fentimens , ôc que fes fentimens
font aflez bien marqués dans une de fes Let-
tres , je crois devoir en donner un extrait.
Il récrivit à une perfonne de piété , qui pou-
voit avoir befoin de leçons fur la matière
qui nous occupe actuellement.
«Dieu demande de vous, lui défait -il,
« que vous exerciez la douceur chrétienne,
*' Or la douceur chrétienne s'exerce princi-
'^ paiement à l'égard de ces perfonnes fa-
" cheufes,qui nous contrarient -, pour qui
« nous avons une averHon naturelle , qui
«ne font point ce que nous voulons-, qui
» nous font à charge j qui nous donnent oc-
*» cafion de fentir des mouvemens de colère
'■» ôc d'impatience. Toutes ces occafions vous
«font offertes par la divine Providence:
" c'efi elle , &C non lesadions des créarures ,
« que vous devez envifagcr ^ pour pratiquer
" cette aimable vertu. Mais pour la prati-
« quer en vérité, il faut une patience qui ne
» fe laiïe point , quoique les occafionsfe réi-
" terent. Dieu eil toujours le même Dieu >
« toujours également aimable. La vie c/t il
«courte, que nous ne pouvons beaucoup
>» fouffrirpour lui : fouffrons au moins à I3.
*> fois ce que la brièveté de nos jours ne nous
4i2 L A V I 2
SaDou- » permettra pas de fouffrir en détail. »»
^^^'^' Il lui die enfuite : « Quand la néccifité
M vous obligera de donner des avis & de
»» corriger , ne vous fervez jamais de termes
»y injurieux , méprifans , capables de cho-
" quer ; ce qui vous arrive quelquefois. Sou-
« venez-vous que vous parlez à des perfon-
»^ nés qui font membres de Jefus-Chrill ; Ôc
w que félon la parole de notre divin Maître,
w nous ferons jugés ôc mefurés , comme
»■• nous aurons jugé Se mefuré les autres :
9^ comme donc nous avons befoin d'une ex-
'* trême miféricorde , il faut auiïî que nous
5> l'ayons envers les autres. . . . Parler donc à
« tout le monde avec douceur , ne rebutez
5j perfonne. Ecoutez paifiblement ce qu'on
5' vous dit. Quand vous ne pouvez pas faire
>•■ ce que l'on defire de vous , excufez- vous-
5j en avec honnêteté ôc humilité. Appliquez-
'» vous à contenter tous ceux qui vous don-
w nentde l'occuparion pour l'amour de no-
^> tre Seigneur & de fa fainte Mcre. Toutes
9' les difficultés de votre emploi doivent
^^ vous fervir pour aller à Dieu. Je vous aii
3* dit que c'étoit là une de vos croix. Il faut
3J que vous la portiez , mais que vous la por-
3> tiez courageufement , ôc en paix à la fuite
Si de notre divin Sauveur & des Saints. »
Cefl ainfî que Boudon , après avoir pra-
tiqué la douceur , s'eflForçoit delà faire goû-
ter aux autres. S'il n'affoibliiïbit pas les mo-
tifs qui doivent y porter , parce qu'il aimoir
£1 vérité j il kspropofoic de manière à-lea
CE M. BouroN. Liv. III. 42^-
imprimer dans Je cœur , parce qu'il aimoit
h paix,
§. XV. Sa Prudence.
Si le zélé d'un Eccléfiartique employé à sa rm*
la conduite dts amcs , n'ell réglé par une dence*
prudence vraiment chrétienne, ileflimpof-
fible qu'il ne fade beaucoup plus de mal que
de bien Boudon bruloic d un feu tout divin
pour la gloire de Dieu -, mais ce feu étoit
tempéré par une lumière û douce , & con-
duit avec tant de fagacité , que le faint hom-
me dans une longue vie n'a guères fair de
pas , que la plus haute fagefie put défavouer.
Lorfqu'il étoir fur le point de travailler
dans un Diocèfe , il ne fe contentoit pas de
prendra en gros les pouvoirs de rOi'dinaire,
comme il eii d'ufage : mais après avoir hum-
blement demandé ^ reçu à genoux fa bé-
nédiction , il le prioit de lui donner en quel-
que forte fa leçon par écrit : il la fuivoic
de mot à mot , & l'homme le moins bien in-
tentionné ne pouvoit l'accufcr ni d'en faire
trop , ni de n'en pas faire a(Tez.
Dévoué autanr par inclination , que par
juftice à l'Ordre Epifcopal, il vengeoit fon
autorités fes loix dans toutes les occafions v
mais s'il le faifoir avec zélé , il le faifoic
avec prudence. Etcefiit aind que l'Arche-
vêque de Rouen avant permis aux pauvres
gens de travailler certains jours de Fêtes , il
appaifa les murmures que l'indulgence de
cePiélat ayoic oecafionnés. Il fit re£réfei>'
414 L A V I E
dcncT" ter aux peuples par le moyen d'an Curé ,
qui fçavoic manier ôc la parole Ôc les ef-
prirs , qu'on n'avoit rien ôré , ni aux Fctes 9
ni à la folemnicé des Offices , qui écoit tou-
jours la même -, qu'on avoir feulement per-
mis le travail à des gens qui jufques-là fe l'é-
toicnt eux-mcmes permis contre leur con-
fcience \ Se qui fouvent palToient une partie
de ces fainrs jours à quelque chofe de plus
criminel que le travail des mains. Ces ré-
flexions eurent un bon effet -, & on ne tarda
pas à reconnoître qu'on s'étoit alarmé , ou
plutôt qu'on s'étoit emporté mal à propos.
Dans les fcènes humiliantes que donnent
tour à tour toutes les condiîions > quelque*
fois même les plus faintes Communautés,
il prenoit fon parti en homme fage ôc Chré-
tien. Il ne rejettoit point fur le corps entier
la faute de quelqu'un de fes membres. Plus
cette faute faifoit de bruit , plus il concluoir
qu'elle étoit rare parmi ceux chez qui elle
ctoit arrivée. Mais il faut avouer qu'il aimoit
mieux louer des vertus , qu'excufer àes
écarts. Rien ne le confoloic plus que d'ap-
prendre qu'il y avoit de la ferveur dans les
Monafleres ,Ôc que ceux qui y avoient pris
parti , menoient une vie digne de la faintecé
de leur état. Ainfî loin de déclamer contre
les Ordres Religieux , comme font les eC-
pritsfuperficiels, toujours peu charitables»
& fouvent libertins , il avoit pour tous un
amour tendre , fmcere , refpeclueux. Il rap-
jpdloit avec une faincc adrefle les principales
dence.
DE M. BoUDON. Liv. HT. 42 r
a<5lions de leurs faints Fondateurs , dont il ^^^ Pf*
pofledoir parfaircmenr l'Hiftoire ^ & pref-
que fans qu'il y parût , il faifoit fenrir à ceux
qui trouvent la vie d'un grand nombre deSo-
liraires Ci commode , que bien loin de la fui-
vre pendant un grand nombre d'années , ils
auroient bien de la peine à la foutenir pen-
dant un Carême. Je voulois ne parler ici
que de fa prudence , dz je parle inienfible-
menf de fon refpeà pour tous les Ordres
de l'Eglife. Mais le moyen de ne célébrer
qu'une vertu , quand il s'agit d'un homme
qui les réuniflbk toutes , & qui très-fouvent
en pratiquoit plufieurs à la fois. Voici une
nouvelle preuve de cet enchainemenc Ci
précieux , mais fi rare.
Un Eecléfiailique ayant été nommé par
lin Supérieur du premier rang , pour s'in-
former d'une manière fouple & miénagéede
cequife paflbit en plufieurs Maifons d'un
même Inilirut \ Boudon, qu'il confulta avant
que de rien entreprendre , lui donna der avis
aulTi fages que refpeéliieux pour les Puiflan-
ces Eccléfiaftiqucs. Il voulut donc, i". qu'il
fe donnât bien de garde de prendre la qua-
lité de Vifrteur , & de rien faire qui pût in-
finuer qu'il en avoit le titre , parce qu'an -
trem.ent les Evêques feroient en droit de
l'arrêter. 2°. Qu'il fe comportât unique-
ment en ami dans tout le cours de fa
députation. 3°. Que dans les lieux où il y
avoit des Evêques , il commençât par leur
tendre vifire, ou ^ eux abfens , à lears grands
iencc.
42^ L A V i«
Sa Pru- Vicaires, qu'il leur dît qu'on Tenvoyoît pour
s'informer un peu comment les Filles de la
Congrégation de. . . . fe comportoient; fi
elles donnoient par-tout bon exemple *, fi
les Supérieurs Eccléfiafiiquesenétoient con-
tens-, fi elles remplifToient dignement le grand
objet de leur vocation, & c'ell-là, difoic
l'Archidiacre , le point capital. « Il faudra
« encore , ajoutoit-il , vous informer ailleurs
>^ de ces différens articles , mais toujours
« avec beaucoup de précaution. » Ces avis
ayant été fidèlement fuivis par cet Eccléfiar-*
/lique , homme plein de zclc de de probité ,
il en réfulta des biens fans nombre dans tou-
tes les Maifons de cet Infiitut. Une conduite
haute Se fiere aiiroittout perdu -, une con-
duite humible Se refpedueufe fit que tout le
monde fe prêta au bien.
Si l'homme de Dieu étoit fage êc circon-
fped dans les avis , il ne Tétoit pas moins à
prendre fon tems & Ces mefures pour les
donner. Un jour qu'il fe trouvoit avec des
gens de Lettres , un d'eux avança quelques
propofitions aufil faufles^qu'elles étoient har-
dies. Boudon , qui étoit naturellement vif,
quand il s'agiflbit des intérêts de l'Eglife ,
fut fi long-tems fans les relever , qu'un de
Ces amis qui étoit préfenr , en fut tout-à-faic
furpris. Mais comme ce frivole Diflertareur,
à la manière des Demi-fçavans à qui un ton
décifif tient lieu d'érudition , enchérifibit
toujours fur lui-même , 6c s'effoiçoit d'éta.-
felir par de nouveaux paradoxes ceux qu'il
DE M. BOUDON. IlV. III. 427
avoît déjà avancés, l'Archidiacie qui vie SaPra-î
unenombreufe compagnie en danger d'être ^^^^'
la dupe de fçs erreurs , commença à l'entre-
prendre. 11 le fit avec tanr de force , tant de
vigueur , & des raifons û péremproires, que
quoiqu'un ïota foie peu de chofc , fon ad*,
verfaire n'en trouva pas un à répliquer. Mais
fa viéloire lui fit moins d'honneur, que la
fagefle Ôc la modération dont il la couronna»
Car , après avoir terraffé fon homm.e , après
l'avoir écrafé par le poids des autorités qu'il
produifit contre lui , il lui tendit la main de
fi bonne grâce , il le releva d'une manière û
douce, qu'on ne fçut qu'admirer davantage
ou de fa profonde érudition, ou de la fage
dextérité avec laquelle il fe faifoit un ami
d'un homme qu'il avoit battu , Se bien bat-
tu. «Pour moi, <^/V une perfonne qui fut témoin
>i de cette petite fcène ^ j'attribue une fi heu-
» reufe conclufion à ce grand recueillement
« & à ce filence accompagné d'oraifon, qu'il
«i garda fi îong-tems avant que de parler. »«
S'il fçavoit parler à propos , il fçavoir Çt
taire quand il ne convenoit pas de parler.
Dans fon voyage d'Allemagne il arriva un
foir rrès-fatigué dans une hôtellerie, où il
y avoit tant de monde, qu'il fiir obligé de
partager fon lit avec un Gentilhomme Lu-
thérien. Celui ci après avoir pafl'é une par-
lie de la nuit à jouer , vint fe coucher auprès
de l'Archidiacre , lequel fe fentit à l'infiant
porté à terre comme par une main invifible,
<jui réloig^noit d'un impie. W y pafla la nuit „
4^^ La Vie
«a Pru- Se partit de grand matin fans lui dire nn mot^
^"^^' Son zélé & fa capacité le prefloient d'entrer
en matière, & de tenter la guérifon d'un
homme aveugle en plus d'un fens. La pru-
dence l'arréra. Il fe fouvint qu'il étoit dan-
gereux de jerter les perles devant les pour-
ceaux; & que l'abus d'une nouvelle grâce
ne fert qu'à rendre plus criminel celui à qui
elle a été préfentée.
Dans les confeils qu'il donnok , il étoîc
attentif à deux chofes : l'une, de ne point
précipiter fon jugement j l'autre , de n'aller
jamais au - delà de Ces propres lumières.
Une Demoifelle , dont la mère aulTi infir-
me qu'avancée en âge , n'avoir d'autre con-
folation, ^vraifemblablement d'autre ref-
iburce qu'elle , étoit preflee par fon Dire-
d:eur , homme très-éclairé , d'entrer dans
une Congrégation , où il la jugeoit capable
de faire de grands biens par fa piété Ôc par
fes talens fupérieurs. Dans le confiid de
deux obligations , dont chacune a voit fçs
motifs , la jeune perfonne s'adrefTa au grand
Archidiacre pour avoir fon avis. On trouve
dans fa réponfe , quoique affez courte , tout
ce que la prudence peur offrir de plus judi-
cieux. Boudon y évalue les droits de la na-
ture à leur ]i\(ïe prix'. Il fait voir en deux
mots que les raifons fur lefquelles on éta-
blit la vocation d'une jeune perfonne , font
quelquefois plus fpécicufes que concluantes
que la vocation de Dieu efl la condition ef-
fentielle de ces fortes d engagemens^ de que
DE M. POUDON. LiV. IIÎ. 429
le bien qu'on y peut faire , n'ell: point une Sa rru-
pieuve de cette vocation. 11 ajoute, de ccs*^^^^'^?*
paroles m'ont paru remarquables : Si le
trouble que vous [entez, à ne pas adhérer à
ce dejfein , eft fuivi d'une grande paix , fur-
tout après laja'inte Communion , C^ que cette
paixjoit de durée , & non pas pajfagere ,
c^eft une des marques de la volonté de Dieu,
Il laiffe le refle de l^examen à celui qui en
qualité de Direcleur étoit obligé de le faire.
li le fit en effet , & peut - être mieux qu'il
n'avoit fait d'abord. La Confuhante refla
dans le fiécle , elle y fervit & confola une
mère affligée jufqu'à fon dernier moment.
Elle vécut d'une manière édifiante ; & dans
une condition moins parfaite , où Dieu la
vouloit , elle trouva une paix que tout aU".
fre état ne lui auroit pas donnée.
Un trait fenfible de la prudence du fervi-
teur de Dieu , c'eft que , quoiqu'il fût tout
de feu pour le falut du prochain , & qu'en
ce genre il crut ne jamais faire affez \ il fça-
voit cependant ne fe livrer au bien qu'avec
de juftes mefures, & fans préjudice des em-
plois dont la Providence l'avoit chargé. Ain-
fi 5 malgré le talent qu'il eut toujours de cal-
mer les peines des confciences inquiètes , il
refufa d'entendre quelques perfonncs , qui
d'ailleurs avoient grand befoin de fon mi-
niftere. G'eft que quand on ne peut tout
faire, la première régie eli de faire ce que
Dieu demande de nous.
Mais aulli , quand la volonté de ce grand
430 La Vie
%i pru- Maître étoît bien marquée , il n'éroit p.iç fa-
4tace. ^^jigj^g l'en détacher. Un ConfefTeur, hom-
me de vertu & d'expérience , lui écrivit un
jour , que les foins qu'il étoit obligé de pren-
<lre de quelques âmes étrangement cruci-
fiées , déplaifoicnt à Tes Supérieurs , & qu'on
lui avoit défendu de s'en mêler davantage.
Boudon qui connoilToir , de qui pratiquoic
aurti bien que perfonne la fubordination »
n'ignoroic pas non plus qu'il efl des con-
jonctures, où l'on ne peut ni abandonner
un pénitent , fans expofer fon falut éternel ;
ni le fervir utilement , fans faire bien des
-démarches , qui font d'autant plus de bruit ,
que les loix du plus inviolable fecret défen-
dent d'en rendre compte. Sur ce principe ,
Se inftruit , comme il l'avoit été, de toutes
les circonftances de l'affaire dont il s'agifToit,
il répondit en ces termes , qui ne font ni de
fon génie , ni de fon goût ordinaire. « Je ne
" comprens pas , mon cher MonTicur ,com-
« ment l'entendent vos Supérieurs, de vous
" interdire le foin de ces perfonnes , puif-
>» qu'elles ont plus befoin de vous , que tous
5* les autres qui font fous votre conduite.
w Quoi I pourroient ils donc en confcience
" vous défendre de tirer de l'eau un homme
w qui fe noyé devant vos yeux , ou de don-
»> ner un morceau de pain à un pauvre qui
» meurt de faim , fous prétexte que cela
3> vous détourneroit un peu de vos emplois
« ordinaireSjOU que quelques efprirs malfairs
« cri croient après vous? N'y a t-il pas. des
BE M. BoUDON. Liv. m. 43 r
«* exceptions à roiues fortes de régies r de ce Sa Pm-
« qui cil de droit naturel, n'eft-il pas pre- '^^'*^^*
?* férable à ce qui n'eit que de droit poficif î
» Abandonner des âmes qui fouffrent fi pro-
» digieufemenc , n'eil-ce pas la dernière des
5^ cruautés ? Les renvoyer a d'autres , qui ne
»» connoirront rien à la nature de leurs pei-
" nés , n'eil: ce pas les confier à des aveugles î
"En un mot, M. Notre Seigneur veut ab-
>' folumenr que vous continuyiez à en pren-
->> dre foin j & que la dcfenfe qu'on vous en
»^ a faire , ne vous trouble point , parce qu'il
" fçaura bien appaifer l'orage excité contre
» vous , quand il en fera tems. »
Ce prognoflic fe trouva julle. Le Dire-
cteur a qui Boudon donnoit en même-tems
des avis rrès-fages pour éviter tout ce qui
auroit pu fentir l'éclat ôc la défobéidance,
fe comporta avec tant de ménagemens , que
les Supérieurs,aprcs avoir dilTunulé un tems,
fe virent forcés d'applaudir. Le fucccs ôc les
bénédictions de Dieu jufti fièrent tout ce qui
s'étoit pafTé : des perfonnes , ^/«' fembloient
être fur le bord de l enfer ^ en évitèrent les
pièges ; ôc rendues peu à peu à elles - mê-
mes, elles firent des progrès admirables dans
la vertu.
Au refte , de pareils exemples ne doivent
tirer à conféquence, que dans des cas ex-
traordinairemcnt rares. La règle générale efl
d'obéir à ceux qui font en place. Si quelque-
fois on peut s'y fouilraire , cène fera jamais
que fur l'avis d'un Boudon , & il y en a peu
43i Ï-A Vie
Sa Pru- fiij. la terre. Je crois même que û le Supc*
rieur s'obitinoir a défendre ce que le dernier
trouveroir bon , il faudroit dans cetcc Sup*
poficion , qui bien examinée nell: pas trop
poiïible , facrifier à lobéiflance & Ces lu-
mières , de celles des perfomie^ les plus éclai-
lées.
UArchidiacre n*eroit pas moins prudent ,
lorlqu'il s'agiflbit d'empêcher le mal , que
lorfqu'il éroic queflion de faire le bien. Ayant
un jour rencontré dans la rue un foldat qirî
■juroit le faint nom de Dieu , il lui dit avec
beaucoup de tendreiïe : ^h ! mon cher ami ,
que volts a fait notre bon Dieu y pour lof-
fenfer ? Ces paroles redoublèrent la fureur
d'un homme , qui en écoit déjà plein. Il s'é-
lança fur le faint Prêtre , & lui donna un
fouffler n violent, qu'il le jetta fur le pavé.
Le peuple jugement indigné accourt de tou-
tes parts. On fe faifit de ce malheureux \ on
le met en devoir de le traîner en prifon. Le
Serviteur de Dieu avoit occafionné l'orage ,
illedifllpa par ce peu de paroles, où Thu-
milité règne avec la fagefle. Laijjez.'le aller ,
leur dit- il , ily a ici plus de ma faute que de
la ficnne ^ car je devais attendre que fa co-
lère fut pajfée, pour le corriger utilement,
\Ji\t réponfe fi peu attendue défarma la mul-
titude. Elle laifTâ aller le coupable , & don-
na mille bénédiclions à l'homme de Dieu.
Une desoccafions , ou h prudence de no-
tre vertueux Prêrre a le plus fouvent éclaté ,
lui écoit fournie parieséloges que la juitice
DE M. BOUDON. LiV. lîî. 45 5
^ la probiré ne poiivoienr s'empêcher de j^ ^'^
faire de lui en fa préfence. Il fçavoit fi bien
les écarter , foit par nn morne filence, qui
dérouroir l'Orateur fans qu'il pût s'en plain-
dre, foit en tournant laconverfation aiileursj
quefi de peur de roffenfer une féconde fois ,
on ne pouvoit louer fon adreffe , on pou-
voit encore moins s'abuenir de l'admirer.
Cette dernière obfervation infinue dcja ,
que l'Archidiacre fut parfaitement humble 5
c'ell: de quoi des faits furs , des témoignages
authentiques ne nous permetti on: pas de
douter.
$. XVI. Sor7 Humilité.
*< M. Boudon , dit un homme qui Tavoît Son na.
»> étudié pendant plus de 40 ans^ m'a écrit '^''^^''^'
>» plufieurs lettres , mais une entr'autres qui
" étoit très-longue , & dans laquelle il me
>» difoit fans détour , qu'il n'y avoit rien de
aj bon en lui j qu'il n'y voyoic qu'abomina*
" tion , que matière à la colère de Dieu ; ÔC
« que , fi notre Seigneur par un effet extraor-
9' dinairede fa clémence fur lui , ne rerenoic
'^ les carreaux de fa juftice , pour ne le pas
« punir avec autant de rigueur qu'il le mé-
« ritoit , il y auroit long tems qu'il feroit au
» fond des enfers , à caufe du vuide étrange
»5 de toutes les vertus , qui étoit en lui. «
Ce n eft pas qu'il ignorât abfolu ment les
grâces que Dieu lui avoit faites. Il en parloir
même quelquefois à fcs bons amis , pour les
«ngager à bénir & à rèmeicier avec lui la
T
434 L A ViÊ
«on Hu- divine mîréricorde : Magnificate Dommum
mecum , & exaltemus mmen ejus in idipfum.
Mais ces grâces mêmes, dont ilferecon-
noiflbit indigne, devenoienr pour lui un fujet
perpétuel d'humiliation & de frayeur. Il
trembloit , il étoit faifi à la vue du compte
qu'il en devoir rendre un jour au redoutable
tribunal du Seigneur. « O mon ame , s'é-
»» crioit-il dans la crainte de fa réprobation ,
»> nous allons bientôt entrer dans cette érer-
yy nité , dont la profondeur n'a point de fin.
»' Mais fera-cc dans l'éternité bienheureufe?
y> Sera-ce dans l'éternité malheureufc ? O in-
»* certitude épouvantable ! O penfée terrible,
« pour un pécheur comme moi ! »
Ces idées fi humiliantes , Boudon ne fe
contentoit pas de les nourrir danîîfon cœur, il
s'efforçoit de les infpirer à ceux qui le con-
noiflbient , & à ceux qui ne le connoifToient
pas. 11 auroit voulu que tout l'Univers por-
tât de lui le jugement qu'il en portoit lui-
rocme. S^s Ecrits qui ont couru route l'Eu-
rope , font remplis des fentimens qu'il avoir
de fa prétendue indignité. « Je ne fuis, 3;
w dit il y je ne fuis qu'un miférable aveugle ,
5> qu'un très-grand pécheur &c le dernier de
3> tous les pécheurs. Je le reconnois en votre
»> préfence , ô mon charitable Gardien -^ je
5* le veux dire devant tous les hommes. Je
9k veux que toute la terre fçache , que je me
•* vois mériter non -feulement la dernière
« place du monde , mais encore la dernière
« place de l'enfer. Je me vois au - delTous de
» tous les démons. »
DE M. BouDON Liv. m. 43J
Cette grande humiliré étoic le principe Son Hu^
cte la rendrefie infinie qu'il eut toujours pour "''^"^' '
les pauvres, & du plaifir qu'il prenoit avec
ceux qui etoient le rebut ôc comme la ba^
Jayeure de la terre. On voyoit cet homme
vénérable par fa dignité & par Ces cheveux
blancs , tantôt in/lruire à la porte de fa
chambre un pauvre foldat , & lui donner
enfuite tout ce qu'il pouvoit^ tantôt dans
uneruecarefTer un enfant, pour lui appren-
dre les principes de la Religion j tantôt s'af-
leoir au chevet du lit d'un pauvre moribond,
ahn de le difpofer à bien mourir. Il étoic là
comme dans fon centre -, ôc h chaumière
du plus malheureux payfan le flatoit plus
que le palais du plus grand des Rois.
Il avoit eu l'honneur d'avoir pour Mar-
reine Henriette - Marie de Bourbon , fœur
de Louis XIII. Se Reine d'Angleterre. Il eût
pu ileutmeme,cefemble, dû lui rendre
fes devoirs pendant qu'elle étoic à Paris ôc
qu'il y étoit aulTi. Jamais il ne voulut ni la
voir ni fe faire connoirre à clk : le titre de
filleul d une augufte Princeife lui auroit don-
ne du relief ^ il n'avoit de goût que pour les
opprobres Se pour la confufion. Publier Ces
défauts , quand l'occafion s'en préfentoit
raconter quelques hiftoires de fa vie ou il
avoit été^ bien humilié j chercher qiielque
Kioyen sur de l'être encore; rendre à Dieu
des avions de grâces; quand il l'avoit été
voila fon étude & fon occupation. « Je frais'
- du un Magifirat d'Anddy .qu^^y^ntoixl
Ti)
jnilitë.
4^6 Là Vie
Son Hu- M vert dans la boutique d'un Libraire nn Lî-
" vre, qui étoit la calomnieufe hiftoire de
»> fa vie , & étant tombé fur ces paroles :
*> Les crimes ci-dejjus refont rien en compa-
" raïfon de ceux que ledit /ïeur Boudon a,
»j commis ; il en fut ù tranfporté de joie \
» qu'il s'^n alla de ce pas célébrer la fainte
»' IVlefTe , afin d'en remercier la divine bon-
%i té. »
Sur la fin de Cqs jours , c'eft-à-dire , dans
un tei^soùil étoit honoré de fon Evéque,
conltdéré d'un grand nombre de Prélats,
confult-é de toutes les parties du Royaume,
célèbre jufques chez les nations étrangères ,
regardé conllammcnt comme ThoiTime du
fiécle , qui étoit le plus verfédans la fciencç
fi rare des voies intérieures: en un mot,
dans un cems , où quelque étincelle d'orgueil
auroit pus'infinuerchez lui , il fe regardoit,
je ne dis pas j iomme un ferviteur inutile,
mais comme un coupable à qui Dieu ne pro-
longe fes jours , que pour lui donner lieu de
faire pénitence , & -de pleurer Ces péchés,
forcé par une peïfonne qualifiée» de don^ier
encore un difcours aux Filles de la Croix ^ ,
qu'il eflinToit beaucoup. « Pavois réfolu ,
i> écrivit-il à un ami^ de ne plus parler du
tout en public : perfuadé , comme je le fuis ,
» qu'il efttems de me prêcher moi même,
» & de me prêcher fortement & très- forte -
•» iT>ent , afin de m'humilier & de mé con-
•Ce font xelles gui demeurent auprès de Ta place
Eoyalc,
DE M. B<:)rr>o>f. Liv. !îî. 437
V. fondre du peu d'ufaee que j'ai fait des vé- ScnKa^
»' riics que j aifi louv^nt reperces aux autres ,
" de les méditer dans un profond filcnce ,
" de pafier le peu de rems qui me refte , à
»•> gémir de mes miferes , &: de crier mifé-
9> ricorde à Jefus le père àts miféricordês.
Plus fes derniers momcns s'avançoienr ,
plus il s'abyfmoit dans fon néant. 11 en>
ployoir le crédit qu'avoient auprès de Dieu
les gens de bien , pour lui obtenir la rémif-
fion de fes fautes, &c lagr^ce de ne plus vi-
vre que de îa vie de J. C. « J'entre vendredi
»* prochain dans la foixante - dix - huitième
« année de mon âge , écrivoh-ïl à un Ecclé-
i'fiafiiqite, je le dis avec des torrens de lar-
'-mesj car le Sauveur a eu vivre en moi
i» dès le premier moment de ma naiHance j
« puifque fon aim.able Providence m'a fait
V renaître en lui le même jour par le faine
'> baptême. Que d'amour de fon côté; que
3j d'ingratitude du mien l « C'eil: ainfi que
penfoir(5(: que parloir de foi le grand Archi-
diacre d'Evreux. Qui fera à l'abri de lim-
putation de l'orgueil , s'il ell permis de l'en
foupçonncr ?
$. XVII. Sa pureté u^ngélique.
Nous n'oppoferons aux calomnies que l'îm- 5a Pare^
pudence a débitées contre ce digne Minière ^ *
de J, C. qu'une fimple expofition de fa con-
duite , de (ts fentimens de de fes paroles.
Nous ferons même forcés d'affoiblir nos
preuves , parce qu'un plus grand jour pour*
Tiij
43^ La Vit
5a Pure- roic fatiguer l'imagination. La pureté eft urne
vertu qu'on ne peut guères louer en détail ,
fans y donner quelque atteinte.
La dévotion envers la fainte Vierge , que
le jeune Boudon parut avoir fucée avec le
lait , lui donna dès fon enfance une fi grande
inclination pour la pureté , que , comme
nous l'avons dit dans lé premier Livre de
cet Ouvrage , il fit à l'âge de neuf ans le vœu
d'une perpétuelle virginité. Depuis ce tems
jufqa'à Cà mort il n'a jamais rien fait qui ne
fervît à l'y rendre fidèle. C'efl peu dechofe
pour un homme de fe laiiTer toucher la main
par un autre homme , Boudon ne l'a jamais
foufferr. Il ne fixa jamais aucune perfonne
d'un fexe différent. Pour dérober en ce poinc
l'auftérité de fa modedie , il portoit à droite
Ôc à gauche la vue fur des objets indifférensj
jamais fur la perfonne avec qui il étoit obligé
de s'entretenir. La vue d'une nudité lui eue
plus fait peine que celle d'un démon. Il fut
pendant un tems confidérable en grande re-
lation avec une Abbefie , dont il inlh'uifoit
les Religieufes? il eut avec elle , ôc fouvent ,
de longues conférences. Quelqu'un lui de-
manda un jour s'il étoit vrai qu'elle fut aufïl
belle , qu'on la difoit dans le public : Tout ce
que je fçaii , reprit-il avec fon aimable in-
génuité , ceft que je n'enfçais rien , je ne l'ai
jamais regardée '^,
♦ Ce r^cit eft du célèbre M. Bofcguérard , Curé de S.
Kicolas de Rouen , qui avoir connu mieux que pcrfonnç
{£ grand Archidiacre i y
Dî M. BouDON. Ltv. ÎIL 439
- Son amour pour cette précieufe vertu Sa Pure*
ëclatoit au-dehors par un extérieur fi fage- ^ *
ment compofé , qu'il étoit difficile de s y
méprendre. A parler en général , dès que le
faint Prêtre , paroiiToit dans une compagnie,
il y infpiroit un refped , une précaution ca-
pables d'arrêter les langues les plus indif-
crettes. Si dans les voitures publiques , où il
fe trouvoit fouvent , quelqu'un ofoit s'é-
chapper, il le reprenoit avec une gravité
qui commandoit le filence •, mais en même
tems avec une douceur , qui lui gagnoit les
cœurs, il étoit plus vif à l'égard de ces fem-
mes andchrétiennes , qui font trophée de
leur fcandaleufe nudité. Il leur faifoit une
eoirection fi animée, que, malgré leur fe-
cret ôc impuifTant dépit , elles s'obfer voient
au moins pendant le refte du voyage.
Dans Ces prédications il tomboit avec une
fâinre fureur fur ces infâmes mondanités,
qui avoicnt prefque commencé de Ton tems,
6c qui du nôtre font montées jufqu'à l'excès.
« O horreur des horreurs, s'écrioit - // dans
r> l'amertume de fa doitleiir , que penfent les
y» Efprits céleRes , ces intelligences fi pures ,
» quand ils voyent les zélatrices de fatan en-
j«trerdans nos temples, affiftcr à nos dif-
« cours pourdifputer à la parole de Dieu la
33 converfion des cœurs , & fervirau diable
« fouvent avec bien plus de fuccès , que le
» prédicateur ne fert à Dieu avec tout fon
« zélé. . . C'eft-là , Mefdames, c<?;7f/;7;/oîr-/7,
î* ce qui vous a rendu l'objet de l'horreur ^
Tiy
440 L A V I E
Sa Pure- » dcs Saints , qui vous ont prodigué les
^* » nomsles plus terribles & les plus funeftes.
î* Mais je vous avertis que vous pafiferez
5' bientôt au tribunal du fouverain Juge -y que
" vous y pafTerez avec le monde à quivous
» voulez plaire ; ôc que les admirateurs de
'> votre beauté n'iront point à votre fecours.
» Dans ce jour redoutable des vengeances
?' du Seigneur , nous vous entendrons , &
»ce fera fanscompalTion que nous vous en-
5>'tendrons crier -.Montagnes , écrafez-nous:
" cachez , enfeveliflfez fous vos ruines de mi-
î* férables créatures qui n'ont péri , que
jj parce qu'elles ont defiré de plaire Ôc d ecre
» vues. C'e/l-là que les mères feront reren-
î> tir ks airs de leurs cris , en voyant que leurs
»> mauvais exemples auront perpétué long-
»j tems après la mort leurs défordres dans
w l'ame de leurs filles. Il en fera ainfi de tant
» d'autres femmes , qui font des fources pu-
« bliques d'iniquités dans les Villes , où par
" leurs modes nouvelles ôc leurs ajuftemçns
n^^ diaboliques, elles apprennent à quantité de
♦ jeunes perfonncs à les imiter. Mais mal-
3>heur aux filles qui fuiventces modes. Mal-
» heur aux pères & aux mères qui les fouf-
>* frent. Malheur aux ConfeflTeurs , qui ne
*» font pas les derniers efforts pour arrêter
»» ces fcandalcs. O mon Dieu , quelle diffé*
«» rence y a t il en cette vie entre les per-
f> fonnes mues de l'Efprit faint , & celles qui
fi font animées de Tefprit de la nature cor-
#f rompue 1 Mais aufli quelle différence y an-
©E M. BouDON. Liv. Iir. 44t
w ra t-il dans l'antre vie ! Miférables mon- >^^ ^^^^'
" daines :vous lelçaurez bientôt i maisvous '"
» le fçaurez trop tard pour vous. Vos plaifirs
H trompeurs ne tarderont pas à finir , ôc les
« rourmens qui vous attendent , ne finiront
"- jamais. »
Ce morceau , que nous avons tranfcrît
exprès comme bien d'autres , ne fervira pas
de modèle aux Orateurs du tems : ce n'efc
pas à moi à leur en faire un crime y ce que
jefçais, c'eft que Boudon touchoir , qu'il
convertiïïbit , éc que plus d une fois il fit ôc
afïïira à la pureté de glorieufes conquêtes.
Ce n'étoit pas feulemenr en Chaire qu'il
s'armort contre le vice qui lui eft contraire ;
il le pourfuivoit par-rour. Dans Ces vifîtes il
s'informoir avec une fage exactitude de rout
ce qui avoir rapport à ce genre de défordre r
ri cherchoit , & il faififibir les moyens les
plus prompts pour l'arrêter. II faifoit réha-
biliter les mariages nuls. Il otoit le fcandale
Se les débauches qui en font le principe. II
prenoit fon tems pour enlever de la maifon
des Grands les portraits ou les tableaux fn^
décens i ou du moins pour les faire metrre
dans l'état où la modeftie vouloit qu'ils fuf-
fent. Il en faifoit autant , lorfqu'il rrouvoir
dans les Eglifes des images on des figures^
qui n'étoient pas dans la règle. Il n'eut faic
grâce ni à Rubens , ni à Michel- Ange.
>^Quel défordre plus infupportable, difou-H
yr. avec une jujh indignaTion , quoi de plus
sr, injurieux aux Saints, que de les peindre^
té.
441 L A Vl E
Sa Pure-» avec des attitudes qu'ils ont eues en hor-
» reuri ou de donner à leurs images des or-
9» nemens qu'ils ont foulés aux pieds? N'efl-
» ce pas là mettre l'abomination de la défo-
>» lation dans la Maifon de Dieu î >•
Exact & fagement timide dans le facré
Tribunal , il perçoit l'ulcère d'une main fer-
me , mais précautionnée. Il infpiroit de la
confiance au malade. 11 guérifoit fa plaie ,
fans Taccabler de reproches. S'il lui faifoic
verfer dQS larmes , c'ccoit de celles que le
faint amour commande. D'autres rebutent ,
^' ils ne convertirent pas: il ne rebutoic
jamais, & il rappelloit à Dieu.
11 nefe bornoit pas à détruire le mal : il
s'appliquoit ou à planter 1% vertu fur fes dé-
bris , ou à la fortifier , foit contre la coupa-
ble fédudion -/foit contre les leçons moins
parfaites de la chair & du monde. Mais en
portant à 1 embrafier , il ne diffimuloit pas
que pour en venir là , il y a des efforts à faire
éc des combats à livrer. Si à l'exemple dtS,
Ambroife , il donna toujours à la pureté les
éloges qui lui font dûs, il n'afîoiblit jamais
les pénibles mefures , dont le concours eft
néceffaire pour la garder.
Ce fut dans cet efprit de vigilance & de
précaution, qu'écrivant à une jeune per-
îbnne : il lui dit : f« Continuez encore pour
<» une année le faint vœu de cha leté j mais
« rendez vous fidèle , non-feulement à évi-
ftjterles plus légères occafions, qui pour-
a> raient le iiioins du monde terme l'incom-
DE M. BbuDON. Liv. lîf. 443
^y parable blancheur d'une vertu fi aimée de Sa Pure*
« notre Seigneur & de fa très- pure Mère j ^ *
» Mais encore à fuir celles qui pourroient
s> faire la moindre peine aux autres à votre
3> fujet : tâchant5autant que vous le pourrez ,
'■> d'être en toutes chofes , Ôc particuliérc-
»» ment en celle-ci; la bonne odeur de J. C.»*
Ce que le faint homme infpiroit aux au-
tres, il Tobfervoit avec la plus fcrupuleufe
exactitude. Dans fes Millions , qui l'ont (i
fainrement & fi long-tems occupé, il ne
Jogcoitni chez des Dames d'une piérédiflin-
guée 5 ni même chez des Religieufes , que
lorfqu'il lui étoit abfolument impoffible de
fe placer ailleurs j & alors il y vivoit avec
tant de retenue, tant de vigilance fur foi-
même , tant de précaution à l'égard du
prochain , que fa moindre vertu étoit de ne
point donner de prife à l'ennemi.
L'oraifon , les mortifications du corps ,
la dévotion envers la Reine des Vierges ;
furent les grands moyens dont il fe fer vie
pour conferver fon innocence ; & l'on e^l:
sûr que ceux qui en feront TefTai , ne tarde-
tont pas à en fentir l'efficacité.
Il fçavoit que la continence e/l un préfent
du ciel -, que c'eft dans cette matière û pé-
nible à la nature corrompue , qu'échouent
les ftériles efforts du Phiiofophe , ô^ la pré-
fomptueufe confiance du Pélagien j que ce
ne fut pas dans fes beaux joyrs, mais fur le
déclin de fes ans que tomba Salomon. De-là
quelle fource de réflexions pour un homnî»
Tvj
444 L A V I ff
Sapurç. fi accoutumé à en faire ? Et combien de foU
s'écria-t-il : Donnez,-moi , Seigneur , ce cœur
'pur y dont la façon eft entre vos mains , &
que je ne puis attendre que de vos mifé ri-
cordes*
Mais il falloit fe prêter à l'opération de la
grâce, & Boudon le fît par toutes les bonnes
œuvres donfclle e/l le principe, & fur tout
par une longue chaîne de pénitences, qui fc
remplaçoient coup fur coup & fans inter-
ruption. Outre le continuel & laborieux
exercice de Çqs voyages , de (es Miflions , de
fts Conférences , de fes Vifltes d'Archidia-
cre , de fon aiTiduiré au ConfefGonal , de
ics Lettres acl:ives & paflives , jamais cu-
rieufes , toujours intércfTantes , & des - là
toujours appliquâmes; cet homme né pour
traiter fon corps en ennemi rebelle , jeûnoit
prefque toute l'année, èc après avoir paiTé
une partie de la nuit en oraifon , il fe cou-
choit fur à^s planches. Ce n'étoit-là qu'une
partie de (ts auftérités j <Sc les inftrumensde
fa pénitence qui fubfulent encore , en an-
noncent bien d'autres. Mais il en eil , & il y
a toute apparence que ce ne font pas les
moindres ^ dont le fecret n'a point tranfpiré.
Un de fes amis l'ayant une fois furpris , lorf-
qu'il enfaifoit une très-rude , il lui fit pro-
mettre qu'il \\tn parleroit jamais : & celui-
ci a fi bien gardé fa parole , que , même après
la mort de l'Ar-chidiacre , il n'a pas étépof-
iîblede lui faire dire ce dont il s'agiflbit :
C.eji , répondoit-il pour juftifiei: fon fileaçe^,
DE M. BouDON. Lrv. ÎIÎ. 44 r
que je craws d'encourir l'indignation ofiin ^ P««*
homme qui efl jt bien auprès de Dieu, Corn-
bien femblables trairs de fon humilité ne
MOUS a-t-elie pas dérobés î
Pour ce qui elt de la dévotion à la fainre
Vierge , Boudon la regarda toujours comme
un des plus forts remparts qu'on pût oppo-
fer aux infultes de l'ennemi , c'elt à-dire , aux
tentations du monde , de la chair ôc du dé-
mon. « Chacun peut fçavoir , dtfoit - il ,
« combien les combats font fréquens dans
»j cette périlleufe carrière ,& combien il y
'^ a de perfonncs qui y font vaincues. Hé-
» las ! le monde prefque tout entier y fuc-
" combe i &: c'eil le cStamun fentlment des
»j faints Docteurs , que la plupart de ceux
>* qui fe damnent , ne fe damnent que par
^' ce crime. Nous avons donc befoin d'une
" puiflante protection^ de la protection de la
>' Vierge des Vierges, pour ne pas tomber
^ dans un malheur fi commun. Demandons
'^ doncavec S., lldephonfe , qu'elle nous fafle
" aimer la gloire de fa Virginité. Dieu tout
>-> bon , tout miféricordieux , ne manquera
« pas de favorifer de grâces particulières le
'■» zélé de ceux qui vengeront la Virginité de.
» Marie , & qui eftimeront comme il faut ,
"la vertu par laquelle elle seit rendue fi
>» agréable aux yeux de fon Fils. Que les per^
" fonnes qui y font appeliées , confervent
« tendrement ce don de Dieu , quoi qu'il
» puiiTeleurencoûrer. Que lesPalteurs , lesi
?.* Prédicateurs, les Confeiîcurs iAviteutàlk
44^ La Vie
«aPure- „pi-atique,rclonleconfeil àcJ, C. & qtOP
« les pères ôc ks mères ne foient pas allez
» malheureux p>our en détourner leurs en-
"fans, en y faifant naître des obllacles. »»
C'ell ainfi que pcnfoit ôc que parloit M.
Boudon ; maisc'ell ainfi qu'il unifioit la pra-
tique aux paroles Ôc aux fentimens.
§. XVIII. Son Amour pour la Pauvreté -
& pour les Pauvres,
Sa Pau* La pauvreté évangélique n'efl pas une de
Treté. ces vcrtus , que la nature pratique par attraic
& par inclination. Malgré le grand exemple
du Fils de Dieu , qurtétant riche s'eft réduit
pour nous à un état oindigence ; malgré l'a-
nathcme qu'il a lancé contre les riches ôc
contre leurs richc/ïes-, il y a dans le fond du
cœur de l'homme une efpéce d'horreur de
toutcequireflenr la mifere , & l'humilia-
tion qui s'y trouve attachée. Et s'il eft en-
core àcs Chrétiens qui difent férieufement
avec le Sage : Seigneur, préjervez^-moi d'une
grande fortune ; il en ei1: peu qui n'ajoutent
au moins fecrettement : Mais prefervez-moi
encore davantage d'une affligeante mendicité,
Difciple fidèle d'un l3ieu pauvre, Bou-
don fe fit un précepte rigoureux de ce qui
n'étoit qu'un confeil. Né pour avoir autant
de bien qu'il en faut pour vivre dans une mé-
diocrité commode , il regarda depuis fa plus
tendre jeurefle jufqu'au dernier foupir de fa
vie , la défappropriation & le dénumenc
comme fon plus riche thréfor. Le rebut > la
DE M. EouDON. Liv. lîî. 447
Confiifion , le mépris, injufte , mais trop ^^^J^^*"
commun appanage de la difettci loin de le ^
faire rougir , firent le fujer de fa gloire. Il en
parlait , dit un de fes Hiftoricns , avec îine
jubilation de cœur & un tpanouijjement de
i>ifage y qui marquaient bien qu'il s'ejlirncit
heureux d^ avoir quelque fart à la -pauvreté
de /. C, II rappelloit fes vieilles hilloires de
Paris avec plus de plaifir , qu'un Confui
Romain n'auroir rappelle les circonllances
de fon triomphe , il en apprenoit le dérail à
ceux qui l'ignoroient : en un mot il s'en fai-
foir honneur , non par bafiefle de fentiment,
mais par un vrai & folide principe de Chrif-
tianilme. « Je ne rougis point , écrivoit- il à
*> un ami , & c'eft par une miféricorde infi^
>i nie que je ne rougis point de dire mes be-
« foins. Notre bon Sauveur m'a fait la grâce
» lorfque i'étois encore Laïque , d'être obli-
>' gé pluficurs fois de demander Faumône
»> aux portes des Eglifes de des maifons fé-
« culieres , expofé aux yeux de tous les paf-
" fans. C'ell: que*la divine Providence veuc
« qu'on demande en toute humilité fon né-
>'ceiïaire,Â: que l'on fafTe comme les oi-
« féaux que le Sauveur nous apropofes pour
» modèles ; & que fa Providence oblige de
« voler tantôt dans un endroit , & tantôt
» dans un autre, pour y trouver leur nourri-
» ture. »
C'étoit fur cette aimable Providence que
Thomme de EHeu s'appuyoif , & il vouloir
,«e s'appuyer que fur elle. Les Evcques d'h-
A^f La Vie
Sa Pau- vreiix lui ont voulu donner des Bénéfices;
mais il les a conûammenr refufes. Ccpen-
danc le fien , loin de lui fournir quelque par-
tie du néceiTaire , lui éroit onéreux. « Il n'y
» a pas de quoi vivre dans le Bénéfice donc
« je fuis pourvu , difoh-il à wne perfonne de
*? confiance , de c'cft de quoi je bénis Dieu j
" car aurremenr je forrirois de mon état de
« pauvreté , que j'eftimc plus que routes les
»richeflesdu monde. Je ne fcais fi l'année
« qui vient j'aurai plus de cinquante francs
« de revenu en tout j d<: il me faudra payer
" trois fois plus de décimes : ainfi ce n'ell pas
« Iç Bénéfice qui me fait vivre \ j'en ai un
«autre, bien plus riche, ^ qui eft inépui-
« fable: c'ell le rhréfor infini de la Provi-
'> dence. Elle m'eft fi bonne , qu'elle me four-
".nit encore de quoi donner aux. pauvres, ^r
Il comptoit fi fort fur cette bonté fingu-
liere de la Providence , qu'il ne voulut ja-
mais cefier d'en dépendre. Après la mort
d'une perfonne qui lui fourniflbit du linge v
car il n'avoir pas une ferviette qui fût à lui y
un de fes amis lui écrivit , qu'il vouloit lui
envoyer, de l'argent afin qu'il en achetât.
Mais le pauvre de J. C fe donna bien de
garde d'accepter fes offres. Il le pria de le
lai fier vivre & mouTirdans Texercice de la
fainte pauvreréi l'afliirant que fans ce moyen
qui le rendroit propriétaire , la main de Dieu
içauroit bien pourvoir à (ts befoias.
Il ne regardoit que comme une aumône
tout ce qu'oa vouloit bien lui doiincr^Mais
DE M. BouDON. Liv. m. 449
comme il reçevoit humblement , il recevoit ^^ Paii*
fans façon , lorfqu'il avoit befoin. Une Da-^^^' *
me s'éranc appeiçue que fon manteau long
avoit fait fon tems & quelque chofe déplus,
le fit prier par une perfonne de confiance
den accepterunautre.il y ccnfentit avec
adions de grâces j mais à condiiion qu'en
n'y employeroit qu'une étoffe des plus com-
munes. Ainfî , s'il fçut être propre, parce
qu'il ne vouloit pas qu'un Prcrre rebutât par
fon extérieur -, il fçut pour le moins aufTi bien
être toujours véritablement pauvre. C cH:
dans ces fentimens , que pour encourager
une Dame à fouffrir en paix la décadence de
fa fortune ôc l'excès de fes miferes , il lui écri-
voit en ces termes, qui ne pouvoicnt fortir
que de la plénitude de fon cœur. » Je m'efti-
3i merois heureux d'aller toutes les femaines
3j chercher l'aumône, Se il me femble que
V c'eA pour une ame un mets bien exquis i
" puifque par-là elle eft purgée des méehan-
« tes humeurs de la nature corrompue , ôc
w partculiérement de la fuperbe. Il faut
»*ien ménager toutes ces actions d'humili-
>j té : il n'y en a pas ime qui ne vaille un
x> million d'or ; & les rebuts qu'on y trouve,
» font grâces fur grâces , ôc une. tnrféricorde
9i de notre Seigneur & de fa fainte Mère. »
De ce grand amour pour la pauvreté naif-
foit en ce faint Prêtre un amour fingulier
pourlespauvres.il alloit jufqu'à fe décou-
vrir, quand il paflbit devant leurs maifons.
Jl fe mêloic volontiers avec eux , pout leur
^
4S0 La Vi£
«a Pau- apprendre à fanaifîer leur érar. Il catéchî-
^^" • foie ceux qu'il rrouvoit fur les grands che-^
iTiins. C'étoicpour luiunplaifir de pafler la
nuit fous le toit ruilique d'un malheureux
villageois , parce qu'il y avoit de quoi exer-
cer fon zélé & fa charité. Il étoit plus fenfi-
ble à la plus légère de leurs peines , qu'il ne
rétoit à la plus grande des ficnnes. Leur faim
déchiroit Ces entrailles , comme autrefois
celles de S. Exupere ^. Il tonnoit contre la
dureté de ces riches , qui ne payent qu'avec
peine un pauvre ouvrier. Il difoit que c'étoic
boire le fang & la fueur d'un mercenaire ôc
de fa famille.
« Il faifoit lui fcuî , à l'aide de h Provî-
»' dence , plus d'aun^ones , que n'en font
»» plufieurs Maifons Régulières des mieux
« rentées. » La compaflion étoit née avec
lui , Se elle ne fit qu'y croître. 11 étoit encore
enfant, lorfqu'il commença a donner ks
propres habits à ceux qui n'en avôient point.
Il auroit fait la même chofe fur la fin de fci
jours , û toute autre reflTource lui eût man-
qué. Mais fans avoir le néceflTaire pour lui ,
il fçut avoir du fuperflu pour les autres ; Sc
ces autres , il les déterroit par tout : en forte
qu'à Laval, c'eA - à - dire , à l'extrémité du
* Famé torquebatur clenâ Exuperius. Ce faint Evcqu«
de Touloufe , à qui S. Jérôme a dédié fon Commentaire
iur Zacharie , mourut vers l'an 447. On fçait qu'après
avoir vendu tous fes biens, il vendit encore les vafes fa-
crés pour foulager les pauvres , & qu'il fut réduit à porter
Je Corps de J. C. dans un panier d'oiicr, & fon Sang
«ians un Calice de verce. '
DE M. ËOUDOK. LiV. III. 4JÎ
Maine , il aiîifla pendant plufieurs années Sa Paiï^
nne douzaine de peiTonnes > riches en ver- "^^ '
tus , mais très - pauvres du coré de la for-
tune. Il ne les oublia pas à fa mort j il enga-
gea un vertueux Prérre , qui avoit été le dé-
pofitaire de fes aumônes , à les prendre fous
fa proredion.
Ce qui Taffligeoit , & ce qui a toujours
affligé les vrais Chrétiens , c'eit que les pau-
vres ne connoiffent point aflez le bonheur
de leur condition. « O vous , qui vivez dans
'•'l'indigence, lenr ci:foh-îl , où eii votre
a Chriilianifme r Eil: - il poïïibk que vous
« croyiez que vous êtes les héritiers du
» Royaume de Dieu ? Si au milieu de vos mi-
»* fcres vous appreniez qu'on varrès-siire-
w ment vous mettre cnpofieiïion d'unRoyau-
« me temporel , n'eit- il pas vrai que cette
w nouvelle vouscharmeroirjVous& votre fa-
« mille? D'où vient donc que vous êtes fî
>» peu touchés du Royaume du Ciel qui vous
»j appartient? Ce qui eft sûr néanmoins, &ce
>-» qu'il va de plus confolant, c'efl que ceux
»:» qui font le plus dénués àzs commodités de
» la vie , & plus abjedès félon le m'onde . y
^ ont un droit particulier, quand ils fçavcnc
»■> bien ufer de leur état. Vous êtes bienheu-
» reux ,ô pauvres, dit le Fils de Dieu , pî^rce
w que le Rovaume dts Cieux eft votre héri-
« tage. C'ert donc une grande vérité , qu'un
» pauvre vigneron, un chétif artifan , une
« fervanre , ik: autres femblables , qui fcnc
w l'opprobre du monde , font autant de Rois.
J
vrcté.
451 La Vil!
Sa Pau- i^ de Reines, s'ils font véritablement Chrc*
>> ciens. »
L'excefTive dureté des Riches , qui ne re-
double jamais le malheur temporel du pau-
vre , fans être pour lui une fource de mifercs
fpirituelles y mtettoit aux plus vives épreuves
la patience de notre vertueux Prêtre. Mais
quand il trouvoit cotre dureté dans des Ec-
cléfiaftiques , â< fur- tout dans de gros Bénc-
ficlers , il demandoit avec Jéremie de Teau
pour fatcte, &: pour Tes yeux une fomaine
de larmes, afin de pleurer nuit <^: jour un
» Icandale qui ne le peut ctrc affez. » Quoi ,
V s'ccrioit il djimle tranfport de fa doideiir ,
yj nos pères ont vendu Icsvafes facrés dans
?j des nécciïïrés preiTanres j &: ceux qui les
V remplacent aujourd'hui , pourroienr gar-
" der une foule de meubles fuperflus , cntaf-
>> fer Targent dans leurs coffres , amaflcr dits
wthréfors, qui , comme parlent les faints
Canons , font le prix des péchés ^ le patri-
*' trimoine de l'indigence 1 O aveuglement I
« O prodige inconcevable ! Cependant nous
« en avons vu , qui en mourant , ont laifle à
yy de riches héritiers àts revenus confîdéra-
yy bles(î?c de grandes fommes d'argent. Quelle
»» mort d'un coté , & quel compte de l'autre
» pour ceux qui- les ont confeÀes dans ces
» derniers momens ! »
Boudon prenoit toutes les mefures polïï-
blés pour l'éviter, ce compte formidable. Je
ne vois gucres dans l'Hiftoire des derniers
tcms , que la chambre de faint Vincent de-
vreté.
DE M. BOUDOK. LiV. III. 4J3
Paul , ,qiron puifle comparer à la Tienne. Sa JauS
Après avoir logé pendant quelques années,
où il plût à Dieu , il choifu enfin une efpécc
de ta-udis auprès de la rivière. L'entrée en
ëtoit obfcure , le degré très-étroir<S: à demi-
rompu , la porte fort mauvaife. L'air ell: la
chofc du monde qui coûte le moins : TA r-
chidiacre fe l'étoit comme retranché , la cel-
lule n'en avoir prefqiic point. De vieilles
nattes y tenoient lieu de glaces âc de rapif-
feries: encore avoir -il fallu les y mettre,
peixiant qu'il étoit en vifir^ j pour lui adou-
cir la rigueur du froid auquel il étoit très-
fenfiblc , n'ayant prefque plus que la peau
êc les os. Quelques chaifes de paille , quel-
ques vieux cofire^ qu'on lui avoir prêtés
pour ferrer Cçs habits , faifoient tout foii
ameublement. Un lit auiTi enfumé que le
rcfte de la chambre , ccuronnoit l'ouvrage.
Ces deux mots , Dieu seul , croient l'uni-
que ornement de fa cheminée. « Voilà , ait
» un de Je s grands amif , le riche appartc-
" ment ,où le grand Archidiacre d'Evrcux a
» pafTé plus de trente années , ôc où il a ren-
M du les derniers ioupirs. »
Il eft vrai qu'il s étoit pratiqué un petit
oratoire fort propre, & qu'on y voyoit une
dévore image de la fainre Vierge en relief,
deux Reliquaires , qiielqu-es petits tableaux ,
ôc enrr'autres ceux ciu Cardinal de Bérule,
du P. de Condren , & de la Mère Elifabeth
de la Croix : mais ourr^ que rien de tout cela
p'étoit d'un gi'andprix, ii i>y voyoii qu'une
454 La Vie
5a Pau- efpéce de bien facré , dont il ne pouvoît être*
que dépoficaire. Ainfi il fut toujours ôc en
tout fens un vrai pauvre de l'Evangile. O
vous qui lifez ceci , difoit dans une occafion
afifez femblable S. Jérôme , fouvenez - vous
devant Dieu de celui à qui vous en devez le
récit , & obtenez-lui par vos prières de pré-
férer la pauvreté de l'Archidiacre Boudon
avecfes mérites,àla pourpre des Princes avec
leurs Royaumes , & les peines qui y font
attachées : Obfecro quicumque hdc legis , ut
Uieroriyyni -peccatoris memmeris ; cuifî Do^
minus opùonem daret ^ multo magis eligeret
tunicam Pauli cum meritis ejus , quàm Re^
gum purpuras cum pœn'is & Réunis fuis,
Hieronymus in vitâ S. Pauli , primi Eremi-
tx , tora. IV. p* 74.
$. XIX. Son Ardeur pour le Mépris
&pour les Souffrances,
^ott Cefl: ici le fceau de le caradere des Elus,
pour le ^^ ^"^'y ^ ^^^ Fonction de l'Efprit faint qui
mépris , puifîe leur découvrir la beauté , la douceur ,
les richefles de la Croix. Ce n'eft qu'à fa
grâce toute puifTantc , qu'il appartient de la
faire aimer Jusqu'aux tranfports d'une fage
&fainte yvrefle. Et cette parole de notre
Maître : Un Baptême à.efang Trtefl préparé ,
. & jefoupire dans f on attente , fera à jamais
un chifre impénétrable pour quiconque ne
fera pas rempli de la plénitude de fon efprir,
« Non , difoit notre vertueux Prêtre ,
w quelque lecture que faflenc les mondains.
&:c,
DE M. BouDON. Liv. m. 455"
1* quelques fermons qu'ils enicndenc , ils ne ^a
9» conçoivenc rien dans le Myliere de la J^q^^^\
" Croix , parce qu'ils font cnderemenc éloi- mépris ,
" gnés de refprit de mort Ôc d anéantiffe- ^^'
>' ment , qui dirpofe l'ame à l'intelligence
" de ce fccret. C'cfï ce célclle fecret que S.
^'Pierre découvroit aux fidcles , lorfqu'il
>' leur difoit : Ne vous étonnez pas , mes
>* chers Frères , que Dieu vous éprouve par
»> le feu des afflidions, comme fi ce dévoie
13 être quelque chofe de bien extraordinaire
3i pour vous. Réjouiflez -vous plutôt de ce
j> que vous participez aux fouffrances de
" J. C. pour être un jour comblé de joie dans
i> la manifeftation de fa gloire. Si vous fouf-
>* frez des injures , des affronts, des outra-
» ges pour fon faint nom , vous êtes vérita-
5J blement heureux ,- parce que l'honneur,
« la vertu & l'Efprit de Dieu repofent fur
» vous. C'eft ce myftere que S. Paul vouloir
" uniquement fçavoir, quil prêchoit par-
»> tout , qu'il pratiquoit encore mieux j Se à
>» la vue duquel il difoit : A Dieu ne plaifc
« que je me glorifie en autre chofe qu'en la
3* croix de J. C. C'eil: ce thréfor , dont la
ij découverte û defirée , fi recherchée par
»» S. André, lui faifoitdire: O bonne Croix,
5> avant que mon Saveur , fe fût repofé fur
>* vos bras, votre feule idée rempliiToit de
w frayeur ; mais aujourd'hui que Ces mem-
" bres précieux , comme de riches perles ,
»> vous ont fervi d'ornement , ôc que fon di-
» vin corps vous a confacréc , vous n'avez
ï*
45<^ 'L A ^V I î
Son *• pliisque des attraits pour ceux qui coït-
ardeur „ noifleiit votre vertu. Daignez donc me
mépris ] ** recevoir , rendez-moi à mon cher Maître ,
&c. >3 afin qu'à l'aide de votre ombre je puifle
" aller à celui qui m'a racheté par votre
>* moyen. ^»
Ainfi parloit le grand Archidiacre : mais
on peut dire de lui , comme il ledifoit il n'y
. a qu'un moment de S. Paul , que la pratique
alloir chez lui bien au-delà des exprciTions.
Il n'avoit encore que douze ans, lorfqu'une
lumière fupérieure lui fit connoître , que
dans cette vallée de larmes il n'y a pour un
Chrétien de folide bonheur que celui des
fouffrances. Depuis ce moment jnfqu'au der-
nier de fa vie il n'a cefTé de foupirer après
les croix , Ôc de demander à Dieu des humi-
liations , des douleurs , des afflidions de
toute erpéce.Il a été très amplement exaucé;
ôc peut-ctre auroit-on de la peine à trouver
dans les fiécles partes un Miniilre de J. C.
qui ait été plus perfécuté que lui , plus pro-
fondément humilié, plus raflafié d'opprobres
Se d'infamies-, ajoutons , ôc qui air tout fouf-
fert avec plus de confiance, plus de paix,
plus de reconnoiiXmcc , plus de farisfadion.
C'cfl trop peu dire encore-, ôc pour rendre
le cœur de Boudon , il faudroit ou inventer
de nouveaux termes , ou appliquer avec une
juflc précaution au Difciple , ce que Tertul-
lieil a dit du Maître , qu'il s'engraifla du plai-
fîr des foufTrances:' Siginatus volupîatepa-
tiend'h Et que dire de moins d'un homme ^
qui
pour le
DE M. BouDON. Lrv. Itr. 417
iquî auroit pu prendie le ciel à témoin , que S«»
le comble de fa joie eue été d'être abandonné "'^^"'
de toute la terre , traîné fur la claie , & con-
duit à un gibet , pour y mourir dans le fang , ^"^
dans les larmes ôc dans l'ignominie.
: C'étoit donc fans effort , c'étoit de fourcc
qu'il écrivoit à une perfonne , dont la pa-
tience étoit rudement exercée : « Qu'il eil
" bon , ma chère Fille, qu'il eft doux , qu'il
V eft avantageux que les créatures nous
" quittent , qu'elles ne nous faficnt aucun
»' bien , qu'elles nous caufenr du mal, qu'el-
»' les ne nous donnent aucun repos exté-
» rieur ; puifque tout cela nous fait arriver
^ à Dieu feul , Ôcc. »
C'e/1 par ce fentier û dur , û raboteux ,
que le faint homme eft arrivé à ce bienheu-
reux terme. Il a eflliyé prefque rous les gen-
res d'épreuves qu'un homme de fon cara-
dere peutefluyer;& la Providence a réuni
en lui feul , parce qu'elle connoiflbit fçs
forces, ce qu'elle a coutume de partager en-
cre plufieurs, parce qu'elle connoît &: qu'elle
ménage leur foibleiïe.
Il a fouffert du côté des biens de la for-
tune i & dans (a jeunefie , où privé de fa lé-
gitime , il fe vit fouvent réduit à une hon-
teufe mendicité -, & dans un âge plus avancé ,
où il manqua de pain plus d'une fois, lors-
que furpris par l'infirmité , il étoir obligé de
garder la chambre -, ôc dans Ces grandes ma-
ladies , où il ne vouloit ni douceurs pendant
k jour , ni perfonne qui le veillât pendant U
Y
45^ Ia ViH
9^ nuit i fous prétexte qu'il étoît pauvre , ^
pour^*^ k ^^ ^^5 pauvres n'orn: ni gardes , ni dou-
mépris , ceurs.
*^*^' Il a fouffert dans fa réputation. On n'a pas
oublié que pendant une longue fuite d'an-
nées , il fut l'opprobre du monde , le jouet
de la plus vile populace , l'objet du mépris'
de ceux mêmes qui faifoient profeflion de
vertu. Quelle plus horrible lîtuation quc-
celle d'un Prêtre , dont le nom feul efl: un
fcandale ^ qui traîne l'ignominie de ville en
ville j qui à Angers , où il avoir eu beau-
coup d'amis , ne trouve qu'avec bien de 1*
peine une maifon où l'on daigne le rece-
voir -, qui à Paris n'a pour retraite dans l'ac-
cès d'une fièvre violente , que le dernier
étage d'un pauvre ouvrier-, &qui femblabîc
en quelque forte à la colombe au fortir de
l'arche , ne trouve pas fur la terre un liea
eu il puifTe mettre le pied ! -'
Il a fouffert de la part de fes amis , qui au
fbrt de fa pcrfécution l'abandonnèrent pres-
que tous , les uns par crédulité , les autres
par politique , plufieurs par une timidité dé-
placée. Mais ce qui dut le toucher infini-
ment , ce fut la conduite d'un homme avec
qui il avoir eu les plus intimes liaifons de
grâce & de falut. Il étoit au fait de la vie du
faint Prêtre. Il avoir enmaindequoi décon-
certer fes calomniateurs. Un mot de fa parc
eût jette la terreur parmi ces ouvriers d'ini-
quité , qui ne craignoient rien plus que de
le voir arrivera Evreux. Il y parut enfin;
DE M'. BOUDONT. Liv. IIÎ. 4^5
mais frompë par une dévore a révélarions ^»
prétendues , il crue qu'il valoir mieux aban- l'^^^""]^
donner four au jugement de Dieu , que de n^ris ,
venger la caufe de l'innocent perfécutc. Dans ^^•
la fuite il reconnut Ton erreur , ôc l'hypo-
crifie de fa pénitente. Mais îe feu qu'il eût
pu facilement éteindre dans fa naiffance,
étoit alors trop vivement allumé. Ses efforts
foibles & hors de faifon firent moins de
bien , que fon filence n avoit fait de mal : la
calomnie déjà accréditée fe répandit par-
tout , ôc iit ces prodigieux ravages , dont le
détail nous a fi fouvenr affligés.
Si cette conduite toucha l'Archidiacre, ce
ne fut que parce qu'elle offenfoit Dieu en
bleffant la jurticc. Pour lui , il y trouvoit fon
compte, parce qu'il y trouvoit de quoi fouf-
fïk-yôc ce fut dans cette occafion qu'il s'é-
cria: « Heureufe, (Se mille fois heureufe la-
» me à qui Dieu fcul fuffir : car pour pea
»' que la créarure ait d'entrée dans notre
»* cœur , nous ne fommes jamais en repos j
>* & ce repos , toutes ks adverfités du mon-
*> de ne peuvent le troubler dans un cœuE
»' qui ne veut que Dieu feul. Hélas ! cepau-
»' vre , ce miférable cœur, cft-il trop grand
'^pour un Dieu, pour le parrager encore
»> avec les créarures. . . . C'eft donc une grâce
»' ineftimable que nous fair le Seigneur , lors*
»» qu'il nous donne des occafions de lui mar-»
»> quer que nous ne voulons que lui. Ahi
» pour lui rendre ce grand ai parfait témoi*
>' gnage,il faut nous détacher des bonscoon
w me des autres. »* V Ij
u
4^0 La Vie
'^o'^ II a fouffcrt dans fon ame des douleurs l
p^u/"ie ^^^^^ ^^ fentiment 11 appartient qu'aux juftes ;
wèpris , & qui , comme le Sauveur , le faifoient en-»
ficc. j^çj. çj^ agonie , à la vue des fcandales donc
le torrent inonde la terre. Uniquement épris
de Tamour de Ion Dieu , toujours prêt à fa-
crifier mille vies pour la gloire de celui qui
a facrifié la fienne pour notre falur , il ne
voyoit qu'en frémiiïant le fang adorable de
J. C. couler en pure perte, réellement fur le
Calvaire , myftiquement fur nos Autels. Ces
pleurs , dans le torrent defquels on l'a fur-
pris , c'étoic la ftupidité , Tingratitude , l'a-
veuglement des hommes qui les lui faifoient
répandre. «Hé! comment, difoit-il ^ com-
w ment méditer tant de charité d'une part,
^> ôc tant d'infenfibilité de l'autre, fans être
y» accablé de douleur. Une feule ame vaut
>' mieux que toutes les couronnes de la terre:
»> elle mérite plus de foins , plus de travaux ,
>^ que tout ce qui eft l'objet de nos plus
»y grands cravaux & de nos plus grands foins :
«cependant combien s'en perd-il tous les
w jours ? Jam^ais fujct ne mérita plus de lar-
»> mes , que les tourmens ôc la mort de
9J l'Homme- Dieu : néanmoins il défend
oi qu'on pleure fur lui , parce qu'il compa-
» roit fa mort ôc Ces douleurs ignominieufes
9> à la perte dçs âmes -, Ôc qu'il regardoit cel-
w le-ci comme le plus déplorable objet de
V nos foupirs. Comment donc cette perte
•3 ne tireroit-elle pas de nos yeux des mis-
)f féaux abondans , pcndanc que pour l'era-
î>i M. BouDON. Liv. ÎÎL 4^1
^> pécher , le Fils de Dieu verfc de coût fon Sori
'^ j ' j r •. ardeur
>* corps des torrens de lang ? pour le
Quelquefois emporté par une ardeur qui mépris ,
tenoit de celle des enfans du tonnerre , il ^^'
fembloic vouloir hâter la tardive vengeance
du Ciel : mais bientôt l'excès de fa douleuL*
x:édoit à l'excès de fatendreflei & après avoic
commencé par des reproches , comme le
premier Martyr , il finiflbit comme lui par
des vœux ôc par desdcfirs enflammés. " Le-
« vez-vous , Seigneur , difoi:-il , prenez vo-
» trecaufe en main , défendez vos intérêts.
w II eft tems que l'homme connoifle lenor-
»• mité des outrages qu'il vous fait, ôc qu'il
" fçache qu'il y a un Dieu en Ifrne'l. Mais
" plutôt , ô mon Sauveur , apprenez-lui par
*' les larmes que vous avez données à fon
.wame,à pleurer fa perte avec des regrets
3i inconfolables. »
EnfinBoudona fouflPert dans fon corpf.
De longues maladies, des douleurs cuifantesj
des maux compliqués l'ont cent fois fait
mourir, pendant qu'il vivoit encore. Mais
cette mort qui affligeoit la vidime toute en-
tière , & ne l'enlevoitquepar parties, étoit
félon lui une dernière benédidion , que Dieu
ajoutoit à celles dont il l'avoit jufques-là
comblé. A la vue de ce bois facré , qui eft le
glorieux ctendart , au pied duquel J. C.
réunit tous fes foldats, l'homme de Dieu,
toujours plus fort à mefurc qu'il s'affoiblis-
foit davantage , s'écrioit avec autant d'a-
paour que de confiance : «« Il ne faut pa5
V/i;
ardeur
"pour le
461 1a Vie
Son „ i-jQus contenter de dire ôc d'écrire , Diek
feul , il faut qu'il en coûte encore : il faut
«riépris , » tout fouffiir, tout donucr , tout abandon-
^^' »' ner , afin que Dieu règne en nous. ... Je
aj fouffre , il eft vrai , & la nature pâtit :
'> mais qui dit tout n'excepte rien. Et com-
» ment être uni à notre Seigneur fans fouf-
^> fiir , puifqu'il a toujours fouffert pendant
^ fa très-falnte vie , & que c'cfi pour cela
»> qu'il a été appelle l'homme de douleurs.
*» Il faut donc néceflai rement foufFrir , & de
" la manière qu'il lui plaît. C'efl-là porter fa
« croix , comme il nous l'ordonne -, c'eft à-
» dire , la croix qu'il nous a préparée , 5c
i> celle qu'il veut que nous portions. «
Toutes fes lettres , toutes fes paroles por-
toient l'empreinte de la reconnoiffancc , de
la joie même avec laquelle il fouffroit. »Vo*
w tre charité vous prefTe , écrivoit - il à un
»> ami , de fçavoir l'état où la divine Provi-
» dence me met. Il eft toujours plein d'in-
»• commodités qui augmentent. Les Saints
9> dormoient peu , veilloient beaucoup, pra-
*» tiquoient de grandes mortifications. 11 y a
i> apparence que dans l'âge avancé où je fuis,
»> on ne m'auroit pas confeillé de fuivre cet
« exemple. La Providence y a pourvu : Je
« veille , je fouffre , je pafle les nuits comme
»* les jours , prefque fans dormir. Je ne puis
3J prefque manger ni viande , ni poiffon , 8c
»> quelquefois je fuis jufqu'à quatre heures
9» après midi fans avoir pris aucune nonrri-
'» cure. Mais je ne vous parle de mes maux ,
DE M. BouDON. Liv. m. 4^5
w que pour vous parler de mes biens. Car Soo
« c'eft de la forte que je confidcre mes pei- pout^^'i^
»> nés : oui ce font de très-grands biens , que mépris «
9» h Providence me fait endurer par une mi- ^^*
9i féricorde finguliere. . , Ah ! qu'ai- je fait ,
w à mon Dieu, à mon Rédempteur, pour
» me gratifier avec tant d'abondance ? «
Mais duflîons-nous ennuyer ceux que le
fculnomde foufFrances effraye , il faut que
nous l'entendions encore une fois difcourir
au long fur cette matière. Quand nous ne
fçaurions pas du célèbre M. de Levis , Ar-
chidiacre de Chartres , que c'eft fon propre
tableau que l'homme de Dieu a crayonné j
les circonflances du tcms où il écrivoit , 3c
les rapports connus de fes paroles avec fou
Hirtoire nous l'apprendroient affez. Voici
donc fes fentimens : Je ne me lafferai jamais
(de demander , û un parfait Chrétien peuc
«n avoir de plus généreux.
«« Parmi les confolations & les douceurs
» que le ciel communique quelquefois avec
-« abondance , on peut bien dire avec le di-
»> vin Xavier : Cefi ajfez. , Seigneur , c'efi
« ajfez. : puifqu'il eft vrai que la vie préfente
** n'eft pas le lieu , où Ton doive jouir des
" plaifirs céleftes. Mais il efl bien jufte de
P dire avec le même faint , quelque accablc-
jj ment de peines qu'on puiflTe porter : En^
»»coreplus , Sàgneur, encore plus. Cela eft
« bien difficile à concevoir aux mondains &
»> aux âmes lâches. Cependant il eil vrai que
p» l'union avec notre Seigneur donne une toi^
Viv
4^4 L A V I E
Son ,i fi ardente des croix, que tous les tourmcns
pou/" k " ^^ monde ne peuvent defaltérer une ame
tnéptis , » qui en ei\ preffée. Si elle poire la croix de
**^' y la pauvreté , elle la recherche toujours de
w plus en plus avec des defirs inexprimables :
^' ôcfi elle fe plaint , c'eft toujours de n être
y» pas aflez pauvre. L'on difoit des injures â
^> un ferviteur de Dieu , fon pauvre cœur en
3> étoit tout confolé ; mais il prioit les per-
>* fonnes qui le traitoient ainfi , de lui faire
33 tous ces reproches honteux dans une place
w publique , & devant tout le monde. L'es-
sj prit de fouffrances bannit toutes les ex-
>* ceptions que Ton veut faire de certaines
w croix. Le cœur véritablement chrétien elî
j> prêt à tout , à fouffrir des méchans , à
3* fou ffrir des gens de biens; à être perfé-
5» curé des libertins , ôc même des perfonnes
w de vertu; à être rebuté des étrangers, à
yy être délailTé de fes plus proches &C de Ces
w meilleurs amis. Il fouffre volontiers dans
»> fes biens ; il efl: bien aife de fouffrir en fon
}> honneur. Il embrafle les peines du corps
93 Se de refprit. Il ert: content d'être crucifié
» par les hommes , ôc par les démons ; d'ê-
93 tre afflige du côré du ciel , auflî bien que
'» du côté de la terre. Toutes fortes d'humi-
yy Hâtions font bien venues: elles font tou-
33 tes reçues avec honneur ; Ton va même
>*au devant par refpect. Si Ton endure une
93 médifance qui fe fait parmi quelques par-
>* ticuliers , on en reçoit de la confolation j
y mais fi l'on eft diffamé par quelques Lvt
nt M. BouDON. Liv. III. 4^5*
>• belles qui fe répandent dans le public, l'on ^^
» en a une joie route particulière. Il n'y a p^^^j^^^g
" point d'ignominie, telle qu'elle puiffe être, mépris »
>' que l'on n'accepte d'un bon cœur* On efi ^c.
" ravi de pouvoir dire avec rApôtre: Nous
>' avons été par toutes fortes de miferes un
'^fpeclacle au monde , aux hommes & aux
" Anges, Difons encore qu'il n'y a pas de
*' joie pareille à celle de devenir la fable da
» monde, l'opprobre <\ç.s hommes , & l'ab-
»^ jedion du peuple j à fervir de jouet dans
" les compagnies j à être le fujet de la rail-
'» lerie des villes entières j à erre cruelle-
" ment déchiré par les plus outrageantes
>' calomnies dans les Provinces , dans les
'^ Royaumes \ à être maltraité de tous les
« côtés. Mais après tout , il faut avouer que
"le comble de la joie feroit d'être empri-
>' fonné , chargé de fers, fauffemcnt accufé
•> des plus grands crimes , enfuite condamné
»• à la mort , & de perdre la vie fur un échaf-
" faud , dans une place publique , an milieu
yy d'une grande ville. Je fçais bien , continue
w ce grand fer viteur de Dieu , & nous avons
y> déjà rapporté ces paroles ; Je fçais que peu
yy de perfonnes goûteront ce genre de mort^
»f mais je fçais aufll que J. C. mon Dieu &:
ii mon Maître, l'a goûté , ^ je fçais de plus
i> qu'il ne peut fe tromper dans le goût des
« chofes. Je fçnis que ce qu'il trouve bon ell
9> bon , quoi qu'en penfent les créatures dont
5' le goût en dépravé par la corruption du
9> péché, &c»»7
Vr
4^^ LaViï
aSTr ^^^^ furent les fenrimens , les paroles , Tes
pou/\ adions , les admirables vertus du grand Ar-
mépris , chidJacred'Evreux. Ainfi vécut cet homme
**^" ir.imirable, que le monde n'étoic pas digne
de poOcder , ôc qu'il a fi cruellement &c û
iniulicment outragé. Ses vertus , prefque
portées à l'excès , feront fon apologie dans
tous le> fiécles ; & 1 equirabîe polîeriré , en
bénifant fon nom , lui rendra une juftice
que (es ennemis lui ont conftamment rc-
fuite. Le ciel mcme a déjà} ris fa caufe en
main j & fans vouloir piévenir le jugement
de.rtgiife, à qui feule il appartient d'en
connoirre , on peut dire que depuis long-
tems il gî rifiele tombeau de fon faim par
des événcn-.ens qui femblent tenir du pro-
dige. Nous en dirons un mot avant que de
fxnir cet Ouvrage -, après avoir proteflé con-
formément au décret d Urbain VIII que
nous fommes bien éloignés de vouloir pré-
venir le jugement du faint Siège Apoiloli-
C\i\Cy â^ que le nom dcS.iwr , quenous avons
1S fonvenr donné , 8z que nou^ doni erons
peut erre encore à Henri Marie Boudon,
ne fe prend chez nous eue dans le fens fé-
lon lequel le grand Arô're l'a fi fouvent
attribué aux premiers Fidèles.
§. XX. Sa Mràf^ef.
9ti mi- Quoique les miracles ne foienr pas çîTctU
lùciM. rieîs à la fainreré , qui c(ï elle-mcme le pluf
' grand des miracles ; il arrive néanmoins as-
fcz fouvciM 5 que Dieu difiinguepar ces trait»
^rapïtns deprcdileâiion ceux qui fe font di- Ses m»,
ïlinguésdu commun des Fidèles par une vie "'^^"*
•éminemment chrérienne. Obfcurs , incon-
♦luSjfouventperfecutcs pendant qu'ils éroient
4ur la tene -, il ed de Tordre que la fouve-
Taine jullice tire le voile qui les a fait mé^
connoîrre j que tandis qu'on foule aux pieds
les cendres viles de ceux qui les ont méprît
fés , les fépulchres glorieux de ces amis dt
Dieu prennent le defTus ; ôc que les enfans
humblement profternés y réparent par learfi
ibupirs , le travers 6< l'injuflice de leurs pe*
tes. L'Hiftoirc eccléfiallique eft pleine d6
Tnonumensqui démontrent cette conduitt
de la Providence. L'hirtoire du grand Archi-
diacre d Evreux a aufli les fiens : ôc quellft
confolation pour nous , fi une main atten-
tive Se fidèle fe fût chargée de les trans-
mettre tous ! Nous nefupplécrons àcevuide,
ni en recourant an faux , ni en exagérant le
vrai. Un récit fimple de quelques événc-
mens , où le doigt de Dieu femble s*être en>-
preint , nousfuffira. Le grand Marre que
Boudon a fi fidèlement fervi , fçaura bieti '
un jour fortir de fon fecret -, & que ne fera
pas fa magnificence pour un homme qui a
tant fait pour lui? Mais il ç(\ tems d encrer
en maiere j nous Talions faire fur leî pas
d'un guide , qui jufqu*ici ne nous a point
trompé.
On a remarqué plus d'une fois dans la
¥ie de Tbomme df Dieu fenl , qu'un de Tes
ptincipaux calcns fut celui de guérir les pc*»
Vvj
Aè% ^ La Vie
nés intérieures de la confcience: maison â
pu remarquer en même rems qu'il le faifoic
trcs-fouvenr avec une facilité qui n'efl. don-
née qu'aux Saints. Aux exemples oue nous en
avons rapportés en différcns endroits , en
peut joindre celui d'une Demoifclle de Li-
moges , que la Providence avoir mife dans
cet état de trouble & de perplexité , où il
n'y a pour une ame affligée ni repos , nicon-
folacion. Elle lut le LivrequeBoudona conv
pofé à l'honneur des SS. Anges \ & bientôt t
je ne fçais quel preiTcntiment lui fit juger ,
qu'il n'y avoir que l'Auteur de cet Ouvrage ,
qui pût adoucir Çts peines & calmer fes in-
quiétudes. Elle l'en conjura par lettres.L'Ar-
chidiacre , à qui rien ne coutoit , dès qu'il
ctoit queflion du falut d'une ame , vola à
fon fecours. Il rendit la paix à ce cœur fî
long-tems&fi cruellement agité. Il conti-
nua par des lettres pleines de lumières &
d'ondion, ce que la diftance des lieux ne
lui permettoit pas de faire de vive voix : &C
on ne tarda pas à voir cette plante que les
vents avoient prefque déracinée , produire
des fruits admirables de fainteté & de ju-
nice.
Ce n'eft pas le feul bien de ce genre que
ce petit Livre ait enfanté. Les Carmélites
d'Anvers, qui le firent lire au Réfedoirc,
écrivirent au faint Prêtre , que Dieu y avoir
attaché une fi grande bénédiélion , qu'un bon
nombre de Religieufes s'étoient fortifiées
dans la vertu , & que les autres avoient ccc
délivrées de leurs peines.
DE M. BoucoN. Liv. HT. 4^9
Mais fi cet ouvrage foulagea les peines de >^« ^^î-î
Ta ne , il guérit quelquefois celles du corp'. ^^^^'*' '
La Supérieure des nouvelles Catholiques
d'Angers , étant dangereufement malade
d'une fluxion de poitrine , accompagnée
d'une fièvre violente , fon Directeur lui
confeilla de mettre fur fon cœur le Livre
de la dévotion aux neuf Chœurs des Anges*,
elle obéit , &s'en trouva bien. Au moment
même elle fut foulagée , de peu après entiè-
rement guérie. Ce fut elle-même qui le man-
da au ferviteur de Dieu : & celui-ci ne marn
qua pas d'en rendre , ôc d'en faire rendre la
gloire à l'Auteur de tout bien.
L'enfer même toujours défefpéré , toi-f-
jours en fureur contre les faints Anges, a
plus- d'aune fois rendu hommage an Livre
que Boudon a confacré à la gloire de ces
bienheureux Efprits; & Ton fçait par des
voies aiïez sûres , qu'en le mettant entre
les mains de gens chez qui le Prince des té-
nèbres faifoit fa demeure, on a tout-à-coup
arrêté leurs plus violences agitations.
Mais il feroit difficile de voir rien de plus
étonnant en ce genre , que le fait que nous
allons raconter d'après un DoiSlcur en l'un
ôc l'autre Droit , & qui éroit encore plus re-
commandablc par fon infigne piété , qirc
par rétendue de fcs connoilTances. Comme
il s'agit d'une chofe qui s'cft pafle fous Ces
yeux, il n'y a que l'incrédulité qui puiïïc fc
refufer à fon témoignage. Il dir en fubftancc
qu'un Prêtre , qui , par la permiiuon de foià
470 La Vf*
S€ï mi. ÉvéqiTC , exorcifoir urc fille po/Iëdéc ,'lui
rades, préftnra rucceiTiveinenr deux Lerrres, qu'elle
n'avoif jamais ni lues , ni vues , ôcdont Vimc
venoit d'une Supérieure , dont les nrœun
étoient aflez déréglées-, l'autre de M. Bou-
donqui vivoir encore. A l'applicarion de la
première , application que je ne voudrois
ni juilifîer , ni imiter , le démon témoigna
fa joie , & dit tout haut en préfencc de plu-
fieurs perfonnesde confidération & d'une
probiré reconnue , que cecte Lettre venoit
d'une perfonne , dont la manieie de vivre
réjouifîoit bien l'enfer , Se qui y auroir bien-
tôt une place diilinguéc , fi elle ne fe con-
vertiffoit pas. La féconde Lettre , qui éroic
celle du grand Archidiacre d'Evreux , pro^
duifit un efTc' bien différent. Dès qu'on l'eût
appliquée à l'Energnmene , le démon entra
en furie; il exhala fa douleur par des criS
terribles & de<5 hurletnens afFreiix : Cette
Zerfr- , dic-il en la mcrtant en pièces, v/>«r
été t^un de nos pl'ts grands trjnemU , d'un
homme qui rtouf fan enr r^tr L'afTembléc
vouKu fçavoir ce qucc'étoitquecet homme
fi formidable au Royaume de Satan -, c^
perfonne n'en avoir eu connoiflance : l'Exor-
ciile ayant déclaré que c'étoit le grand Ar-
chidiacre dEvreux , chacun en fut très édi-
£é. Le comrpl^e éroit trop fenfible : il eût été
difficile de ne le pas remarquer.
Un Ecclcfiaftique , qui, comme celui dont
nous venons de parler , avo'- lété chargé par
/on Piélat y de foulager une aut£e ûlle pos^
DE M. BcvBOK. tiv. Tîî. 47 f
fédéc , ne lui eut pas plutôt nommé Heiui- *^*****
Marie Boudon , qui n'éroit mort qi>€ depuis ^
peu de temps , que le démon témoigna ôc
par Tes cris , & par les ér ranges poiuires
qu'il fie prendre à cette pcribnne affligée,
combien ce m'ifcruhie boUfiix , c'el^ a peu-
près le nom qu'il donna au faint Piètre , le
tourmentoit. Ah, s'écria- 1 ïX^mus t'avons
cruellement vexé, mais à préfem tu nous
rends bien le chanse, O vit cachée^ ô vie
pauvre , ôvie crucifire, que tu nous (ft infup*
portable I Et fur ce que lExorciite lui de-
manda s'il s'ctoit trouvé à la mort deThom-
me de Dieu: Oiti^ répliqua t-il en jurantj
Tnaij ce ntjï quX notre confufivn que nous
voU'yfomme touvés ; & nous ferons lim
' tfjut notri pojjible pour objcurcir fa m moire,
^ pour qu'on Pcublie : car il efl un Avocat
bien pnijant auprès de votre Dieu pour tous
ceux qui ont recours à Jen interceffion, Ceuse
qui l'ont jt injuf^ement perjécuté ^ ont bien
Tncîlfait ; Cr H y en :i de] i quelques uns qui
s* in [entent dans l'autre vie : mai s quel
bonheur pour Iw (Savoir pajfépar de fi rudes
éprtuves, C\(} le patron des âmes tra^iaiU
lies des priâtes intérieures. Ici Ton pouvbk
encore dire : Etiamf fis pater mendacii ,
ver'tm dix'fii,
Eli effet , c'efl fur-tout en rendant la patx
aux confciences les plus troublées , que no-
tre vertueux Prêtre a maniferté le crédit
qu il a auprès du Seigneur. Une fille dont on
'a fagement fupprirac le nom , l'éprouva l'ao-^
, 47^ / L A V I E
*if^"^* r.c:e même qu'il plue à Dieu d'appeller à In!
fan fervireur. Tentée du plus affreux défef-
poir qu'on puiffe imaginer , elle avoic refolu
de redonner la morr. Déjà après s'érre paiTé
au cou un cordeau , quelle avoir attaché
au plancher de la chambre -, elle avoit un
pied en l'air , & fe dirpoloir à renverfer de
l'autre la chaife fur laquelle elle étoit mon-
tée , lorfque par une fecrerte difpofirion de
îa Pros'idence , Tes yeux égarés tombérenc
fur une image de M. Boudon, que fon Con-
felTeur lui avoit donnée. Ce falutaire regard
joint à ces paroles , intérieurement , mais
diftinflement entendues : .Malheureufe , que
va f-t 14 faire : ce regard^dts je,fut pour elle ce
qu'avoitcté aux irraeliiesdaiis le défert Tas*
pe&tduferpentd'airain.Rendueàelle même»
elle prit de meilleurs fentimcns -, & fon Di-
recteur à qui elle eut la fagefie 3c le courage
de découvrir fur le champ fa tragique his-
toire , la confola & lui rendit la paix.
Quelque envie que i'aye de finir , je ne
puis me difpenfer d'indiquer au moins cer-
tains faits , qui prouvent que le faint Prêtre
cft encore anjourd hui l'afyle de ceux qui
fouffrenr, àc q^-ii réclament fa protection.
Ce fut pour l'avoir fait avec confiance , que
Julire le Roi , qui ne pouvoit , fans de vives
douleurs, appuyer à terre un pied qu'elle s'é-
toit blcflc , fut guérie après l'avoir enveloppé
pendant neuf jours d'un morceau de linge
qui avci: été trempé dans le fang de M. Boa-
don après fa mort. Ce fut encore par la
DE M. BouDON. Liv. m. 475
même opération que la Demoifelle Mar- ScsmU
guérite Dufour fat en 1705 , délivrée d'un '^^^^^*
horrible crachement de fang , dont elle fut
furprife étant fur le point d'aller de Paris à
Evreux, pour honorer le tombeau du ver-
tueux Archidiacre. Mais ce qui arriva à
Ville-Juif, a quelque chofe de plus frapanr.
Une fille âgée de 30 ans, ou environ , éroic
û mal , qu'elle avoir reçu les derniers Sacre-
mens. Son ConfefTeur , qui la vovoit de
tems à autre pour la fortifier dans ces der-
niers momens , l'engagea par une inipira-
tionfubite, à invoquer le grand Archidia-
cre , de à faire vœu de rendre grâces à la di-
vine Majelté , des bénédidtions dont elle a
comblé ce faint Prêtre. La malade , qui é'oin
pleine de vertu , y confentir. Sa confiance
fixa , fur fes lèvres mourantes , fon amc
prcte à s'envoler. Dès que par les ordres de
ion Directeur on lui eut appliqué un linge
trempé du fang de M. Boudon , elle fe trou-
va foulagée , ôc peu après entièrement gué-
rie. C'eft , dit un des Hiiloriens du faint
Prctre , c'elT: ce même ConfefTeur , qui nous
a lui-même appris ce fait , où il eil dirficiic
de mécoftnoitre Topération de Dieu.
Mais on peut dire qu'elle s'eil peînre
d'une manière plus fenfiblc en la perfonne
"delà Comteiïe de Perfi. Cccre Dame érort
depuis trois mois accablée d'une complica-
tion de maux. Une infomnic perpétuelle ,
un vomifTement qui chaque jourduroit des
*"çinq à fix heures , une impuiilance aux fon-.
474 La Vie
Ses mi- dHons naturelles , qui croit cauféc par l'in-t
rades, jei-pofition d'un corps étranger , les douleurs
mortelles qu'un état û violent traîne après
foi, les hauts cris que ces douleurs arra-
chent à la plus intrépide patience -, voilà en
fubftance la triftc pofition de cette femme
affligée. Ce n'étoit même là qu'une partie de
£es fouffrances •■, ôc ily avoir trois ans que
ne pouvant fe confefler à TEglife » il falloir
que fon Diredeur , avec l'agrément d'un
grand Vicaire , la réconciliât dans fon ap-
partement. Le bénéfice du tems, qui fait
tant de chofe , n'adoucit guères des maux
fi multipliés. La Comrefle en fit la trille
épreuve. Le jour de Noël 1703 , elle fc
trouva fi mal , que Ces deux femmes de
chambre eurent à peine le loifir d'entendre
une Mefle bafle. Ce fut encore pis le der-
nier jour de l'an. Mais on peut dire que le
redoublement de fes maux fut comme le
principe de fa guéri fon. Livrée à fes ré-
flexions , la malade fe fouvint , fur les trois
heures du matin , qu'elle avoit reçu d'une
de fes amies un morceau de linge qui avoit
touché le corps de M. Boudon. Elle auroit
pu fe reprocher d'en avoir fait afiez peu dp
cas 3 ôc de l'avoir mis dans un tiroir avec
quantité de chofes d'une très-petite confé-
quence ; mais enfin , devenue fage à fes dé-
pens , elle fçut e/limer & refpecler les dé-
pouilles des Saints. Elle s'appliqua ce pré-
cieux lambeau j & dès ce jour , dès ce mo"
piem^ dit- elle dans la Lettre qu'elle écrivit
DÉ M. BouDON. tiv. III. 475
à THiftorien de notre Archidiacre , par or- Ses mî-
dre de Ion Confefleur ,fai cejjé de vomir y "^"'^
j'ai pajfé les nuits tranquille & dormant
bien , ce qui ne niétoit 'point arrivé depuis
irQis mois ; l'empêchement des fonclions or-
dinaires ne [uhfifte plus y & fai la liberté
de me confejfer à l'Eglife , comme les autres.
Tous ceux qui me connoijjent , fo?n dans Vc-
tonnement. Les uns me demandent quel re^
tnede fai fait : les autre i difent : Alais voilà
un grand miracle. Pour moi yje penfe comme
ces derniers ; & il nefl pas poffihle de s'y
^éprendre.
Au relie , cefaint Prêtre, qui , à l'exem-
ple du Sauveur , parcourut pendant la vie
tant de pavs différens , pour y faire du bien,
continue après fa mort à en faire dans un
^rand nombre de provinces plus ou moiiis
éloignées. Et que ne fera point dans la fuite
un homme fi rendre , fi compatiffant , pour-
vu que la foi , la confiance , l'imitarion de
fes vertus , fécondent fes bonnes mteatioiis
^ fon crédit auprès de Dieu.
•^^
!47^ La V r 1
DISSERTATION
Hljlorique & apologétique fur les
Ouvrages de M, Boudon,
(~^E fut dans le tems du loifir forcé dont
^ M. Boudon fut redevable à ia fureur
de (ts ennemis , que ce digne Prêtre , qui
a voit déjà publié quelques petits Ouvrages,
en donna de nouveaux , qui , fuivis prefque
d'année en année d'un bon nombre d autres,
lui alTurentun rangdillingué parmi les Au-
teurs Arectiques. Comme les vrais Saints,
fous quelque rapport qu'on les cnvifage ,.
font toujours de grands modèles-; Boudon >
qui , dans le cours de fon Hifloire nous a
inliruits en qualité d'étudiant , de Séculier ,
de Prêtre, de grand Archidiacre, &cc. ne
peut manquer de nous initruire en qualiei
d'Ecrivain. Ce n'eft pas que nous préten-
dions faire une analyfe raifonnée de fes
Ecrits: ils font en fi grand nombre, qu'un
ju/ie volume n'y fuffiroit pas -, & d'ailleurs
nous travaillerions en pure perte , & pour
ceux qui les lifent , parce qu'ils les trouvent
toujours trop courts j & pour ceux qui ne
les lifent pas , parce qu'un abrégé , qui de
lui-même eft fec & décharné , ne leur en
donneroit pas une ju/le idée. Notre delTein
eft donc uniquement de faire connoître en
deux mots par quel cfprit & dans quels kïi-:^
CE M. BouDON. Iiv. TII. 477
tïmens il travailloir. Nous tâcherons enfiiite
d'examiner , fi les reproches qu'on lui a
faits de teins en tems , font bien fondés.
Et d'abord , ce ne fut ni l'envie de fe Caire
un nom , ni l'efprit de critique, ni l'appas
de l'intétêt qui le déterminèrent à écrire.
Ces motifs , qui plus d'une fois en ont fait
agir d'autreS;ne pouvoient avoir lieu chez un
homme , qui facrifioit £a réputation à la
calomnie \ qui ne dit jamais plus de bien ,
que de ceux qui lui firent plus de mal : qui ,
pauvre par choix , ne connoiffoit d'autre
bonheur qu€ celui de la difette de du befoin.
Ce fut donc la vue de Dieu , Se de Dieu
fcul , l'ardent defir de multiplier les adora-
teurs en efprit&en vérité, la fainte paflion
de gagner des coeurs, à celui qui feul doit
être le centre & le terme de leur amour ,
qui le forcèrent à rompre le filence.
- Il falloir même qu'à chaque Ouvrage l'es-
prit £aint lui fit feiuir par une impreHion in-
térieure, qu'il agréoit, ou plutôt qu'il comT
m mdoit l'entreprife. « Ce feroit avec bien
w de la joie , Monfieur , écrivoit - il à un
>'ami, que je rravaillerois fur le refpect
9f que doivent les Fidèles aux Saints de la
»3 primitive Egli fc , qui ont été nos pères
9> dans la foi : car j'ai beaucoup d'inclination
9> pour un pareil Ouvrage. Mais je ne dois
9t point écrire , & je ne le fais jamais que
yy par un mouvement de grâce j & ce mou-
V vement , notre Seigneur ne me la point
»> encore donné , pour traiter cette ma-;
47^ L A V I E " "
»» tiere. » Il répète la même chofc en qncî-
ques-uns de fes Livres , comme dans celui
de la Dévotion aux SS, Anges y où il pro*
relie qu'il ne Ta entrepris, qu'après en avoir
été prefTé intérieurement , à ne s'en pouvoir
défendre. Ce fut , comme nous l'avons die
ailleurs , par ce motif qu'il refufa d'écrire
la vie d'une très-digne Supérieure , quoique
toutes (es Filles Ten prialTenc avec beau-
coup d'inftance.
Il cft sûr d'ailleurs qu'on ne pouvoir guè-
rcs écrire dans de plus grands fentimens
d'humilité , que ne l'a fait ce faint Prêtre.
A l'entendre , vous croiriez que, lorfqu'il
fe mettoit à l'ouvrage , l'Ange du Seigneur
faifoit retentir à Çts oreilles ces formidables
paroles : "^ Vous fîed-ïl bien , 'pécheur , d^ an-
noncer mes loix ; efi-ce à vous à publier la
prome/fe que fai faite à ceux qui les gar*
dent. Il étoit fi plein , fi pénétré de ces fen-
timens , qu'on ne peut le lire fans l'admi-
rer , fe confondre , s'anéantir avec lui. Mais
comme perfonne ne peut mieux nous faire
connoître ce qui fe paflbit en lui , que lui-
même : voyons Se pefons ce qu'il en dit
dans fon Livre de la Vie cachée avec J. C
en Dieu^"^ , qui eft le fécond ou le troifiéme
de ceux qu'il compofa dans le rems de Ca
difgrace. « Il eft affuré , ce font Ces termes ,
>» que l'adorable Jcfus a eu le plus grand ôc
• Peccatori dixii Deus : Quare tu enarra» juftidas
jpeas , &c. P faim. ^9'
•• Part. I-. cb» j. pa^. j6.
DE M. BoTJDON. Ltv. III. 47f
» le plus fort efprir qui fut jamais, la me-
^ moire la plus heuieufe , le jugement le
« plus folide 5 l'imagination la plus par-
» faire. . . Mais il eft auiTi certain d'autre
w part , qu'il a caché tous c^s dons naturels
•'d'une manière tout- à- fait étonnante.
-» Quels livres divins & admirables auroit-il
w compofés , s'il avoir voulu écrire ? N'au-
w roir-il pas fait des ouvrages céleftes ? Ses
»> penfées, Tes raifonnemens, fes lumières
>' n'auroient-elles pas été capables de ravir
w d'admiration & d'amour tous les cfprits
î> du ciel & de la terre ? . . . O mon adora-
» ble Maître , je me trouve ici tout couvert
» de honte & de confufîon , quand je pcnfc
» à cène vérité. Qui fuis-je , moi , qui écris
» de vos divins Myfteres O mon Sei-
» gneur ^ mon Dieu, je vous demande par-
« don de la hardiefie que je prends de par»
» 1er de vous. Pardonnez , mon aimable
w Sauveur , à un miférable pécheur , à un
» chien pourri , qui ne mérite que votre
" colère & les fupplicesdes damnés. Je prie
» mes frères & mesfœurs en J.C. quilironc
r> nos petits ouvrages , d'offrir leurs prières
w à votre fouveraine Majeflé , pour m'en
n obtenir le pardon. O Anges bienheureux,
»& vous particulièrement, Efprit immor-
»' tel , qui ht^ député à ma garde \ O Saints
»> & faintes , intervenez pour moi auprès de
" la grandeur infinie de notre Dieu , afin
« qu'il ne me rejette pas de fa divine pré-
»fencc. Efl-ii donc vrai que je prenne la
jÇ^O L A V I E
»^ liberté de parlei de mon Dieu , moi , qiû
9y ne fais que cendre i^c que poufliere? L'on a
»j vu dans notre fiéclc ,pourfint'il , un hom-
'j me tout de grâces & de lumières , doué
3* d'un efprit angélique , le feu P. de Con-
« dren , qui étant prefTé d'écrire , fit cette
» réponfe vraiment chrétienne: ^i a fu
9» jamais plus dignement & plus faintement
a écrire , que Jefus notre Divin Maître ?
9' & cependant il ne Va jamais fait. Après
3i cela comment voulez^ - vous que f écrive ?
»* Cette vérité doit bien nous empêcher d'é-
3J crire jamais pour paroître , jamais par
?' mouvement de nature , jamais que pour
»' l'intérêrde Dieu feul ^mais il faut encore
V y avoir une vocation de grâce , &c que
w î'Efprit divin nous le faffe faire. »*
La conduite de l'Auteur répondoir chez
Boudon aux fentimens du Chrétien. On ne
trouve dans fcs Livres , ni Ayle étudié, ni
diction pompeufe , ni portraits artifte-
ment travaillés , ni périodes heureufement
cadencées , ni ces jeux de mots , qui amu-
fenr l'efprit fans effleurer le cœur. « C'e/1 ,
»'difoît-îly qu'il faut avoir horreur , 6c
t* une horreur extrême de ce que l'amour
*^ propre peut mêler dans les Ouvrages
w compofés par un mouvement de grâce,
» comme font l'affcclation du beau lan-
>^ gage , des penfées curieufes , êc chofes
« femblables. C'eft que 4e règne de Dieu
w n'efi; pas dans l'éloquence de l'homme,
»> mais dans la vertu de Dieu. C'efl que ce
gi-and
DE M. BouDON. Liv. m. 481
T> grand Maître , dont les leçons devroienc
» toujours porter leur fruic , a voulu que fa
>•> divine parole fût écrite d'un ftyle fîmple ,
» & par des perfonnes petites aux yeux du
" monde , pour confondre toute la fagefle
"humaine, ôc renvcrfer la politique des
» prudens du fiécle. »
Après tour , ce'^ui manque à ks Ecrits
du côté de l'ornement , eft bien remplacé
par le vrai, le folide , le touchant, qui en
font le caractère. S'il n'enlève pas l'efpric
par àcs penfées riches ôc neuves , il échauffe
le cœur, il humilie l'amour propre, il dif-
iipe les ténèbres que le péché répand dans
Tame , il touche , il convertit '^. Par -tout
c'eft la parole de Dieu qui triomphe , c'eft
la vertu, &la feule vertu de la Croix qui
fe fait des conquêtes. En général , il femble
qu'on peut dire des Ouvrages du grand
Archidiacre d'Evreux , ce que M. Marion ,
célèbre Dodeur de la maifon de Navarre de
ProfefTeur Royal, a dit dans fcn approba-
tion de la Vie du vénérable F ère Jean Chry-
fojîome : « Que c'c(l un traité de Théologie
"pratique, où chaque Fidèle peut appren-
" dre les préceptes trop peu connus de la
" perfection chrétienne s une cenfure évan-
" gèlique , où les fçavans de ce monde pcu-
» vent très-utilement reconnoîtrc leur igno-
" rance \ une efpéce de miroir , où les âmes
* C'eft en ces propres termes que m''en a écrit M?-'
dame la Marquife de C. . . c'eft-à-dire , une Dame <ju^
joint un efprit fupérieur à une haute naiiTance,
4?i La Vie
»> les plus parfaites peuvent découvrir leurs
« défauts, & le remède efficace d'une va-
» nité fubrile , qui eft la perte des bonnes
w œuvres. » Il ajoute , & nous le difions il
n'y a qu'un moment , que « l'Auteur n'a
>' pas prétendu faire des pièces de Rhéto-
•> rique , dont le plus bel ornement con-
« fillât dans l'arrangemef^t ôc dans le choix
« des paroles, on dans un ftyle de roman ;
" que parconféquent l'homme animal, qui
" ne prend plaifir à lire que ce qui peut
•» l'empêcher de voir fon extrême mifere ,
j> ou que ce qui eft capable de lui mériter le
» titre de bel efprit , n'y trouvera pas beau-
w coup de fatisfadlion , s'il ne fort de fon
»» état par le fccours du faint Efprit j »» Mais
il dit en mêmctems, ôc cet éloge en vaut
bien un autre, « que ce pieux Ecrivain fe
»> fert prcfque toujours du texte de l'Ecri-
»> ture pour expliquer fes penfées y ôc que fa
» dodrine, également folide ôc falu taire, n'a
" d'autre but que celui d'étouffer le vieil
" homme , ôc de procurer à Ces Ledeurs la
M vie du nouvel Adam, c'eft-à-dire , de
» Jefus-ChriH:. »
Mais une approbation fi belle ne feroîr-
clle point flatée? Je prends le Livre pour
en juger , ôc j'afTure , fous les yeux de la
vérité, qu'à l'ouverture j'y trouve ces pa-
roles. ( partie IL chap. 1 1. )
ft Je fens , ô mon Dieu , que mon cœur
»• s'enflamme au dedans de moi , Ôc qu'il s'y
* allume un feu pendant que je médite vos
DE M. BourHDN. Lrv. III. 4S5
>' vérités faintes. Ma langue vous dir , Sei-
" gncur , faires - inoi connoirre ma fin , &
» quelcft le nombre de mes jours, afin que
" je fçachecequi n^e manque. Je vois que
" vous ave^ mis une courre mefure à mes
» jours, & mon être eft comm.e le néant à
» vos yeux. Certes tout l'homme vivant efl
*> un abyfme de vanité j car Ihomme pajTc
» comme l'ombre , & c'ell en vain qu'il s'a-
» gite. Mais pour moi , quelle efl mon at-
''tente ? N'crt-ce pas le Seigneur ? Vous
« êtes tout mon bien êc tout mon thréfor.
»' Ecoutez ma prière, Se ne vous rendez pas
»' fourd à mes larmes : Ne demeurez pas
" dans le filencc , parce que je fuis étranger
»'& voyageur devant vous , comme l'onc
•• été tous mes Pères. Donnez-moi quelque
» relâche avant que je m'en aille Tirez-
. « moi du fond de la mifere ôc de l'abyfme
" de la boue. Affermiffez mes pieds fur la
»> pierre, Ôc conduifez mes pas. Que vos
» miféricordes qui m'ont toujours gardé,
» ne s'éloignent jamais de moi. Prenez foin
" du pauvre i vous êtes mon fecours , vous
" êtes mon proreéteur, ne tardez pas à me
» fecourir. Purifiez-moi , ôc je ferai net j la-
» vcz-moi , ôc je deviendrai plus blanc que
»* la neige. Faites-moi entendre une parole
« de confolarion ôc de joie , ôc mes os que
« vous avez humilies , treffailliront d'allé-
*» greffe. >*
Et plus bas : ce O mon Sauveur , je ne
" veux&rjcnedefire aucun jour de Thom*
Xij
4S4 L A V I E
>^ me. Que tous les jours qui me reAetit J
»•> foient de ces jours que vous avez faits;
>' jours de votre gloire , où la nature , où les
" créatures n'aient plus de part ; jours de
" vos Saints , où ne vivant plus à eux-mê-
« mes par une continuelle mort à l'être créé,
« ils ne vivoient plus que de votre vie di-
« vine. C'ell: uniquement où vont tous mes
>' defirs , où fe terminent tous mes vœux ;
» c'ell l'unique prétention qui me refte en
»f ce bas monde. Ou en fortir , ou n'y être
x> plus que pour vos feuls intérêts. Ou mou-
V rir , ou ne vivre plus que de vous Ôc pour
5> vous. Ou n'y faire plus rien , ou y faire
w tout pour votre feul honneur, ôc y fouf-
9> frir tout félon les ordres de votre divine
9i volonté. Ou n'avoir plus d'efprit , ou ne
» l'occuper que félon vos defleins. Ou n'a-
" voir plus de mémoire , ou la remplir
« de votre fou venir. Ou n'avoir plus de
»* cœur , ou vous aimer , ôc n'aimer que
>i vous feul. »
Ici l'on diroit volontiers avec le pieux
Ecrivain , qu'en le lifant , le cœur s'échauf-
fe , ôc qu'il s'y allume un feu qui ne per-
met prefque plus de penfer à lui. Revenons y
cependant , ôc après avoir donné une foible
notion de Ces Ouvrages , examinons ce qu'on
leur a reproché. Cette difcufTion fera peut-
ctre moins ennuyeufe qu^on ne fe l'imagi-
neroit d'abord. D'ailleurs on efl bien aife
de faire pour un autre , ce qu'on ne feroit
pas fâché de voir faire pour foi.
îiE M. BouDON. Liv. m. 42/
On a donc dit , i°. qu'en général il s'at-
tache û fort à la Morale , qu'il néglige les
preuves du Dogme. Mais il y a du faux dans
cette cenfure j & ce qu'elle a de vrai , ne
tire point à conféquence. On conviendra
fans peine , que dans quelques-uns de Ces
Ecrits il s'eft peu étendu fur le Dogme»
Mais fi l'on veut faire attention que ces
Traités roulent fur des matières que les Fi-
dèles croyent fans héfiter j comme que
Dieu eft préfent par-tout ; qu'il y a une
fainte Trinité , principe ôc fin de toutes
chofes j des Anges qui méritent nos res-
pects i un Purgatoire , où Dieu purifie des
■ époufes légèrement infidèles, ôcc. je crois
que l'on tombera aifément d'accord qu'en
pareil cas des differtations fçavantes euffenc
été inutiles , peut-être même dangereufes j
parce que la multitude , qui faifit aifément
robjcdtion , n'entend que difficilement la
réponfe. 11 ne s'agiflbit donc que de porter
les cœurs à réduire en pratique les lumiè-
res que l'efprit a reçues de la foi ^ & c'efl
ce que Boudon a fait d'une manière admi-
rable.
Mais quand il a fallu , ou prouver des vé-
rités affoiblies par le malheur des tems , ou
traiter avec des perfonnes , qui font faites
au fiyle didadique j on l'a vu fçavant com-
me un autre , Se plus que bien d'autres , faire
valoir l'Ecriture , les Conciles , l'autorité
des Pères , la raifon même , autant que fa
matière lui permettoit de l'employer. Son
Xiij
4?^ La Vie
Chrétien inconnu , qui cft le denuer Livre
qu'il ait donné , eft uniquement & conti-
fîuellenient appuyé fur le texte facré. Son
Traité du Règne de Dieu dans tOraifon
mentale , n'efl qu'un précis de ce que fainte
Thci'èfe , faint Jean de la Croix , faint Fran-
çois de Sales , & d'autres Ecrivains à peu
près du n>enîe ordre , nous ont donné fur
ee fujet. On trouve la même folidité dans
fa Dévotion à l^ immaculée, . . Mère de Dieu ^
^près l'avoir établie , cette dévotion fi jufte,
fi railbnnable , fur les plus preffans motifs ,
îcis que font la volonté de Dieu , l'efpric
de rÊglife , la piété générale des Fidèles ,,
la doctrine & l'exemple de tous les Saints ,
ia contradidion de l'enfer & des héréti-
ques , les bontés incomparables de cette au-
gure Reine , le pouvoir ^ la force de fa
proteétion : il entre dans le détail de fe&
trois principaux Privilèges , ç eft - à - dire ^
de fa Conception fans tache , de fa Virgi-
nité perpétuelle , de fa glorieufe Maternité..
Comme la première de ces trois préro-
gatives fe trouve encore coi-nbattuc de nos
jours , il ne fe contente pas de la fuppofer ,,
il la prouve , & par les paflages de TEcri-
tare que l'Eglife applique à la très - fainte
Vierge ; de par l'autorité des fouverains Pon-
tifes , & par les Fêtes , les Offices, les Tem-
ples , les Autels , les Ordres Religieux qui
ont été établis en fon honneur, & par le
fuffrage , tant des faints Doéteurs , que des
Univerlités Catholiques , 5cc„
Di M. BouDoy. Liv. IIÎ. 4?7
II vient enfuice a l'examen desobjedions,
^^ de celles fur-tout qui fe firent du Texte
facré&: des SS. Pères. Suivons -le dans la
dilcumon de la première de ces deux difti-
calcés: nous verrons bientôt s'il n'ell: bon
qu'à remuer le cœur , lans januis éclairer
refpiic.
Il s'objede d'abord* , que félon le grand
Apocre , tous les hommes ont péchc en
P Adam j & que puifque qui dit , tous , n'cx-
cepre perfonne ^ on ne peut , fans faire
violence à l'Ecri.ure , fouilraire la fainie
Vierge à la loi générale. Voilà robjection»
Notre pieux Auteur .y répond en allez
peu de mots, mais folidemenc & avec fainr
Jérôme : i^- Que le moz , Tuus , dans l'E-
criture a fouvent fes exceptions -, qu'on ne
pourroitfans erreur le prendre par-tout dai^s
un fens général & illimité; Qu^il eit dit,
par exemple , au Pfeaume treizième , que
tous les hommes fe font égarés , qu ils fonc
L tous devenus inutiles , qu'il n'y en a pas un ,
f pas un feul , qui fade le bien j que cepen-
dant ces paroles , quelque incapables de re-
flricl:ion qu'elles paroiHent , en exigent né-
ceffairement , puifqu'il y avoit des juftes , &
quand David les a prononcées , & quand
elles ont été répétées ôc adoptées par faine
Paul, ce Ainfi , pourfuit Boudon , les pa(Ta-
»ges généraux de l'Ecriture ont quelque-
•* fois leur exception , & leur vérité fubfulc
IV dans le plus grand nombre. 11 ell: dit que
♦ D47orion > part. II. chap. »t. p. »r5- .
4^8 I A V I I
fi les femmes enfanteront avec douleur :'
» cela n'empêche pas que la très-fainte Vier-
=> ge ne foit exceptée de cette loi générale.»
II répond en fécond lieu , que fi en vertu
des textes généraux de l'Ecriture , on fou-
met la Mère de Dieu au péché originel , il
faudra par une conféquence néceffaire l'af-
fujectir au péché aduel. Car enfin il efi: écrit
fans exception \ qu'il n'y a point d'homme
qui ne pèche -, que nous péchons tous en
beaucoup de chofes : que fi nous nous flatons
d'être fans péché, nous nous féduifons nous-
mêmes. Or l'Eglife a néanmoins décidé que
la fainte Vierge n'a jamais commis aucun
péché aduel. Pourquoi donc n'uferions-
nous pas de la liberté , dont elle nous donne
un fi bel exemple ? Pourquoi ne modifie-
rions-nous pas , quand il s'agit du péché
d'origine , des textes qu'elle a pu & dû mo-
difier , quand il s'agit du péché actuel.
Enfin il répond , que puifque le faint
Concile de Trente , dans fon Décret du pé-
ché originel, a déclaré que fon intention
n'étoit pas d'y comprendre la fainte Vierge j
il faut nécefiairement qu'il ait cru , qu'on
peut dire avec raifon qu'elle nefl pas compri-
fedans les Textes de S. Paul y & dans les
autres lieux de V Ecriture où il efl parlé de
Vinondation générale de ce péché. Donc ,
conclut-il, il eft très petmis de ne l'y pas-
comprendie. Il y a plus : c'eil que , puifque
le Concile a fait là-deffus une exception, il eft.
bon de lu faire s puifqu'on fait toujours
î5e m. Boudon. Liv. III. 489
bien, ce qu'on ne fait qu'à l'exemple d'uji
Concile. Ainfi railbnne notre Auteur : il
auroit pu le faire avec plus d'appareil , l'eut-
îl fait plus folidement i Pour moi je penfc ,
ôc peut-être ne ferai-j^ pas le feul de mon
avis , que pour écrire au goût du fîécle fur
chacun des fujets qu'il a traités , il ne fau-
droitavecun peu plus de tournure & de
critique , que les matériaux dont il a fait
ufage. Mais fes Ecrits parés à la moderne
ne perdroient- ils rien de l'onction qui en
fait le prix ? C'ell une queflion que je ré-
foudrois volontiers en demandant , fî l'ad-
mirable livre de l'Imitation vaut dans les
vers de Corneille , ou s'il vaudroit dans le
beau ftyle de Caflalion "^ , ce qu'il a jufqu'à
préfent valu dans fa baffe ôc fimple latinité.
Mais reprenons la fuite des plaintes que l'on
a faites contre les Ouvrages de M. Boudon.
Un Auteur qui a beaucoup écrit , en aura
toujours beaucoup à cffuyer. Heureux , di-
foit Quintilien , û jamais elles ne vtnoient
que de gens du métier , ou que ceux-ci fus-
fent exempts de rivalité & de jaloufie.
On a donc dit encore que le grand Ar-
chidiacre avoit traité des fujets , ou faux ,
ou plus qu'inutiles , comme on le voit fur-
tout par deux de fes livres , dont l'un eft
* Sébaftien Caftalion a donné en beau latir> quatre
Livres de Dialogues , qui conrienHcnt les principales
Hiftoires de la Eible. Mais quoiqu'il fe fût brouillé avec
Calvin Se avec Théodore de Beze , il y a mis des trait?
de la Dodrine de ces deux Novateurs. Caftalion mourijc
le 29 Pécembre jjôj.
4^o La V r I
de VE/clavage de la fainte Vierge ; Tautre
de Notre-Dame du Remède,
Mais il efl aifé de le venger fur l'un & fur
l'autre article. Le premier n'a aucune diffi-
culté. Que la Mère de Dieu, domine avec
fon Fils fur tous les cœurs \ qu'il n'y aie
point de Chrétien, qui nefe faflc plus d'hon-
neur de vivre fous £qs loix, qu'un efclave
ne s'en fait d'être attaché au plus grand
Prince du monde i c'eft ce que fouhaitoit lî
ardemment S. Bernard -, & ce que la foi
éclairée fouhaitera toujours. Il ne peut donc
y avoir de mal à le procurer , & e'efl uni-
quement ce qu'a prétendu M.. Boudon.
Il eft bien vrai que le S. Siège aplusd'une
foi* défendu "** l'ufage de certaines petites
chaînes , que les Fidèles portoicnc au col ,.
pour faire une profeflion publique de la
fervitude qui les dévouoit à la Vierge; Mais-
ce ne fut , que parce que ces chaînes ctoienc
devenues un ornement de vanité , & un-
commercc de galanterie. Ainfi l'on con-
*Dan5^ l'édition de r/«if* de 175S. Décréta generof
l'ia^ i. j> imagines & indulgeruia prohibita , font dé-
fendues, imagines j numifmata infculpta pro confraternita--
Ubuf Mancipiorum Macris Dei. Italict , Schiavi dell*.
Xlaire di Dio^ Sodales catenatos exprimentia. Item Li-
l)el|i in.quibus iifdem confraternitatibus regulse prxfcri-
buntjr. Confraternitatcs autemquaceatenulasdiftribuunt.
Confratribus &, Sororibus , braohiis& coUo circumpo-
»€odas arque geftandas , ut eo figno Beatffitnae Virgini.
jnancipaïas fe çflè proficeantur , &,quarum Inftitutum int
co mancipatu prdccipuè verfatur , damnantur & extin-r-
gtJUpiur.Sbcjetatibus verô quae ritunvaliquem , aut quod-
cutm^'je a^i;id ad mancipgtum, hujufmodi perùnens , a4?^
lïibeni , pr^,ip«m lit. i4ftai3tn rcjiciani.
DE M. BouDON. Liv. rrr. 49 1
lîamna l'abus fans toucher à la fubfiance.
Et comment les Pontifes Romains auroienc-
ils profcrit une dévotion , qu'ils ont auto-
rifée par leurs Diplômes &par leurs Indul-
gences j que plufieurs Royaumes ont adop-
tée 5 ôc donc la pratique fanclifie encore
tous les jours un nombre infini de perfonnes
de tout fexe de de toute condition ?
Quant à ce qui concerne l'autre Ecrit ,
dont le titre eit : Le grand fecoitrs de la di-
vine Providence par la très-fainte Vierge ,
invoquée fous le titre de Notre - Darne dw
Remède dans l'Ordre de la très-fainte Tri-
nité , &c. On ne fera peut-être point fachd
d€ fçavoir que les Religieux de ce nom ,.
ayant appris qu'une image de la Vierge, in-
voquée fous le titre de Notre - Dame da^
Remède , ctoit tombée par la prife de Cor-
doue entre les mains des Maures, 6c crai-
gnant qu'elle ne fût déshonorée , n'épar-
gnèrent ni peine , ni dépenfe pour l'obccnir
d'eux ,&: qu'ils furent aficz heureux pour y
réufTir j que le Roi Ferdinand , après avoir
chafTé ces Barbares de la même Ville , don-
Ka aux Trinitaires pour récompenfer leur
zélé , le fonds & les revenus de la. terre , oii
cette image avoir été trouvée^ j que Diet»
ayant opéré un. grand nombre de miracles^
en faveur de ceux qui avoient eu recours a
fcs miféricordes par FintercefTion de fa Mère
invoquée fous ce nom ,. L'Ordre de la Tri-
*EIléaTOit été trouvée par des Efclaves , qui s^ea.
^i«a( £uc ua mérite auprès de leur». Maîtres.
495 , '^^ ^^^
ïi'né , qui eft né , & qui a cru entre les brâS
de la fainre Vierge , s'éroit fait un devoir
de l'honorer fous un titre , qu'elle paroiflbic
agréer j ôc qu'enfin Paul V. a par une Bulle
cxpreiïe confirmé cette dévotion. Or , cela
pofé 5 de quel mal efl: coupable l'Archidia-
cre d'Evreux ? Eft ce de ne s'être pas élevé
contre un culte que le premier Siège auto-
rifoit , ôz que Dieu même avoir juftifié par
des prodiges ? En le faifant , on eût cru qu'il
vouloit braver le ciel & la terre. Efl-ce d'a-
voir fait voir que le Fidèle trouve dans la
perfonne du Fils par l'invocation de la Mè-
re un remède à Cqs maux ? En le difant , il
n'a été que l'écho de la tradition , ou plu-
tôt du monde Chrétien. C'eft le grand Cy-
rille , je parle encore une fois d'après notre
pieux ôc refpedable Ecrivain : c'eft le grand
Cyrille , qui au Concile d'Ephéfe déclare
que Marie a fervi d'inflrument à la Provi-
dence pour tirer les Gentils de l'idolâtrie.
C'eil rÈglife entière qui chante que par elle
toutes les hérèfies ont été détruites. C'eft
le peuple fidèle qui dans la guerre , la pefle,
la famine , ôc tous les autres fléaux de la co-
lère du ciel , ne recourt à ks Temples que
parce qu'il y trouve un remède aufli sûr
que prompt à toutes Ces difgraces.
Mais rien peut- être , & Boudon ne Ta
pas manqué , rien ne prouve mieux le vrai ,
le folide de cette dévotion , que la fameufe
vidtoire de Lépante , où la mer teinte du
fang ennemi perdit pour un tems la couleur
DE M. BouDON. Liv. Iir. 45) I
hâtnrelle de Cçs eaux -, où trente mille Turcs
avec leur Bâcha périrent les armes à la mainj
où enfin quinze mille efclaves Chrétiens
recouvrèrent la liberté , que fix mille Mu-
fulmans perdirent. Car il eft sûr que ce fut
la Mère de Dieu invoquée fous le tendre &
glorieux titre dont nous parlons , qui com-
battit pour nous à la tête de la flotte Catho-
lique. Ce fut â elle que Dom Juan d'Autri-
che , publiquement profterné fur la Galère
Royale , voua fa perfonne & fon armée.
Ce fut à elle , qu'après fon triomphe , un
àcs plus fignalés qui fut jamais, il fit rendre
fcs vœux dans le fanduaire où l'Efpagne
rinvoque. Ce fut pour ce même lieu , où
elle eft fi fpécialement honorée , qu'il de-
manda des grâces à Grégoire XIII. fucces-
feur de Pie V. Et ce Pontife dans le Bref
qu'il accorda aux defirs de ce grand Capi-
taine , marque exprefiement qu'il s'étoic
confacré lui ôc toutes fes troupes à Notre-
Dame du Remède. 11 n'y a donc rien dans
ce dernier Ouvrage de M. Boudon , qui ne
prouve la piété de fon Auteur : ôc ce flic
avec fagefle que pour l'en féliciter , la Con-
grégation réformée de l'Ordre de la Ré-
demption des Captifs, lui donna des lettres
d'affiliation , qui le rendoient participant de
toutes les bonnes œuvres qui s'y font \
* Ces Lettres font datées du ij Mai 1669. M. Bou-
don déjà aflbcié à la Confrairie du S. Refaire , s'étoic
fait recevoir le 4 Juin 1645 * ^ '^ dévotion du Refaire
perpétuel établie dans TEglife des Jacobins réformés
<1e la rue S. Honoré. II contracta une lemblabk liaiion
wec les cnfans de S. François de Paule,
4^4 Î-A Vu
Mais au moins , dit-on , &c e'efl: un rrol^-
fiéme chef de cenfure , l'Archidiacre d'E-
vreux dans fon Traité de la dévotion à la
fainte Vierge , pour établir , à quelque prix
que ce fût , la Conception immaculée , s'efl
fervi d*un petit Office compofé pour hono-
rer ce privilège réel ou prétendu de la Merc
de Dieu. Or , conrinue-t-on , il eft sûr que
cetOffice de laConception a été condamné à
Rome par deux décrets d'innocent XI. l'un
du 17 Février 1678 , l'autre du 7 Mars de
la même année. 11 falloir donc , ou que ce
grand Ecrivain ne fçût pas ce que tout Ir
monde fçavoir j ou , ce qui feroit pis enco-
re , qu'il ne comptât pour rien le jugement
du S. Siège.
Il feroit à fouhairer que ceux qui font
de pareilles objedions , euilent pour toutes
les décifions de l'Eglife autant de refped ,,
qu'ils en affedlent pour ceux des Décrets
Apoftolique», où ils croyent trouver léuc
compte. Mais fans examiner ici s'ils agiflenl
conféquemment, ou non , il eil à propos de
difcuter un peu le fait dont on veut fe pré-
valoir 5 pour attaquer ou la capacité , ou la?
foumiffion de notre Archidiacre. Nous le
ferons d'autant plus volontiers , qu'il y a
bien des gens , ôc nous y avons été trompés
comme eux , qui venant à tom.ber fur c&
Décret, fans en fçavoir les fuites, s'imagi-
nent que l'Office de l'immaculée Concep-
rion a été défendu par Innocent XI. L'Hi^
iîoire abrégée de cet événement fuffira.pouiî
les guérir de cette idée».
DE M. BOUDON. Liv. III. 49/
En 1678, le P. Raimon Capifucci, Maî-
tre du facré Palais , ôc par conféquenr Do-
minicain , défendit un petit Livre intitulé ,
Ojfîcio délia immacoiata Concettione , &cc»
imprimé à Milan chez François Vigone. Ce
Décret qui parut donner indirectement at-
teinte à la Conception immaculée fit grand
bruit dans toute l'Europe Catholique. Un
Ecrivain trop fameux avoue qu'il fcandalila Bayle».
une infinité de perfonnes, & qu'en France
il n'y eut que certaines gens qui en furent
édifiés, L'Empereur , qui n'étoit pas de leur
Ordre,écrivit au Pape pour fçavoir ce qu'on
avoit prétendu en défendant un Office qui
depuis tant d'années étoit entre les mains des
Fidéles.Le faintPere, après avoir mandé Ca-
pifucci , répondit le 1 8 Décembre à fa Ma-
jeûé impériale "^ , que l'on avoit défendu
un certain Office de la Vierge , parce qu'il
contenoif une Indulgence apocryphe , de
qu'on le donnoit fauflement comme approu-
vé par Paul V. . . . Mais que fous cette dé-
fcnfe l'on ne comprenoit point l'Office , qui
depuis un très - long- rems fe récitoit dans
TEglife par lapermiffion du faint Siège. Le
Pape ajouta qu'il n'avoit en aucune façon
prétendu diminuer le culte de la Mère de
Dieu V mais plutôt l'augmenter de l'ampli-
fier autant qu'il lui feroit poffible.
Il le fît Gonnoître aufficôt après ; car il
ordonna que dans les nouvelles éditions quî^
fe feroicnt de cet Office , au lieu dcfanBaTB.
î VoyM le r«<u€Ji des fiuUcs , &c. pag, fiu
4î>S ^ La Vie
Conceptlonem , qui s'y difoît auparavant;
on mil fanElam & immaculatam Conceptio-
nem , paroles qui marquent bien le fenti-
nienrde ce Ponrifc. Il cH vrai que le Maître
du facré Palais y fit quelque changement \
Se qu'au lieu de. Domina^ exaudï orationem*
meam^ il voulut qu'on dît, Domina , pro-
tege orationem meam ; & encore , hanc lait-
dum praconia , au lieu de , has horas cano-
nicas. Mais ces correélions parurent fi peu
importantes , que ceux qui auroient voulu
une fuppreflion totale & de l'Office , & de
la dévotion , firent courir le bruit qu'on les
avoit fuppofées. La chofe alla fi loin , que
rintcrnonce de fa Sainteté dans les Pays-
Bas fut obligé de certifier la vérité de ces
nouvelles éditions par une Lettre circulaire
à tous les Evêques de fa Nonciature. Le
Nonce pour l'Allemagne avoit déjà fait la
lîiéme chofe dans l'Empire.
Ilert donc clair qu'Innocent XI ne con-
damna jamais le petit Office de la Concep-
tion. Il y a plus , c'efl: que malgré les gran-
des & tumulrueufes occupations de fon
Pontificat, il le réciroit lui-même tous les
jours , lorfque les affaires de rEglifenel'en
cmpêchoient pas. C'eft ce que Boudon avoic
appris & du Nonce de France , & de M.
Palu , Evêque d'Heliopolis.
Auffi M. Inghinari, premier Secrétaire
de la Congrégation des Rits , ayant été con-
fulté fur ce fujet , répondit qu'il étoit extrê-
tnement furpris d'une pareille confukationj
DE M. BouDON. Liv. IIÎ. 497
& qu'il étoit de notoriété publique , que
cet Office fubfiftoit en fon entier, comme
celui du Saint Sacrement , de fainre Anne 9
Ôc autres femblabies , que l'on permet à la
dévotion des Fidèles. Il ajouta qu'il n'y avoit
dans les Archives aucun Décret , qui l'eût
défendu. Et il faut bien que cela Toit ainfi ,
puifqu'on le récite tous les jours enEfpagne,
en Italie , & dans d'autres pays qui font fou-
mis à rinquifition. C'efl dequoi nous avons
fous les yeux des témoignages authentiques.
L'Archidiacre d'Evreux a donc pu citer l'Of-
fice de la Conception : ik il auroit pu ajou-
ter à la preuve qu'il en tire , le fufTrage d'un
grand nombre de refpeclables Docteurs ,
qui ont été l'ornement & la gloire de l'Or-
dre de faint Dominique.
La dernière objedionque l'on fait contre
quelques-uns des Ouvrages de M. Boudon ,
nous a paru d'une toute autre conféquence ,
que celles qui jufqu'ici nous ont occupés.
On dit donc que fon Livre intitulé : Dieu
feid, a été mis à V Index ; qu'on y trouve
le germe , & même quelque chofe de plus
que le germe du Quiétifme , & qu'enfin les
principes qu'il y établir , reparoiffent dans
Çon Règne de Dieu , G^^r.
Soumis , dévoués , comme nous le fom-
mes , par état & par goût à toutes les dé-
cifions de la fainre Eglife , nous nous don-
nerions bien de garde de juftifier des Ecrits ,
qui pourroient y donner atteinte. Mais en
réprouvant l'Ouvrage, nous pourrions ven-
49^ La Vie
ger l'Auteur j & cela feroit plus aifé par rsp^
port à M. Boudon , que par rapport à bien
d'autres. Le tems où il a écrit , fuiRroit feuf
pour Texcufer. Son Dieu fetd eft de 1661^
Son Reg.^'' de Dieu dans l'Or ai/on mentale
eil de 1671. Or dans ce tems il netoit que-
flion ni de l'amour défintérefle , ni de ces
précifions abrtraires qui s'y rapportent. Il
n'y avoit alors ni Archevêque de Cambrai ,
qui eût écrie fur les maximes dts Saints , ni
Evéque de Mcaux,qui l'eût dénoncé au Roi,
^ par lui atout l'Univers.Rusbrochj-^'Thau-
Icr , & ceux qui ont écrit à peu près dans le
même gour , étoicnt la grande règle des
Myrtiqiies. Ils n'y trouvoient ni ces étranges
exagérations , ni ces exprejftons exorhitan-
tes , que le grand Bofluet y découvrit dans
k fuite **. La guide de Molinos n'avoir
point encore paru ; & on ne foupconnoir
pas que dts principes couverts fous l'appa-
rence de la plus haute fpiritualité , puflenc
enfanter les plus monflrueufes conféquen-
ces. On parloir donc alors avec plus de con»
fiance , de avec moins de précaution , com-
me le dit quelque part S. Auguflin j & fî
l'on avoit le malheur de tomber , ce que
• Jean Rusbroch , Chanoine Régulier de S. Auç^uftin,
firnommé le très - excellent Contemplatif & le DoCleur
«f/vin ^ mourut le 2 Décembre 1581 , à 88 ans. Jean
Thauier , Dominicain , dont les Injtitutions font eiM-
mées , mourut à Strasbourg, le 17 Mai 1561. Michel
Molinos , Efpagnol , père des Quiétiftes , fut condamné
à Rome en 1685. ^^ mourut en prifon le 19 Décembre
2696,
•• Boflu€t,Inûruftion furies éutsd'OraiToiu
DE M. BoUDON. LiV. III. 49^
tout homme peut faire , on ne pouvoic avoir
celui d'être accufé d'héréCe , parce qu'ont
ctoir difpofé à fe fou mettre fans mefure ôc
fans reûriclion.
Ces principes ?;énéraux fufiîfent pour
mettre à couvert la perfonnc de TAuteur-,
fuffifent ils pour JLUlifîer fon texte? Non,
il faudroit quelque chofe de plus. Nous le
donnerons volontiers dans une Diflertaticn
particulière , fi un hcn:me adroit à faifîr le
faux d'un Ouvrage , veut bien nous faire
part des difîiculcés qui Tarrêcent , comme
nous l'en avons prié.
En attendant , nous répondrons au fu jet
du Dieitfeul, ce que le grand Archidiacre
a plus d'une fois répondu lui-même, i^. que
ce n'eil pas cet Ouvrage en foi qui a été dé-
fendu \ mais une édition rrès-falfifiee , qui
s'en étoif faite dans les Pavs - Bas , <Sc dans
laquelle on avoit, fans confulrer TAuteur,
inféré des maximes qui ctoient direclemjent
oppofées aux fiennes -, 2°. que M. Bofiiiet,
cfui fut un des Approbateurs de ce petit Li-
vre , déclara hautement qu'il n'y avoit rien
trouvé qui ne fût conforme aux règles de la
foi , digne d'ctre donné aux Fidèles » pro-
pre à échauffer Se à purifier leur zélé. A
quoi on pourroit peut-être ajouter que ce
fçavant homme n'a jamais révoqué ce pre-
mier jugem.ent \ 3c que M. de Cambrai ,
qui n'étoic pas fâché de le trouver en con-
tradiction avec lui-même , & qui d'ailleurs
çherçhoic par - tout de quoi appuyer fçg
^-^0 L A V I E
idées , n'a jamais ni appelle à fon fecour^
rOpufciile dont il s'agit , ni fait valoir con-
tre M. Bofluet Tapprobation qu'il lui avoic
donnée.
Pour ce qui concerne le Regtie de Dieu
€n lOraifon mentale , il y a deux chofes qui
font beaucoup à la juftification de notre
Auteur; l'une qu'il n'a parlé que d'après
les plus habiles Contemplatifs , tels que
font Blofius , fâinte Thérèfe , S. François
de Sales, &c. L'autre, que dans la crainte
qu'il eut qu'on ne donnât un mauvais fens
à certaines exprefTions , qui fiapoient moins
avant les difputes du Quiétifme , quelles
n'ont fait depuis , il les a ou expliquées, ou
retranchées dans la nouvelle imprefllon de
fon Livre. Il a plus fait , puifque par des
additions , dont les unes font inférées dans
le corps de l'Ouvrage , les autres font à la
fin , il combat formellement les principales
erreurs que l'Eglife a combattues. C'eft ain-
fi qu'après avoir dit des chofes admirables
de rétabliflement du Règne de Dieu dans
l'ame qui s'unit , ou plutôt qui fe perd en
lui , il ajoute ces paroles remarquables ->«.
« Nous déclarons que par l'établiflement
" du Règne de Dieu , par les unions les
« plus fublimes , & par les plus fortes ex-
» prefTionsdes faintes âmes , que nous avons
w rapportées , nous ne voulons en aucune
» manière dire que la convoitife foit éteinte
« entiétement, non plus que lamour-pro-
•JL, 3. cil, 8. p. 441, Edition de 1740^
DE M. BouDON. LiY. m. /or
»> pre j & que l'on ne foie plus dans le dan-
>j ger de Ce perdre ^ que l'on n'exerce plus
'^ les actes de foi , d'efpérance & de charicé
" qui font ordonnés -, & que l'on ne fafle
" plus ni de demandes , ni d'actions de gra-
>' ces •) que l'on ne prenne plus de foin de fe
« mortifier , ni d'acquérir les vertus. An
» contraire toutes ces chofes fe font & avec
« plus de perfection , que dans les autres
'> états. »
Et dans un autre endroit : « Ce que j'ai
5' écrit , qu'il y en a qui penfent que la con-
« templation eli quelquefois perpétuelle par
w un don extraordinaire &C miraculeux
»' Je crois qu'il faut l'expliquer d'un état dans
>» lequel cette contemplation efl: ordinaire,
" c'ert- à - dire j très - fréquente j mais qui
" néanmoins n'exclut pas les diflradions in-
« volontaires , ni la diflinction des vertus ,
" ni les péchés véniels ) puifque les Saints
« même ne laiflfent pas d'y tomber , quoi-
9» qu'ils ne les commettent pas d'un propos
" délibéré , ni avec une entière vue. ... La
»^ contemplation de ces âmes privilégiées
« n'ed donc pas fans interruption -, mais elle
" leur eftfi ordinaire, qu'il leur paroît qu'el-
w le efl: comme continuelle. Ce qui ne doit
w pas furprendre , û l'on confidére qu'il y a
3> des perfonnes à qui Dieu manifeile fa di-
w vine préfence en toutes fortes de lieux. . .
»* J'en connois qui ne font jamais plus ap-
»» pliquées à la préfence de Dieu , que lors-
w qu'elles fe trouvent parmi les gens du
jôi La Vie
" monde, qui en étant le plus en oubli , nt
» s'occupent ôc ne parlent que des chofes
» de la terre. C'eft pour lors que Dieu , qiû
" eil riche en niiféricorde , leur fait fentir
»»ra divine préfence dune manière plus
« forte ôc av^c plus de lumières: ce qui les
» fait foupirer inconfolablement, confidé-
« rant l'aveuglement ôc h dureté des Chré-
*' tiens, qui croyant par la foi que Dieueft
« préfent par-tout, par-tout s'en oublient ,
« ôc n'y penfent non plus que s'il étoit bien
" éloigné d'eux. " Je ne rapporte ces der-
nières paroles , que parce que je fçaisd'ail-
leurs que c'e/l Boudon lui - même' qu'elles
regardent : celles qui précédent font con-
noîtrefon exaditude ôc fa précaution. Auflî,
dit le principal Hi/îorien de notre Archi-
diacre , « Dans la recherche que quelques-
» uns de nos Prélats ont faite des fentimens
« erronés des Quiétirtes , afin d'arracher
>' cette yvraie du champ de TEglife , ayant
» examiné avec toute l'attention que Tim-
» portance de l'affaire le demandoit , les Li-
« vres de ce grand ferviteur de Dieu , corn-
»> me ils le lui dirent eux-mêmes , ils hs ont
'» tous laiffé en leur entier * , comme conte-
>» nant une dodlrine fainte , ôc étant d'une
» grande utilité à l'Eglife. »
Et il faut bien , qu'on les ait beaucoup es-
timés ; puifque ne pouvant fe foutenir que
• Je ne fçais fi ces paroles font de l'Hiftorien, ou des
Prélacs qui parlèrent à M. Boadon de rexamen qu'on
avpit fait de Ces Livres,
DE M. BOUDON. Liv. IIL 50J
parVondlion qui s'y trouve; il s'en eil fait
jufqu'à préfent un débit incroyable j qu'ils
fe font imprimés & réimprimés en France
de dans les pays étrangers \ que quelques-
uns ont été traduits en Latin, en Allemand,
en Italien , en tfpagnol , Ôc même en Pc-
lonois ; & qu'ils n'ont pas moins eu de fuc-
•ccs dans le Canada , où ils ont été envoyés ,
que dans le lieu où ils ont pris naiffance.
« Les Livres de M. Boudon , difoit une
"Supérieure d'Hofpitalieres en Lorraine,
•» font d'une grande utilité pour nos Reii-
» gieufcs , pour nos pauvres , & fur- tout
w pour les âmes qu'on tâche de retirer
M de la fange du péché. Il efl impofTible
fi de les lire , fans fe fentir animé du
*» feu divin , qui a porté leur Auteur à les
»» compofer. Sa mémoire ell: en bénédiction
»» dans cette Communauté -, ôc on l'y regar-
>' de comme un Elie rempli de zélé pour la
»• gloire du Seigneur. »
Et encore : -« Ces Livres ont première-
» ment renouvelle en nos Sœurs Tefprit de
» ferveur j ôc converti plufieurs péchereflcs
» que nous avons ici avec nos pauvres. . . ,
» Après avoir entendu la lecture de celui de
w la dévoion aux SS, Anges , ils deman-
*> dent très-fouvent à faire des neuvaines à
3J ces bienheureux Efprits *, ôc incontinent
w après ils fe trouvent délivres des tentations
3> du démon. Plufieurs familles me deman-
9» dent ces Livres. »
Un grand Vicaire , qui en même - tenis
J04 L A V I E
éroit Doyen d'une célèbre Cathédrale, écri-
vant à Paris à un Magiflrat de fçs amis :
« Nous lifons , lui difoic - il , les divins Li-
» vres de M. Boudon , ôc je vois qu'ils font
" toujours goûtés dans notre Séminaire , à
" caufe de la fainte ondion dont ils fonc
»* remplis. »
Et dans une lettre à M. Boudon même ,
il difoit: « Votre Livre de la dévotion à la
" fainte Vierge paroît aux connoifleurs l'un
"des meilleurs & des plus fuivis que vous
*' ayez fait. Il efl tout propre à produire
»^ l'effet que vous prétendez , quieft d'infpi-
'* rer une vraie dévotion à l'immaculée
» Mère de Dieu. »
Un R. P. Capucin , qui par fes MilTions
s'étoit fait une grande réputation , lui écri-
voit de ce même Ouvrage , qu'on l'avoit lu
en commun dans la maifon où il réfidoit ,
pour fe difpofer à la fête de la Mère de
Dieu j ôc que leur Ledeur en Théologie ,
ainfi que tous leurs autres Pères , le trou-
voient rempU de doctrine & d'ondion. Sa
Lettre eft du 20 Décembre 1699.
L'Archidiacre a toute fa vie reçu un
grand nombre de femblables Lettres. 11 écri-
voit lui-même en ces termes ^ à un de ces
amis de confiance , avec qui Ton eft en droit
de partager les bonnes & les mauvaifes nou-
velles, ce J'ai reçu depuis peu une Lettre du
'> Supérieur du Séminaire de TV. qui me
" m.arque qu'il plaît à Dieu tout bon de ré-
V pandre de plus en plus ks bénédidions
abondantes
DE M. BOUDON. Liv. lîî. JOf
-»> abondantes fur les Livres, que fa divine
« Providence m'a fait donner au public. Il
^■' m'écrit en particulier , qu'un Curé étort
"Il affligé de peines intérieures,qu'il étoit fur
»» le point de quitter fa Cure, mais que lui
■5* ayant prêié &z fait lire le Livre delà dcvo-
'5' tion aux bons Anges , non' feulement &£
« tentations fe font évanouies , mais qu'il
•5^ penfe encore à établir en fa Paroifle une
»^ Société en l'honneur de ces bienheureux
»* Efprits : Ôc le Supérieur témoigne qu'il y
''* penfe aufli lui-même pour d'autres lieux.
w Je crois devoir vous dire encore , que la
9> leélure d'un de ces livres a û fort touché
->* le cœur d'un certain homme , qu'il a fait
'^ dans la ville où il demeure , une péniten-
w ce publique , fous les yeux de tous les ha-
9> bitans. »
Des nouvelles Ci douces à un Auteur ,
qui eft prefqu^ toujours un peu de ce mon-
ade , ne touchoientT Archidiacre d'Evreux ,
que parce qu'il y trouvoit la gloire & les in-
térêts de Dieu. Ainfi , lorsqu en pafTanc à
■Ausbourg , en lui préfenta quelques - uns
de fes Traités , & emfautres celui de i'a^
mour -de Je fus au très -faim Sacrement ds
V Autel ^ tiaduits en Allemand & en Polo-
nois , il fut beaucoup moins touche de cette
marque d'ellime & d'approbation , qu'il ne
-le fut d'apprendre qu'en conféquence de
cette tradudionl'on avoitintlitué une Con-
^frairie de l'Adoration perpétuelle du Fils
^e Dieu dans cet auguile Sacrement , d:
y
p6 L A V I B
qu'il y avoit déjà quatre vingt mille pcrfoii-
ncs qui s'y étoiient faic infcrire ; mais Bou-
don étoic presque fait à ces miracles de la
grâce : ôc le Livre donrnous venons de par-
ler , étoit û eftimé en Flandre ôc dans les
Pays Bas , qu'en plufieurs Eglifes on Tatta-
choit avec une petite chaîne à la table de la
Communion , afin que les Fidèles puflent ,
• en le lifanr , s'enyvrer d'amour pour celui
qu'ils alloient recevoir.
Voici le catalogue des Ouvrages que ce
faînt ôc infatigable Ecrivain a compofés.
Nous les donnerons , non félon l'ordre des
tems , mais à peu près félon l'ordre des ma-
dères.
I. Dieu feul, ou l'afTociation pour l'inté-
rct de Dieu feul.
II. Dieu inconnu.
III. Dieu préfent par-tout.
. IV. La Gloire de la fainte Trinité dans
les âmes du Purgatoire.
V. La Dévotion au Règne de Dieu.
VI. L'Amour de Jefus autrès-faint
Sacrement de l'AureL
VIL La Vie cachée avec Jefus en Dieu.
VIII. La Conduire de la divine Provi-
dence , Ôc l'adoration perpétuelle qui lui
cil due.
IX. Les Sainres Voies de la Croix , où il
e/l traité de plufieurs peines intérieures Ôc
extérieures , Ôc des moyens d'en faire un
bon ufage.
DE M. BOUDON. Liv. lîî. /07
X. Le Saint Efclavage de l'admirable Mè-
re de Dieu.
XI. La Dévotion à l'Immaculée Vierge
^larie , Mère de Dieu.
XII. Avis catholiques touchant la vérica-
bl e dévotion à la fainre Vierge.
XilL Les Grands Secours de la divine
Providence par la très-facrée Mère de Dieu,
invoquée fous le titre de Notre - Dame du'
Remède dans l'Ordre de la fainre Trinité.
XIV. La Dévotion aux neuf chœurs des
SS, Anges , ôc en particulier aux SS. Anges
Gardiens.
XV. La Dévotion à S. Joachim.
XVI. La Vie de S. Taurin , Apôtre Ôc
premjer Evêque d'Evreux.
XVII. L'Homme Intérieur , ou la Vie du
Père Jean-Chryfoftôme , Religieux - Péni-
tent du Tiers Ordre de S. François.
XVIII. L'Homme de Dieu en la perfonne
du R. P. Jean-Jofeph Seurin , Religieux de
la Compagnie de Jefus.
XIX. La Vie de la Sœur Marie -Angéli-
que de la Providence , nommée commu-
nément Madame Simon '^.
XX. La Vive Flamme d'amour dans le
bienheureux Jean de la Croix , premier
Carme DéchaufTé , ôc Coadjuteur de fainre
Thérèfe d^ms la réforme du Mont-Carmel.
XXI. LeTriomp'iede la Croix en la vé-
* Cette Vie qui n'avait point encore éié imprimée ,
quand la première édition de cet Ouvrage parut , l'a éié
depuis peu à Avignon , comme je Tai déjà dit,
Y ij
Jô E A Vie
«érable Mère Marie-Elifabeth de la Croix
de Jefus , Fondatrice de jlnilitur de Notre-
Dame du Refuge,
XXII. De la Sainteté de l'Etat Eccléfiafti-
que.
XXIII. Du Respeél dû à la fainreté des
Egiifes , & des profanations qui s'y com-
inertent.
XXiV. Obfervarions fur la Communioa
ôc fur les cérémonies de laMefle*
XXV. Le Malheur du monde.
XXVI. La Science & la Piatique du Chré^
tien.
XXVII. La Scrence facrée du Catéchis-
me , ou 1 obligation qu'ont les Pafteurs de
l'cnfcigner, &: les peuples de s'en faire in^
fi m ire.
XXVill. Le Chrétien inconnu , ou idée*
de la vraie grandeur du Chrétien.
XXIX. Le Règne de Dieu eu l'Oraifon
mentale '^.
Voilà les principaux Ouvrages du grand
Archidiacre d'Evreux ; car il y en a encore-.
d'autres, tant imprimés que manufcrits,
mais dont je ne puis parler exactement,
parce que je n'ai pu les avoir. Quand on
fera auention qu'il n'a jamais manqué à
faire fes vifires , qu'il a fait U4i grand nom-
bre de MilTions , ôc donné un plus grand
nombre de Retraites dans toutes les parties
• La plupart de ces Ouvrages fe vendent chez Jean-
Xhomas. Herii&nt, ^ib, rue. S, Jacques, à rinuige S. PauU
DE xVl. BOUDON. Lif . III. JC9
du Royaume , qu'il avoir fans cefle a Ré-
pondre , parce qu'il étoit fans cefle con-
fulré de vive voix & par Lettres , fur des
peines Se fur des matières fpirituelles j que
de longs de pénibles voyages en des lieux de
dévotion fouvent allez éloignés de fon do-
micile , ne lui coutoient rien i je crois que
l'on tombera aifément d'accord , que Ces
jours ont été pleins j & que fon Juge né lui
aura pas reproché ce vuide affreux , qui ,
malgré nos prétendues occupations , fera
un jour la mariere de notre jugement , &C
qui pourvoit bien être celle de notre con-
damnation.
ADDITION àla page 133.
POur fçavoir de quoi étoienr capables les Gomariftes ,
il fuffit de lire la nouvelle Vie de Grotius , par M. de
Burigny. Il eft bon d'avertir le Lecieur , que d<i tems de
M. ^oudon ces malheureux fe livroienc a des excès qui
cutrageoient également ôc la F.eligion ôc la plus commune
bienféance. On le voit par le Mémoire que no:rc Arciii-
diacie fît concr'eux , pour être préfen té au Parlement de
Rouen. Ils ont, y difoic-il en fubftance , donné des coups
de couteau à. limage facrée du Sauveur du monde.
Ils ont attaché à une Croix un Cochon , à la place du
Crucifix. Us ont tiré un coup de fufil dans l'Image de la
.trés-fainreVierg: , ^c. Poiii entrer Cûn s unefijulte indi-
gnation contre de pareils attentats , il ne faut pas avoir
autant de zèle qu'en avcit M. Boudon ; il fuffit d'être en*
cote un peu fidèle. Au refte, on ne parle aujourd'hui ni
de Gomariftes ni d'Arméniens dans le Diocèfe d'Evreux.
Ils y font aulïï inconnus que les Sociniens le font préiente-
ment en Pologne , où ils donnèrent vers le milieu du
uéclc palTé , cette fameufe BicLothéque , qui auroit ren-
T-erfé l'Eglife , û les portes de l'enfer potivoicnt la rca-
Vfrfer.
FIN.
A P P R O B A T I O N.
J 'Ai lu par ordre cîe Monfeigneur le Chance-
lier ^ la Tie de Meffire Henri-Marie Boudon ,
grand Archidiacre d'Evrcux. Le récit des venus
de ce faiiK Serviteur de Dieu fera d'autant plus
d'imprefîion fur les Ledeurs , qu'il a vécu de nos
jours. Je rends d'autant plus volontiers ce té-
moignage à fa mémoire, que j'ai eu l'honneur
deleconnoîtrc fur la fin de fa vie, & que j'ai eu
connoifTance de la plupart des faits qui font rap-
portés par ici, le témoignage des perfonnes , qui
avoient eu des relations avec lui* A Paris ^ ce
ij. Août, 1755.
J. TAMPOMET, Doreur & ancien
Syndic de la Faculté de Théologie de Paris.
APPROBATION.
T . .
J Ai lu par ordre de Monfeigneur le Chancelier
La Vie de Mefjîre Henri- Mane Boudon , Grand
Archidiacre d Evrettx , écrite par M. Collet , &c.
elle m'a paru édifiante & digne d'être réim-
primée. A Paris ce 30 Juin i^6^.
Signé , P. G E R M A I N.
PRIVILEGE DU ROL
T ouïs , PAR. LA GaACE DE DiEU , RoY DE
JLi France et de Navarre : a. nos amés & féauK
Conleihers les Gens renans nos Cours de v'arlem nt ,
Maîtres des Requêtes or^linaires de notre Hôtel , Grand-
Confeil , PrevAt de Pa'^is , Baillifs , Sénéchaux , îcuri
Lieucenans Civils , & autres nos Julliciers qu'il appartien-
dra : S A t u T. Noire amé H t R I S 5 A N r , Li-
braire à Paris , Nous ayanc fait expofer quM derireroic
réi.nprimer èc donner au i ublic , un Livre qui a pour
Titre : La Vie de M. Boudon , archidiacre d'Evnux ,
s'jI N'ous plaifoit lui accorder nos Lettïes de Fer-
miilîon pour ce néceïïaires. A ces causes,
voulant favorablement traiter TExpora-^t , Nous Iiii avons
permis & permettons par ces Préientes , de faire réim-
primer ledit Livre autant de fois '.]ue bon lui tem-
blera , & de le vendre , faire vendre & débiier par tout
notre Royaume , pendant le tems de trois années con-
fécutives , à comprei du jour de la dare dcf.iites Préien-
tes ; Faifons defen:'cs à tous Impriir.eurs , Libraires &
autres perfonnes , <ie quelque qualité &. condidon quelles
foient , d'en introduire d'impreffion étrangère i!ans au-
cun lieu de notre obéifiance ; à la charge que ces Préfentcs
feront enregiitrécs tout au long fur le Regiftre de 'a
Communauté des Imprimeurs 6c Libraires de Paris , dans
trois mois de la dare d'iceKes ; que TimprelTion dudit
Livre fera faite dans notre Royaume & non ailleurs ;
en bon papier & beaux caraéléres , conformément à la
feuille imprimée attachée peur modèle fous le contre-
fcel des Préientes ; que Tlmpéirant fe conformera en
tout aux Réglemens de la Librairie , & notamment à
celui du dix Avril mil fept cent vingt-cinq; & qu'avant
de recspoler en venxe , l'imprimé qui aura fervi de
copie à la réimpreflion dudit Livre , fera remis dans le
même état où l'Approbation y aura été donnée , ès
mains de notre très-cher & féal Chevalier , Chancelier de
France, le fieur D£i.amoi3.som , & qu'il en fera en-
fuite remis deux Exemplaires dans notre Bibliothèque
publique , ua dans celle de notre Château du Louvre ,
un dans celle dudit Sieur Delamoickon ,& un dans
celle de notre très-cher & féal Chevalier , Garde des
Sceaux de France , e Sieur Feydeau de Erou , le tout
à peine de nullité des Préfentcs ; Du contenu defquelles
vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expo-
fant ou fes ayans caufes , pleinement & paisiblement ,
fans fouffrir qu'il leur foit fait aucun trouble ou empêche-
ment. Voulons que la copie des Préfentes , qui fera im-
primée tout au long au commencement ou à la fin dudit
Live , foi foit aj uiée comme à l'Originai ; Com.mandons
au premier notre Huifiîer ou Sergent , fur ce requis , de
ùire pour Téxécudon d'icelies , tous Aâes requis & néft
^^efTaîres, fans demander autre permîflîon , & nonobûant
Clameur de Haro , Charte Normande , & Lentes à ce
contraires ; Car tel est notre plaisir. Donné à
Paris le cinquième jour du mois d'0£tobre , Tan de
grâce mil fept cent foixante-deux , & de notre Règne
ie quarante-huitième. Par le Roi en fon Confeil.
Signé , L E B E G U E,
Rcg'iflré fur le Rcgi/îre XV. de la Chambre Ro aie &
Syndicale des Libraires & Imprimeurs de ïaris , N'^. 7^4.
fol. 350. conformément au Règlement de lyzi. A Paris,
.£C ïi^O^obre 1762.
Signé y L E B R E T 0 N ySyndk.
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